SYLVA SYLVARUM (trad. Lasalle)/Centurie VII

La bibliothèque libre.
Sylva Sylvarum
Centurie VII
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres8 (p. 388-528).

Centurie VII.
Observations sur les analogies et les différences qui existent entre les corps animés, et les corps inanimés.

601. Dans le chapitre qui aura pour objet spécial la vie, les esprits vitaux et les facultés vitales, nous donnerons des observations plus détaillées et plus approfondies sur les différences qui exis- tent entre les animaux et les corps inanimés ; sujet qui, dans cet article, ne sera que touché en passant. Ces différences peuvent être ramenées à deux chefs principaux : car, quoique tous les corps sans exception aient des esprits et des parties pneumatiques ; cependant il est, par rapport à ces esprits mêmes qui se trouvent également dans les uns et les autres, deux différences principales qui distinguent les corps de ces deux classes. Dans les corps organisés, ces esprits ne forment qu’un seul corps, dont toutes les Parties sont contiguës, et se répandent sans interruption dans toutes les ramifications des veines, des artères et des canaux les plus imperceptibles ; à peu près comme le sang ; avec cette circonstance toutefois, que les corps animés, outre ces rameaux où les esprits se répandent, ont certains réservoirs ou sièges principaux où réside leur portion la plus abondante et la plus active ; sièges d’où partent et où retournent sans cesse ceux qui se portent dans toutes les autres parties du corps. Au lieu que, dans les corps non-organisés, les petites parties de cette substance pneumatique sont séparées les unes des autres par les parties tangibles, isolées en quelque manière, et disséminées, comme l’air, proprement dit, l’est dans la neige. En second lieu, les esprits des corps organisés sont tous, plus ou moins, dans un état habituel d’inflammation, et ne sont, à proprement parler, qu’une combinaison délicate d’une flamme très subtile avec une substance de nature aérienne ; au lieu que ceux des corps non-organisés ne sont pas habituellement enflammés. Mais, en employant ce mot d’inflammation, nous n’entendons pas que cette différence entre les corps des deux espèces consiste uniquement en un degré plus fort ou plus foible de chaleur ou de froid, dont leurs esprits seroient susceptibles ; car le clou de girofle et les autres substances aromatiques, la naphte et l’huile de pétrole, etc. contiennent des esprits infiniment plus chauds que ne le sont ceux de l’huile, de la cire ou du suif ; cependant ils ne sont pas habituellement enflammés ; et lorsque les corps plus foibles et plus tempérés de cette dernière espèce s’enflamment, ils contractent une chaleur beaucoup plus grande que celle de ces autres corps inflammables, mais non enflammés actuellement ; sans compter la lumière et le mouvement qu’ils ont de plus[1].

602. Passons aux différences secondaires qui dérivent de ces deux différences radicales.

1°. Toute espèce de plante a une conformation particulière et une figure déterminée ; il n’en est pas de même des corps inanimés. La raison de cette différence est, que la configuration du corps organisé ne peut avoir lieu que jusqu’aux limites au-delà desquelles l’esprit ne peut s’étendre, sans que ses parties cessent d’être contiguës, et que les limites de cette contiguïté sont aussi les limites de la figure.

En second lieu, les plantes se nourrissent ; au lieu que les corps inanimés ne sont pas susceptibles de nutrition, mais seulement d’une sorte d’accrétion[2], et d’une véritable alimentation.

3. La durée d’une plante est bornée à une certaine période, où est renfermée toute sa vitalité ; période qui n’est point fixe pour un corps inanimé.

4°. L’espèce de chaque plante se propage et se perpétue par une succession régulière d’individus à-peu-près semblables, qui sortent les uns des autres ; ce qu’on n’observe point dans les corps inanimés.

603. Outre ces quatre différences que nous venons de marquer entre les plantes et les fossiles en général, il en est encore trois, qui distinguent les premières d’avec les métaux que nous classons parmi les corps inanimés.

1°. Les métaux sont de plus longue durée que les plantes. 2°. Ils sont aussi plus solides et plus durs. 3°. Ils sont renfermés dans le sein de la terre ; au lieu que les plantes sont en partie au-dessus de sa surface, et en partie au-dessous[3].

604. Il est peu de corps où l’on trouve réunis les caractères communs aux plantes et aux métaux (aux fossiles) ; le corail est la substance qui participe le plus de ces deux règnes : on peut y joindre le vitriol, qui est susceptible de s’accroître très sensiblement par l’humidité.

605. On observe aussi une certaine analogie entre les végétaux et les substances moisies ou putréfiées ; car toute substance putréfiée, dont la dissolution ne se termine pas par une totale dessiccation, se convertit ou en plantes ou en cette espèce d’animaux, susceptible d’une telle origine. La mousse, les champignons, l’agaric, etc. semblent n’être que des produits de la moisissure de la terre, de la surface des toits ou des murs, de l’écorce des arbres, etc. on sait aussi que la viande, le poisson et les plantes elles-mêmes, qui se moisissent, se putréfient, et en général se corrompent, engendrent beaucoup de vers ; tous ces produits de la putréfaction, qui ont de l’analogie avec les plantes, ne laissent pas d’en différer, en ce qu’ils ne se perpétuent et ne se propagent point par une succession régulière d’individus semblables, quoiqu’ils aient aussi une figure déterminée, une période fixe, où est renfermée leur vitalité, et la faculté de se nourrir.

606. J’avois laissé par hazard dans une chambre fermée, un citron coupé : il y resta pendant les trois mois d’été, temps où je fus toujours absent. À mon retour, je m’aperçus qu’il s’étoit formé sur la coupe de ce citron, et dans sa pulpe, une espèce de petite houppe, ou touffe de poils, de la longueur d’un pouce, surmontés de petites têtes noires, et ayant quelque analogie avec une petite touffe d’herbes.

Observations relatives soit aux analogies et aux différences observées entre les plantes et les animaux, soit aux êtres qui participent de ces deux règnes.

Les analogies et les différences qu’on observe entre les animaux et les végétaux, sont le sujet des trois numéros suivans.

607. Les uns et les autres contiennent des esprits qui sont dans un état habituel d’inflammation, et dont toutes les parties, contiguës les unes aux autres, se distribuent et se meuvent dans des canaux qui se ramifient à l’infini, avec cette différence toutefois que ces esprits, dans les animaux, ont des réservoirs et des sièges principaux qui ne se trouvent pas dans les plantes[4], comme nous l’avons déjà observé. 2°. Les esprits des animaux sont plus enflammés que ceux des plantes. Telles sont les deux différences radicales qui distinguent ces deux règnes. Quant aux différences secondaires qui en dérivent, les voici : 1°. les plantes sont fixées dans la terre ; au lieu que les animaux en sont séparés et comme isolés. 2°. Les animaux sont doués de la faculté loco-motive, dont les plantes sont privées. 3°. Les animaux se nourrissent par leurs parties supérieures, ordinairement par la bouche ; et les plantes, par leurs parties inférieures, nommément par leurs racines. 4°. Dans les animaux, la semence et les parties séminales sont en haut ; dans les plantes au contraire, elles sont en bas ; ce qui a fait dire avec autant d’élégance que de philosophie : que l’homme est une plante renversée. En effet, la structure de l’homme est à cet égard, l’inverse de celle d’une plante ; la racine étant dans les plantes ce que la tête est dans les animaux. 5°. Les animaux ont une figure moins vague et plus déterminée que les plantes. 6°. On observe une plus grande diversité dans les organes internes ; en un mot, dans la conformation intérieure des animaux, que dans celle des plantes. 7°. Les animaux sont doués de la faculté de sentir, qui a été refusée aux plantes. 8°. Les animaux ont des mouvemens volontaires, dont les plantes ne sont pas susceptibles.

608. Quant à la distinction des sexes, dans les plantes, on l’a du moins marquée par des dénominations dans plusieurs espèces ; par exemple : on distingue la pivoine mâle et la pivoine femelle ; le romarin mâle et le romarin femelle ; il en est de même du houx et de beaucoup d’autres. Mais la génération par voie d’accouplement, n’a jamais lieu dans les plantes[5]. Ce qui en approche le plus, c’est ce qu’on rapporte sur le palmier mâle et le palmier femelle : lorsqu’ils sont plantés l’un près de l’autre, nous dit-on, ils se penchent l’un vers l’autre, comme pour s’embrasser, Mais, pour les maintenir dans une attitude droite, et les empêcher de se pencher ainsi, on attache une corde qui va de l’un à l’autre ; et par le moyen du double contact de ce corps intermédiaire, ils jouissent sans peine de ce contact mutuel qu’ils désirent. Mais cette relation nous paroît fabuleuse, ou du moins fort exagérée, Quoi qu’il en soit, nous sommes très portés à croire que cette dualité[6] (ou combinaison de deux), composée d’un plus fort et d’un plus foible, et répondant à celle du mâle et de la femelle, se trouve dans tous les animaux. Quelquefois ses deux parties s’y trouvent confondues, comme dans les animaux nés de la putréfaction, dans lesquels on ne voit aucune apparence de sexe. Il est des espèces où le double caractère se trouve réuni dans chaque individu ; mais dans la plupart des espèces, cette distinction est marquée par des différences très sensibles, relativement à la force[7].

609. Les êtres qui participent des deux règnes, sont principalement ceux qui restent toujours fixés à la même place, étant destitués de tout mouvement local, quoique telles de leurs parties puissent se mouvoir : de ce genre sont les huitres, les pétoncles, etc. Si nous en croyons certaine relation, on trouve, dans les contrées septentrionales, une plante dont la figure a beaucoup d’analogie avec celle d’un mouton, et qui se nourrit d’herbe comme cet animal ; en sorte que toute la terre qui l’environne, se dépouille de végétaux, et reste nue : mais, selon tonte apparence, c’est la figure de cette plante qui a fait imaginer cette fable ; car nous voyons qu’il est aussi telle fleur dont la figure a de l’analogie avec celle d’une abeille ; analogie qui lui en a fait donner le nom. Quant à l’herbe dont elle paroît se nourrir, il se peut que cette plante, étant d’un grand volume et fort avide, pompe tous les sucs de la terre qui l’environne, affame les plantes qui l’avoisinent, et les fasse mourir.

Expériences et observations diverses sur les plantes.

