Rimbaud, l’artiste et l’être moral/2

La bibliothèque libre.
Albert Messein, éditeur (p. 13-78).


HISTOIRE SOMMAIRE DE RIMBAUD


En réunissant les articles publiés dans La Voce de Florence, où ils furent traduits en italien par le peintre écrivain Ardengo Soffici, et auxquels je viens d’ajouter un dernier chapitre qui était nécessaire, j’ai pensé que le lecteur voudrait connaître, dans un ordre biographique, plus de détails sur la vie du poète objet de cette étude, et avoir tout d’abord quelques renseignements sur ses origines.

Né à Charleville (Ardennes) le 20 octobre 1854, Rimbaud (Jean Nicolas Arthur) n’est pas purement ardennais, mais de race mêlée.

Son père, Rimbaud (Frédéric), né à Dôle (Jura) en 1814, d’un « tailleur d’habits », appartenait à la Franche-Comté par sa mère et son éducation enfantine ; il avait du sang bourguignon par son ascendant paternel (né à Dijon).

Sa mère, Vitalie Cuif, naquit à Roche (arrondissement de Vouziers) en 1825, d’une famille de cultivateurs (côtés paternel et maternel) qui habita de temps immémorial ce pays essentiellement agricole.

Et ainsi, en tenant compte de l’ambiance, toujours forcément éducatrice, Rimbaud, né et grandissant à Charleville, est plus qu’à moitié ardennais ; ajoutons même, à cause de l’ascendance maternelle : ardennais-champenois, précision non inutile, car il y a les Ardennes lorraines du nord-est, les Ardennes presque belges du nord.

Le père, qui semble avoir légué aux siens, du moins à ses fils, l’esprit d’aventure, eut une carrière de vrai soldat :

Engagé, à dix-huit ans, dans l’infanterie.

Sous-lieutenant de chasseurs à pied en 1841.

Fait campagne en Algérie où il devient chef de Bureau arabe.

Vient à Givet, puis à Mézières, comme capitaine au 47e de ligne, ce grade obtenu en 1852.

Son mariage, à Charleville, avec Vitalie Cuif, a lieu le 8 février 1853. Naissance, dès la fin de l’année, d’un premier enfant, Frédéric, et, un an après, d’Arthur.

A ce moment (octobre 1854), d’après l’acte de naissance le capitaine Rimbaud est en garnison à Lyon, tandis que sa femme vient d’accoucher à Charleville. Déjà il y a des séparations temporaires. Les époux sont émotifs et autoritaires tous deux à l’excès. Cela n’empêche pas des réconciliations, car il leur naît une fille, Vitalie, vers 1858, et une autre, Isabelle, en 1860. Mais le capitaine ne fait pas venir sa femme pour le rejoindre dans sa garnison. Après la naissance d’Isabelle, lui et Mme Rimbaud prennent définitivement le parti de vivre chacun de son côté[1] et, autant que je sache, ils ne se sont pas revus. La condition toute particulière de ce ménage, parfaitement régulier et honnête mais coupé en deux, la curiosité impitoyable des « sociétés » de province, qui ne saurait tolérer sans interrogations harassantes cette continuelle absence de l’époux, font que Mme Rimbaud ne voit personne à Charleville et se replie farouchement sur le soin de ses enfants, dont elle voudra, avec une fermeté méticuleuse, faire toute seule l’éducation sociale et desquels l’avenir, surtout, lui sera un souci irritant.[2] Pour les filles c’est simple : elles n’auront qu’à suivre l’exemple maternel, devenir des femmes pieuses, des ménagères économes et ordonnées. Mais les garçons ?… Elle pourrait songer à en faire des cultivateurs comme ses parents ; du reste, elle possède une ferme et des terres… Non !… Les fils d’un officier !… Mme Rimbaud va donc suivre et stimuler de toute son attention, de toute sa rigoureuse, inquiète énergie, leurs progrès scolaires.[3] Elle échouera complètement, dès le début, avec l’aîné. Avec le cadet elle pourra avoir quelque temps cette croyance éternellement déçue — puisque en opposition avec les lois de Nature — mais si commune, si vivace dans les familles, qu’un homme peut être dirigé dans la vie par ceux qui l’ont mis au monde.

En 1862 elle place ses fils comme externes dans une institution libre de Charleville, tenue par un actif éducateur, M. Rossât, où l’on faisait des humanités complètes ; mais désirant mieux, elle les met au collège communal[4] dès après Pâques de 1865. Arthur a près de onze ans, il entre en 7e, n’y reste que trois mois, passe en 6e à la rentrée d’octobre, est assez avancé, au bout de l’année scolaire, pour sauter la 5e et suivre aisément les cours de 4e (1866-67). Quand il arrive en 3e, il ne suffit pas à sa mère de recevoir sur les progrès de son fils d’optimistes bulletins, elle veut qu’il aille plus vite et lui fait donner des leçons particulières par le professeur de la classe, M. Ariste Lhéritier.[5] À partir de la 2e (1868-69), il arrive souvent à Rimbaud de déposer sur la chaire du professeur un devoir de vers latins fait aussi en vers français, ou des versions latines, des versions grecques traduites en vers et en prose.[6] Il ne se contente pas de traduire, de développer, il veut créer à son tour.

Chose assez remarquable, Boileau fut de ses premiers modèles, li écrivait cependant, vers cette époque, une étude fort sévère — que je me souviens d’avoir lue — où étaient signalés avec une cruelle minutie les moindres défauts de style découverts par lui chez le « législateur du Parnasse ». Mais à ses yeux trouvaient

grâce le Lutrin, le Repas ridicule, dont s’inspirait — en les outrant, bien entendu — l’apprenti poète pour de petites satires où riait la gaieté âpre qu’il avait alors. C’était fait trop rapidement, il n’en a rien conservé. Dès la 2e il vaut au collège de Charleville plusieurs succès au Concours académique (entre les lycées et collèges du Nord, du Pas-de-Calais, de l’Aisne, des Ardennes, de la Somme) : accessit en version grecque, premier prix de vers latins.[7] Au collège il est désormais, comme on dirait aujourd’hui, « un as ». L’année 1869-70 — celle de rhétorique, où il a pour guide ce brillant professeur de vingt ans, Georges Izambard — présente en la vie de Rimbaud une double activité.[8] D’abord, à son jeune maître il soumet presque chaque jour quelque devoir supplémentaire, prépare si bien ses compositions qu’il obtiendra bonne moitié des prix de la classe et, grâce à lui, Charleville compte deux nouveaux triomphes au Concours académique ; second prix de discours latin, premier prix de vers latins.[9] D’autre part, il a envoyé aux Lectures pour tous un poème, les Etrennes des orphelins, qui parut le 2 janvier 1870. C’est encore très jeune, l’auteur avait tout au plus quinze ans. Son esprit va mûrir avec une étonnante rapidité[10] : avant la distribution des prix, il a écrit Sensation, Soleil et chair, Ophélie, Vénus Anadyomène, le Forgeron, Morts de quatre-vingt-douze[11], et presque tout cela est remis à Izambard avec des versions ou des analyses de classiques.

La guerre franco-allemande vient d’éclater, sa répercussion amène des perturbations profondes en l’existence réglée si sévèrement de la famille Rimbaud. J’ai dit que le capitaine avait laissé à ses fils quelque chose de son esprit aventureux. L’aîné le prouve dès le mois d’août, peut-être même avant. Un régiment passe, en marche vers la frontière. Frédéric[12] emboîte le pas, se faufile dans les rangs, est accueilli par les soldats que sa bravoure amuse et qui le laissent monter dans leur wagon, partagent avec lui pain et rata, puis, quand on est sur la Moselle, le gardent parmi eux comme une sorte d’enfant de troupe. Ce gamin de dix-sept ans serait enrôlable, et certes ne demande pas mieux… Mais les conditions légales… le consentement des parents ?… Il est donc admis en qualité d’auxiliaire, porte la soupe dans les tranchées, sert ainsi la France, très militairement, est bloqué à Metz avec son régiment adoptif, s’échappe au moment de la capitulation, revient vers Charleville par étapes.

En attendant le retour de Rimbaud Frédéric (qui aura lieu en novembre), Rimbaud Arthur, sans être jaloux, éprouve un sentiment d’émulation très vif : « Le grand a quitté la maison : pourquoi pas moi ?… ». Il avait déjà pensé, du reste, avant cela même, à s’en aller. Poussé par l’exemple, il n’hésite plus, part le 29 août. C’est Paris qu’il a en vue, c’est en ce foyer des révolutions et des arts que veut vivre celui qui vient de rimer un vigoureux sonnet sur les morts de quatre-vingt-douze ; il fera du journalisme, a dans son portefeuille ses premiers poèmes. Georges Izambard et Léon Deverrière (autre ami), prévenus de sa résolution, tentèrent vainement de le dissuader. Il avait promis de renoncer à son projet, mais n’y renonce pas… s’y prend si bien qu’en arrivant à Paris, il se fait arrêter, passe une nuit au dépôt, comparaît devant un juge d’instruction qu’il déconcerte et mécontente par de hautaines réponses, est envoyé à Mazas, y reste quelques jours, invoque par lettre Izambard, alors dans sa famille à Douai. Celui-ci obtient sa libération, on le lui envoie, il l’hospitalise pendant une quinzaine, finit par le décider, malgré sa répugnance, à revenir chez sa mère qui l’a plusieurs fois réclamé très vivement. Rimbaud est à Charleville le 27 septembre, s’enfuit de nouveau le 7 octobre, se dirige à pied vers la Belgique, avec des arrêts à Fumay, Vireux, voit en route son camarade Billuart, parvient à Charleroi, visite le directeur du journal de cette ville, offre une collaboration non acceptée, va jusqu’à Bruxelles, chez un ami de son professeur, Paul Durand, qui lui remplace ses vêtements en lambeaux, donne quelque argent aussi, grâce à quoi le vagabond prend le train pour Douai, avec pour objectif la maison d’Izambard, qui courait après lui de ville en ville, sur la prière de Mme Rimbaud, et le trouve occupé à copier maints sonnets que viennent d’inspirer ces semaines de folles aventures. Mme Rimbaud met tant d’insistance à le réclamer qu’on doit le lui renvoyer encore, il est rentré au bercail dès les premiers jours de novembre.[13]

Tous les chemins étant pris par l’invasion allemande il va forcément se tenir tranquille. Sa mère a décidé de le mettre en pension, mais le collège ne rouvre pas pour les études, occupé qu’il est par une ambulance. Libre à Rimbaud de se promener… dans Charleville et Mézières, lire énormément, écrire des poèmes… La période d’août 1870 à février 1871 fut une des plus fécondes en la vie du poète : Ce qui retient Nina. Les Effarés, Bal des pendus, Roman, Comédie en trois baisers, Rêvé pour l’hiver, Ma Bohême, Au cabaret vert, La maline, Rages de Césars, Le Dormeur du val, À la musique, Les poètes de sept ans[14], Accroupissements, Le Mal, Les pauvres à l’église.

