Rob Roy/20

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 9p. 250-259).


CHAPITRE XX.

L’AVIS MYSTÉRIEUX.


Ce spectacle frappe mes yeux de terreur et d’effroi… Le froid répandu dans ces tombeaux et dans ces cavernes souterraines de la mort semble pénétrer jusqu’au cœur.
L’Épouse en deuil.


Malgré l’impatience de mon conducteur, je ne pus m’empêcher de m’arrêter quelques instants pour contempler encore l’extérieur du bâtiment, rendu plus imposant par la solitude qui l’entoura lorsque ses portes jusque là ouvertes se furent refermées et eurent, si j’ose parler ainsi, englouti la multitude qui un moment auparavant se pressait dans le cimetière, et qui maintenant entrée dans l’église s’y livrait aux exercices solennels de la dévotion, comme nous l’annonçaient les chants en chœur que nous entendions du dehors. La réunion de tant de voix ne formait encore dans l’éloignement qu’une seule harmonie, exempte de ces sons discors qui ne manquent jamais de blesser l’oreille lorsqu’on les entend de plus près ; mêlées au murmure des ruisseaux et au bruit des branches des vieux sapins que le vent agitait, elles me parurent former un effet presque sublime. La nature, telle que l’invoquait le psalmiste dont on chantait les versets, semblait se réunir pour offrir au Créateur ce cantique solennel de louanges où la crainte se mêle à la joie. J’avais entendu célébrer en France le service de la grand’messe avec tout l’éclat que la musique la plus savante, les ornements les plus somptueux et les cérémonies les plus imposantes pouvaient lui donner ; cependant son effet sur moi n’approcha pas de celui qu’y produisit la simplicité du culte presbytérien. Ces chants religieux auxquels tout le monde prenait part me semblaient aussi supérieurs à ceux qu’exécutent des musiciens après les avoir étudiés et appris par cœur, que la nature l’est au jeu du théâtre.

Pendant que mon oreille se plaisait à recueillir ces accords solennels, André, qui ne pouvait plus contenir son impatience, me tira par la manche… « Venez donc, monsieur, venez donc ; si nous tardons ainsi, nous troublerons le service en entrant ; d’ailleurs, si nous nous arrêtons ici, les bedeaux viendront nous ramasser et nous mèneront au corps-de-garde comme des gens qui rôdent pendant les heures du service divin. »

D’après cette représentation, je suivis mon guide, mais non dans le chœur de la cathédrale, comme je l’aurais supposé. « Par ici, par ici, monsieur, s’écria-t-il en me tirant à lui au moment où je me disposais à entrer par la porte principale du bâtiment… On ne s’occupe là que d’affaires de loi. C’est de la morale mondaine aussi sèche et aussi insipide que les feuilles de rue[1] le sont à Noël.. Par ici nous goûterons la saveur de la vraie doctrine. »

En parlant ainsi, il me fit passer sous une petite voûte fermée par un guichet qu’un homme à figure grave était sur le point de pousser ; et après avoir descendu quelques pas, nous nous trouvâmes dans les voûtes souterraines de l’église, qu’on avait choisies assez singulièrement, et je ne sais trop pourquoi, pour l’exercice du culte.

Imaginez-vous, Tresham, une longue rangée de voûtes sombres, basses, à demi éclairées, telles que les caveaux destinés aux sépultures dans les autres pays, et qui, dans celui-ci, avaient long-temps aussi été consacrées au même usage. Une portion de ce souterrain avait été convertie en église, et on y avait établi des bancs ; mais cette partie ainsi disposée, quoique pouvant bien contenir une réunion de plusieurs centaines de personnes, était très-peu de chose en comparaison des vastes et sombres cavernes qui restaient vides et béantes autour de ce qu’on peut appeler l’espace habité. Dans ces solitaires régions de l’oubli, de vieilles bannières noircies par le temps, des lambeaux d’écussons déchirés, indiquaient les tombeaux de ceux qui, sans doute, avaient été princes en Israël. Des inscriptions, qui ne pouvaient être déchiffrées que par le laborieux antiquaire, dans une langue aussi hors d’usage que l’acte de dévotion qu’elles réclamaient, invitaient les passants à prier pour les âmes de ceux dont les corps reposaient au-dessous. Au milieu de ces réceptacles des dernières dépouilles de l’humanité, je trouvai une assemblée nombreuse occupée à la prière. Les Écossais remplissaient ce devoir debout au lieu de s’agenouiller, sans avoir peut-être pour cela de meilleur motif que de témoigner, par une différence de coutume aussi frappante, leur éloignement pour les formes du rituel romain ; car j’ai remarqué que, dans les prières qu’ils font en famille (comme aussi, sans doute, dans leurs dévotions particulières), ils s’adressent à la Divinité dans cette posture, en usage chez tous les autres chrétiens, comme la plus humble et la plus respectueuse. C’était donc debout qu’une multitude de plusieurs centaines de personnes de tout âge et des deux sexes, parmi lesquelles les hommes se tenaient la tête découverte, écoutaient avec beaucoup de respect et d’attention la prière qu’un ecclésiastique déjà avancé en âge et très en vogue dans la ville, prononçait, sinon d’effusion, du moins de mémoire[2]. Élevé dans la même croyance, je tournai en ce moment toutes mes pensées vers ces exercices de piété, et ce ne fut que lorsque toute l’assemblée eut repris ses sièges que mon attention fut distraite par les objets qui m’entouraient.