610. Le figuier d’Inde, un an après qu’il est planté, courbe tellement ses branches vers la terre, qu’elles y prennent racine ; puis de ces racines naissent de nouvelles tiges, dont les branches se courbant encore, et prenant racine, produisent encore d’autres tiges ; et ainsi de suite, cet arbre se multipliant lui-même par des boutures spontanées, et formant bientôt à lui seul une espèce de forêt. La cause de cette multiplication si extraordinaire n’est autre que l’abondance de la sève et le peu de consistance du bois, qui fait que les branches de cet arbre n’ayant pas assez de roideur pour se soutenir, sont forcées, par leur propre poids, à s’incliner vers la terre. Les feuilles de cet arbre sont d’une largeur égale à celle d’un petit bouclier[8] ; mais son fruit n’est pas plus gros qu’une fève. La raison de ce dernier effet est, qu’un ombrage continuel tend à augmenter le volume des feuilles, ce qui est autant de perdu pour le fruit. Mais d’ailleurs, ajoute-t-on, ce fruit, quoique très petit, est d’une saveur fort agréable, qu’on doit attribuer à l’humor oléagineux et assez fluide, dont cet arbre est rempli, et qui est la véritable cause de l’extrême flexibilité de ses branches.

611. D’autres relations nous apprennent qu’on voit aux Indes une espèce d’arbres, dont les feuilles sont en petit nombre, mais d’un volume immense ; leur longueur étant de quatre pieds et demi, et leur largeur de trois : son fruit, ajoute-t-on, qui est d’une saveur exquise, naît de l’écorce même. Il se peut qu’il y ait des arbres dont la sève ait un mouvement si vif, qu’elle n’ait pas le temps de former un grand nombre de feuilles, ni ce pédicule ou cette queue qui, sur d’autres arbres, porte le fruit. Il faut convenir que les feuilles de nos arbres, comparées à celles-là, paroissent bien petites. Les plus grandes sont celles du figuier ; puis celles de la vigne, du mûrier, du sycomore. Les plus petites sont celles du saule, du bouleau, de l’épine. Mais quelques-unes de nos plantes ont des feuilles dont le volume excède celui des plus grandes feuilles d’arbres. Tels sont entr’autres la bardane, la citrouille, le concombre, le chou, etc. La cause des deux effets que nous envisageons actuellement, cause qui ne diffère point de celle que nous avons assignée pour expliquer les phénomènes exposés dans le n°. précédent, n’est autre qu’une pousse extrêmement hâtive, et occasionnée par l’éruption d’une sève très abondante et très active.

612. Il est trois substances fréquemment employées, à cause de leur saveur douce ; savoir : le sucre, le miel et la manne. Quant au sucre, il étoit peu connu des anciens, et ils en faisoient rarement usage. On le tire de cette espèce de roseau connu aujourd’hui sous le nom de canne à sucre. Reste à faire de nouvelles observations pour savoir si c’est le pretier nœud, ou le dernier, où tout autre qui le donne[9]. Peut-être seroit-il possible de tirer aussi du sucre de l’écorce de la canne. Quant au miel, suivant l’opinion commune, ce sont les abeilles qui le font, ou le recueillent. Cependant un agricole très attentif et très digne de foi, m’a assuré que la cire est l’unique objet du travail des abeilles ; qu’au commencement de mai, les gâteaux des ruches sont tout-à-fait vuides de miel ; mais qu’ensuite, dans l’espace de quinze jours, et vers ce temps où tombent des rosées douces, ils se remplissent entièrement. Quelques anciens auteurs parlent d’un arbre qui croît dans les vallées de l’Hyrcanie, d’où distille tous les matins une sorte de miel, et auquel ils donnent le nom d’occhus. Il se peut qu’en effet la sève ou les larmes de certains arbres aient une saveur douce[10]. Je présume aussi que des sucs tirés par expression de certains fruits fort sucrés et tenus sur le feu pendant un temps suffisant, acquerroient ainsi la consistance du miel, peut-être même celle du sucre, et pourroient être employés aux mêmes usages. Les fruits sur lesquels on pourroit tenter cette expérience avec le plus de succès, sont les raisins desséchés par l’insolation, les figues et les groseilles[11]. Quant au procédé À suivre pour parvenir à ce but, il sera facile de le découvrir par des essais multipliés en ce genre.

613. Dans une de ces contrées qui bordent le golfe persique, on voit un certain arbre qui croît dans le sable même du rivage, et qui ne se nourrit que d’eau salée. Ses racines, qui paroissent à découvert pendant le reflux, semblent avoir été corrodées par le sel ; il les enfonce assez avant dans le sable, et s’y cramponne comme un crabe ou une écrevisse : cet arbre, quoique planté dans un sol fort ingrat, ne laisse pas de donner quelque fruit. Pour vérifier ce fait par quelque tentative du même genre, il faudroit planter dans le sable quelque arbre capable de résistance, comme un cormier ou un sapin.

614. Certains végétaux fournissent à l’homme des matières pour ses vêtemens ; tels sont le chanvre, le lin, le cotonnier, les orties (dont on fabrique ce qu’on appelle la toile d’ortie), et celui qui fournit cette substance filacée connue chez les latins sons le nom de sericum, espèce de soie végétale. On tire aussi de l’écorce du tilleul une matière dont on fait des cordes. C’est ordinairement la tige de la plante qui fournit la matière filacée ; et quelquefois aussi on la tire d’une espèce de duvet ou de bourre qu’on trouve sur l’écorce.

615. Dans certaines contrées croît une plante dont la fleur, qui est d’une couleur peu différente de celle de la rose, se ferme la nuit, s’ouvre le matin, et s’épanouit entièrement à midi ; les habitans l’appellent la dormeuse : il y auroit donc beaucoup de ces dormeuses ; car presque toutes les plantes en font à peu près autant.

616. Il y a des plantes, quoiqu’en petit nombre, dont les racines sont couvertes d’une sorte de mousse on de duvet cotonneux ; et d’autres, sur lesquelles on trouve de longs poils assez semblables à ceux d’une barbe. De ce genre est la mandragore, dont les charlatans se servent pour faire illusion. En la taillant avec un peu d’adresse, ils en forment une figure qui a quelque chose d’effrayant ; prenant la racine pour faire la face, d’où ils laissent pendre jusqu’aux pieds ces longs poils qui, ainsi placés, ont l’air d’une longue barbe. On trouve aussi dans l’île de Crète une espèce de nard (plante qui entre dans la composition de la thériaque), dont la racine est couverte de longs poils semblables à ceux d’un pigeon patu, Ainsi, on voit qu’il y a des racines bulbeuses, des racines fibreuses (filamenteuses), et des racines velues. Pour expliquer ces différences, on peut supposer que les racines bulbeuses ont une tendance très forte à s’approcher de l’air extérieur et du soleil ; que les racines filamenteuses se plaisent davantage dans la terre ; ce qui les détermine à jeter leurs fibres vers le bas : enfin, que les racines velues tiennent le milieu entre les deux premières espèces ; qu’en conséquence, en se portant vers le haut et vers le bas, elles s’étendent aussi latéralement et dans tous les sens.

617. On voit quelquefois les larmes de certains arbrisseaux ou arbustes, pendre à la barbe des chèvres. Selon toute apparence, lorsqu’elles broutent ces végétaux, sur-tout le matin ; temps où ils sont couverts de rosée, et où ces larmes sortent, cette substance visqueuse s’attache à leur barbe ; ce qui s’applique sur-tout à celle qui transude d’une variété du laudanum.

618. Si nous devons en croire quelques auteurs anciens, un plane (ou platane) qu’on arrose de vin, devient fécond. On pourroit tenter la même expérience sur des racines[12] ; car cette liqueur, comme nous l’avons observé dans une des centuries précédentes, n’a presque point d’action sur les semences.

619. La plus sûre méthode pour conserver les plantes exotiques qu’on veut transporter de pays fort éloignés dans nos contrées, c’est de les renfermer dans des vaisseaux de terre parfaitement clos ; et lorsque ces vaisseaux ont peu de capacité, de faire quelques trous à leur fond, pour donner un peu d’air à ces plantes ; car je présume que, sans cette précaution, elles mourroient et seroient comme suffoquées.

620. J’avois un vieux pied de cinnamome[13] que je n’arrosai point tant qu’il végéta. Tout ce qui est utile aux autres plantes lui étoit nuisible : par exemple, dans un temps humide, il languissoit ; et lorsqu’il étoit environné d’un grand nombre d’arbustes d’autres espèces, ce qui ordinairement est nuisible aux végétaux, il prospéroit. Le soleil lui étoit aussi contraire. Pour assigner une cause qui, en embrassant tous ces effets, puisse en rendre raison, on peut dire qu’apparemment il faut très peu de nourriture à cette plante. Quoi qu’il en soit, il faudroit tourner son attention vers la casse, que les modernes ont substituée au cinnamome ; afin de voir si elle ne présenteroit pas quelque phénomène de cette nature.

621. Suivant un ancien auteur, après avoir cueilli la casse, on la met dans des peaux d’animaux récemment écorchés : ces peaux, en se putréfiant, engendrent des vers qui rongent la moelle de cette casse, et la rendent creuse comme nous la voyons ; ces vers ne touchent point à l’écorce à cause de son amertume.

622. Il paroît que les vignes d’autrefois étoient beaucoup plus grandes que celles d’aujourd’hui, puisqu’on en pouvoit faire des coupes et de petites statues représentant le dieu Jupiter. Selon toute apparence, c’étoient des vignes sauvages ; car, toutes ces façons qu’on donne aux vignes destinées à faire du vin, ces rayons qu’on creuse, la taille fréquente, l’ébourgeonnement, les labours multipliés, etc. font que la sève se porte presque toute dans la grappe ; ce qui est autant de perdu pour le bois, qui ne peut ainsi acquérir un certain volume. Ce bois se conserve fort long-temps. Et ce qui semble plus étonnant, c’est que ce même bois, qui est si fragile lorsqu’il est sur pied, devienne si fort lorsqu’il est sec ; et le soit tellement, que, dans les armées romaines, les officiers s’en servissent comme de canne[14].

623. On dit que, dans certaines contrées, on laisse ramper les vignes comme certaines plantes herbacées, et que leurs grappes sont beaucoup plus grosses que celles des vignes échaladées. Peut-être si on laissoit ainsi ramper les autres plantes, arbrisseaux, ou arbustes à rameaux sarmenteux, auxquels on donne ordinairement un appui, porteroient-ils de plus gros fruits, ou de plus grandes feuilles ; expérience qu’on pourroit faire sur le houblon, le lierre, le chèvre-feuille, etc.

624. Pour conserver fort long-temps des coings, des pommes, etc. il suffit de les tenir plongés dans du miel ; mais comme l’excessive douceur de cette substance leur donneroit peut-être une saveur fastidieuse, on pourroit mettre ces fruits dans du sucre pulvérisé, ou dans du résiné ; ou enfin dans du vin cuit et réduit au huitième ; épreuve qu’on pourroit également faire sur des oranges, des citrons, etc. Ce sucre pulvérisé, ou ce vin cuit, etc. pourroit servir plusieurs fois[15].