Léon Deverrière, les autres amis d’Izambard, la bibliothèque communale le fournissent copieusement de lecture. Dans le même temps que Bouilhet, Daudet, Flaubert, Edgar Poe et cent autres, il lit Proudhon, par lui fort estimé, a trois dieux : Leconte de Lisle, Banville, Gautier.

Ce dernier le séduit par son culte de la forme, son goût pour la fouille des dictionnaires, ses recherches en vue d’enrichir la langue. Vers le mois de novembre 1870, Rimbaud me développe sa première idée de ce qu’il appellera plus tard (Saison en Enfer) « l’Alchimie du Verbe ». Non que déjà il songe à écrire « des nuits, des silences, des vertiges » : pour l’instant ce sont les moyens picturaux, le pouvoir d’expression qu’il veut décupler ; il cherchera dans les langues anciennes, les langues modernes, la terminologie scientifique, les parlers rustiques et populaires. C’est ainsi que nous trouvons, dans ses poèmes de 1870-71, les expressions nitide, viride, séreux, céphalalgie, strideur, latescent, hydrolat, pialat, fouffe, ithyphallique, fringalant cillement aqueduc, pubescence, hypogastre, illuné, bombillent…[15]

Au commencement de février, nouvelle tentative sur Paris. Sa montre d’argent vendue sert à payer le voyage. En arrivant, plus un sou. Présenter ses vers à un homme de lettres ou un artiste suffirait, lui semblait-il, pour obtenir à l’instant l’aide fraternelle. Où sont les artistes, où sont les hommes de lettres, par ce temps de guerre qui vient à peine de finir ? Il ne trouve qu’André Gill. Le caricaturiste explique à Rimbaud que c’est encore trop tôt pour faire de la littérature à Paris, la question du ravitaillement, la question du « manger » est la seule qui soit de nature à passionner le public, la seule qui pour longtemps au moins l’intéressera. Il lui donne dix francs. Cela épuisé, l’aventurier tenace erre dans les rues plusieurs jours, couche dans les bateaux à charbon, se nourrit des débris de nourriture que l’on dépose le matin devant les portes, enfin revient pédestrement à Charleville. Qu’il va scandaliser en promenant par ses rues formalistes une chevelure romantique ayant poussé jusqu’à lui descendre au milieu du dos[16], qu’il va indigner en fumant un brûle-gueule, culotté admirablement, dont le fourneau est tourné en bas… lui le gamin aux joues roses et au petit chapeau melon !… Le collège a ouvert ses portes, les classes ont repris. Des fenêtres du réfectoire, à l’heure du déjeuner, on voit passer, repasser Rimbaud pipe aux dents. Ce n’est point de sa part intention de bravade : la bibliothèque est voisine, il en attend l’ouverture. Mais le principal est navré : cet olim alumnus, triomphateur des concours académiques, si heureusement préparé pour entrer des premiers à l’École normale supérieure !… Mme Rimbaud se montre absolument résolue à mettre l’insubordonné en pension. Il a nettement formulé sa volonté contraire, s’est déterminé à tout. Nos promenades nous menaient souvent dans un bois entourant des carrières, où, par explosion de mine, s’était creusée une sorte de grotte : il s’y logera le jour, dormira, aux heures de nuit, dans la hutte où les carriers font leur sieste et rangent l’outillage… si sa mère persiste à l’empêcher de vivre à Paris. Simplement il me demande — j’habitais un village tout voisin — de lui apporter du pain dans la journée. Projet spartiate, qui n’a pas de suite, Mme Rimbaud se résignant à patienter jusqu’à la fin de ce qu’elle considère, apparemment, comme une crise de croissance.[17]

On apprend les événements du 18 mars. Il est de cœur avec la révolution, ses idées le portent là-bas avec eux. Du reste il y trouvera maintenant des moyens d’existence : les trente sous par jour de la garde nationale. Dans le courant d’avril, en six journées de marche[18], il parvient pour la troisième fois à Paris, se présente au premier groupe de fédérés. Cet enfant aux yeux de myosotis et de pervenche — qui leur dit : « J’ai fait à pied soixante lieues pour venir à vous… » et qui s’exprime si simplement, si bien — touche les bons communards ; ils font à l’instant même une collecte… dont le produit sert à les régaler ; puis le voici enrôlé dans les « Francs-tireurs de la Révolution », logé à la caserne de Babylone où régnait le plus beau désordre parmi des soldats de toutes armes : garde nationaux, francs-tireurs, lignards, zouaves ou marins ayant fraternisé, le 18 mars, avec les insurgés. Il me parlait plus tard d’un soldat du 88e de marche, « très intelligent », dont il évoquait le souvenir avec une tristesse attendrie, pensant qu’il avait dû être fusillé, lors de la victoire des Versaillais, avec tous les hommes de ce régiment qui furent pris et reconnus. Mais notre « franc-tireur » ne reçoit ni armes ni uniforme, les

troupes casernées à Babylone ne comptent guère dans l’armée communaliste. Il passe le temps à des promenades et des causeries avec son ami du 88e, qui est comme lui un lettré, un rêveur croyant à l’émancipation du monde par « l’insurrection sainte ». Vers la fin de mai, Rimbaud peut s’échapper de Paris. Sa jeunesse, ses vêtements civils détournent les soupçons de la gendarmerie, et il revient à pied par Villers-Cotterets, Soissons, Reims, Rethel, rapportant une fantaisie assez singulière, sans doute crayonnée à la caserne et qui paraît s’inspirer de Banville, dont il fut longtemps si fanatique : le Chant de guerre parisien.[19]

Son activité productrice ne s’est pas ralentie. Aux œuvres déjà citées la première moitié de 1871 ajoute les Premières communions, les Assis, le Cœur volé[20], L’Orgie parisienne ou Paris se repeuple, Sœur de Charité, les Mains de Jeanne-Marie, Douaniers et probablement le fameux sonnet des Voyelles. — Deux poèmes qu’il me lut en avril ou fin mai n’ont pas été retrouvés : Carnaval des Statues, puis un autre, petit roman simple et très condensé dont je me rappelle seulement le premier et le dernier vers… pourquoi ?… peut-être parce qu’ils disent tout le sujet :

 « Brune, elle avait seize ans quand on la maria…
Car elle aime d’amour son fils de dix-sept ans. »

En ce même printemps il faut mentionner un genre de travail littéraire où il débute, qu’ensuite il mènera très loin. La lecture de Baudelaire lui a suggéré de tenter des poèmes en prose. Il écrit le commencement d’une série ayant pour titre Les déserts de l’Amour[21] : deux rêves précédés d’un Avertissement où apparaît le souvenir de Jean-Jacques Rousseau. Ces rêves, par une combinaison d’art capricieux et hardi, mêlent de simples fantômes nocturnes — qu’il présente comme ceux-ci ont paru ou qu’il arrange — à des souvenirs de réalités arrangées aussi plus ou moins, le tout pour obtenir des effets dramatiques et des effets de couleur. Ainsi le séminariste du second poème n’est pas inventé[22] : c’était un condisciple — les élèves du séminaire suivant nos cours du collège — et un bibliophile qui lui prêtait des livres. À l’époque où Rimbaud composa les poèmes en question, étant un jour en promenade avec lui, je vis ce grand jeune homme brun, au bon sourire, dans un village tout près de Charleville. Mon ami lui rapportait certains ouvrages communiqués, notamment je ne sais plus quel poète — non certes à l’index — et je revois la « chambre de pourpre à vitres de papier jaune » et les volumes, reliés en cuir de Russie.