À la fin de la prière, tous les hommes remirent leurs chapeaux ou leurs bonnets, et tous ceux qui avaient le bonheur d’avoir des sièges s’assirent. André et moi nous n’étions pas de ce nombre, étant arrivés trop tard dans l’église pour pouvoir nous en procurer. Nous faisions partie d’un nombre d’autres individus qui se trouvaient dans le même cas et formaient une espèce de cercle autour de la partie de l’assemblée qui était assise. Derrière et autour de nous étaient les voûtes que j’ai déjà décrites ; nous faisions face aux pieux auditeurs dont les visages étaient à demi éclairés par les rayons du jour qui pénétraient à travers une ou deux croisées basses et gothiques, placées en face, et semblables à celles qui sont destinées à donner de l’air et de la clarté dans les caveaux de sépulture. Elles éclairaient toutes les physionomies tournées vers le prédicateur et sur lesquelles on remarquait la variété de caractères et d’expressions ordinaire dans ces sortes de réunions. L’attention régnait presque sur toutes et n’était interrompue que lorsqu’un père ou une mère rappelait à l’ordre l’enfant trop vif dont les yeux distraits erraient de côté et d’autre, ou réveillait celui qui, plus pesant, se laissait aller au sommeil. Les traits prononcés des Écossais et leurs visages non moins remarquables par la saillie de leurs os que par l’expression de pénétration et d’intelligence qui les distingue, se montrent avec plus d’avantage dans une assemblée religieuse ou dans les rangs d’une armée qu’au milieu de toute autre réunion moins grave et plus frivole, et le discours du prédicateur était bien fait pour mettre en jeu les diverses sensations et les facultés de son auditoire.

L’âge et les infirmités avaient affaibli un organe naturellement énergique et sonore. En lisant son texte, sa prononciation me parut un peu inarticulée, mais quand il eut fermé la Bible et commencé son sermon, sa voix s’affermit par degrés à mesure qu’il entrait plus avant dans les arguments qu’il développait. Son discours roulait principalement sur les points les plus abstraits de la religion chrétienne, sujets graves, profonds et impénétrables pour la raison humaine, mais qu’il chercha d’une manière aussi louable qu’ingénieuse à expliquer par des citations des saintes Écritures. Mon esprit n’avait pas été préparé à le suivre dans tous ses raisonnements, je n’étais même pas sûr de le comprendre toujours bien, mais rien n’était plus capable de faire impression que l’ardent enthousiasme qui animait le bon vieillard, et rien ne pouvait être plus ingénieux que sa manière de raisonner. On sait que l’Écossais est plus remarquable par ses facultés intellectuelles que par sa sensibilité ; il est en conséquence plus accessible à la logique qu’à la rhétorique, et se laisse plus facilement attirer par des arguments raisonnés et profonds sur des points de doctrine, qu’entraîner par ces mouvements pathétiques auxquels la plupart des prédicateurs renommés dans certains pays ont recours pour émouvoir le cœur, remuer les passions, et obtenir l’admiration de leur auditoire.