625. Un autre moyen qu’on pourroit employer pour conserver des fruits, ce seroit de les mettre dans des vaisseaux remplis de sable ou de craie pulvérisée ; ou encore de son, de farine, de sciure de bois, etc.[16].

626. Une autre attention nécessaire pour conserver ces fruits, c’est de les cueillir avant qu’ils soient tout-à-fait mûrs, par un temps serein, vers l’heure de midi, lorsque le vent n’est pas au sud, et durant le décours de la lune.

627. Prenez des grappes de raisin bien saines ; suspendez-les dans un vaisseau vuide et parfaitement clos ; et placez ce vaisseau, non dans une cave, comme on le fait souvent, mais dans un lieu sec. On dit qu’ils se conservent fort longtemps par ce moyen. On prétend qu’ils se conserveront encore mieux, si on les suspend dans un vaisseau, en partie rempli de vin, et de manière qu’ils ne touchent pas à la liqueur.

628. Tout ce que vous pourrez faire, nous dit-on, pour conserver le pédicule ou la queue, sera au profit de la grappe (et en général du fruit), sur-tout si vous insérez cette queue dans la moelle d’un sureau, et de manière que le sureau ne touche pas au fruit.

629. Un auteur ancien prétend que des fruits renfermés dans des bouteilles bien bouchées, qu’on tient plongées dans l’eau d’un puits, se conservent fort longtemps[17].

630. Parmi les plantes herbacées et celles des autres classes, il en est qu’on peut manger crues, telles que la laitue, le céleri, la chicorée sauvage, le pourpier, l’estragon de jardin, le cresson, le concombre, le melon ordinaire, le melon d’eau, la rave, le radix, etc. D’autres ne sont comestibles que bouillies, rôties, etc. De ce genre sont le persil, l’orvale, la sauge, la carotte, le panais, le navet, le chou, l’asperge, l’artichaud, etc. le dernier toutefois peut être mangé cru, lorsqu’il est encore très petit et très tendre. Mais il est un grand nombre de plantes qu’aucune préparation ne peut rendre comestibles ; telles que l’absynthe, les gramen, le bled verd, la centaurée, l’hyssope, la lavande, le baume, etc, La raison de cette différence est, qu’il manque aux plantes de cette dernière classe, deux genres de saveurs, auxquelles est inhérente la faculté nutritive ; savoir : la saveur grasse et la saveur douce ; et qu’elles ont au contraire une saveur amère ou âcre, etc. ou des sucs trop crus, pour qu’aucun genre de préparation puisse les mûrir au point d’en faire des substances alimentaires. Généralement parlant, les plantes et les fruits comestibles ont ces deux saveurs dont nous parlons, soit l’une on l’autre, soit toutes les deux ; par exemple, elles se trouvent dans l’oignon, la laitue, etc.[18]. Mais il paroît que cette onctuosité requise, et en effet résidante dans toutes les substances douces et alimentaires, ne doit pas être grossière, épaisse et de nature à charger trop l’estomac ; car, quoique le panais, le porreau, par exemple, soient assez onctueux ; cependant, comme cette onctuosité est pesante, ces deux légumes ne deviennent vraiment comestibles qu’après avoir été atténués par la coction, Il faut de plus que la substance des plantes destinées à servir d’alimens, soit un peu tendre. Par exemple, le bled, l’orge, l’artichaud, etc. ne deviennent de bons alimens qu’après avoir été amollis par le feu. Quant à la rave et à l’estragon de jardin, ce sont plutôt des assaisonnemens que des alimens[19]. Enfin, il est d’autres plantes non comestibles, dont on ne laisse pas de composer des liqueurs potables : de ce genre sont le houblon, le genet, etc. Tentez, dans ces mêmes vues, différentes expériences, pour savoir quelles sont les autres plantes dont on pourroit tirer le même parti. Peut-être, si l’on parvenoit à faire de bonne bière, en y faisant entrer moins de drèche, s’épargneroit-on une grande partie du travail pénible du brassage, ou cette boisson seroit-elle plus de garde.

631. Les parties les plus nutritives des plantes sont les semences, les racines et les fruits ; mais sur-tout les racines et les semences ; car les feuilles ne fournissent point ou presque point de substance alimentaire ; et il en est de même des fleurs, des tiges et des branches. La raison de cette différence est que, toutes les plantes étant, en grande partie, composées d’un humor oléagineux, combiné avec un humor aqueux, les racines, les semences et les fruits contiennent plus de substance oléagineuse ; et les feuilles, les fleurs, etc. plus de substance aqueuse. En second lieu, ces parties que nous jugeons plus nutritives, ont subi une concoction ou digestion plus parfaite : les racines, par exemple, qui sont renfermées dans le sein de la terre, y sont fomentées, amollies et digérées par cette terre même ; et la concoction des semences, ainsi que celle des fruits, dure six mois, ou plus ; au lieu que les feuilles, au bout d’un mois, sont entièrement formées et portées à leur perfection.

632. Dans la plupart des végétaux, la saveur et l’odeur des semences sont plus fortes que celles des racines. La cause de cette différence est, que la force de toute plante qui ne contient pas des esprits très actifs et très vigoureux, est augmentée par la concoction et la maturation, qui est toujours plus parfaite et plus complète dans la semence ; au lieu que, dans les plantes dont les esprits n’ont de force et d’activité, qu’autant qu’ils demeurent renfermés dans les racines, ces esprits s’affoiblissant et se dissipant dès qu’ils sont exposés à l’action du soleil et de l’air extérieur, cette dernière cause ôte plus de force aux semences que la concoction ne leur en donne. C’est ce dont on voit des exemples dans l’oignon, l’ail, l’estragon, etc. De plus, dans certaines plantes, tel que le gingembre, quoique la racine soit de nature chaude et aromatique, la semence ne laisse pas d’être presque insipide ; toujours par la même raison, parce que la chaleur de ces plantes étant de nature à se dissiper aisément, elle ne conserve toute sa force qu’autant qu’elle est retenue dans les racines et en perd la plus grande partie si-tôt qu’elle se trouve exposée à l’action de l’air extérieur.

633. Les sucs des différentes espèces de fruits sont ou oléagineux (huileux), ou aqueux : or, je qualifie d’aqueux tous ces fruits dont on tire des boissons par voie d’expression ; tels que les raisins, les pommes, les poires, les cerises, les grenades, etc. Il en est beaucoup d’autres qu’on n’est pas dans l’habitude d’employer à cet usage, mais qui paroissent être de même nature, et dont par conséquent on pourroit tirer le même parti. De ce genre sont les prunes, les mûres, les cormes, les framboises, les oranges, les citrons, etc. Quant aux fruits trop charnus et trop secs, pour qu’on puisse en tirer des boissons immédiatement et par voie d’expression, on pourroit suppléer à l’humor qui leur manque, en y mêlant de l’eau. Par ce moyen fort simple, on composeroit peut-être de nouvelles boissons avec les baies de l’épine blanche et de l’églantier. Les fruits qui ont des sucs oléagineux, sont les olives, les amandes, les noix de toute espèce, les pommes de pin ; et ces sucs sont tous inflammables. On doit observer de plus, qu’il est des sucs aqueux qui acquièrent cette propriété, lorsque la fermentation les a rendus spiritueux ; tel est entr’autres le vin[20]. Il est une troisième classe de fruits dont la saveur est douce et sans aucune teinte d’ acidité ou de qualité oléagineuse ; tels que les figues, les dates, etc.

634. On a observé que la plupart des arbres qui portent des glands, des faines, ou autres productions analogues, ne rapportent que de deux années l’une. La cause de cette moindre fécondité n’est autre que l’excessive dissipation de la sève ; car on sait que des arbres de jardin, bien cultivés, rapportent tous les ans.

635. Il n’est point d’arbre qui, outre son fruit naturel, donne autant de fruits bâtards que le chêne ; car on y trouve, outre les glands, la noix de galle, proprement dite, la fausse galle, une espèce de noix dont la substance est inflammable, une sorte de baie adhérente au corps même de l’arbre et sans pédicule : enfin, il produit aussi le gui, quoique fort rarement. On peut regarder comme la véritable cause de cette diversité de productions, la substance serrée et compacte du bois, et sur-tout du cœur de l’arbre, qui, en ralentissant le mouvement de la sève, donne aux sucs de différente espèce le temps de s’ouvrir différentes issues. Ainsi, les vrais moyens de produire des superfétations végétales, sont tous ceux qui tendent à faire monter la sève en plus grande abondance et à en rendre la sortie plus difficile.

636. Il est deux genres d’excroissances qui se forment sur les arbres, et que nous classons également parmi les champignons : l’une, qui étoit connue chez les Latins sous le nom de boletus (mousseron), et qui passoit pour un mets délicat, se trouve ordinairement sur les racines du chêne : l’autre, connue aujourd’hui sous le nom d’agaric, et dont on fait usage en médecine, paroît ordinairement sur les parties hautes des arbres de cette espèce ; on dit toutefois qu’on en trouve aussi sur les racines. On peut conjecturer que toutes ces excroissances naissent ordinairement sur les parties inertes ou languissantes des arbres ; car, lorsque la sève naturelle d’un arbre se putréfie ou se corrompt, elle doit alors produire des substances toutes différentes de celles qu’elle produit ordinairement.

637. Dans la plupart des arbres, ce sont ordinairement les branches les plus basses qui rapportent le plus, et qui donnent les meilleurs fruits. De ce genre sont le chêne, le figuier, le noyer, le poirier, etc. Dans quelques autres, tels que le pommier sauvageon, ce sont les branches les plus élevées qui l’emportent par la quantité et la qualité des fruits. Or, ces arbres où les branches inférieures ont l’avantage à ces deux égards, sont ceux auxquels l’ombre est plus utile que nuisible ; car, généralement parlant, les fruits qui se trouvent le plus bas sont les meilleurs ; la sève étant moins épuisée, et son action étant moins affoiblie lorsqu’elle y parvient, vu qu’elle a moins de chemin à faire pour y arriver. Et c’est en vertu de cette même cause que, dans les arbres d’espalier, les plus gros fruits se trouvent sur les branches les plus basses, comme nous l’avons déjà observé. Ainsi, dans les arbres de plein vent, ce sont les branches supérieures qui offusquent les branches inférieures ce dont il faut toutefois excepter les arbres qui aiment l’ombre ou qui du moins la supportent aisément. Ainsi, cette règle ne s’applique qu’aux arbres d’une grande force tels que le chêne ou à ceux qui ont de larges feuilles, comme le noyer et le figuier ou enfin, à ceux qui ont une forme pyramidale, comme le poirier. Mais, dans les arbres qui demandent beaucoup de soleil, les branches les plus élevées sont celles qui rapportent le plus ; et de ce genre sont le pommier (franc ou sauvageon), le prunier, etc.

