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Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Comme on voit la

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 152-157).
ode i.



COmme on voit la nauire attendre bien ſouuent
Au premier front du port la conduite du vent
Afin de voyager, hauſſant la voile enflée
Du coſté que le vent ſa poupe aura ſouflée :
Ainſi, Prince, ie ſuis ſans bouger attendant
Que ta faueur royale aille vn iour commandant
A ma nef d'entreprendre vn chemin honorable
Du coſté que ton vent luy ſera fauorable.
Car ſi tu es ſa guide, elle courra ſans peur
De trouuer deſſous l'eau quelque rocher trompeur,
Ou les bans perilleux des ſablonneuſes rades,
Ou l'aboyante Scylle, ou les deux Symplegades :
Mais ſeurement voguant ſans crainte d'abyſmer,
Ioyeuſe emportera les Muſes par la mer,
Qui pour l'honneur de toy luy monſtreront la voye
D'aller bien loin de France aux riuages de Troye,

Et là ſous les monceaux de tant de murs veincus
Deterrer le renom du fils d'Hector Francus:
Lequel en s'embarquant ſous ta conduite, Sire,
Au haure de Buthrote à la coſte d'Epire,
Deuiendra hazardeux au mileu des dangers
Des Gregeois ennemis & des flots eſtrangers,
Gaignant la mer Euxine, & l'emboucheure large
Où le cornu Danube en la mer ſe deſcharge:
Là contremont ſon eau, coſtoyant les Gelons,
Les Goths, les Tomiens, les Getes, les Polons,
Aborder en Hongrie, & là baſtir la ville
De Sicambre au giron d'vne plaine fertile.
Là, quittant la nauire à l'abandon des flots
Ie deuiendrois maçon, & chargerois mon dos
De mainte groſſe pierre aux compas agencée,
Pour aider à baſtir ſa ville commencée.
Mais quand deſia les murs ſeroient paracheuez,
Et qu'on verroit au ciel les Palais eſleuez,
Et quand plus les Troyens d'aſſeureroient à l'heure
Auoir là pour iamais arreſté leur demeure:
Las ! il faudroit quitter leur baſtiment ſi cher,
Et par deſtin ailleurs autres maiſons chercher.
Cerés vindicatiue à grand tort courroußée
Contre eux d'auoir ſans feu ſa chapelle laißée,
Gaſteroit la campagne & d'vn cœur deſpité
La famine eſpandroit par toute la cité.
Lors Hector repouſſant ſa charge ſepulcrale
(La nuict par le congé de la Royne infernale)
Prendroit en reſemblance & la bouche & les yeux
Et la voix d'Amyntor grand Augure des Dieux,
Et admoneſtroit ſon enfant d'aller querre
Deſſus les bords de Seine autre nouuelle terre,

Et que là pour l'honneur de ſon oncle Pâris,
Baſtiroit pour iamais la ville de Paris,
Ville que ſes neueux & ſa Troyenne race
Tiendroient de main en main pour leur royale place.
Il me ſemble deſia que i'oy de toutes pars
Deſloger ton Francus, & la voix des ſoldars,
Et le haniſſement des cheuaux, & la tourbe
Des vieux peres laiſſez ſur le riuage courbe,
Et le cry des enfans, & les pleurs ſoucieux
Des femmes enuoyer vn bruit iuſques aux cieux.
Mais pour cela Francus ne cede à la fortune,
Ains pratique guerrier ſes ſoldars importune
De veſtir le harnois, & haut apparoiſſant
Au milieu de ſon camp comme vn grand Pin croiſſant
Sur les menus Cyprez, ſaccage la campagne,
Et desfie au combat les Princes d'Allemagne.
Les champs de Franconie en armes il paſſa,
Et ſon nom pour iamais à la terre laiſſa:
Paſſa le Rhin Gaulois, la Moſelle, & la Meuſe,
Et vint planter ſon camp deſſus la riue herbeuſe
De Marne au cours tortu, & de là deſcendant
Où Seine de ſa corne vn trac ſe va fendant,
Fonda dedans vne iſle au milieu d'vne plaine
La ville de Paris, qui pour lors n'eſtoit pleine
Que de buiſſons & d'herbe, & ſes grands Palais d'or
Comme ils font auiourd'huy n'y reluiſoient encor.
Tous les Rois & Seigneurs de la Gauloiſe terre
A ſon premier abord luy manderent la guerre,
Et qu'ils ſeroient honteux, qu'vn pirate banny
Se remparoit ſans coups de leur pays garny
D'hommes & de cheuaux, qui plus-toſt que tempeſte
Vn orage ferré verſeroient ſur ſa teſte.