Le projet de Constitution révolutionnaire (on ne l’a pas retrouvé) est postérieur de quelques semaines. Écrit après que l’auteur eut quitté la caserne de Babylone, il s’inspirait en partie des idées organisatrices de la Commune.[23]

Cependant Rimbaud n’a pas perdu l’espoir d’obtenir par un poète parisien son introduction dans la grande vie littéraire. Il pense à Léon Dierx, à Théodore de Banville, pourtant bien différents quant au sentiment de leurs poésies, mais qu’il aime également, croit deviner en Paul Verlaine, dont il a lu les Poèmes saturniens[24], une nature parente, et, de fait, celui-ci répond à sa première lettre : « … J’ai comme un relent de votre lycanthropie ». La démarche — courant de l’été 1871 — avait été approuvée, appuyée par son ami Charles Bretagne[25], lié depuis plusieurs années avec le poète parnassien. Rimbaud envoyait beaucoup de ses vers, demandait en même temps des conseils. Verlaine répond, donne les avis demandés, surtout des éloges : « Vous êtes prodigieusement armé en guerre !… » Puis il se concerte avec Charles Cros, Ernest d’Hervilly, Philippe Burty, Léon Valade, Albert Mérat, et alors nouvelle lettre : « Venez, chère grande âme, on vous appelle, on vous attend » !…

La veille de son départ — fin septembre 1871 — Rimbaud me lit Bateau ivre. « J’ai fait cela, dit-il, pour présenter aux gens de Paris ». Comme je lui prédis alors qu’il va éclipser les plus grands noms, il reste mélancolique et préoccupé : « Qu’est-ce que je vais faire là-bas ?… Je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler… Oh ! pour la pensée, je ne crains personne (sic)… »

Le lendemain matin, cependant, quand je le vois à la gare de Charleville (Deverrière lui a donné vingt francs pour payer sa place en chemin de fer), il est rasséréné : l’idée de cette liberté conquise enfin, l’amusement d’un voyage avec bon accueil au bout… Mme Rimbaud n’est pas avertie, cela va sans dire, il n’emporte rien… que ses manuscrits. Verlaine, forcément, avait prévu Rimbaud d’après ce qu’il venait d’en lire, et, quoique informé de son âge, attendait un homme. « Je m’étais, je ne sais pourquoi, figuré le poète tout autre. C’était pour le moment, une vraie tête d’enfant dodue et fraîche sur un grand corps osseux et comme maladroit d’adolescent qui grandissait encore, et de qui la voix, très accentuée en ardennais, presque patoisante, avait ces hauts et ces bas de la mue…[26] »

Logé quelques jours dans la famille de Verlaine, 14 rue Nicolet, puis chez Banville, enfin rue Campagne-Première, il reçoit du groupe d’écrivains qui l’ont fait venir — et sont loin d’être riches — une subvention journalière de trois francs — qui en feraient dix aujourd’hui. — Avec cela, quand on a aussi peu de besoins que Rimbaud, on peut attendre… Mais bientôt, dans le ménage du poète qui l’avait appelé, ménage en querelle six mois auparavant, réconcilié ou calmé dans l’intervalle, ce nouveau venu — qui n’en peut mais — a rallumé la discorde. Son esprit affiné, développé, mûri si étonnamment fait de sa conversation un plaisir indispensable à Verlaine, d’autant plus que leurs deux gaietés mutuellement se suscitent, s’entretiennent, se renforcent, et l’auteur de la Bonne chanson, devenu paisible et casanier après les émotions de la Commune, reprend son ancienne vie de cafés. Indignation de l’épouse qui se met à détester violemment Rimbaud.

La réputation de celui-ci, pour d’autres causes, devient mauvaise en les milieux d’artistes et de gens de lettres. Et son pressentiment était juste quand en septembre, au moment de partir, il craignait de n’avoir jamais la mondanité nécessaire. Sans doute il va figurer dans le « Coin de table » de Fantin-Latour — aujourd’hui au musée du Louvre — avec Camille Pelletan, Ernest d’Hervilly, Léon Valade, Paul Verlaine, Jean Aicard, Émile Blémont, Elzéar Bonnier ; on l’a présenté à Stéphane Mallarmé, à Théophile Gautier, à Victor Hugo qui le salua de cette parole : « C’est Shakespeare enfant » ; il n’est guère de poètes, romanciers[27], musiciens ou peintres connus par Verlaine qu’il n’ait rencontrés[28]. Mais il a eu dans un banquet certaine algarade — quand ivre, il devenait querelleur, bien que fort doux en tout autre temps — avec Étienne Carjat (un coup de canne à épée qui blessa légèrement à la main le poète photographe, irritable de son côté, autoritaire, et qui l’avait appelé « crapaud » ) ; s’est attribué, par enfantillage, par imitation très exagérée de Baudelaire, des obscénités épouvantables — en cela il imitait bien aussi un peu Verlaine (la Chanson de Cabaner sur l’air de la Femme à barbe) à qui ces plaisanteries devaient coûter cher également ; — a offensé, au moins gêné beaucoup de monde par sa tenue au café de Cluny, où il se couchait en grognant sur la banquette, s’il y avait là un monsieur d’une vanité par trop provoquante ; énoncé des opinions politiques et sociales très mal prises au lendemain de la guerre et de la Commune, est devenu la bête noire d’un doux poète, excellent homme : Albert Mérat.

Les dissentiments dans le ménage Verlaine ayant augmenté d’acuité, il se voit une cause de trouble et de mal, a des scrupules, revient à Charleville où Verlaine, je me souviens, lui écrivait : « On t’en veut, et férocement ; des Judiths… des Charlottes… »

C’est vers la fin de l’hiver de 71-72. Il me parle d’un projet nouveau — qui le ramène aux poèmes en prose essayés l’année précédente, veut faire plus grand, plus vivant, plus pictural que Michelet, ce grand peintre de foules et d’actions collectives, a trouvé un titre : L’histoire magnifique, débute par une série qu’il appelle la Photographie des temps passés. Il me lit plusieurs de ces poèmes (qui n’ont pas reparu jusqu’à présent : peut-être en les cartons de collectionneurs jaloux). Je me rappelle vaguement une sorte de Moyen âge, mêlée rutilante à la fois et sombre, où se trouvaient les « étoiles de sang » et les « cuirasses d’or » dont Verlaine s’est souvenu pour un vers de Sagesse ; avec plus de netteté je revois une image du XVIIe siècle, où le catholicisme de France paraît à l’apogée de son triomphe, et qu’il condensait, il me semble, en un personnage splendidement chapé et mitré d’or, se détachant sur une scène dont cette seule lecture ne peut m’avoir laissé de souvenir précis. La Piscine où Jésus fit son premier miracle, tableau dont on a retrouvé une première ébauche — que j’ai vue, qui est très difficile à lire, — devait appartenir à cette série.

L’année 1872 date l’explosion, pourrait-on dire, de toutes les tendances littéraires ou philosophiques en puissance dans son esprit depuis l’âge de quinze ans, et que ses dernières lectures viennent d’embraser ensemble. Verlaine nous raconte[29] que, dès l’automne de 1871, il dédaignait ses premiers vers — ceux qui lui avaient cependant valu un cercle si parisien d’admirateurs — et cherchait des formules plus libres, plus hardies, plus éloignées de la tradition. La vérité c’est que son esprit a maintenant une vie trop intense, des besoins d’expression trop nombreux et impatients pour ne pas tendre à ce qui va venir : la notation pure et simple. (Il y avait du reste pour le pousser là une influence dont je parle plus loin). Donc 1872 nous donne tous les Rimbauds, depuis celui que le collège a formé si brillamment, jusqu’à celui qui voudrait se former lui-même : les Chercheuses de poux, les Corbeaux, deux chefs-d’œuvre de l’art le plus classique, Vertige encore, dont le rythme s’est émancipé davantage, mais qui contient ce vers absolument latin par son art expressif :


« Qui remuerait les tourbillons de feu furieux ?… »


puis une jolie chose parnassienne : Tête de faune, une autre, où déjà insoucieux d’être compris, le poète n’exprime que sa sensibilité imaginative telle qu’elle a fonctionné pour lui seul un instant : Est-elle almée ? De quelques mois, de quelques semaines, peut-être, en sont séparés Âge d’or, Faims, Soifs, et ces essais qu’il appelle « une de mes folies »[30], à propos desquels il nous prévient qu’ils seront incompréhensibles — « je réservais la traduction », — tels que Loin des oiseauxÀ quatre heures du matin l’été… En somme il exagère : on comprend, l’on voit que ce sont des sensations ou des souvenirs très simples, qui ont passé en lui plus ou moins rapides, qu’il décrit dans leur ordre ou non, que parfois il fractionne et transpose. Nous pouvons en dire autant de Michel et Christine, de Entends comme brame…, de La rivière de cassis roule ignorée… C’est qu’il faut décrire, décrire et décrire, un système que raillera, plus tard, l’introduction d’une Saison en enfer, mais je me souviens que Rimbaud me disait, en l’été de 1871 : « Toute la littérature c’est cela ! » Et nous n’avons qu’à ouvrir nos sens, fixer avec des mots ce qu’ils ont reçu, nous n’avons qu’à écouter la conscience de tout ce que nous éprouvons, quoi que ce soit, et fixer par des mots ce qu’elle nous dit qu’il lui est arrivé. Dans ces conditions, avec ces exigences d’esprit que déjà il savait avoir quand il parlait à Verlaine de jeter les règles par-dessus bord, la préoccupation formiste, qui avait fait de lui le poète d’hier, devait, sinon disparaître entièrement, du moins céder presque toute la place à une autre, celle de voir, d’entendre, de sentir… de noter. On ne peut pas dire que le premier poète ait disparu, supprimé par le second, puisque le second écrit les poésies citées plus haut — quelques-unes très irrégulières, mais enfin des poésies — en les mêmes jours où il note ces souvenirs, ces impressions, ces émotions, ces hallucinations, cette vie psycho-physiologique observée qui forme le recueil des poèmes en prose intitulé par lui Illuminations[31]. Nous y trouvons les genres de développement les plus divers : des pièces régulièrement composées, comme Après le déluge, à ce mélange de notations, Bar- bare[32], où il a mis, conformément à son programme, tout ce qui passait en fait de sensations, curiosités, idées ou images, et même les réflexions contradictoires qui se présentaient, car il s’agit de fixer le plus possible des réceptions de l’esprit, la seule obligation d’ordre étant qu’elles soient réunies en groupe, et dans ces conditions d’art : couleur, variété, surprise…

Après avoir passé à Charleville la fin de l’hiver 71-72, Rimbaud est retourné à Paris, et Verlaine, qui veut en finir avec une vie conjugale devenue trop orageuse, l’emmène à Arras d’abord, puis en Belgique (juillet 1872). C’est là que sont écrits Jeune ménage, qui paraît s’être inspiré de la Sleeper d’Edgar Poe, et Bruxelles (Boulevard du Régent). Ce dernier poème, série de sensations notées pêle-mêle, a des rimes ultra libres, mais le rythme est traditionnel. On y remarquera ce vers : « Bavardage des enfants et des cages », dont les souvenirs tenaces de la poésie latine ont évidemment produit l’harmonie imitative. De Belgique les « errabundi » sont passés en Angleterre (10 septembre), ensuite Rimbaud est revenu dans les Ardennes (novembre), puis retourné à Londres[33], pour soigner son ami malade, jusqu’à l’arrivée de Mme veuve Verlaine (décembre). Les premiers mois de 1873 le trouvent tantôt à Charleville, tantôt à Roche (arrondissement de Vouziers) dans une ferme appartenant à sa mère.