638. Parmi les différentes espèces d’arbres, il en est qui, en commençant à vieillir, rapportent davantage ; tels sont entr’autres l’amandier, le poirier, la vigne et en général tous les arbres qui donnent des glands, des faines, ou autres productions analogues ; ce qui peut s’expliquer ainsi : les arbres à gland et autres de ce genre, ont des fruits de nature oléagineuse ; au lieu que les jeunes arbres de cette classe ont des sucs de nature un peu trop aqueuse, et dont la concoction ou digestion n’est pas encore assez avancée. Il en faut dire autant de l’amandier. Et il en est de même du poirier ; quoique son fruit ne soit pas oléagineux, cependant il demande une sève abondante et parfaitement digérée ; ce fruit ayant beaucoup plus de suc et de poids que ceux du pommier, du prunier, etc. Quant à la vigne, je lis dans certains auteurs qu’elle donne plus de raisin lorsqu’elle est jeune, mais de meilleur vin lorsqu’elle est vieille ; parce que, dans ce dernier cas, la concoction de ses sucs est plus parfaite. Mais, dans la plupart des espèces, ce sont les plus jeunes sujets qui rapportent le plus, et qui donnent les meilleurs fruits.

639. Certains végétaux, lorsqu’on les coupe transversalement ou longitudinalement, rendent une sorte de lait ; de ce genre sont le figuier, les vieilles laitues, le laiteron, la tithymale, etc. ce qu’on peut attribuer à un commencement de putréfaction, attendu que ces substances laiteuses qu’on seroit tenté de prendre pour des lénitifs, ont au contraire une acrimonie assez sensible car si l’on s’en sert pour écrire sur du papier, les lettres ne paroissent pas d’abord, et ne deviennent visibles qu’au moment où on les approche du feu parce qu’alors elles prennent une couleur brune[21] couleur qui décèle la nature âcre et mordicante de ce suc. On croit communément que la laitue, assez vieille pour rendre du lait, est un vrai poison. La tithymale est aussi un poison reconnu. Quant au laiteron, quoique les lapins le broutent, cependant le gros et le menu bétail le rebutent. Ajoutez que ces substances laiteuses, mises sur des verrues, les font disparoitre peu à peu, ce qui décèle suffisamment leur nature corrosive. De plus, si, après avoir semé du froment ou toute autre espèce de grains, on le déterre avant qu’il ait levé, on le trouve tout rempli d’une sorte de lait. Or, le commencement de toute germination n’est, en quelque manière, que la putréfaction de la semence[22]. L’euphorbe contient aussi une substance laiteuse, qui est d’un blanc peu éclatant, et qui ne laisse pas d’avoir une acrimonie très marquée. Il en est de même de la chélidoine, dont le lait est jaune, et n’en est pas moins âcre, comme le prouve la propriété qu’elle a d’éclaircir la vue, et de provoquer l’évacuation des matières catharreuses.

640. On dit que les champignons ne croissent pas moins sur le tronc et les branches des arbres que sur leurs racines ou sur la terre, ce qu’il faut surtout appliquer au chêne ; car les arbres d’une certaine force sont pour les excroissances de ce genre une sorte de terre, de sol, et c’est en vertu de cette analogie qu’ils produisent de la mousse, des champignons, etc.

641. Il est peu de plantes qui contiennent un suc de couleur rouge dans leurs feuilles ou leurs épis comme l’arbre dont on tire la gomme de sandragon, et qui croit principalement dans l’isle de Socotra. L’amaranthe est d’un rouge foncé dans toutes ses parties sans exception il en est de même du bois de brésil et du bois de sandal. Quant à l’arbre qui donne le sandragon, il a la forme d’un pain de sucre. Il paroît que la concoction de la sève de cet arbre s’opère dans le tronc et les branches ; car, quoique le suc de la grenade et d’une certaine espèce de raisin soit rouge, les larmes des arbrisseaux qui produisent ces deux espèces de fruits, ne laissent pas d’être vertes. On doit attribuer à cette même cause la forme pyramidale de l’arbre qui donne le sandragon, forme qui annonce que sa sève ne se porte pas en très grande quantité, ni avec beaucoup de vitesse, dans les parties hautes, sans compter que cette gomme est astringente ; nouvel indice d’un mouvement assez lent.

642. Certaines relations nous apprennent qu’on trouve quelquefois sur le peuplier, ainsi que sur le pommier sauvageon, ce genre de mousse dont l’odeur est agréable : or, l’écorce du peuplier, qui est ordinairement fort lisse et fort unie, produit peu de mousse. Celle qu’on trouve sur le larix (ou mélèse) exhale aussi une odeur suave, et étincelle lorsqu’on la brûle. Pour se mettre en état de multiplier à volonté les mousses de ce genre, il faudroit tourner son attention vers les arbres dont le bois est odoriférant, tels que le cèdre, le cyprès, l’aloës.

643. Les anciens ont observé que la mort la plus douce est celle qui est l’effet du poison de la ciguë ; et telle étoit la peine capitale chez les Athéniens, nation pleine d’humanité[23]. La piqûre d’un aspic, moyen qu’employa Cléopâtre pour se donner la mort, a des effets très analogues : la cause de cette mort si douce, dans les deux cas, est que ces tourmens qu’éprouvent quelquefois les mourans, sont l’effet de la lutte violente des esprits ; au lieu que la vapeur de ces substances dont nous parlons, assoupissant par degrés ces esprits, procure ainsi un genre de mort fort semblable à celui d’un vieillard décrépit, en qui la vie s’éteint peu à peu. Celle qu’on se procure par le moyen de l’opium, est un peu plus douloureuse, parce que cette substance contient des principes de nature chaude.

644. Certains fruits acquièrent une saveur douce, mène avant leur maturité ; de ce nombre est le myrobolan : il en est de même des semences de fenouil, qui sont également douces ; il en est d’autres auxquels leur maturité même ne donne jamais une saveur douce ; tels sont le tamarin, l’épine-vinette, les pommes sauvages, les prunelles, etc. ce qu’on peut expliquer en supposant que les fruits ou semences de la première espèce contiennent des esprits très abondans et très atténués, qu’on doit regarder comme la véritable cause de cette saveur douce qu’ils acquièrent si-tôt ; au lieu que ceux de la dernière classe ont des sucs froids et acides, que l’action du soleil, quelle que soit sa force et sa durée, ne peut jamais convertir en substance douce. Quant au myrobolan, il contient des principes de nature opposée ; car il est tout-à-la-fois doux et astringent.

645. Il est peu de végétaux dont la substance ait naturellement la saveur du sel ; au lieu que le sang, dans tous les animaux, a cette saveur ; et telle peut être la cause de cette différence. Quoique le sel soit un des principes élémentaires de la vie, même dans les plantes, cependant il ne leur est point assez essentiel pour que la saveur qui lui est propre, y devienne la saveur principale et dominante : on en trouve assez d’amères, d’aigres, de sucrées, d’âcres, etc. jamais de salées. Quant aux animaux, ces saveurs fortes dont nous venons de faire l’énumération, se trouvent aussi dans tels de leurs liquides, mais rarement dans leur chair, dans leurs solides ; et même cette salure du sang n’est qu’une salure très légère et très foible. Cependant on trouve, jusqu’à un certain point, cette saveur dans certaines plantes, telles que l’algue, le fenouil marin, ou crète marine, etc. On dit que dans certains parages de la mer des Indes, on voit une plante herbacée, à laquelle les Indiens donnent le nom de salgaz, qui reste toujours à flot, et qui, en se répandant sur les eaux dans un fort grand espace, y forme une sorte de prairie. Au reste, il est certain qu’on extrait, des cendres de toutes les plantes, des sels dont on fait ou peut faire usage en médecine.

646. Un auteur ancien parle d’une plante toute hérissée d’épines, qui croit dans l’eau, et à laquelle il donne le nom de lincostis : il ajoute que sur les feuilles de cette plante naît une plante d’une autre espèce[24], ce qu’il attribue à une certaine quantité d’humor aqueux, qui se ramasse entre ces épines, et qui, putréfié par l’action du soleil, est susceptible de germer : mais je me souviens d’avoir vu une singularité du même genre ; savoir : une rose naissant d’une autre rose, et assez semblable à cette espèce de chèvre-feuille, connu en Angleterre sous le nom de hunier ou de perroquet[25].

647. On sait que l’orge, destiné à faire de la bière, après qu’on l’a fait macérer pendant trois jours, puis séché, enfin, répandu sur un plancher sec, y germe, et lève de la longueur d’un demi-pouce ; accroissement d’autant plus sensible, qu’on le retourne et le remue moins souvent, ce qui dure jusqu’à ce que toute sa force soit épuisée. Le froment, traité de la même manière, présente le même phénomène. Faites un essai de ce genre sur les pois et les fèves. Il ne faut pas confondre cette expérience avec celle de l’immortelle, qui végète hors de terre, et dont nous avons parlé dans la première centurie ; car cette immortelle ne se nourrit que de ses propres sucs, et ne vit que de sa propre substance, sans aucune addition de substance aqueuse ou terrestre ; au lieu que cet orge tire visiblement sa nourriture de l’eau où on l’a fait tremper. Ces expériences mériteroient d’être poussées plus loin ; car il suit évidemment de tout ce que nous venons de dire, que la terre n’est pas absolument nécessaire pour la germination et la première pousse des plantes : on sait, par exemple, que les boutons de rose, mis dans l’eau, s’y épanouissent. Ainsi, il faudroit faire quelques tentatives en ce genre, afin de voir si, à l’aide de l’eau seule, en y ajoutant tout au plus un peu de terre, on ne pourroit pas porter beaucoup plus loin la germination et l’accroissement de ces graines ; par exemple, jusqu’à la formation de l’herbe, et même jusqu’à la floraison. Si ces expériences avoient le succès que nous supposons, réunies avec celles dont nous venons de parler, je veux dire avec celle de la drèche et celle des roses, elles prouveroient que ces végétaux prennent un accroissement plus rapide dans l’eau seule que dans la terre seule, parce qu’elles tirent plus aisément leur nourriture de la première de ces deux substances que de la dernière ; elles serviroient aussi à confirmer ce que nous avons avancé dans la même centurie ; savoir : que la bière et la viande, combinées ensemble par cette espèce d’infusion dont nous avons indiqué le procédé dans cette centurie, nourrissent mieux que ces deux alimens séparés, et pris l’un après l’autre, comme on le fait ordinairement. Enfin, après avoir fait cette expérience sur des grains et des semences de toute espèce, faites-la aussi sur des racines. Par exemple : faites macérer un navet dans de l’eau pure, pendant un temps un peu long, puis essuyez-le, et voyez s’il germe.

