Revue pour les Français Mars 1907/VI

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Collectif
Imprimerie A. Lanier (2p. 596-597).
LE BON SENS, LES USAGES ET LA LOI

AU BUREAU DE POSTE



Un monsieur se présente pour toucher un mandat. Le matin, suivant son habitude, et dans la sage pensée de ne pas se laisser encombrer par les papiers inutiles, il a déchiré et jeté au panier les enveloppes de son courrier. Où trouver deux enveloppes entières à son adresse et dûment oblitérées par l’administration ? Il n’y en a plus chez lui. D’autre part, le mandat est urgent. Impossible de mettre la main sur une de ces cartes d’électeurs qui n’ont rien de plus pressé que de se glisser dans des endroits sombres où elles savent ne pouvoir être retrouvées que lorsqu’on n’en a pas besoin. Que faire ? Heureusement, le monsieur à une idée géniale, et c’est l’air assuré qu’il passe devant le guichet. Il appose ostensiblement sa signature au bas du mandat et le pousse vers l’employé accompagné de son porte-cartes rempli de cartes de visites. L’employé réclame les deux enveloppes sacramentelles. Le monsieur répond qu’il n’a pas d’enveloppes à son adresse, ayant coutume de les déchirer au fur et à mesure. Mais, puisque le porte-cartes ne suffit pas, voilà qui sera probant. Il tire de son doigt son anneau de mariage où ses nom et prénoms sont dûment gravés. L’employé sourit dédaigneusemet. Eh quoi ! Cela ne suffit pas encore ?… Le monsieur entrouvre alors son paletot, retourne le bord de la poche intérieure, et montre la petite étiquette de toile apposée là par les soins du tailleur ; l’étiquette porte son nom. Mais l’employé indique par son attitude qu’on se moque du règlement et qu’aucune de ces preuves fantaisistes ne réussira à le fléchir. Ce qu’il faut, ce sont les deux enveloppes. Si vous n’avez pas les deux enveloppes, allez au diable.

Eh bien ? cela a-t-il le sens commun, nous vous le demandons. N’importe qui peut se procurer assez aisément des enveloppes au nom de M. X… ou de M. Y… Il en traîne même parfois dans les rues, tandis qu’un anneau de mariage et une étiquette de tailleur, cela ne s’improvise pas pour les besoins d’une si petite cause. Qu’en pense cette Sainte Administration dont le culte est devenu en France la religion de l’État »

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