Mais luy qui reſembloit ſon pere courageux,
Ne pouuant endurer leurs propos outrageux,
Premier les aſſaillit & leur donna la fuite,
Ayant pris à Beuuais Bauo pour ſa conduite.
Preſques vn an entier contre eux il batailla,
Et mille fois en proye à la mort ſe bailla,
Tant il y eut de peine, ains que Francus en France
Semaſt de tes ayeux la premiere naiſſance !
De ce vaillant Francus les faits ie deſcrirois
Et apres ſes vertus les vertus ie dirois
Des Rois iſſus de luy, qui iuſqu'aux Pyrenées
En iuſqu'aux bords du Rhin les Gaules ont bornées,
Et braues ſe ſont faits par l'effort de leurs mains
De tributaires francs des Empereurs Romains.
Apres de pere en fils par vne meſme trace
Ie viendrois aux Valois les tiges de ta race.
Mais quand remply d'ardeur ie chanterois de toy,
Vn eſprit plus qu'humain me rauiroit de moy,
Et rien ſinon Phœbus & ſa fureur diuine
Ne pourroit reſpirer ma bouillante poitrine:
Ie m'irois abreuuer és ruiſſeaux Pegaſins,
Et m'endormant à part dans leurs Antres voiſins,
Ie ſongerois comment les Françoiſes Charites,
Hautes egaleroient mes vers à tes merites:
Et peut eſtre qu'vn iour ie te dirois ſi bien,
Que l'honneur d'vn Achille auroit enuie au tien,
" En vain certes en vain les Princes ſe trauaillent,
" En vain pour triompher l'vn à l'autre bataillent,
" Si apres cinquante ans fraudez de leur renom
" Le peuple ne ſçait point s'ils ont veſcu ou non.
Ce n'eſt rien (mon grand Roy) d'auoir Bolongne priſe,
D'auoir iuſques au Rhin l'Allemagne conquiſe,

Si la Muſe te fuit, & d'vn vers ſolonnel
Ne te fait d'âge en âge aux peuples eternel.
" Les Palais, les citez, l'or, l'argent & le cuiure
" Ne font les puiſſans Rois ſans les Muſes reuiure:
" Sans les Muſes deux fois les Rois ne viuent pas,
" Ains deſpouillez d'honneur ſe lamentent là bas
" Aux riues d'Acheron : ſeulement ceſte gloire
" Eſt de Dieu concedée aux filles que Memoire
" Conceut de Iuiter, pour la donner à ceux
" Qui attirent par dons les Poêtes chez eux.
Tout le riche butin toute la belle proye
Que les deux freres Grecs auoient conquiſe à Troye,
Eſt perie auiourd'huy, & ne cognoiſtroit t'on
Achille, ny Patrocle, Aiax, n'Agamemnon,
Ny Rheſe, ny Glaucus, ny Hector, ny Troile,
Et tant d'hommes vaillans perdus deuant la ville
Seroient comme de corps, de gloire déueſtus,
Si la Muſe d'Homere euſt celé leurs vertus:
Ainſi que vignerons qui ont és mains l'empoule
A force de becher, ſeroient parmy la foule
Des eſprits incognus, & leur vertu qui luit
Seroit enſeuelie en l'eternelle nuit.
Donques pour engarder que la Parque cruelle
Sans nom t'enſeueliſſe en la nuit eternelle,
Touſiours ne faut auoir à gage des maçons
Pour transformer par art vne roche en maiſons,
Et touſiours n'acheter auecques la main pleine
Ou la medale morte ou la peinture vaine:
Mais il fait par bien-faits & par careſſe d'yeux
Tirer en ta maiſon les miniſtres des Dieux
Les Poêtes ſacrez, qui par leur eſcriture
Te rendront plus viuant que maiſon ny peinture.

Entre leſquels (mon Roy) de ſi peu que ie puis,
Ton deuôt ſeruiteur dés enfance ie ſuis,
Comme le nouriſſon de ta grandeur proſpere,
Qui ſeule m'a nourry, mes freres, & mon pere.
Pour toy (mon Roy) pour toy, hardy i'entreprendrois
De faire en armes teſte à la fureur des Rois,
Et de rauir des poings à Iupiter la foudre:
Pour toy d'vn roide cours i'aueugleray de poudre
Les yeux de mes ſuyuans, s'il plaiſt à ta grandeur
(Si digne au-moins i'en ſuis) de me faire tant d'heur
Qu'vn iour me commander (d'vn ſeul clin) que ie face
Ma Franciade tienne, où la Troyenne race
De Francus ton anceſtre, où les faits glorieux
De tant de vaillans Rois qui furent tes ayeux,
Où meſmes tes vertus y luiront euidantes
Comme luiſent au Ciel les eſtoiles ardantes.
De Henry ſois Auguſtes & magnifique Roy.
Me chargeant de tel faix, liberal donne-moy
Honneurs, biens & faueurs, & pour la recompenſe
Ie t'appreſte vn renom & à toute la France,
Qui vif de ſiecle en ſiecle à iamais volera,
Tant qu'en France François ton peuple parlera.