Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Des-Autels, qui redore
Eſ-Autels, qui redore
Le langage François,
Oy ce vers qui honore
Mon terroir Vandomois.
O terre fortunée
Des Muſes le ſeiour,
Que le cours de l’année
Seréne d’vn beau iour.
En toy le Ciel non chiche
Prodiguant ſon bon-heur,
A de la Corne riche
Renuerſé tout l’honneur.
Deux longs tertres te ceignent,
Qui de leur flanc hardi
Les Aquilons contraignent,
Et les vents du Midi.
Sur l’vn Gaſtine ſainte
Mere des demi-Dieux,
Sa teſte de verd peinte
Enuoye iuſqu’aux Cieux :
Et ſur l’autre prend vie
Maint beau cep dont le von
Porte bien peu d’enuie
Au vignoble Angeuin.
Le Loir tard à la fuite
Et ſoy s’esbanoyant,
D’eau lentement conduite
Tes champs va tournoyant :
Et rend en prez fertile
Le pays trauerſé,
Par l’humeur qui diſtile
De ſon limon versé.
Bien qu’on n’y vienne querre
Par flots iniurieux
De quelque eſtrange terre
L’or tant laborieux :
Et la gemme peſchée
En l’Orient ſi cher,
Chez toy ne ſoit cherchée
Par l’auare nocher :
L’Inde pourtant ne penſe
Te veincre : car les Dieux
D’vne autre recompenſe
Te fortunent bien mieux.
La Iuſtice grand’erre
S’enfuyant d’ici bas,
Imprima ſur ta terre
Le dernier de ſes pas :
Et s’encore à ceſte heure
De l’antique ſaiſon
Quelque vertu demeure,
Tu es bien ſa maiſon.
Bref, quelque part que i’erre,
Tant le Ciel m’y ſoit dous,
Ce petit coin de terre
Me rira par-ſus tous.
Là ie veux que la Parque
Tranche mon fatal fil,
Et m’enuoye en la barque
De perdurable exil :
Là te faudra reſpandre
Maintes larmes parmi
Les ombres & la cendre
De Ronſard ton ami.