Au milieu du groupe attentif que j’avais devant les yeux, on pouvait remarquer différents caractères d’expression, comme dans le célèbre carton de Raphaël représentant saint Paul prêchant à Athènes. Ici était un calviniste intelligent et zélé, dont les sourcils froncés annonçaient la profonde attention ; ses lèvres légèrement comprimées, ses yeux fixés sur le ministre avec l’expression d’un secret orgueil, comme s’il participait au triomphe de ses arguments ; l’index de sa main droite touchait successivement les doigts de sa main gauche, tandis que le prédicateur, de raisonnements en raisonnements, arrivait à une conclusion. Là un autre, par un regard plus fier et plus austère, semblait témoigner son mépris pour tous ceux qui ne partageaient pas la croyance de son pasteur, et sa joie des châtiments dont il les voyait menacés. Un troisième, appartenant peut-être à une autre congrégation et que le hasard ou la curiosité avait probablement amené là, paraissait discuter intérieurement quelques points des raisonnements du sermon, et l’on pouvait facilement deviner, au léger balancement de sa tête, ses doutes sur la justesse de quelques arguments du prédicateur. La plus grande partie de l’auditoire écoutait d’un air calme et satisfait, qui exprimait la conscience du mérite que chacun se faisait de sa présence et de l’attention qu’il prêtait à un discours si ingénieux, tout incapable qu’il fût peut-être de le comprendre. Les femmes appartenaient en général à cette dernière classe de l’assemblée, à la différence pourtant que les vieilles donnaient une attention plus sérieuse aux doctrines abstraites qu’on leur développait, tandis que les jeunes laissaient quelquefois errer modestement les yeux autour de la réunion : quelques unes, Tresham (si ma vanité ne m’abusa pas étrangement), semblèrent remarquer votre ami et serviteur, et le distinguèrent sans doute à titre d’Anglais et comme un jeune homme d’une tournure passable. Quant au reste de l’auditoire, les imbéciles ouvraient de grands yeux, bâillaient, s’endormaient jusqu’à ce qu’ils fussent réveillés par les coups de talon que leurs voisins plus zélés leur donnaient de temps en temps dans les jambes ; les nonchalants témoignaient leur inattention par la distraction de leurs regards, mais n’osaient pas donner de signes d’ennui plus évidents. Au milieu des habits et des manteaux, costume distinctif de l’habitant des basses terres, je remarquai de temps en temps un plaid écossais ; l’individu qui le portait, appuyé sur la poignée de son épée, promenait ses yeux sur l’auditoire avec un air d’étonnement et de curiosité sauvage, et ne prêtait aucune attention au sermon, mais probablement par la plus excusable de toutes les raisons, c’est-à-dire parce qu’il n’en comprenait pas un mot. Cependant l’air martial et féroce de ces étrangers donnait à l’assemblée un caractère qui lui aurait manqué sans eux, André me fit remarquer ensuite qu’ils y étaient ce jour-là en plus grand nombre, à cause d’une foire de bestiaux qui avait lieu dans le voisinage.

Telles étaient les physionomies du groupe placé rang par rang, et que découvraient à mon inspection critique les rayons de soleil qui pénétraient à travers les croisées de l’église souterraine de Glasgow. Après avoir éclairé l’auditoire attentif, ils allaient se perdre dans le vide des voûtes qui étaient derrière, jetant sur le premier plan un demi-jour douteux et livrant leurs profondeurs à d’épaisses ténèbres qui les faisaient paraître sans fond.

J’ai déjà dit que je me tenais debout avec ceux qui formaient le cercle extérieur, le visage tourné vers le prédicateur, et le dos aux voûtes dont j’ai plus d’une fois parlé. Ma position me mettait à même d’être dérangé par le moindre bruit qui pouvait avoir lieu sous ces arceaux déserts et qui était aussitôt répété par mille échos. Le bruit des gouttes de pluie qui, pénétrant par quelque crevasse du toit ruiné, tombaient sur le pavé placé au-dessous, me fit tourner la tête plus d’une fois vers le lieu d’où il semblait venir, et lorsque mes yeux avaient pris cette direction, j’avais de la peine à les en détourner : tel est le plaisir que trouve notre imagination lorsqu’elle s’efforce de pénétrer dans les détours d’un labyrinthe imparfaitement éclairé, et qui nous présente des objets qui n’excitent notre curiosité que par le mystérieux intérêt que leur prête leur aspect vague et douteux. Peu à peu mes yeux s’habituèrent à l’atmosphère ténébreuse vers laquelle je les dirigeais sans cesse, et bientôt mon esprit s’intéressa plus aux découvertes que je cherchais à y faire qu’aux subtilités métaphysiques que développait le prédicateur.

