Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Comme vn qui prend
Omme vn qui prend vne coupe,
Seul honneur de ſon treſor,
Et de rang verſe à la troupe
Du vin qui rit dedans l’or :
Ainſi verſant la rouſee,
Dont ma langue eſt arrouſee
Sur la race des Valois,
En ſon doux Nectar i’abreuue
Le plus grand Roy qui ſe treuue
Soit en armes ou en lois.
Heureux l’honneur que i’embraſſe,
Heureux qui ſe peut vanter
De voir le Thebaine grace
Qui ſa vertu veut chanter.
Ie vien pour chanter la tienne
Sur la corde Dorienne,
Des Charites ennobly,
Pour n’endurer que la gloire
De ta premiere victoire
Aille là bas ſous l’oubly.
De ce beau trait decoché,
Dy Muſe mon eſperance,
Quel Prince ſera touché
Le tirant parmy la France ?
Sera-ce pas noſtre Roy,
De qui la diuine oreille
Boira la douce merueille
Qui n’obeyſt qu’à ma loy ?
De Iupiter les antiques
Leurs eſprits embelliſſoient :
Par luy leurs chants poëtiques
Commençoient & finiſſoient,
Reſiouy d’entendre bruire
Ses loüanges ſur la Lyre :
Mais Henry ſera le Dieu
Qui commencera mon Hynne,
Et que ſeul i’eſtime dine
De la fin & du milieu.
» Le Ciel qui ſes lampes darde
» Sur ce Tout qu’il apperçoit
» Rien de ſi grand ne regarde
» Qui vaſſal des Rois ne ſoit :
» D’armes le Monde ils eſtonnent :
» Sur le chef de ceux ils tonnent
» Qui les viennent deſpiter :
» Leurs mains toute choſe attaignent
» Et les plus rebelles craignent
» Les Rois fils de Iupiter.
Mais du noſtre la grandeur
Les autres d’autant ſurpaſſe,
Que d’vn rocher la hauteur
Les flancs d’vne riue baſſe.
Puiſſe-il par tout l'Vniuers
Deuant ſes ennemis croiſtre,
Et pour ma guide apparoiſtre
Touſiours au front de mes vers.