En préfaçant l’édition, chez Léon Vanier, des Poésies complètes d’Arthur Rimbaud, Verlaine dit : « Nous n’avons pas de vers de lui postérieurs à 1872. » Il est probable cependant que se prolonge quelque peu en 1873 la période où il écrivit ces poésies d’une extrême liberté de rime, d’une harmonie légère et comme inattendue, que l’on ne connut guère[34] avant Rimbaud, mais qui ne pourront jamais faire école, puisque cette morbidesse est le résultat de conditions intellectuelles, surtout morales, qui ne se trouveraient encore réunies dans un poète que par un hasard imprévisible ; Chanson de la plus haute tour, Patience, Elle est retrouvée… Ô saisons, ô châteaux !…

En avril 1873, Verlaine, pour refaire sa santé, est venu habiter un petit village de Belgique, non loin de Sedan et de Bouillon. C’est dans cette dernière ville que, le 24 mai, il est rejoint par Rimbaud, et tous deux partent pour Londres. En juillet ils sont à Bruxelles où l’auteur de Romances sans paroles a donné rendez-vous à sa mère. Mme Verlaine tente de décider son fils à revenir près de sa femme qui est disposée au pardon ; le poète se révolte à l’idée que s’il cède en cela, ce sera le désaveu de son amitié pour Rimbaud, la justification des calomnies, qui les ont poursuivis tous deux. Il s’exalte, il refuse de suivre sa mère. Mais Rimbaud veut la séparation, exige le sacrifice. Querelle. Verlaine exaspéré, ivre à moitié d’ailleurs, lui tire un coup de revolver qui le blesse au poignet (10 juillet 1873). Après quelque temps de séjour à l’hôpital Saint-Jean, Rimbaud retourne à Roche, où il écrit Une saison en Enfer[35]. Mme Rimbaud, que les allées et venues de son fils, depuis trois ans, avaient tant déconcertée, prend le parti de se réconcilier avec l’idée qu’il pourrait gagner sa vie en faisant de la littérature. Illusion que maintenant le poète n’a plus : curieux renversement des rôles ! Mais il accepte l’argent que lui offre sa mère, et fait imprimer la plaquette à Bruxelles, chez Poot et Cie, 37 rue aux Choux. Aucun lancement de cet ouvrage par la presse française qui l’a complètement ignoré, aucune ou à peu près aucune tentative de Rimbaud pour le signaler à l’attention des gens de lettres, et un exemplaire adressé à Verlaine[36], alors en prison à Mons pour son beau coup de Bruxelles, un autre à moi, quelques-uns, bien peu certainement, à de rares amis osant encore se montrer, il s’est aussitôt désintéressé du reste, est reparti pour l’Angleterre, avec la résolution d’abandonner toute littérature et d’exercer autrement l’activité de son esprit. C’est vers la fin de 1873 ; à Paris, vu pour la dernière fois, il lie connaissance avec Germain Nouveau, le séduit par la description des mœurs anglaises, à tel point que ce jeune poète veut l’accompagner à Londres. Pour vivre, ils travaillent d’abord chez un fabricant de boîtes, puis se séparent et se placent dans l’enseignement comme professeurs de français.

Rimbaud passe environ un an (1874) en Angleterre et ainsi arrive à parler l’anglais aussi couramment que sa langue maternelle[37]. En janvier 1875, durant un séjour à Charleville où rappelé par la question du service militaire — dont il se trouve dispensé d’ailleurs par son frère aîné alors sous les drapeaux, — il annonce à Mme Rimbaud de nouveaux projets, d’ordre tout positif : industrie, commerce, promet d’y réussir par la connaissance des langues ; après l’anglais il faut l’allemand : elle le subventionne pour un séjour à Stuttgart (1875). Cependant Verlaine est revenu à Paris. Ses tentatives de réconciliation avec sa femme ont échoué, la séparation judiciaire, prononcée l’année précédente, reste définitive. Abandonné de presque tous ses amis et devant l’impossibilité de se reconstituer une vie de famille, il veut une forte diversion morale, m’écrit pour me dire sa tristesse et me demander où est Rimbaud, me charge pour lui d’une lettre où il l’informe de sa conversion au catholicisme, le presse de se convertir aussi : « Aimons-nous en Jésus !… ».[38] Rimbaud me répond d’abord par des plaisanteries sur le nouveau chrétien, que pour railler en même temps le « Monsieur Homais » de Flaubert, il surnomme gaiement « Loyola » [39], mais consent à donner son adresse et Verlaine part aussitôt pour l’Allemagne (février 1875). A Stuttgart ses raisonnements demeurent sans effet sur l’esprit du poète des Premières communions. Rimbaud ne se contente pas de ricaner, il fait boire l’apôtre et le grise. Imprudence, car au moment de la séparation, il y a entre eux une discussion dernière qui tourne en furieuse bataille, à coups de poings seulement, par bonheur, — le condamné de Belgique se gardant bien maintenant de porter sur lui des armes. — Rimbaud lui avait remis la veille, sur ses instances probablement, le manuscrit des Illuminations qu’il enverrait à Germain Nouveau, alors à Bruxelles, en vue de les faire éditer. Une lettre de Verlaine, écrite de Stickney (Lincolnshire) le 1er mai 1875, fait allusion à cet envoi. Le projet n’eut pas de suite et le manuscrit lui revint, selon toute apparence. En tout cas, s’il y eut chez Rimbaud une dernière velléité de littérateur, il n’y songeait plus huit jours après, c’est certain, et je ne me souviens pas de lui avoir entendu dire quoi que ce fût sur ces pages dont il s’était dépossédé… débarrassé était plutôt le mot qu’il pensait.

Une fois maître de la langue allemande, il veut savoir l’italien, (a aussi une intention spéciale), vend sa malle, contenant et contenu pour se faire un peu d’argent, peut ainsi parvenir en chemin de fer jusqu’au bout de l’Allemagne, continue à pied, y compris la traversée du Saint-Gothard.

Désormais c’est la vie errante. De 1875 à 1879 il va se livrer éperdument à cette volupté « d’aller loin, loin… » qu’il prévoyait, qu’il chantait dès sa quinzième année[40].

Il est arrivé à Milan, mais sans ressources, épuisé de fatigue. Une dame charitable s’intéresse à lui, l’hospitalise pendant quelques jours. Elle a reconnu, par sa conversation, un lettré, a dû l’interroger sur ce qu’il avait écrit, car son hôte, qui n’a plus aucun manuscrit à lire ou faire lire, se rappelle m’avoir donné une Saison en enfer et me la redemande[41]. Et puis en route, en route !… Son but est simple : il sait ou croit savoir qu’un très bon ami parisien, Mercier — qui fut aussi l’ami de Verlaine — s’occupe à présent d’industrie, a une savonnerie dont l’île de Ceos (Zea)[42] ; « l’homme aux semelles de vent[43] » ira le retrouver, rien ne lui paraît plus facile : gagner à pied Brindisi, travailler de-ci de-là, pour avoir de quoi manger d’abord, ensuite payer le bateau. Il atteint Alexandrie, parvient à Sienne ; mais après qu’il a quitté cette ville, la chaleur se fait accablante, sur la route « un pied de poussière » ; le malheureux suffoque, est frappé d’insolation, demi-mort quand il entre à Livourne où le consul de France, genre d’esprit analogue à la bonne Milanaise, le reçoit chez lui et le soigne. Rimbaud laisse de côté provisoirement son projet. Grâce au consul il peut s’embarquer pour Marseille, y retombe malade, reste un mois à l’hôpital, se disposait ensuite à s’engager dans une des bandes carlistes que l’on formait en deçà des Pyrénées, quand la fin de l’insurrection vient fermer les bureaux d’enrôlement : nécessité de renoncer à cet autre moyen de « voir du pays ». La petite somme demandée à sa mère lui permet de revenir à Charleville, où il passe l’hiver de 1875-76. Son temps y est employé à étudier l’arabe, faire un peu de russe… et du piano[44]. Sa sœur Vitalie est morte le 18 décembre 1875[45], d’une synovite, après des souffrances dont le spectacle l’a cruellement affecté. Cette secousse morale, plutôt, je crois, que des études acharnées et diverses, dut contribuer aux violents maux de tête qui lui surviennent à ce moment. Les attribuant à ses cheveux trop touffus, il y applique un remède singulier : se faire raser le crâne, je dis raser… au rasoir, ce que le perruquier ne consentit à faire qu’après mille étonnements et protestations. Et Rimbaud doit assister aux obsèques de sa sœur en montrant une tête blanche comme du parchemin neuf, de sorte que des assistants, placés un peu loin, disaient entre eux ; « Le frère a déjà les cheveux d’un vieillard !… »

Cependant il est reparti ; le voici en Autriche, allant vers la Bulgarie. Pensant toujours à Mercier que l’obstiné veut rejoindre en son île des Cyclades, ce n’est plus Brindisi, c’est Varna qu’il choisit pour s’embarquer. Mais à Vienne il s’endort dans un fiacre, est dépouillé par le cocher, se réveille sur le pavé sans un sou, allégé de son chapeau, de son pardessus, essaie quelque temps de rester dans la ville et trouver son voleur, a des discussions avec la police, est expulsé comme étranger sans moyens d’existence, puis, d’États allemands en États allemands qui à l’envi le repoussent, déposé à la frontière de France… d’où retour à pied dans ses Ardennes.