648. Cet orge dont on fait la drèche, se gonfle dans cette opération ; et son volume s’accroit à tel point, qu’après sa germination et sa dessiccation, il augmente d’un boisseau sur huit ; en supposant même qu’on ait déjà enlevé les parties excédentes que la germination a fait sortir du grain ; et l’on aura, outre la drèche, un boisseau de poussière ; ce qu’il ne faut pas attribuer uniquement au gonflement et à la dilatation du grain, mais en partie aussi à l’addition d’une certaine quantité de substance qu’il a tirée de l’eau où on l’a fait tremper.

649. La drèche a une saveur plus douce que l’orge brut ; saveur qui est encore plus sensible dans la bière, avant qu’elle soit cuite. L’édulcoration des différentes substances est un sujet qui mérite d’être approfondi par des observations multipliées et variées ; car cette saveur douce est comme un premier pas vers l’état de substance alimentaire. Or, convertir une substance non alimentaire en substance alimentaire, ce seroit travailler très efficacement à multiplier les subsistances, et rendre un vrai service à l’humanité.

650. La plupart des semences, lorsqu’elles lèvent, abandonnent leur enveloppe, et la laissent autour de leurs racines. Mais l’oignon, en montant, l’emporte avec lui ; et alors elle forme une espèce de bonnet ou de capuchon sur la tête de la jeune plante : ce qui vient de ce que cette enveloppe est trop difficile à rompre, comme on l’éprouve en pelant un oignon ; car on voit alors que cette pellicule si mince est une substance beau- coup plus tenace qu’elle ne le paroît à la première vue.

651. La crispation et le froncement des feuilles est l’indice d’un humor très abondant, et qui monte avec tant de vitesse, que, n’ayant pas le temps de se distribuer uniformément dans toute la feuille, il se ramasse en plus grande quantité dans certaines parties que dans d’autres. Le premier degré de cette crispation est indiqué par les aspérités de la surface des feuilles, comme dans l’orvale et la bardane. Le second degré est celui des feuilles qui se plissent, se froncent et se courbent par les bords seulement ; comme celles d’une laitue ou d’un jeune chou. Le troisième est celui qui les fait pommer ; degré qu’on observe aussi dans le chou et la laitue.

652. Si nous en croyons certaines relations, quoique le pin et le sapin, lorsqu’ils sont vieux et se putréfient, n’aient pas, comme certains bois pourris, la propriété de luire dans les ténèbres ; cependant, si on en rompt brusquement quelque morceau, il jette des espèces d’étincelles semblables à celles que paroit jeter le sucre, lorsqu’on le râpe dans l’obscurité.

653. Parmi les différentes espèces d’arbres, il en est qui enfoncent leurs racines perpendiculairement et profondément dans la terre, comme le chêne, le pin, le sapin, etc. et d’autres qui rampent latéralement, et plus près de la surface du terrein, tels que le frêne, le cyprès, l’olivier, etc. La raison de cette différence est que les arbres de cette dernière classe aimant le soleil, ne descendent pas volontiers fort avant dans la terre ; aussi voit-on qu’ordinairement ils montent beaucoup : c’est cette envie de s’approcher du soleil qui fait que leur partie extérieure s’étend peu horizontalement ; et la même cause agissant dans le sein de la terre, pour s’éloigner moins du soleil, ils s’étendent latéralement[26]. On observe même que certains arbres qui ont été plantés trop profondément, déterminés ensuite par cette tendance à s’approcher du soleil, abandonnent leur première racine, et en poussent une autre plus près de la surface du terrein[27]. On sait aussi que l’olivier est rempli de sucs oléagineux ; que le frêne est un excellent bois de chauffage, et que le cyprès est un arbre de nature chaude. Quant au chêne, qui est de la première classe, il se plaît dans la terre ; et en conséquence il s’y enfonce très profondément. Le pin et le sapin ont tant de chaleur naturelle, qu’ils n’ont pas besoin de celle du soleil. Il est aussi des plantes herbacées entre lesquelles on observe la même différence. Par exemple, on peut ranger dans la classe des plantes à racines pivotantes, celle que le vulgaire appelle mors du diable, et qui enfonce ses racines si profondément, qu’il est impossible de l’arracher sans les rompre ; ce qui a donné lieu à certain conte qu’on fait à ce sujet : comme cette plante est très salutaire aux hommes, lorsqu’ils veulent l’arracher, le diable, par jalousie, la mord et la retient tant qu’il peut avec ses dents ; telle est l’idée que s’en forme le vulgaire. Un auteur ancien parle d’un très beau sapin qu’on voulut transplanter en entier, mais qui avoit enfoncé ses racines à la profondeur de huit coudées (douze pieds), en sorte qu’on ne put l’arracher qu’en rompant cette racine[28].

654. On dit encore qu’une branche d’arbre, totalement dépouillée à sa partie inférieure, sur la longueur de quelques pouces, et mise en terre, y reprend ; et l’arbre dont on parle est de telle nature que, si l’on plantoit une de ses branches sans l’avoir ainsi dépouillée de son écorce, elle ne reprendroit pas. On sait, au contraire, qu’un arbre dont le tronc est dépouillé de toute son écorce sur toute sa circonférence, meurt bientôt. Il paroît que la partie dépouillée pompe avec plus de force les sucs nourriciers que l’écorce ne fait que transmettre.

655. Des raisins conserveront toute leur fraîcheur et tout leur suc, durant tout l’hiver, pour peu qu’on ait l’attention de suspendre les grappes une à une au plancher d’une cuisine ou d’une chambre où l’on fasse continuellement du feu [29] ; sur-tout si l’on a soin, en cueillant ces grappes, d’y laisser une partie un peu longue du pédicule ou de la queue[30].

656. Le roseau est une plante aquatique, et ne croit jamais ailleurs. Voici quels sont ses caractères distinctifs. Sa tige est creuse ; et cette tige, ainsi que la racine, est garnie de nœuds, qui en sont comme les divisions. Lorsqu’elle est sèche, son bois est plus compact et plus fragile que toute autre espèce de bois. Cet arbrisseau ne pousse jamais de branches ; mais il est composé d’un grand nombre de tiges qui naissent toutes immédiatement d’une seule racine. Ces tiges varient beaucoup pour la longueur et la grosseur. On emploie les plus courtes et les plus menues pour couvrir les édifices, ou pour calfater les vaisseaux ; à quoi elles sont plus propres que la colle et la poix[31]. Celles de la seconde grosseur fournissent des perches ou des gaules pour la pêche, etc. On s’en sert aussi à la Chine pour châtier les malfaiteurs, en les frappant sur les cuisses[32]. Les différentes espèces de ce genre sont le roseau, le bambou, la canne à sucre, etc. De tous les végétaux connus, c’est celui donc la tige se plie le plus aisément et se redresse le plus vite ; c’est aussi de tous les arbrisseaux qui se nourrissent en partie d’eau et en partie de terre celui qui tire le plus de nourriture de ce fluide. Aussi n’en est-il aucun dont l’écorce soit aussi lisse, ou la tige aussi creuse.

657. Les sucs qui coulent des différentes espèces d’arbres, ne présentent pas moins de différences que les arbres mêmes. Les uns, comme ceux de la vigne, du hêtre, du poirier, etc. sont plus aqueux et plus clairs ; les autres, tels que celui du pommier, sont plus épais : d’autres enfin sont écumeux et mousseux, comme celui de l’orme ; ou laiteux, comme celui du figuier. Dans le mûrier, ce suc semble ne se ramasser que sur cette partie du bois qui est contiguë à l’écorce  ; car, pour peu qu’on entame cette écorce, en la frappant avec une pierre, on le fait sortir ; au lieu que, si l’on enfonce un peu avant dans l’arbre quelque outil de fer pointu ou tranchant, quand on le retire, il paroît sec. Les arbres dont les feuilles ont le plus de suc, sont ordinairement ceux qui contiennent dans leur tronc la sève la plus fluide : la vigne, par exemple, et le poirier, ont beaucoup de sève ; le pommier en a un peu moins. La substance laiteuse du figuier a, comme la présure, la propriété de cailler le lait et de grouper ses parties caséeuses. Il est aussi des plantes acides où l’on trouve une substance également laiteuse qu’on emploie de la même manière pour faire des fromages durant le carême.

658. On observe aussi dans les arbres de différentes espèces, des différences très marquées, par rapport au bois qu’ils fournissent. Dans les uns, ce bois est plus franc ; dans d’autres il est plus noueux. On peut connoître la qualité d’une pièce de bois, en parlant à l’une de ses extrémités, et appliquant son oreille contre l’autre[33] car si le bois est plein de nœuds, la voix ne passera que très difficilement d’une extrémité à l’autre. Il y a des bois qui ont beaucoup de veines et d’ondes ; tels sont entr’autres le chêne, qu’on emploie ordinairement pour les boiseries, et l’érable, dont on fait les manches de plusieurs outils tranchans. Il en est de plus lisses et de plus unis, tels que le sapin et le noyer ; d’autres encore où les vers et les araignées s’engendrent plus aisément ; et d’autres enfin qui sont moins sujets à cet inconvénient ; propriété qu’on attribue aux arbres d’Irlande[34]. Ces différentes sortes de bois ne diffèrent pas moins, par l’emploi qu’on en fait ou qu’on en peut faire, que par leur nature. Par exemple, le chêne, le cèdre et le châtaignier sont les plus propres pour la bâtisse. D’autres, tels que le frêne, valent mieux pour faire des charrues et autres instrumens d’agriculture. On choisit l’orme pour les pilotis, les digues et autres ouvrages, dont certaines parties doivent être exposées à une succession alternative et fréquente de sécheresse et d’humidité. Il en est d’autres, comme le sapin, qu’on débite en planches ; et d’autres encore, comme le noyer, dont on fait des tables, des armoires, des commodes, des buffets, des pupitres, etc.

On préfère, pour la construction des vaisseaux, le chêne, qui croît dans un sol humide ; parce qu’étant plus plein, plus solide et plus tenace, il ne se fend pas si aisément aux décharges d’artillerie : dans notre île, on regarde les bois d’Angleterre et d’Irlande, comme éminemment doués de cette dernière propriété. Le pin et le sapin, arbres d’une grande hauteur, fort droits et d’un bois fort léger, sont destinés à la mâture. D’autres espèces, comme le chêne commun, sont employées à faire des pieux, des palissades, etc. Tel autre, comme le hêtre, fournit d’excellent bois de chauffage. Il en est de même de beaucoup d’autres.

