Rimes de joie/30
Les Litanies de l’Absinthe
hiltre charmant, ô toi que redoutent les mères
Et les amantes, philtre aux caresses amères,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Toi, le sûr guérisseur des douleurs anciennes,
Aux nuits d’antan fauché par les magiciennes,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Lorsque ton âme au fond de nos verres s’éveille,
C’est un chant de répit qui nous berce, ô merveille !
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Tu portes la couleur tendre de l’Espérance,
Glauque étendard flottant joyeux sur la souffrance,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Ta robe resplendit des feux de l’émeraude,
Elle est verte à l’égal des forêts où Juin rôde,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Quand par les cieux boudeurs toute flamme est éteinte,
La mer revêt parfois ta radieuse teinte,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
L’œil mystique des chats dans ses profondeurs cèle,
Parmi les sables d’or ta discrète étincelle,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Les femmes t’ont nommée « un poison »… Calomnie !
Par toi qui fut tué ? — Le Chagrin. — Sois bénie !
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
La lèvre aimée est fade auprès de ta salive
Quand se tord notre langue à ta morsure olive,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Dans ton sein introublé chantent à voix têtue,
Les soupirs, les sanglots et le remords qui tue,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Retombe sur mon cœur qu’étourdit ta fumée,
Douce comme une larme, ô boisson parfumée !
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Herbe qui fait pâlir la ciguë et l’oronge,
Unique espoir des cœurs qu’un secret chagrin ronge,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Or et billon de ceux dont l’âme est dépensée,
Lampe des forts cerveaux où roule la pensée,
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
Sœur du sombre café prometteur de nuits blanches,
Nerf du poète errant sous nos cieux, mornes planches !
Absinthe, viens à nous dans l’infini des spleens !
ORAISON
Gloire et louange, à toi sur cette terre sombre,
Savoureux océan où toute rancœur sombre ! —
Si jamais, immortel endormeur des tourments,
Celle à qui j’appartiens, fausse à ses longs serments,
Reniait notre amour, méprisait notre joie,
Alors, breuvage ardent, viens réclamer ta proie :
Tout au fond de mon cœur à ta brûlure ouvert,
Je te voue un autel sans rival, — Poison vert ! —