« Je redoute l’hiver, avait-il écrit, parce que c’est la saison du confort[46]. » C’était le besoin, l’obligation du confort qu’il redoutait, l’hiver étant une saison tyrannique pour les vagabonds qui ne peuvent se passer alors de petites commodités misérables, forcés qu’ils sont de compter avec les journées de pluie et les nuits de glace. C’est pourquoi Rimbaud tendait vers les pays de soleil. Mais ses deux essais pour vivre sous le beau ciel de la mer Égée venaient s’aboutir à deux échecs. Un jour[47], il me fait part d’un projet vraiment inattendu. Pas besoin d’être missionnaire et prêtre pour aller en orient : l’on y envoie de simples frères, instituteurs vêtus d’une soutane qui ont contracté un engagement annuel, personnel enseignant dans les écoles chrétiennes de Chine ou autres pays lointains.

Pourquoi ne serait-il pas « frère », au moins le temps d’aller là-bas ?… Or il fait en somme quelque chose d’analogue. Ses jambes le portent à travers la Belgique, à travers la Hollande[48], jusqu’au Helder ; là un racoleur lui fait toucher une prime et l’enrôle parmi d’autres volontaires de l’armée néerlandaise à destination des colonies océaniennes. Bien traité pendant la traversée — car on craignait les désertions, si faciles quand le bateau suivait le canal de Suez[49], ou lorsqu’il touchait aux escales — Rimbaud, pendant huit semaines, a l’enchantement de voir des terres nouvelles, des mers aux constellations inconnues : la côte soudanaise, la côte arabe, l’Océan Indien, Ceylan… Mais, arrivé à Sumatra, fait connaissance avec la caserne et la vraie discipline militaire. Elles ne sauraient lui convenir, il fausse compagnie, parcourt avec délices les plus sauvages régions de l’île, s’arrête à un petit port de la côte où un voilier anglais, transportant du sucre, l’accepte comme manœuvre ; et contournant l’Afrique, subissant une forte tempête à hauteur du Cap[50], le ramène à Liverpool, d’où il se fait transporter en France et y attend, à Roche d’abord, à Charleville ensuite, quelque possibilité d’autres aventures. Nouveau plan dressé bientôt : on l’a racolé, il racolera. Sa connaissance de l’allemand lui permet d’entrer en conversation, dans une brasserie de Cologne, avec des recrues qu’il enjôle, qui lui présentent des camarades, et c’est une douzaine de soldats prussiens vendus à la Hollande. Primes pour eux, jolie commission pour lui-même. Avec cela il se rend à Hambourg, — « Nous entrerons aux splendides villes[51] ! » — pénètre par curiosité dans un casino, se laisse tenter par la roulette, veut doubler son gain et perd tout. Mais le joueur décavé a déjà vu tant de pays qu’il en connaît bien les diverses monnaies, sait les compter, expliquer, discuter à leur propos en plusieurs langues, talents précieux en cette ville cosmopolite et qui le mettent à même d’offrir ses services, comme receveur, au cirque Loisset. Il le suit à Copenhague, le quitte pour aller à Stockholm, n’y trouve pas à vivre et se fait rapatrier par le consul de France (1877). Son passage à Hambourg lui a donné des idées sur Alexandrie d’Égypte. Première tentative à la fin de 1877 : embarqué à Marseille, tombe malade (suite de marches excessives, d’après le médecin du bord), est débarqué en Italie, soigné, mais, dès qu’il peut mettre un pied devant l’autre, va visiter Rome… et puis revient, convalescent, dans les Ardennes.

Moment, semble-t-il, où Rimbaud va se résoudre à vivre d’une profession : pendant son séjour dans une maison de campagne à Saint-Laurent près de Charleville (1878), revenant à une ambition intellectuelle exposée à Verlaine autrefois (1875) et qu’il appelait « philomathie », — ce qui fournit au poète de Sagesse matière à bien des récriminations ou sarcasmes, — l’ancien littérateur se met aux sciences ; on lui voit dans les mains une algèbre, une géométrie, un manuel du mécanicien.

En novembre 1878, voulant atteindre plus vite le port de Gênes, point d’embarquement pour l’Égypte, il franchit à pied une partie de la chaîne des Vosges, puis le Saint-Gothard pour la seconde fois, en décembre est à Alexandrie, au service d’un ingénieur français qui lui procure ensuite l’emploi de chef de carrières à l’île de Chypre (Entreprise Thial et Cie, maison à Larnaca). Son rôle consiste à regarder plutôt qu’à diriger l’extraction des blocs, distribuer la poudre qui sert à les faire sauter, surveiller leur embarquement, payer les ouvriers d’origines différentes et dont sa connaissance de l’italien, d’un peu de grec, l’aidait à comprendre les langages. Il passe la plus grande partie du temps à rêver, couché sur le sable, ou à se baigner dans la mer. (Une lettre à sa famille nous apprend qu’il est chef de carrière à la date du 24 avril 1879). Le climat est très chaud, dangereux pour les non acclimatés, la maison Thial rend justice à la bonne volonté, à la probité de Rimbaud, et quand la fièvre le fait partir de Chypre, il en rapporte un certificat élogieux — qu’il me montra en souriant, légèrement ironique, mais content tout de même.

C’est son début dans la vie régulière.

En septembre 1879 il est à Roche, où il s’occupe aux travaux de la ferme, avec sa mère et sa sœur. Je l’y vois pour la dernière fois. « Maintenant, me dit-il, le climat de l’Europe est trop froid pour mon tempérament… qui s’est modifié… Je ne puis plus vivre que dans les pays chauds[52]. » Déjà il est souvent repris d’accès fiévreux, et enfin c’est la fièvre typhoïde qui se déclare : il doit passer à Roche tout l’hiver de 1879-80. Retourné en Égypte, il n’a pas trouvé d’emploi, va de nouveau à Chypre, est placé comme surveillant de travaux dans une entreprise de constructions pour le gouvernement anglais, non plus cette fois au bord de la mer, mais sur une haute montagne, le Troodos (mai 1880). Il y reste à peine, ne s’entendant pas avec l’ingénieur, quitte Chypre, dès le mois de juin, pour l’Égypte encore, cherche du travail dans les ports de La Mer Rouge : Massaouah, Djeddah, Souakim, Hodeidah, est accepté par la Société Mazeran, Viannay et Bardey, qui fait le commerce des cafés à Aden, se met vite au courant, est laborieux, très utile par sa facilité à parler plusieurs langues, notamment l’anglais et l’arabe. Son chef direct. M, Bardey, homme bienveillant et perspicace, a pu apprécier l’adaptabilité si remarquable du jeune commis, a su comprendre que les intérêts de la maison seront bien servis par ses grands besoins d’initiative ; il double son salaire, lui donne un tant pour cent sur les bénéfices et l’envoie, second employé, à l’agence qu’il vient de fonder au Harar[53] (acquisition de cafés, cuirs, gommes, plumes d’autruches… en échange de cotonnades et autres produits d’Europe). Rimbaud écrit[54], le 13 décembre 1880 : « Je suis arrivé dans ce pays après vingt jours de cheval… » Il y reste jusqu’à la fin de 1881, est de retour à Aden en janvier 1882, n’y peut satisfaire son inquiète activité, projette un instant d’aller jusqu’à Zanzibar, est envoyé au Harar de nouveau, comme agent principal, y fonctionne en juin 1883, puis revient à Aden (avril 1884), à cause de la guerre en Éthiopie et d’embarras financiers qui ont déterminé la compagnie à supprimer temporairement deux agences[55]. Cependant celle d’Aden va rouvrir ; en attendant il souffre beaucoup de son inaction[56], reprend enfin (juillet 1884) ses fonctions de premier employé dans la maison d’Aden, mais s’ennuie, veut aller ailleurs, pense au Tonkin, à l’Hindoustan, quitte l’agence en octobre 1885, forme une caravane pour le Choa (décembre de la même année) en vue d’aller vendre au roi Ménélik des fusils européens d’ancien modèle, mais rencontre de nombreuses difficultés et subit retards sur retards… Septembre 1886 le trouve encore immobilisé à Tadjourah (colonie d’Obock) par une grave maladie de son associé. La pensée lui est venue de se joindre à une autre caravane, celle de l’explorateur Soleillet… mais celui-ci meurt…

Enfin Rimbaud parvient à Antotto (Choa) d’où il écrit le 7 avril 1887. L’affaire s’est faite avec Ménélik ; bénéfice ; 30.000 fr. ; malheureusement l’associé vient de mourir ; obligation de payer ses dettes « deux fois » : tout le gain réalisé est perdu. Ce qui reste de cette entreprise est un document géographique : l’itinéraire, noté par, lui, que suivit au retour l’audacieux trafiquant pour aller d’Antotto à Harar. Ces notes furent envoyées par M. Bardey à la Société de Géographie qui les publia dans ses Comptes rendus de novembre 1887[57]. De Harar, ensuite, Rimbaud se rend au Caire où il passe la fin de l’été, en vue d’un repos devenu indispensable, car sa santé n’a pas cessé de péricliter depuis 1880 : il se plaignait alors de battements de cœur, en 1881 de la fièvre, en 1884 de ne plus pouvoir digérer, maintenant c’est de rhumatismes dans les reins, dans la cuisse et le genou gauches. Revenu à Aden en octobre 1887, l’éternel ennuyé parle encore d’habiter Zanzibar : « Quoi faire en France ?… Il est bien certain que je ne puis plus vivre sédentairement… Surtout j’ai grand peur du froid… Enfin je n’ai ni revenus suffisants, ni emploi, ni soutiens, ni connaissances, ni profession, ni ressources d’aucune sorte. Ce serait m’enterrer que de revenir…[58] »

