Revue pour les Français Janvier 1906/V

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LES LENTEURS DE LA PROCÉDURE


Le bon sens, les usages et la loi


Nous avons demandé à M. Henry Bréal, l’auteur bien connu de la fameuse campagne contre l’emploi du « jargon judiciaire » d’indiquer chaque mois, à nos lecteurs, une réforme imposée par le bon sens et facile à réaliser. Voici la première de celles que lui suggèrent sa compétence et son ingéniosité.




Combien de centaines de procès se jugent chaque jour en France et, sur ce nombre, combien y en a-t-il qui ont duré interminablement. La lenteur de notre procédure est un mal dont souffre le pays tout entier. L’activité commerciale est entravée par la complication des affaires litigieuses ; un procès, même s’il se termine par une entente satisfaisante, aura toujours été un mal pour les plaideurs par les pertes de temps et d’argent qu’il leur aura causées. Ce sont là vérités banales.

Il est très difficile de réformer la procédure ; pour cela il faudrait faire des lois et le législateur a d’autres besognes ! De grands progrès pourraient être réalisés pourtant sans longues discussions juridiques.

En voici un exemple : un commerçant de Paris qui envoie une lettre recommandée à un correspondant de Marseille est certain d’obtenir une réponse au bout de quelque quatre jours. Or un plaideur de Paris qui fait parvenir à Marseille un exploit d’huissier (seul mode pour correspondre judiciairement) ne pourra avoir sa réponse qu’après trente-quatre fois vingt-quatre heures ; dix-sept jours pour l’aller et dix-sept jours pour le retour. Pourquoi cela ? Parce que les délais de distance du code de procédure ont été calculés en 1807 à raison d’un jour par trois myriamètres. Ils ont été modifiés depuis par la loi de 1882, laquelle a porté la distance légale parcourue en un jour à cinq myriamètres ou cinquante kilomètres. Mais, depuis cette époque, tous les ministres de la justice qui se sont succédé au pouvoir ont négligé de tenir compte du progrès réalisé depuis 1862 dans les moyens de locomotion. Quand aurons un ministre de la justice assez audacieux (!) pour proposer d’abréger les délais de distances ?


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