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Richard Wagner jugé en France/0

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À la Librairie illustrée (p. 1-4).

PREMIÈRE PARTIE

PRÉLIMINAIRE BIOGRAPHIQUE


Il nous paraît tout d’abord nécessaire, pour la période qui précéda son premier séjour en France, — de résumer brièvement la biographie de Wagner d’après les travaux des écrivains spéciaux contrôlés par ses propres souvenirs qu’on trouve consignés dans l’Esquisse biographique.

Richard-Guillaume Wagner est né à Leipsig le 22 mai 1813. Son père était greffier au tribunal de cette ville. Il mourut peu de temps après la naissance de son fils et sa veuve se remaria bientôt avec in acteur nommé Geyer. L’artiste ayant été engagé au théâtre de Dresde, toute la famille vint habiter la capitale de la Saxe où l’auteur du Hollandais volant et de Rienzi devait plus tard obtenir ses premiers triomphes. Le beau-père de Wagner mourut en 1820.

Le jeune Richard fit ses premières études sérieuses dans un collège de Leipsig. La littérature l’attirait déjà, puisque, sur les bancs de l’école, il ébauchait des plans de tragédie. On trouvera, dans l’Esquisse biographique traduite par M. Camille Benoît[1], sur sa vocation pour la poésie, des détails très complets qui n’entrent pas dans le plan de ce livre. L’audition des symphonies de Beethoven au Gevandhaus lui révéla sa véritable voie. Il commença dès lors à négliger le piano pour étudier la musique théoriquement et, tout en suivant à l’Université les cours de philosophie et d’esthétique, il prenait des leçons d’harmonie et de composition de Weinlig, cantor à la Thomasschule[2] de Leipsig. À cette époque, il composa une ouverture qui fut exécutée au concert du Gewandhaus et une symphonie[3] jouée à Leipsig le 10 janvier 1833. Mais le soin de sa santé l’ayant obligé à choisir un climat plus doux, il alla se fixer près de son frère, professeur de chant à Wurtzbourg. On lui offrit peu après l’emploi de Kappelmeister à Magdebourg. Il vint habiter cette ville en 1834. Un conte de Gozzi lui avait inspiré un poème d’opéra, les Fées, dont la partition resta inachevée. Il emprunta ensuite à la fantaisie de Shakspeare Measure for measure, le sujet d’un opéra comique Liebesverbot (Défense d’aimer), qui fut joué au théâtre de Magdebourg le 29 mars 1836, sous le titre de la Novice de Palerme, et qui, par suite de la situation précaire du théâtre, ne put avoir qu’une présentation. On trouvera dans le volume des Souvenirs déjà cité l’histoire très complète de la composition de cet ouvrage et des péripéties de l’exécution.

L’année suivante, il obtient la direction de l’orchestre au théâtre de Kœnigsberg, épouse une chanteuse et se voit réduit à une telle misère qu’il échange bientôt ces fonctions mal rétribuées pour celles de Kapellmeister à Riga où il ne fut guère plus heureux.

C’est à Riga qu’il écrivit d’après le roman de Bulwer-Lytton le libretto de Rienzi. Cet ouvrage était conçu dans la forme de l’opéra historique créé par les librettistes d’Auber, d’Halévy et de Meyerbeer. Les immenses succès qu’avaient obtenus la Muette, la Juive et les Huguenots devaient exercer une influence toute puissante sur la première œuvre du jeune compositeur ; mais l’extraordinaire fut que Wagner, obscur débutant, s’imagina trouver un accueil plus facile en France avec un ouvrage écrit suivant le système de l’opéra français que sur l’une quelconque des grandes ou petites scènes allemandes. Pour un musicien que ses fonctions de chef d’orchestre avaient mis en rapports constants avec les directeurs de théâtre, l’illusion est naïve à l’excès, ou elle implique une précoce et présomptueuse confiance. Déjà, dans son extrême candeur, « il avait envoyé à M. Scribe le poème d’un opéra en cinq actes tiré d’un roman de Henri Kœnig, avec prière au célèbre librettiste de vouloir bien le lui arranger pour la scène française et cette démarche était restée sans résultat[4]. »

Pour se rendre à Paris, il prit passage à Pillau sur un navire faisant voile pour Londres. Dans ce long voyage à travers la Baltique, le navire fut battu par la tempête et jeté dans les passes étroites d’un fjörd de Norwège. Wagner n’avait pas voulu quitter le pont et le spectacle de la mer en furie lui inspira l’idée de composer un opéra sur la légende du Hollandais volant qu’il avait recueillie de la bouche d’un des matelots. De Londres, il arriva à Boulogne sachant à peine le français, sans ressources, toujours plein de foi en son étoile. Par une incroyable bonne fortune, il rencontra en cette ville son compatriote Meyerbeer, qui prit connaissance de son œuvre et s’empressa de lui venir en aide. Tout en acceptant de patronner l’auteur de Rienzi, le fin compositeur, bien instruit des difficultés de la carrière musicale en France et des habitudes de nos théâtres lyriques, dut sourire plus d’une fois de l’inexpérience de son jeune rival et de ses naïvetés de provincial allemand.

  1. Richard Wagner, Souvenirs, 1 vol. in-18. Charpentier, 1883.
  2. Cette école s’honore d’avoir été sous la direction de J.-S. Bach.
  3. On trouvera l’histoire de cette symphonie dans les Souvenirs de R. Wagner, trad. C. Benoît.
  4. Richard Wagner, par Ch. de Lorbac, plaquette in-18, ornée d’un portrait et d’un autographe, Paris, 1861, G. Havard.