En décembre 1887, repris par l’idée de

vendre des armes à Ménélik, nous le voyons solliciter du gouvernement français l’autorisation d’établir sur le territoire d’Obock une fabrique de fusils et cartouches destinés au roi du Choa, autorisation refusée d’abord, — accordée ensuite, retirée définitivement — à cause de conventions avec l’Angleterre. Il se retourne vers le Harar, s’y établit à son compte en mai 1888 (commerce d’ivoire, café, musc, poudre d’or… et de cotonnades, soieries, etc. ; association avec M. Tian, négociant à Aden). Les lettres que Rimbaud écrit de Harar jusqu’en 1890 parlant toujours d’ennui en ce qui le concerne, mais sont optimistes quant aux affaires, qui vont bien. Au début de 1891, de nouvelles douleurs dans les jambes le forcent à quitter une entreprise florissante, revenir péniblement à Aden, d’où il écrit le 30 avril, annonce son entrée à l’hôpital et qu’un médecin anglais a diagnostiqué : « tumeur synovite ». Le malade est embarqué pour Marseille, amputé d’une jambe à l’hôpital de la Conception (juin 1891), essaie d’un séjour dans sa famille, à Roche, mais n’y reste que bien peu de temps, retourne à Marseille et au même hôpital, où il meurt, le 10 novembre 1891, après avoir manifesté les sentiments de la foi la plus vive, de la plus touchante piété.

  1. Arthur Rimbaud avait six ans. Il lui restait le souvenir de ce qui fut sans doute la dernière altercation conjugale, où un bassin d’argent, posé sur le buffet, jouait un rôle qui frappa son imagination pour toujours. Le papa, furieux, empoignait ce bassin, le jetait sur le plancher où il rebondissait en faisant de la musique, puis… le remettait à sa place et la maman, non moins fière, prenait à son tour l’objet sonore et lui faisait exécuter la même danse, pour le ramasser aussitôt et le replacer avec soin là où il devait rester. Une manière qu’ils avaient de souligner leurs arguments et d’affirmer leur indépendance. Rimbaud se rappelait cette chose, parce qu’elle l’avait amusé beaucoup, rendu peut-être un peu envieux, car lui-même aurait tant voulu jouer à faire courir le beau bassin d’argent !

    Pour cette biographie sommaire j’utilise les confidences que j’ai reçues, — puisque j’étais l’ami de Rimbaud, — la connaissance des faits dont j’ai pu suivre le développement, et puis j’emprunte aux récits de M. Georges Izambard, non moins son ami, aux renseignements spéciaux qu’ont publiés MM. Jean Bourguignon et Charles Houin dans leurs articles de la Revue d’Ardenne et d’Argonne, aux documents d’état civil et à quelques informations relatives à la famille contenus dans l’ouvrage de M. Paterne Berrichon, à certains détails fournis par Verlaine, enfin à la Correspondance de ce dernier qu’a recueillie M. Ad. Van Bever (A. Messein, édit.).

  2. Son mari parti, toutes les charges lui restent. Heureusement elle n’est pas sans fortune. Rimbaud m’a dit qu’elle avait fait de mauvais placements, perdu ainsi des sommes qu’il ne pouvait évaluer, que cependant elle disposait de six à huit mille francs de rente (vers 1870).
  3. Pour que cette histoire soit comprise, il convient de savoir que l’instruction de Mme Rimbaud était au niveau du « brevet simple » tout au plus.
  4. C’est à présent un lycée.
  5. Un petit homme brun, bouillant, dramatique, à voix tonitruante, mais très bon et très priseur, entiché de littérature, à condition qu’elle fût strictement conforme aux lois de Boileau, passant de l’indignation à la gaieté en quelques minutes, vous promettant à la guillotine, puis vous ouvrant sa tabatière. La réserve timide de Rimbaud, quand ils se trouvaient en tête à tête, le déconcertait quelque peu. Afin d’égayer ce farouche, il s’amusait, au cours d’une explication, à barbouiller de sa plume, abondamment garnie d’encre, le nez d’un magot en porcelaine qui décorait son encrier : l’élève se contentait de sourire poliment, sans dire un mot, ne pouvant croire, sans doute, qui ce pédagogue si criard, qui l’initiait au mécanisme de la poésie latine, ne fût pas toujours sur le point d’entrer en fureur.
  6. Seules les sciences mathématiques et physiques sont par lui délaissées.
  7. Sujet de la composition : Abd-el-Kader.
  8. Déjà il s’initie à la littérature française la plus récente, vient de lire Intimités de Coppée, Vignes folles et Flèches d’or de Glatigny.
  9. Sujet donné pour la poésie latine : Allocution de Sancho Pança à son âne.
  10. « D’un mois à l’autre », me disait tout dernièrement Georges Izambard, en parlant de ces mois qui s’écoulèrent depuis le milieu de 70 jusqu’au milieu de 71, « on voyait surgir un nouveau Rimbaud ».
  11. Sonnet écrit ab irato, réponse immédiate à l’article du Pays en date du 16 juillet 1870 ; une copie faite par lui plus tard est postdatée : 3 septembre.
  12. Grand garçon très robuste, ayant les yeux bleus de la famille. Il était bon comme le bon pain. Ses camarades parfois le taquinaient bien qu’il fût plus fort que n’importe lequel d’entre eux : je ne me souviens pas de l’avoir vu donner une pichenette. Il semblait bien réunir en lui les Rimbaud et les Cuif : insouciant et gai parce que Bourguignon par ses aïeux, dédaigneux de culture intellectuelle ainsi qu’un vrai rustique. Mme Rimbaud, cependant, le maintint au collège dont il suivit les cours jusqu’à la deuxième inclusivement (1869-70). Ayant fait comme volontaire une partie de la campagne de France, il fut ensuite marchand de journaux, puis soldat pendant cinq années (exemptant Arthur), sortit du service avec le grade de sergent, fut employé dans une ferme, puis conducteur de voiture publique. Frédéric se maria, eut deux filles, un ou deux fils. Des enfants de Mme Rimbaud c’est lui qui possédait la plus résistante vitalité, il est mort vers la soixantaine.
  13. Devant la maman indignée reparaissaient presque en même temps les deux gaillards auxquels sa direction, pourtant si énergique et si vigilante, n’avait su inculquer l’amour d’une vie casanière. Eux pouvaient difficilement se regarder sans rire. Mais Arthur, de plus mauvais esprit sous certain rapport, trouvait amusant de blaguer le patriote Frédéric. Celui-ci, très calme, avec un accent quelque peu méridional qu’il avait contracté au régiment, et sur le ton apaisé de l’homme qui se repose, ne répondait que ces trois mois : « Tu me dégoûtes ». (D’après un récit de Rimbaud).
  14. Du 26 mai 1871, d’après l’édition Léon Vanier ; de fin 1870, rectifie Georges Izambard, chez qui cette pièce a été écrite. Il faut dire que Rimbaud datait facilement du jour où il recopiait.
  15. Dans la lettre qu’il lui écrivit au cours de l’été de 1871, Verlaine, à qui il avait soumis ses vers, lui déconseilla l’emploi de pareils termes — tout au moins des scientifiques — Rimbaud approuva son avis ; par la suite il reconnut — on le voit dans son œuvre — qu’une langue limitée, resserrée, une langue même pauvre est souvent une langue plus forte.
  16. Un jour un loustic lui présenta quatre sous, en lui conseillant d’aller chez le coiffeur ; il les prit, dit « merci bien !… » et porta les beaux décimes au bureau de tabac. En 1871, pour cette menue somme, on pouvait acquérir vingt-cinq grammes de scaferlati.
  17. Elle fut, c’est vrai, exceptionnellement rapide ; la taille de Rimbaud, à la fin de 1870, était de 1 m. 61 ou 62, de 1 m. 79 à la fin de 1871.
  18. Traversant en pleine nuit la forêt de Villers-Cotterets, il eut presque une émotion : tout à coup sur la route — où jusqu’à cet instant résonnait seul le bruit de ses pas — formidable et grandissant tapage : ruée de chevaux lancés au triple galop. S’étant blotti dans un de ces abris en pierre qui servent aux cantonniers, Rimbaud comprit, quand devant lui passa l’ouragan et qu’il entendit des mots d’enthousiasme furieux proférés en langue étrangère : c’étaient des cavaliers allemands qui s’amusaient ainsi à faire une charge dans l’obscurité, au risque de se tuer eux-mêmes et sûrement de broyer tout noctambule qu’ils eussent rencontré pour son malheur. Une minute, et le bruit s’évanouit dans les ténèbres ; le poète jugea n’avoir qu’à sourire : des « emballés » aussi, des frères plus enfantins, plus brutaux, voilà tout…
  19. Ici se place un épisode romanesque, le seul probablement dans sa vie et qui restera mystérieux. Rimbaud parlait volontiers gaiement, abondamment de tout, mais rarement de sa vie sentimentale. Parfois cependant, au milieu d’accès de trop forte mélancolie, des besoins d’expansion lui venaient tout à coup. Un jour, en 1872, comme je m’étonnais de son air soucieux, il me dit être tourmenté : un souvenir, une inquiétude… Cela remontait à l’année précédente… II avait à Charleville une maîtresse, une jeune fille à peu près de son âge. Lorsqu’il lui dit son intention de s’enrôler dans l’armée communaliste, elle voulait l’accompagner. Impossible ! c’était à pied qu’il gagnerait Paris… La jeune fille n’en parla plus… Mais alors qu’il était « franc-tireur de la Révolution », il eut la surprise, passant dans une rue très fréquentée, il eut l’émotion de la voir, leurs regards se rencontrèrent… il s’élança… En vain : elle avait disparu dans la foule… Évidemment elle était venue à Paris pour lui… Par quels moyens ? Prit-elle, ainsi qu’il le supposait, pour prétexte — auprès de ses parents et afin d’obtenir l’argent du voyage — certains membres de leur famille habitant Villers-Cotterets ? Il n’en pouvait être sûr, ne l’avait pas revue depuis. Avait-elle continué à le suivre ainsi en se cachant ? Le chercha-t-elle, quand il eut quitté Paris ? Que devint-elle, pendant la semaine terrible ?… Ces questions l’avaient harcelé déjà souvent et venaient de se représenter plus angoissantes. Au cours de l’année d’après, dans un moment où il causait de lui-même avec un abandon assez joyeux, je me risquai à lui rappeler la jeune fille. Sa figure changea, il dit tristement : « Je n’aime pas qu’on m’en parle ! »… Ne se sont-ils vraiment jamais revus ?… La « Vierge folle » est-elle une autre ?…
  20. Qui pourrait s’intituler également — d’après l’explication qu’il m’en donna : — le Pitre.
  21. Copie de ces poèmes en prose me fut envoyée, en 1906, par l’éminent écrivain Georges Maurevert, et je la remis aussitôt à mon cher ami J. René Aubert, le gracieux auteur du Bois Sacré, qui publia les Déserts de l’Amour dans sa Revue littéraire de Paris et de Champagne. À Georges Maurevert encore les lettrés doivent d’avoir lu Douaniers et Sœurs de Charité, dont Verlaine avait déploré la perte, et qui parurent également, pour la première fois, dans la même revue, par les mêmes soins. Deux ans après ils étaient publiés dans la Revue d’Ardenne et d’Argonne.
  22. J’ai cru inutile de nommer le jeune homme qui lui prêtait ces livres, Il ne s’agit pas de Jules Mary, qu’attendait un avenir littéraire si brillant, et qui fut lui aussi un compagnon d’étude, un excellent ami de Rimbaud.