Mon père m’avait souvent repris de cette disposition vagabonde de mon esprit, qui provenait peut-être d’une vivacité d’imagination à laquelle il était étranger lui-même ; et, en me trouvant ainsi tenté de me livrer à tout moment à de nouvelles distractions, je me rappelais le temps où il me conduisait par la main à la chapelle de M. Shower en me recommandant avec instances de bien employer un temps qu’on ne regagnait jamais quand on l’avait perdu. En ce moment, ce souvenir, loin de fixer mon attention, acheva d’absorber le peu qui me restait, en retraçant à ma mémoire le dangereux état de ses affaires, j’essayai, du ton le plus bas possible, de demander à André si quelqu’un des associés de la maison Mac-Vittie et compagnie faisait partie de l’assemblée ; mais André, tout entier à l’attention qu’il donnait au sermon, ne me répondit qu’en me poussant fortement le coude, comme pour m’engager à rester tranquille : je reportai ensuite mes yeux sur cette foule de figures qui, le cou tendu, dirigeaient leurs regards sur la chaire comme sur un point central commun, et m’efforçai, sans plus de succès, d’y découvrir la physionomie composée, j’ose même le dire, presque commerciale d’Owen ; sous les larges chapeaux des bourgeois de Glasgow, non plus que sous ceux plus larges encore des habitants du Lanarkshire, je ne pus rien découvrir qui ressemblât à la modeste perruque, aux manchettes empesées et à l’habillement de couleur noisette qui distinguaient le premier commis de la maison Osbaldistone et Tresham. Mon inquiétude se ranima alors avec une telle violence, que non seulement elle me fit oublier la nouveauté du tableau qui l’avait d’abord distraite, mais même, pour ainsi dire, le sentiment des convenances. Je tirai André par la manche en lui déclarant mon intention de quitter l’église et de continuer mes recherches comme je pourrais ; mais aussi obstiné dans l’église souterraine de Glasgow que sur les monts Cheviot, il fut quelque temps sans daigner me répondre ; enfin, voyant qu’il n’y avait pas d’autre moyen de me faire tenir tranquille, il se résolut à me dire qu’une fois dans l’église nous ne pouvions pas la quitter avant que le service fût fini, parce qu’on fermait les portes aussitôt que les prières commençaient. M’ayant donné cet avis d’un ton bref et de mauvaise humeur, André reprit l’air d’importance et d’intelligence critique avec lequel il écoutait le discours du prédicateur.

Tandis que je cherchais à faire de nécessité vertu, et à reporter mon attention sur le sermon, je fus dérangé de nouveau par une interruption des plus étranges. Une voix derrière moi prononça distinctement ces mots à mon oreille : « Vous êtes en danger dans cette ville. » Je me retournai comme machinalement.

Il y avait derrière et à côté de moi deux ou trois ouvriers, hommes du commun qui, comme nous, étaient arrivés trop tard pour obtenir des sièges. Un regard jeté sur eux me convainquit, sans pouvoir trop dire pourquoi, qu’aucun d’eux n’était la personne qui m’avait parlé. Leurs figures indiquaient l’attention qu’ils donnaient au sermon, et aucun coup d’œil d’intelligence ne répondit au regard interrogateur et troublé que je jetais sur eux. Un pilier rond et massif qui était derrière nous pouvait avoir caché l’individu qui m’avait donné cet avis mystérieux : mais pourquoi le recevais-je dans un tel lieu ? contre quel genre de danger voulait-on me prémunir ? et quelle était la personne qui était chargée de me donner cet avis ? C’étaient autant de questions sur lesquelles mon imagination se perdait en conjectures. Cependant je pensai que l’avis serait répété, et je résolus de tenir mon visage tourné du côté du prédicateur, pour que la voix mystérieuse fût tentée de me réitérer sa communication, dans la crainte de n’avoir pas été entendue la première fois : mon plan réussit. Il n’y avait pas cinq minutes que j’avais repris l’attitude de l’attention, que la même voix répéta tout bas : Écoutez, mais ne vous retournez pas : (je tins ma tête dans la même position) ; vous êtes ici en danger, et moi aussi ; venez me trouver cette nuit sur le pont, à minuit précis ; restez chez vous jusqu’à la brune, et évitez de vous montrer. »

Ici la voix cessa, et je tournai immédiatement la tête, mais celui qui m’avait parlé, avec plus de promptitude encore, s’était glissé derrière le pilier et avait échappé à ma vue. J’étais résolu à tâcher de l’apercevoir, s’il était possible ; et me dégageant du cercle extérieur des auditeurs, je passai aussi derrière le pilier : il n’y avait plus rien, et je ne pus entrevoir qu’une figure (sans distinguer si le manteau qui la couvrait était celui de l’habitant des basses terres ou du montagnard) qui se perdit comme un fantôme dans le vide imposant des voûtes dont j’ai donné la description.

