Rimes de joie/31

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Rimes de joieGay et Doucé, éditeurs (p. 181-183).

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À deux grands Yeux Bizarres




V os yeux, vos beaux yeux, vos yeux fous,
Sont si grands que chacun s’entête
À vous trouver, le croiriez vous ?
Des yeux tout autour de la tête.


Sous votre frange à la griffon
Ils fulgurent comme des braises
Dans une nuit opaque, et font
Pâlir vos lèvres, sœurs des fraises !


Sont-ils roux ou bruns, gris ou verts
Sous la paupière long-voilée,
Ces yeux candides et pervers
Dont votre face est étoilée ?


Sont-ils d’azur ou bleu-barbeau ?
Qui donc résoudra ce problème ?…
— Ils sont noirs : l’aîle du corbeau
Près de leur velours paraît blême.


Ils sont noirs, ces mauvais sujets
Où nul pleur jamais ne s’essuie :
Le diable a dû fondre ce jais
Saupoudré d’infernale suie !


Leur ébène a pris son essor
Aux forêts d’un puissant rivage,
Et leur laque fut le trésor
D’un incomparable arrivage.


De quel puits sortit ce charbon
Pailleté de micas funèbres,
Qui dans leur miroir doux et bon
Verse la rancœur des ténèbres ?


Ce sont d’étincelants bijoux
Pris à la mer, un soir d’orage ;
Les nuits trempèrent ces joujoux
De leur plus magique cirage.


Dans quel terrible auto-da-fé
S’est vu trituré leur bitume
Ou torréfié le café
Dont est faite leur amertume ?


Quel joaillier audacieux
Tailla ces brillants à feu sombre,
Étoiles noires de mes cieux,
Ouvrant dans la nuit deux trous d’ombre.


À quelle houppe se poudra,
Leur acier, de claires parcelles ?…
Ces yeux sont tout ce qu’on voudra :
Astres, joyaux, fleurs, étincelles,


Mais ces mirettes sont pour moi
Les inéclipsables bougies
Où vont tournoyant, pleins d’émoi,
Mes Sonnets et mes Nostalgies.