    Rimbaud ne cherche guère à « inventer ». Partisan catégorique de l’observation, il se sert plutôt de choses réelles et qu’il a connues, mais souvent les déplace de l’ensemble éprouvé, les scinde en parties utilisables dans un sens nouveau, rapproche et réunit des détails qui étaient très éloignés en fait, dépouille tel sujet de son attribut pour le donner à un autre, etc. C’est en partant de là que nous pourrons comprendre l’emploi de ces mots : « livres cachés qui avaient trempé dans l’océan ».

  23. Mais y ajoutait plus d’une idée personnelle. De l’explication qu’il me donna du système j’ai retenu ceci : — dans les petits États composant la Grèce ancienne c’était l’ « Agora » qui conduisait tout, l’agora, c’est-à-dire la place publique, les citoyens assemblés, délibérant, votant, avec droits égaux, sur ce qu’il fallait faire. (Il commençait donc par abolir le gouvernement représentatif, et le remplaçait, en somme, par un régime de référendum permanent).
  24. Il connaissait aussi les Fêtes galantes, en parle avec admiration dans une lettre à Georges Izambard. Enfin il venait de lire, dans le Parnasse, Les Vaincus, poème qui montrait le Verlaine d’alors comme un violent insurgé et ainsi le lui rendait encore plus sympathique.
  25. Violoniste de talent, caricaturiste et chansonnier parfois, Charles Bretagne était attaché, en qualité d’agent contrôleur des Contributions indirectes, à l’une des sucreries de Charleville. Son premier poste avait été Fampoux (Pas-de-Calais), où il exerçait les mêmes fonctions à la sucrerie de Julien Dehée, cousin de Verlaine, qui fit chez son parent de fréquentes villégiatures et avec qui le musicien eut ainsi l’occasion de se lier. Esprit délicat, original et profondément observateur, il connaissait l’auteur des Effarés par des amis communs : Georges Izambard et Léon Deverrière (professeur de philosophie à l’Institution Barbadaux). De dix ans l’aîné du poète enfant, ce septentrional, très froid en apparence, mais d’un cœur extrêmement généreux, lui donna constamment les conseils les plus sages et les plus prudents pour la vie pratique, tout en accueillant avec une curiosité joyeuse les audaces de sa verve et de son imagination. Il compte parmi les meilleurs de ces hommes qui entourèrent d’une sympathie et d’une chaleur nécessaires l’éclosion du génie de Rimbaud. Charles Bretagne, par la suite, quitta Charleville pour Sainte-Marie-Kerque (Pas-de-Calais), où il mourut encore jeune et sans avoir revu les deux poètes. Verlaine lui avait fait envoyer les Romances sans paroles.
  26. Œuvres posthumes de Paul Verlaine, vol II : Arthur Rimbaud. Chroniques.
  27. Il me parlait d’une soirée passée au café avec, entre autres, Jules Claretie, qui par sa familiarité camarade, gentille, sa gaieté jeune, avait gagné toute son estime : « Un bon garçon !… » Et dans la bouche de Rimbaud cela n’était pas éloge banal.
  28. Il eut pour ami un jeune dessinateur, Louis Forain, (ami aussi de Verlaine, qui dans sa correspondance l’appelle « Gavroche » ), destiné lui-même à un talent fortement original, à un nom célèbre.
  29. Œuvres posthumes. Vol. II. Nouvelles notes sur Rimbaud.
  30. Saison en enfer.
  31. Mot anglais qui veut dire gravures coloriées. L’auteur avait écrit en sous-titre ceux-ci : coloured plates, qui suffisaient et qui sont plus clairs si l’on entend seulement gravures en couleurs (aquatintes), mais il tenait au double sens et désirait impliquer, en plus, la signification française d’Illuminations, c’est-à-dire : intuitions ou visions racontées ; il y en a quelques-unes en effet ; d’autre part ; les souvenirs ne sont-ils pas eux-mêmes des venues subites de lumière ?
  32. Verlaine, qui a disposé les pièces du manuscrit pour la première publication, semble avoir rapproché ces deux poèmes afin d’en faire apprécier le contraste.
  33. Je demande pardon au lecteur, mais l’avertis qu’une fréquente répétition des mots parti, retourné, revenu, ne peut être évitée dans l’histoire de Rimbaud. Lors de son premier séjour à Londres, en cette année 1872, outre Félix Régamey qu’il vit souvent à son atelier de Longham street, et qui le croqua paré d’un haut-de-forme impressionnant (Voir l’album de Régamey intitulé Verlaine dessinateur) — il fréquenta les réfugiés de la Commune Lissagaray, Vermersch, Matuszewicks, Andrieu. Il me parla surtout de ces deux derniers, considérés par lui comme étant ses frères d’esprit. Mais Andrieu, littérateur parisien, d’intelligence hardie et fine, était son préféré, il éprouvait à son égard des sentiments de véritable affection. D’autre part, l’ancien membre de la Commune ne pouvait qu’avoir une curiosité très sympathique pour Rimbaud, car il devait être frappé de ce hasard qui le mettait à même de connaître dans le même temps deux génies précoces à trois mois près du même âge : un Français, un Anglais. On sait qu’Andrieu eut pour élève ce fameux beau-frère de Rossetti, l’enfant poète, romancier et peintre Oliver Madox Brown, qui fit à treize ans des Sonnets « d’une originalité d’expression et de pensée étonnante », dit James Darmesteter, exposa à la Dudley Gallery dès quatorze ans, dessina à quinze ans, pour l’œuvre de Byron, un Mazeppa « tempête vivante », écrivit, à seize ans, ce roman si dramatique, si étrange, Le Cygne noir, peignit, à dix-sept ans, un Silas Marner objet d’applaudissements unanimes à la Société des artistes français de Bond Street. Rimbaud l’a-t-il rencontré chez Andrieu ? Ma mémoire ici fait défaut. S’il me l’a dit, c’est tellement en passant qu’il ne m’en reste pas de souvenir. Ce que je me rappelle bien, c’est qu’il me conta sa brouille avec Andrieu. La scène eut lieu — il en restait surpris et affligé — vers la fin de 1873. Le professeur d’Oliver Madox Brown était-il à ce moment tourmenté, au point de perdre en partie sa force morale, par l’état de son élève qui commençait à souffrir de la maladie qui l’emporta l’année suivante, à dix-neuf ans ?… Le fait est qu’il reçut Rimbaud avec une mauvaise humeur allant jusqu’aux procédés brutaux. La rupture fut définitive. Nous devons regretter qu’une certaine animosité, semble-t-il, ait persisté chez Andrieu ; car cet écrivain distingué, qui exerça — dit le critique cité plus haut — une influence considérable sur l’esprit d’Oliver Madox Brown, aurait pu nous laisser, à propos de ces deux jeunes gens, une étude de rapprochements littéraires et moraux extrêmement intéressante, puisque l’Anglais était lui-même une sorte de visionnaire.
  34. Je dis : « guère » et non : « pas du tout » : il y a des précédents, vagues, sans doute, qui pourtant ressemblent. À la rigueur, pourrait-on voir quelque analogie en le fameux Combien j’ai douce souvenance… mieux encore en trouverait-on dans ces poésies très, très simples, inspirées par les mélancolies de la vie paysanne, que des folkloristes ont recueillies. Je me souviens qu’en 1872 Rimbaud aimait à chantonner un couplet de vieux genre, trouvé je ne sais plus où :

    Sur les rives de l’Adour
    Il y avait un pastour,
    Pur, naïf, exempt de vices,
    Qui pêchait des écrevisses ;
    Il disait : Ô mon bon Dieu,
    Si tu exauces mon vœu.
    Sur le bord de ce canal
    Je te bâtis un hôpital.