Je fis un mouvement machinal pour rejoindre la forme mystérieuse qui m’échappait et qui s’évanouit, au milieu du cimetière voûté, comme l’ombre des morts qui reposaient dans son enceinte. J’avais peu d’espoir d’arrêter la course d’un individu qui cherchait si évidemment à m’éviter, mais, avant d’avoir fait trois pas en avant du pilier, je perdis même toute chance d’y réussir, par une chute que je fis en heurtant contre quelque chose, dans l’obscurité, qui, cause de ma disgrâce, servit aussi à la cacher : circonstance que je dus regarder comme favorable, car le prédicateur, de ce ton d’autorité sévère que prennent les ministres écossais pour maintenir l’ordre et le silence dans leur auditoire, interrompit son discours pour ordonner au bedeau d’arrêter l’auteur du trouble qui venait de s’élever dans le lieu saint. Cependant le bruit n’ayant pas été répété, le bedeau ne jugea pas à propos de faire une recherche trop sévère du perturbateur ; de sorte que je pus, sans trop attirer l’attention, reprendre ma première place auprès d’André. Le service fut continué, et se termina sans aucune circonstance digne de remarque.

Lorsque l’assemblée se leva pour se retirer, mon ami André s’écria : « Tenez, vous voyez là-bas le digne M. Mac-Vittie, et miss Alison Mac-Vittie, et M. Thomas Mac-Fin, qui, dit-on, doit épouser miss Alison, s’il sait bien s’y prendre. Elle a beaucoup d’argent, si elle n’est pas belle. »

Mes yeux se dirigèrent du côté qu’il m’indiquait. Je vis dans M. Mac-Vittie un homme grand, maigre et d’un certain âge, avec des traits assez durs, des sourcils grisonnants fort épais, et à qui je trouvai une expression sinistre qui me repoussa. Je me rappelai l’avis que j’avais reçu dans l’église, et j’hésitai à m’adresser à cet individu, quoique je ne pusse m’alléguer aucun motif de méfiance ou d’aversion. J’étais encore en suspens, lorsque André, qui prit mon hésitation pour de la timidité, voulut m’exhorter à la mettre de côté. « Parlez-lui, parlez-lui, monsieur Francis ; il n’est pas encore prévôt, quoiqu’on dise qu’il doit l’être l’année prochaine… Parlez-lui donc ; il vous répondra honnêtement, tout riche qu’il est, à moins cependant que vous n’ayez besoin d’argent, car on dit qu’il est dur à la desserre. »

Il me vint immédiatement à la pensée que si ce négociant était réellement aussi intéressé et aussi avare qu’André me le représentait, j’aurais peut-être quelques précautions à prendre avant de me faire connaître à lui, ne sachant pas dans quel étal pouvaient se trouver ses comptes avec mon père. Cette réflexion vint à l’appui de l’avis mystérieux que j’avais reçu, et augmenta l’éloignement que m’avait inspiré la figure de cet homme. Au lieu donc de m’adresser directement à lui, comme je l’avais d’abord résolu, je me contentai de charger André d’aller s’informer chez M. Mac-Vittie de l’adresse d’un Anglais nommé Owen, et lui recommandai de ne pas parler de la personne qui lui avait donné cette commission, mais de m’apporter la réponse dans la petite auberge où j’étais logé. André promit de suivre mes ordres ; il me dit un mot sur l’obligation d’assister au service du soir, puis ajouta avec la causticité qui lui était naturelle « que, dans le fait, lorsque les gens ne pouvaient pas tenir leurs jambes tranquilles, ni se dispenser d’aller les heurter contre des pierres avec un bruit à réveiller les morts, ils faisaient tout aussi bien de dire leurs prières au coin du feu. »



  1. Plante amère. a. m.
  2. Walter Scott fait observer ici qu’il a vainement cherché le nom de cet ecclésiastique, mais que des publications périodiques pourront le révéler, comme elles ont découvert beaucoup de personnes et de faits auxquels il n’avait jamais pensé. a. m.