659. Que tel arbre, telle plante, etc. croisse dans tel pays plutôt que dans tel autre, c’est souvent l’effet du hazard ; car il en est qui ont été transplantés, et qui ont réussi dans le nouveau sol ; entr’autres les roses de Damas, qui étoient à peine connues en Angleterre, il y a cent ans ; et qui aujourd’hui y sont si communes. Mais si certains végétaux se plaisent plus dans telle espèce de sol que dans toute autre, c’est un effet de leur constitution naturelle et de leurs qualités spécifiques. Par exemple, le pin et le sapin se plaisent sur les montagnes ; le peuplier, le saule et l’aune végétent plus vigoureusement le long des rivières ou des ruisseaux, et en général dans les terreins humides. Le hêtre aime les taillis ; mais alors il vaut mieux isoler un peu les arbres de cette espèce, et les mettre en baliveaux. Le genévrier réussit dans la craie, et il en est de même de la plupart des arbres à fruit. Le fenouil marin (ou la crête marine), croît ordinairement sur les rochers. Le roseau et l’osier aiment le voisinage et même le contact de l’eau. Enfin, la vigne se plaît sur les terres en pente et exposées au sud-est.

660. On peut connoître la nature du sol par celle des plantes qui y croissent spontanément : par exemple, le serpolet et la pimprenelle annoncent une terre propre pour les pâturages ; la bétoine et le fraisier, une terre propre pour les bois. La camomille indique un sol gras, une terre à bled, et il en est de même du sénevé, lorsqu’il paroît peu de temps après le labour ; ce qui annonce la force du sol ; et ainsi des autres.

661. Outre le gui qui croît sur le pommier sauvageon, le coudrier, etc. on trouve en différentes contrées d’autres superfétations végétales : par exemple, on voit en Syrie une plante herbacée, appelée cassytas, qui croit sur les arbres de haute futaie, et qui monte en s’entortillant autour de l’arbre même sur le quel elle naît ; quelquefois même autour des épines dont quelques-uns sont hérissés. Il est aussi une espèce de polypode qui croît sur certains arbres, mais qui ne s’entortille pas autour. Il en est de même de la plante herbacée, appelée faunos, qu’on trouve sur l’olivier sauvage ; et de l’hippophæston qui croît sur le chardon à foulon : cette dernière, dit-on, est un remède pour l’épilepsie.

662. Suivant une observation des anciens, quoiqu’en général le froid et les vents d’est (de nord-est) soient nuisibles aux arbres à fruit, cependant les vents de sud et de sud-ouest, sur-tout lorsqu’ils soufflent dans le temps de la floraison, et sont accompagnés ou suivis de grosses pluies, leur sont également préjudiciables. Il paroît que ces vents rendent le mouvement de la sève trop hâtive, et la déterminent trop tôt à se porter au-dehors[35]. Le vent d’orient est le plus favorable aux végétaux. On a observé aussi que les hivers très doux, et où l’on voit beaucoup de verdure, sont nuisibles aux arbres ; en sorte que, si deux ou trois hivers de cette nature se suivent immédiatement[36], ils font mourir les amandiers et les arbres de quelques autres espèces. On doit attribuer ce dernier effet à la même cause que le précédent ; je veux dire que, dans les deux cas, toute la chaleur et la force de la terre se portent au-dehors et se dissipent, quoi qu’en puissent dire certains agronomes de l’antiquité, qui attribuent de bons effets à ces hivers si doux.

663. Les années où il tombe beaucoup de neige, et où elle séjourne long-temps sur la terre, sont ordinairement très bonnes ; car, en premier lieu, elle fomente la chaleur naturelle de la terre et conserve toute sa force. En second lieu, elle l’humecte beaucoup mieux que ne pourroit le faire la pluie[37] ; car la terre, en se pénétrant de l’humor de la neige, le pompe doucement, et comme si elle suçoit une mamelle. En troisième lieu, ce genre d’humor est beaucoup plus atténué et plus délicat que celui des pluies ; c’est, en quelque manière, l’écume des nuages aqueux[38].

664. Les pluies douces, lorsqu’elles tombent un peu avant le temps de la maturité complète des fruits, sont avantageuses à tous ceux qui ont naturellement beaucoup de suc, comme le raisin, les olives, les grenades, etc. mais alors elles contribuent beaucoup plus à la quantité qu’à la qualité ; car, lorsque le temps est serein et sec durant les vendanges, le vin est meilleur[39]. Ces pluies douces, un peu avant la moisson, sont également avantageuses aux grains ; pourvu toutefois qu’elles ne soient pas immédiatement suivies de chaleurs excessives. Généralement parlant, les pluies nocturnes sont plus favorables aux végétaux que les pluies de jour, parce que, dans le premier cas, l’action du soleil ne leur succède pas si promptement ; succession immédiate qui est toujours dangereuse. Par la même raison, durant l’été, il vaut mieux arroser le soir que le matin[40].

665. Les différentes qualités des terres et les observations ou les expériences qu’on peut faire pour les connoître, sont un sujet qui mérite également de fixer notre attention. Par exemple, une terre qui, après avoir été doucement imbibée par les pluies, s’amollit et s’ameublit, peut passer pour bonne, sur-tout si l’on suppose qu’elle étoit sèche et dure avant ces pluies. Toute terre qui forme de grosses mottes, lorsqu’on lui donne un labour, est inférieure à celle qui se divise alors en très petites mottes. Une terre qui produit beaucoup de mousse, et qu’on peut, en quelque manière, qualifier de moisie, est aussi de mauvaise qualité. On doit au contraire regarder comme bonne, une terre qui exhale une odeur agréable lorsqu’on l’ouvre avec le soc ; cette odeur annonçant qu’elle contient des sucs suffisamment préparés pour les végétaux. On prétend que les extrémités de l’arc-en-ciel se portent plutôt sur telle espèce de terre que sur telle autre, et plutôt sur les bonnes que sur les mauvaises. Si le fait est vrai, on peut l’expliquer en supposant que l’iris s’appuie de préférence sur les terres qui ont de l’onctuosité ; et alors ce seroit en effet un signe de leur bonté. Des herbages rares et clair-semés annoncent une terre maigre, pauvre et stérile, sur-tout si l’herbe est d’un verd sombre et triste. De même une herbe flétrie, de couleur de rouille, et comme brûlée à son extrémité supérieure, ou des arbres qui se couvrent de mousse, sont autant d’indices d’un sol très froid. Toute terre où l’herbe est promptement desséchée et grillée par le soleil, est une terre appauvrie et qui a besoin d’engrais. Les terres qui ne sont ni trop pâteuses, ni trop graveleuses, mais molles, douces, meubles, fines et légères, sont les meilleures ; les bonnes devant tenir le milieu entre le sable et l’argile. Une terre qui, après des pluies, résiste un peu au soc, et qu’on a quelque peine à retourner, est ordinairement féconde ; cette résistance même annonce qu’elle a de la force, et qu’elle est pleine de sucs.

666. Une opinion adoptée par les anciens, et qui, à la première vue, peut paroître étrange, est que, si l’on jette de la poussière sur les arbrisseaux ou arbres à fruit, ils poussent plus vigoureusement, et rapportent davantage ; leur pratique, à cet égard, étoit conforme à leur opinion. Au fond, cette aspersion de poussière, après des pluies, est une sorte de culture ; ces végétaux alors étant couverts d’une matière composée d’eau combinée avec une terre fine et légère. On a observé aussi que les cantons où il y a beaucoup de champs et de chemins fort poudreux, sont ceux qui donnent les meilleurs vins.

667. Les anciens regardoient comme un très bon engrais les tiges et les feuilles de lupin, mises au pied des plantes, grandes ou petites, ou encore enterrées à l’aide de la charrue, dans un champ à grain, un peu avant les semailles : on attribue le même effet aux cendres des sarmens de vigne, répandues sur la terre. On pensoit assez généralement autrefois que l’attention de fumer les terres, lorsqu’il règne un vent d’ouest, et durant le décours de la lune, leur est également avantageuse ; la terre étant alors plus affamée, plus poreuse, plus perméable et plus disposée à happer la substance fécondante du fumier.

668. La greffe de vigne sur vigne, dont nous avons parlé dans une des centuries précédentes, est tombée en désuétude : elle étoit en usage chez les anciens, et ils la faisoient de trois manières ; 1º. par voie d’incision, méthode qu’on suit assez souvent pour la greffe des arbres[41]. 2°. En perçant le cep par la milieu, et insérant dans ce trou le scion adoptif. 3°. En entaillant jusqu’à la moelle, des deux côtés qui se regardent, deux ceps plantés l’un près de l’autre, et en les liant ensuite très étroitement.

669. Les maladies et les différens accidens auxquels le bled est exposé, sont un sujet qui mérite aussi d’être approfondi par des observations et des expériences multipliées ; sujet qui seroit encore plus intéressant, s’il étoit toujours au pouvoir de l’homme de prévenir ces inconvéniens ou d’y remédier : malheureusement quelques-uns sont sans remède. La principale de ces maladies est la nielle, qui a visiblement pour cause un air trop resserré et trop stagnant ; aussi est-elle très rare sur les terreins élevés ou très découverts, comme ceux du comté d’Yorck. Le vrai remède à cette maladie est d’élargir les clôtures, et de diviser les domaines par pièces plus grandes, comme on l’a fait avec succès dans certaines fermes que nous connoissons. Une autre maladie non moins fréquente, c’est celle qui, en faisant dégénérer excessivement certaines espèces de bled, sur-tout l’orge, les convertit en folle avoine ; maladie qui a ordinairement pour cause le peu de force et d’activité des semences : lorsqu’elles sont trop vieilles, échauffées, moisies, etc. elles ne produisent que ce bled stérile. Une autre maladie encore, c’est la satiété de la terre[42] ; car, si vous ensemencez toujours un champ avec le même grain, vos récoltes iront toujours en décroissant. Or, par le même grain, nous n’entendons pas le grain produit par la même terre, mais la même espèce de grain : par exemple, toujours du froment ou toujours de l’orge, etc. ainsi il ne suffit pas de laisser reposer les terres, il faut de plus varier les semences qu’on y met. Les vents violens sont aussi nuisibles aux bleds, et dans deux circonstances ; savoir : dans le temps de la floraison, en abattant les fleurs ; et vers le temps de la moisson, en abattant les grains. Un autre fléau pour les champs à grain, c’est l’excessive sécheresse dans le temps où l’épi doit se former ; elle empêche qu’il ne se développe et ne sorte du tuyau : accident assez rare dans nos contrées, plus commun dans les pays chauds, et d’où l’on peut tirer l’étymologie du mot calamité ; mot visiblement dérivé du mot latin calamus (tuyau ou chalumeau), et qui désigne ce genre de malheur qu’on éprouve, lorsque l’épi, ne pouvant se former, comme nous venons de le dire, le bled est réduit au tuyau (à la paille). Un autre accident non moins funeste, c’est l’excessive humidité dans le temps des semailles ; accident qui occasionne une si grande disette dans nos contrées, et qui oblige souvent à semer dès mars dans les mêmes champs où l’on avoit semé du froment l’année précédente. Il en est de même des gelées très âpres et de très longue durée, sur-tout lorsqu’elles ont lieu au commencement de l’hiver, et peu de temps après les semailles. Un autre fléau des terres à bled, ce sont les vers qui s’engendrent quelquefois dans la racine, et qui ont ordinairement pour cause la succession alternative, immédiate et fréquente des pluies et d’un soleil ardent, peu de temps après les semailles. Il est une autre espèce de vers qui se forment dans la terre même, et qu’on attribue à l’action d’un soleil ardent, qui perce tout-à-coup et fréquemment, à travers des nuages. Un autre fléau pour le bled, ce sont les mauvaises herbes qui le suffoquent, l’empêchent de profiter de l’action du soleil, ou l’affament en suçant la terre qui l’environne. Il est une autre maladie qui a lieu lorsque le bled se jette trop en herbe ; on y remédie ordinairement en le fauchant, ou en le faisant tondre par les moutons. On doit craindre aussi ces grosses pluies, qui couchent les bleds dans le temps même de la moisson, ou peu auparavant. Enfin, un mauvais effet qu’on peut prévenir, c’est celui qui a lieu lorsque le grain se trouve imbibé d’huile, ou enduit de quelque substance grasse ; les substances de cette nature, en vertu de leur antipathie avec l’eau, empêchant que le grain ne puisse en tirer sa nourriture.