    Évidemment, ce qu’il a fait est tout autre chose ; mais Edgar Poe déjà connaissait et caractérisait ce charme, quand il disait, en son Poetic principle, à propos d’un petit poème de Longfellow : « … Chiefly to be admired for the graceful insouciance of his metre so well in accordance with the character of the sentiments ».

  35. Il l’a datée ainsi « Avril-Août 1873 », commencée, par conséquent, avant le drame de Bruxelles, avant même son départ pour l’Angleterre avec Verlaine. Le premier chapitre : Mauvais sang — venant après l’introduction qui est une conclusion — débute (« J’ai de mes ancêtres gaulois… ») dans la manière des poèmes en prose habituels ; c’est écrit avec une amertume assez calme : on voit que Rimbaud continuait son travail de notations au printemps de 1873. Le ton change quand l’auteur revient de l’hôpital Saint-Jean.
  36. Celui-ci lui avait envoyé des vers faits aux Petits-Carmes, prison de Bruxelles, notamment : « Je suis un berceau… » — « La cour se fleurit de soucis… » — « Dame souris trotte… » Rimbaud prisait surtout la dernière pièce, peut-être à cause de ceci, d’un rythme si virgilien : « Rose dans le gris du soir… »
  37. Au moment de son arrivée à Paris en 1871, Rimbaud avait un accent ardennais assez fort, mais le perdit presque immédiatement, et après six semaines de séjour, parlait comme un Parisien « né natif ». Il est certain que cette faculté de prendre les accents lui servit beaucoup dans l’acquisition des langues étrangères : elle était due sans doute à son esprit d’observation qui fut vraiment exceptionnel.
  38. Quelle que soit la faiblesse passagère — nous allons la voir — qui accompagna son entreprise, le désir éprouvé par Verlaine de ramener à Jésus l’ami qu’il considérait comme un pauvre athée, s’exposant à la perdition éternelle, ne peut faire aucun doute et rien n’est plus logique. Il souffrait, cherchait du secours dans la prière : celle-ci évoque des souvenirs de fautes commises ( « Pardonnez-nous nos offenses…, Priez pour nous pauvres pécheurs… » ) : le sentiment d’avoir été coupable autrefois, l’idée de repentir, d’expiation, de réparation, qui chez lui venaient toujours avec ou après la douleur, ne devaient-ils pas lui présenter comme consolation suprême ce mérite qu’il aurait acquis devant Dieu !
  39. Verlaine lui disait : « Cette lettre je l’ai méditée pendant six mois », et Rimbaud s’écriait : « Mince de méditées !… »
  40. Sensation (mars 1870).
  41. Au cours de son existence, Rimbaud posséda un chapeau haut-de-forme dont je le vis coiffé à Charleville ; ce fastueux ornement avait été acheté dix shillings en Angleterre — vers 1872, quand lui et Verlaine cherchaient des leçons de français ; — de même il s’offrit, une fois dans sa vie, des cartes de visite, gravées, sur joli bristol, à Stuttgart, où sa condition d’étudiant vivant chez des petits bourgeois tenant pension de famille, lui imposait certain décorum. Il m’en envoya une de Milan et y avait écrit son adresse : 2 Piazza del Duomo.
  42. Je crois bien me souvenir que Rimbaud me dit Ceos, mais je ne puis l’affirmer absolument, le nom n’ayant guère été prononcé qu’une fois ; il se peut que ce fût plutôt Syra ou Naxos, mais à coup sûr il désignait cette île comme faisant partie du groupe des Cyclades.
  43. L’un des surnoms que lui donnait Verlaine, quand il ne préférait pas l’appeler « philomathe ».
  44. Sans avoir appris la musique, mais il entendait s’y mettre et ses essais, temporaires, furent des plus courageux ; du moins il satisfit son appétit énorme d’apprendre et acquit des connaissances de théorie musicale. L’histoire du piano, telle que la racontait Rimbaud, est assez amusante. Il alla chez un loueur, lui remit comme adresse une carte de sa mère — naturellement non prévenue. — Quand le piano fut dans l’escalier, une dame sortit et réclama hautement ; elle avait la promesse du propriétaire que jamais dans la maison il n’entrerait un piano. « Et puis enfin, ce piano, pour qui ? » Les porteurs répondirent : « Pour madame Rimbaud ». Entendant parler d’elle, Mme Rimbaud sortit à son tour, et, sans perdre de temps à s’étonner, ne voulant voir que son droit méconnu, signifia à sa voisine, non moins catégoriquement, qu’elle jouerait du piano tant qu’il lui plairait. L’instrument fut installé d’autorité et Rimbaud put s’y évertuer pendant des journées entières.
  45. À dix-sept ans, celle qui lui ressemblait le plus par la fraîche carnation, la chevelure châtain foncé, les yeux bleus : Rimbaud en très belle jeune fille.
  46. Une saison en enfer
  47. Pendant ses séjours à Charleville, je voyais Rimbaud le jeudi, où nous passions quelques heures à causer dans un café, et le dimanche employé à une excursion champêtre. Il était de la plus grande facilité d’humeur ; j’avais préparé l’itinéraire : « Nous passerons par ici, nous irons jusque-là… » II disait : « Allons !… » se laissait conduire. Pas d’autre fantaisie indépendante que celle-ci : « Quand nous nous arrêterons dans un village, » disait-il plaisamment, « je tiens au plus beau café !… » En arrivant, l’on faisait son choix ; l’ « Estaminet de la Jeunesse » le tentait peu, de préférence il opinait pour le « Café du Commerce » ou le « Rendez-vous des Voyageurs ». Sortant de là, revigorés par une paire de chopes, nous chantions ensemble ce couplet des Cent Vierges qu’il avait rapporté autrefois de Paris, et qu’il aimait :

    Heureusement
    Qu’à ce moment
    Nous n’avons pas perdu la tête,
    Et qu’en nageant
    Adroitement,
    Nous avons bravé la tempête…

    Un dimanche matin, j’appris subitement que je ne pourrais disposer de ma journée. J’allai à l’endroit où il m’attendait : j’étais si contrarié que je fus brusque : « Impossible aujourd’hui !… » Ce pauvre Rimbaud n’avait pour toute distraction, au bout d’une morne semaine, que cette promenade avec l’ami d’enfance. Il devint très rouge, baissa la tête, se passa la main sur la nuque en un geste d’accablement… Je m’écriai, tout ému : « Cela te fait de la peine !… » Il sourit, balbutia quelques mots ironiques à l’adresse de lui-même et sur une faiblesse qu’il n’avait pas contenue, puis aussitôt parla d’autre chose avec sérénité.

    Que l’on me pardonne ce personnalisme. J’ai cru intéresser le lecteur par quelques traits du caractère de Rimbaud. De ses anciens condisciples je ne fus pas toujours le seul à lui tenir compagnie dans ses périodes de repos ardennais. Il retrouva Ernest Millot, si doux, si joyeux, si ardent, qui mourut jeune, hélas !… âme charmante dont la mienne portera toujours le deuil ; il retrouva Louis Pierquin, qui vit encore, grâce à Dieu, car c’est un robuste, c’est aussi un gai, comme on en rencontre souvent dans ce pays cordial, c’est aussi un érudit, un savant, il a écrit une œuvre superbe : l’histoire de Pache.

  48. En route il fallait se nourrir, coucher : Rimbaud travaillait. Pendant les nombreux mois passés à Roche, il avait souvent donné « un coup de main » aux ouvriers de la ferme, acquis ainsi l’habitude de l’effort physique et un certain savoir-faire que nécessitent même les gros travaux, en sorte qu’il pouvait, de manière efficace, aider à décharger ou charger une voiture, un chaland… ouvrages que l’homme robuste et résolu trouve un peu partout.
  49. Il en vit plusieurs : l’enrôlé sautait à l’eau, sa prime en poche, et gagnait en quelques brasses le rivage, d’où il allait chercher aventure dans les villes égyptiennes.
  50. Le danger fut sérieux : les marins de cet équipage, un peu de fortune, étaient plus que rudes, habitués à proférer les plus violents blasphèmes ; pourtant Rimbaud les vit s’agenouiller sur le pont, réciter des prières.
  51. Une saison en enfer.
  52. Pendant ma visite à Roche, où il causa beaucoup, me raconta mille choses ayant trait à sa vie de voyageur, nullement à ses goûts anciens, je lui posai soudain la question ; « Mais la littérature ?… » Troublé, surtout étonné, comme par une image de mot qui n’aurait point paru dans son cerveau depuis très longtemps, le poète rougit, un tout petit éclair passa dans ses yeux d’azur, et laconiquement, sur un ton où pointait si peu que rien de nervosité, répondit : « Je ne pense plus à ça. »
  53. Éthiopie.
  54. Correspondance avec sa mère et sa sœur (Lettres de Jean-Arthur Rimbaud.Égypte, Arabie, Éthiopie, — publiées par le Mercure de France).
  55. Correspondance avec sa mère et sa sœur.
  56. Ibid.
  57. Où elles furent relevées par MM. Jean Bourguignon et Charles Houin, qui les ont fait insérer dans la Revue d’Ardenne et d’Argonne en juin 1899. (Elles emplissent deux pages de la revue). Rimbaud avait eu précédemment l’intention de travailler pour la Soc. de Géographie. Il m’écrivait d’Aden, le 18 janvier 1882 : « Je suis pour composer un ouvrage sur le Harar et les Gallas que j’ai explorés », me priait en même temps de lui acheter quelques instruments nécessaires à la confection des cartes ; mais presque aussitôt des occupations et projets différents détournèrent son esprit.
  58. Lettre à sa famille (mère et sœur), résidant à Roche.