Roxane/45

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Éditions Édouard Garand (13p. 71-72).

CHAPITRE XXII

INUTILES TENTATIVES


Le soleil lui frappant les yeux éveilla Roxane, le lendemain matin. Vite elle se leva, puis, après s’être lavé le visage et les mains à l’eau du ruisseau, elle déjeuna. Ses provisions ne dureraient pas bien longtemps ; ce soir, demain, il n’en resterait plus rien… Elle se dit qu’elle tendrait des collets, pour prendre du menu gibier ; de plus, elle allait immédiatement se fabriquer une ligne et elle ferait la pêche dans la crique. Il devait y avoir là du poisson ; à défaut de gibier, le poisson ferait très bien son affaire.

Elle se mit à l’œuvre tout de suite : attachant solidement du galon rose (ses ex-liens) à une perche assez longue, elle mit, à son extrémité, une épingle recourbée qu’elle piqua fermement au galon. Les épingles ne seraient pas faciles à remplacer ; elle en trouva cinq sur sa personne et elle résolut d’en prendre bien soin.

Le soir même, Roxane essaya l’effet de sa ligne de pêche. L’attente fut longue, mais enfin, un poisson d’assez forte taille fut pris ; elle l’apprêta et le fit bouillir au-dessus d’un feu clair. Les allumettes aussi, il fallait les ménager, car, qui sait pendant combien de temps durerait son exil ?…

Durant le jour, la jeune fille se construisit un abri. Malgré la couverture de voyage, elle avait eu froid, la nuit précédente. Oh ! si elle avait pu trouver une grotte ! Mais les grottes étaient rares sur ces vastes plaines. Elle se dirigea donc vers le petit bocage, qu’il y avait, non loin, et de ce massif de pins rabougris elle se construisit une demeure. Les arbres étant assez rapprochés, elle en réunit les faîtes, qu’elle attacha ensemble, formant ainsi un dôme au-dessus de sa tête ; de cette manière, l’humidité de la nuit ne lui arriverait pas directement. Des aiguilles de pin entassées lui serviraient de lit.

La première nuit que Roxane passa dans sa nouvelle demeure fut très paisible et assez confortable. Le lendemain, elle se leva de bonne heure, car elle allait commencer une longue investigation dans les alentours ; elle essayerait de regagner le monde habité, vous le pensez bien ! Cependant, elle s’arrangerait de façon à ne pas risquer de s’égarer… S’égarer ?… Mais, ne l’était-elle pas égarée sur les immenses plaines de l’Alberta ?… Oui, sans doute ; mais elle ne voulait pas quitter l’endroit où se dressait la croix ; elle voulait y revenir, chaque soir. Et c’est pourquoi, tout en cheminant, elle enlèverait, avec son canif, l’écorce de certains arbres, et ces arbres écorchés marqueraient pour elle le chemin à prendre pour revenir à la croix.

Dans l’après-midi, Roxane résolut de partir en découverte ; elle se dirigea vers le nord. Bien longtemps, elle marcha mais enfin elle s’arrêta, n’osant s’aventurer plus loin, car bientôt, il ferait trop noir pour retracer ses pas. Elle regarda autour d’elle… Le paysage n’avait pas changé : toujours des broussailles, du fin foin, puis quelques arbres, éparpillés ici et là… Qu’avait-elle donc espéré trouver ?… La route de la liberté ?… Hélas ! pendant des milles et des milles s’étendent les plaines de l’Alberta ainsi que le désert, son aspect varie peu… Devant elle autour d’elle n’étaient que solitude et silence ; une solitude qui oppressait, un silence qui s’entendait…

Le lendemain et le surlendemain, elle essaya, mais en vain de regagner le monde habité… Alors, devant ces tentatives inutiles, un grand découragement s’empara de l’âme de la pauvre enfant. Elle comprit soudain combien terrible avait été la vengeance de Champvert !… S’il l’eut tuée, tout serait fini depuis sept jours maintenant… En face de l’avenir si affreux, si certain, Roxane fut presque désespérée, et c’est en pleurant qu’elle revint vers la croix…

Elle pensa à Hugues… Sans doute, Champvert avait laissé entendre à ses amis (à elle Roxane) qu’elle était morte… accidentellement, et c’est pourquoi ni le Docteur Philibert, ni son fiancé n’étaient encore venus à son secours !

De retour à son campement, Roxane s’agenouilla au pied de la croix et elle chanta pour se donner du courage :


Ô CROIX !


Au pied de cette croix rustique,
La nature redit, ce soir,
Un chant pieux comme un cantique,
Et qui remplit mon cœur d’espoir.


REFRAIN


 Sous la touffe de lierre
 À tes bras s’attachant,
 Ô croix, je te vénère
 Et t’adore humblement !


Du désert j’entends le silence…
Si, de frayeur, mon cœur s’étreint,
Ô croix, ma douce providence,
Je te regarde et ne crains rien.


À deux genoux je te supplie,
Ô croix, veuille bien m’exaucer ;
Conduis-moi bientôt, je te prie,
Dans les bras de mon fiancé !


Comme Roxane achevait de chanter, elle entendit un bruit singulier ; on eût dit l’aboiement d’un chien… Elle écouta… Oui, un chien aboyait au loin, mais il s’approchait à chaque instant, et, tout à coup, arriva un fox terrier, un de ces petits chiens blancs, au poil ras, aux oreilles noires et brunes ; une de ces petites bêtes auxquelles semblent s’appliquer ces paroles : « Ça ne parle pas et c’est juste ; ça comprend tout ce qu’on lui dit ».

Le fox terrier se dirigeait, toujours aboyant, vers le ruisseau. L’ayant atteint, il but avidement, puis venant vers Roxane, il se mit à tourner plusieurs fois autour d’elle, ensuite, il reprit le chemin par lequel il était venu, aboyant sans cesse et se retournant à chaque instant, comme pour inviter la jeune fille à le suivre…

Roxane hésita un moment… Suivrait-elle le chien ?… Où la conduirait-il ?… Il pourrait y avoir du danger pour elle… D’un autre côté, ce chien devait avoir un maître, et peut-être celui-ci avait-il besoin de secours ?

Résolue soudain, Roxane suivit le chien, qui prit la direction de l’ouest.