670. On peut prévenir les différentes maladies auxquelles le bled est sujet, ou y remédier par les moyens suivans, tous vérifiés par l’expérience. Par exemple : la méthode de le faire macérer dans le vin, avant de le semer, est regardée comme un préservatif. On peut, dans les mêmes vues, mêler des cendres avec le grain, et les semer ensemble, ou encore ne semer ce grain que durant le décours de la lune. Une autre méthode qui auroit, dit-on, son utilité, mais qui n’est pas encore adoptée, ce seroit de mêler avec les grains quelques autres semences : par exemple, de semer quelques fèves avec le froment. On s’est assuré, par l’expérience, que la joubarbe semée avec le grain, ne lui fait que du bien. Quoiqu’en général le contact de l’huile, ou de toute autre substance grasse, soit nuisible aux grains, cependant on croit que l’attention de les faire macérer dans du marc d’olives, qui commence à se putréfier, contribue à les préserver des vers. Lorsque le bled a été fauché, nous dit-on encore, les grains qui en proviennent, sont plus longs, mais en même temps plus vuides, et ont plus de peau (donnent plus de son et moins de farine).

671. Les agronomes prétendent que les meilleures semences sont celles d’un an ; que celles de deux ou trois ans sont très inférieures ; enfin, que les semences encore plus vieilles, sont tout-à-fait infécondes, et ont perdu toute leur force : cependant on observe, par rapport à la durée, quelques différences entre telle ou telle espèce de grains ou de semences. On regarde comme le meilleur grain celui qui reste le plus bas, lorsqu’on le vanne[43]. On préfère aussi celui qui, étant broyé sous la dent, est jaune intérieurement, à celui qui paroît très blanc.

672. On a observé que de toutes les petites plantes, l’oseille est celle qui enfonce ses racines le plus avant dans la terre ; elles y pénètrent même quelquefois jusqu’à la profondeur de quatre pieds et demi : aussi est-ce de toutes les plantes potagères celle qu’on peut repiquer le plus souvent. Il paroît que cette plante, froide et acide, se plaît dans la terre, et évite le soleil.

673. On a observé aussi que les arrosemens avec de l’eau salée, sont avantageux à certaines plantes, telles que les raves, les raiforts, les bettes, la rue, et le pouliot. Ces expériences mériteroient d’être poussées plus loin, et d’être tentées spécialement sur les plantes qui ont beaucoup de force, comme l’estragon, le sénevé, la roquette et autres semblables.

674. Une opinion assez étrange, et cependant universellement reçue, c’est que les animaux vénéneux ont une prédilection marquée pour certains végétaux salubres et odoriférans : par exemple, le serpent aime le fenouil ; le crapaud aime la sauge ; et la grenouille se plaît près de la quintefeuille. Mais, selon toute apparence, ce que ces animaux cherchent en se tenant près de ces plantes, c’est l’ombre ou l’abri, et non leurs propriétés spécifiques.

675. S’il existoit un observateur assez éclairé pour être en état de prévoir, dès le commencement d’une année, d’après l’inspection de certains signes ou pronostics, l’abondance ou la disette de telle espèce de grains, d’herbages, de fruits, etc. et assez hardi pour risquer toute sa fortune d’après de simples conjectures, il auroit un moyen fort prompt pour s’enrichir : par exemple, lorsqu’il auroit prévu l’abondance de quelques-unes de ces denrées, il pourroit en accaparer toute la récolte ; à l’exemple de Thalès, qui, au rapport de quelques historiens, voulant faire voir avec quelle facilité un philosophe pourroit s’enrichir, s’il daignoit s’occuper de sa fortune, et ayant prévu, au commencement d’une certaine année, une abondante récolte d’olives, accapara toute cette denrée, et tira de ce monopole des profits immenses[44]. Et lorsque les indications annonceroient une disette dans un an, dans deux ans etc. on pourroit s’assurer les mêmes profits, en gardant tout le produit des années d’abondance[45]. On dit que les neiges, lorsqu’elles sont de longue durée, annoncent une abondante récolte on grains ; et qu’au contraire un hiver très doux pronostique une mauvaise récolte, comme nous l’avons déjà observé nous-mêmes. Au reste, il faut, à l’aide d’observations plus multipliées et plus variées, se mettre en état de donner plus de certitude aux pronostics de ce genre.

676. Certains végétaux ont, dans leur apparence ou leurs propriétés, des caractères singuliers qui les distinguent de tous les autres : par exemple, la partie huileuse de l’olive se trouve à l’extérieur ; au lieu que, dans la plupart des autres fruits, elle se trouve à l’intérieur, comme dans la noix, la noisette, etc. dans les pépins, les noyaux, etc. La pomme de pin n’a ni pépin, ni noyau, ni noix, ni noisette, à moins qu’on ne veuille donner un de ces noms à ces petits grains qu’on trouve sous ses écailles. La grenade et la pomme de pin dont nous venons de parler, sont les deux seuls fruits dont les grains ou pépins soient ainsi logés un à un, ou deux à deux, dans autant de chatons distincts. Il n’est point de plante dont les feuilles se froncent, se crispent et se courbent autant que celles des laitues et des choux pommés. Il n’en est point qui aient, comme l’artichaud, deux espèces de feuilles ; les unes, appartenant à la tige ; les autres, au fruit. Ces caractères si variés, et ces singularités ouvrent le plus vaste champ aux spéculations philosophiques : ils semblent prouver que, parmi les différentes matières qui se trouvent dans l’atelier de la nature, et qu’elle emploie pour former les différentes espèces de corps organisés, les unes étant susceptibles de combinaisons plus fréquentes et plus variées, les autres se combinent plus rarement, et varient moins dans leurs combinaisons : vérité dont on voit des exemples et des preuves ; d’abord, parmi les animaux terrestres ; le chien ayant beaucoup d’analogie avec le loup et le renard ; l’âne avec le cheval, le buffle avec le bœuf, le lièvre avec le lapin, etc. et il en est de même des oiseaux. Par exemple, le pigeon commun a beaucoup d’analogie avec le ramier et la tourterelle ; le merle avec la grive et le mauvi ; l’épervier avec l’autour ; le corbeau avec la corneille, le choucas, le geai, etc. au lieu que l’éléphant et le porc n’ont point ou presque point d’analogues parmi les animaux terrestres ; ni le paon ou l’oiseau de paradis[46], parmi les oiseaux : et il en est de même de quelques autres espèces. Nous croyons devoir renvoyer pour la description détaillée des plantes et l’explication de leurs propriétés spécifiques, aux livres de botanique et autres ouvrages d’histoire naturelle. C’est un sujet que certains auteurs ont traité avec beaucoup de soin, et même avec une exactitude minutieuse. Pour nous, qui ne perdons jamais de vue le véritable but, au lieu de marcher toujours terre à terre, et de nous ensevelir dans cette immensité de détails, nous dirigeons toujours notre exposé de manière qu’il s’élève quelque peu vers ce but ; je veux dire, vers l’invention des principes, et la découverte des causes. Quelques écrivains, anciens ou modernes, je le sais, ont tenté de frayer cette route ; mais ces causes qu’ils assignent sont purement chimériques ; et les prétendues règles qu’ils tirent de ces conjectures, sont également imaginaires. De telles explications et de tels préceptes, infectés de préjugés antiques, ne sont, à proprement parler, que des philosophies indigestes, et de vraies déjections de l’expérience[47].

Expérience relative à la guérison des blessures.

677. Parmi les observations des anciens, je trouve celle-ci : des peaux, sur-tout celles des brebis récemment écorchées, étant appliquées sur les blessures ou les contusions, empêchent que la partie blessée ne s’enfle et ne s’ulcère, la consolident et la guérissent complètement. On dit que le blanc d’œuf a la même propriété ; ce qui vient sans doute de ce que ces deux substances visqueuses et tenaces recollent doucement les deux lèvres de la plaie, ou les petites parties séparées par le coup ; et, sans comprimer excessivement la partie malade empêchent que les humeurs ne s’y portent en trop grande quantité.

Expérience relative à la substance grasse répandue dans la chair des animaux terrestres.

678. Il n’est presque point de chair qu’on ne puisse convertir en graisse ; il suffit pour cela de la hacher fort menu, de mettre ces morceaux dans un vaisseau de verre qu’on couvre de parchemin, et de tenir ce vaisseau dans l’eau bouillante pendant six ou sept heures. Cette expérience seroit susceptible d’applications fructueuses ; car on pourroit se procurer, par ce moyen, et à volonté, une grande quantité de graisse dont on tireroit parti de différentes manières ; bien entendu qu’on choisiroit pour cette opération la chair de quelque animal qui ne fût point de nature à pouvoir servir d’aliment à l’homme ; par exemple, de la chair de cheval, de chien, d’ours, de renard, de castor, etc.[48].

Expériences et observations relatives aux moyens d’accélérer la maturation des boissons.

679. Un écrivain de l’antiquité prétend que, si, après avoir rempli de vin nouveau de petites bouteilles, et bouché très exactement ces vaisseaux, on les plonge dans la mer, ce vin se fera beaucoup plus vite et deviendra potable en très peu de temps. On pourroit tenter la même expérience sur le moût de bière.

Observation relative aux poils des animaux terrestres, et au plumage des oiseaux.

680. Les quadrupèdes et autres animaux terrestres sont plus velus que les hommes pris en général ; les sauvages le sont plus que les hommes civilisés ; et le plumage des oiseaux l’emporte, par le quantité de matière, sur les poils des animaux terrestres. Mais, si la peau de l’homme est lisse et presque sans poils, ce phénomène ne doit pas être uniquement attribué au défaut de chaleur et d’humidité. Ces deux causes, il est vrai, lorsqu’elles se trouvent réunies, contribuent beaucoup de la quantité des poils ; mais, pour qu’elles puissent produire cet effet, il faut que le calor[49] et l’humor où elles résident, soient de nature excrémentitielle ; toute matière qui s’assimile ne pouvant plus se convertir en poils. Or, ces matières excrémentitielles se trouvent en beaucoup plus grande quantité dans les animaux terrestres, que dans l’homme ; et dans l’homme sauvage, que dans l’homme civilisé. Il en est de même du plumage des oiseaux, comparé aux poils des animaux terrestres ; différence qui doit être attribuée au concours de plusieurs causes. En premier lieu, les oiseaux assimilent beaucoup moins, et évacuent beaucoup plus que les animaux terrestres ; leurs excrémens étant plus liquides, et leur chair, généralement parlant, étant plus sèche. En second lieu, ils n’ont point d’organes pour uriner ; et en conséquence, la plus grande partie de leur humor excrémentitiel est employée à former les plumes. Ainsi, quoique leur chair soit ordinairement plus délicate que celle des animaux terrestres, le grand volume de leur plumage doit paroître d’autant moins étonnant, que, dans la totalité de leur corps, les instrumens d’assimilation et les molécules assimilées, ainsi que les instrumens d’excrétion et les matières rejetées, sont plus subtils et plus déliés. De plus, pour revenir à notre espèce, on sait que la tête de l’enfant naissant est couverte de poils, et qu’on n’en voit point sur les autres parties de son corps ; différence qui peut venir du défaut de perspiration au sommet de la tête ; la plus grande portion de la matière propre pour former des poils dans les autres parties du corps, s’exhalant par la transpiration insensible[50]. Car le crâne étant formé d’une matière très solide et très compacte, doit, par cela seul, se nourrir et assimiler moins, mais évacuer davantage[51]. Il en est de même de la substance du menton et de ses effets. On voit aussi qu’il ne croît jamais de poils sur la paume de la main, ni à la plante des pieds ; ces parties étant celles qui transpirent le plus[52]. Enfin, les enfans ont ordinairement peu de poils ; toujours par la même raison ; savoir : parce qu’ils transpirent beaucoup.

Observation sur la célérité des mouvemens dans les oiseaux.

681. Les oiseaux ont des mouvemens beaucoup plus vifs que les animaux terrestres ; par exemple : le vol des premiers est un mouvement beaucoup plus rapide que la course des derniers. La raison de cette différence est que la quantité des esprits, comparée à la masse totale du corps, est beaucoup plus grande dans les oiseaux que dans les animaux[53] terrestres. Il est inutile d’ajouter, comme certains auteurs, que les oiseaux sont en partie voiturés par le fluide même qu’ils frappent de leurs ailes ; au lieu que les animaux terrestres, en marchant ou en courant, sont obligés de transporter tout le poids de leur corps ; car alors, il faudroit dire aussi que le mouvement du poisson qui nage, est plus rapide que celui du quadrupède qui court ; sans compter que l’oiseau agit, et que le mouvement de ses ailes l’aide beaucoup à se soutenir dans le fluide où il est plongé.

682. L’eau de la mer est ordinairement plus claire et plus transparente, lorsque le vent est au nord, que lorsqu’il est au midi. La raison de cette différence est que l’eau de la mer est un peu oléagineuse à sa surface, ce qui est sensible à l’œil durant les grandes chaleurs ; à quoi il faut ajouter que le vent de sud dilate l’eau jusqu’à un certain point ; et l’on sait d’ailleurs que l’eau bouillante est moins transparente que l’eau froide.

Considérations sur les différences qu’on observe entre la chaleur d’un feu sec, et celle de l’eau bouillante.

683. Lorsque le bois est exposé à l’action d’un feu sec, d’abord il s’enflamme et devient lumineux ; puis il noircit et devient fragile ; enfin, il se résout totalement, et se réduit en cendres. L’eau bouillante ne produit sur le bois aucun de ces effets. La vraie cause de cette différence est, que le premier effet du feu est d’atténuer les esprits renfermés dans le bois ; et le second, de les forcer à s’exhaler. Or, l’effet de cette atténuation des esprits est la lumière ; et celui de leur émission est d’abord la fragilité, puis la dissolution complète de l’assemblage, et l’incinération ; sans compter qu’aucune substance étrangère ne pénètre dans ce bois exposé à l’action d’un feu sec : au lieu que l’eau bouillante atténuant beaucoup moins les esprits du bois sur lequel elle agit, pénètre en partie la substance de ce corps, et éteint, jusqu’à un certain point, ces esprits. De plus, on voit que l’eau bouillante produit à peu près les mêmes effets qu’un feu sec, sur les corps qu’elle ne peut pénétrer, et auxquels elle ne peut communiquer que sa chaleur. Par exemple : entre un œuf cuit dans les cendres chaudes, et un œuf cuit à l’eau, dans lequel ce fluide ne pénètre point, on observe très peu de différence ; mais il n’en est pas de même des fruits ou de la viande, substances dans lesquelles l’eau pénètre en partie.

Observations sur la manière dont l’eau modifie la chaleur.

684. On s’est assuré par l’expérience, que le fond d’un vaisseau rempli d’eau bouillante, n’est pas fort chaud. Ce degré de chaleur est même si foible, qu’on peut toucher ce fond avec la main sans se brûler[54]. La cause de ce phénomène est que l’humidité de l’eau éteignant, jusqu’à un certain point, le feu par-tout où elle s’insinue, doit en conséquence tempérer la chaleur dans toutes les parties du vaisseau avec lesquelles elle est en contact[55]. Aussi, quoique l’humor aqueux ne puisse, comme le simple chaud ou le simple froid, pénétrer les corps sans leur communiquer un peu de sa substance, il ne laisse pas d’avoir certains effets propres et sensibles, en modifiant la chaleur ou le froid ; comme nous en voyons une preuve dans cet exemple même. On sait de plus que les liqueurs extraites par la distillation au bain-marie, ne diffèrent point sensiblement des liqueurs extraites des mêmes substances par la distillation au feu sec. On sait aussi que des assiettes d’étain, remplies d’eau et mises au feu, s’y fondent difficilement ; et qu’au contraire, elles se fondent aisément lorsqu’elles sont vides. Si, au lieu d’eau, on met dans ces assiettes du beurre ou de l’huile, on observe le même effet, qui, en conséquence, doit être attribué, non à leur substance propre, mais en général à leur humor, à leur qualité de liquides.

Observations sur le bâillement.

685. Les anciens ont observé qu’il est dangereux de se curer les oreilles tandis qu’on bâille[56]. Comme alors on retire son haleine avec force, la membrane intérieure de l’oreille se tendant excessivement, elle est en conséquence plus facile à blesser. Car le bâillement, ainsi que le soupir, est toujours accompagné d’une forte aspiration suivie d’une expiration d’une force proportionnelle.

Observation sur le hoquet et ses causes.

686. Un auteur ancien prétend que, pour faire cesser le hoquet, il suffit d’éternuer ; ce qu’on peut expliquer ainsi : le hoquet est un mouvement convulsif occasionné par le soulèvement de l’estomac : or, l’effet de l’éternuement est au contraire d’abaisser ce viscère ; sans compter qu’il détermine, en quelque manière, le mouvement à se porter dans une autre partie, et fait une sorte de révulsion. On sait d’ailleurs que le hoquet vient ordinairement d’avoir avalé des alimens en trop grande quantité ou avec trop d’avidité ; d’où résulte la distension et le soulèvement de l’estomac : aussi, les enfans y sont-ils plus sujets que les adultes. On sait de plus qu’il a aussi quelquefois pour cause l’acidité d’un aliment, soit solide, soit liquide, qui picotte et agace l’estomac. Enfin, il est deux moyens pour le frire cesser : l’un, est de détourner les esprits, effet que produit l’éternuement ; l’autre, de les retenir, comme on le fait en retenant son haleine ; ou encore, en tournant son attention vers quelque sujet sérieux, moyen qu’on emploie ordinairement dans cette vue ; à quoi l’on peut joindre le vinaigre, employé comme gargarisme, ou mis simplement sous le nez ; cette liqueur étant astringente, son effet doit être d’arrêter le mouvement des esprits.

Observations sur l’éternuement.

687. Pour exciter l’éternuement, il suffit de tourner les yeux vers le soleil. Cependant, si l’on éternue alors, ce n’est pas parce que les rayons du soleil échauffent les narines ; car, si cette conjecture étoit fondée, il suffiroit, pour se faire éternuer, de tourner les narines vers cet astre[57], même en fermant les yeux. Ce mouvement convulsif doit être attribué aux humeurs qui tombent du cerveau, qui se répandent sur les yeux et les rendent humides. En effet, dès que les humeurs sont déterminées vers les yeux, elles le sont aussi vers les narines, par une corrélation de mouvement qui produira l’effet réciproque, si l’on se chatouille l’intérieur du nez ; car alors les humeurs étant déterminées vers les narines, elles se porteront aussi vers les yeux et ils deviendront humides. Cependant l’expérience prouve que, si une personne qui a envie d’éternuer, se frotte les yeux jusqu’à ce qu’elle les sente très humides, elle n’éternuera pas ; ce qui vient de ce que l’humor qui se portoit vers les narines, est alors détourné vers les yeux.

Observations sur la sensibilité des dents aux plus légères impressions.

688. Les dents sont plus vivement affectées que toute autre partie, par une boisson très froide, ou par toute autre cause semblable ; ce qu’on peut attribuer à deux causes : l’une, est que la matière osseuse des dents résiste plus au froid que la chair, qui alors se contracte sensiblement ; résistance qui donne à ce froid plus d’intensité ; l’autre, est que les dents sont des parties où il n’y a point de sang : aussi voit-on que le froid fait une forte impression sur les nerfs, parties également dépourvues de sang On sait aussi qu’un froid âpre rend les os plus fragiles, et que les contusions dans les parties osseuses sont plus difficiles à guérir en hiver, que dans toute autre saison.

Observations sur la langue.

689. Des observations continuelles prouvent que la langue est de toutes les parties la plus sensiblement affectée par les maladies, et celle qui les indique le plus sûrement : par exemple, lorsqu’elle est noire, ce signe annonce un grand échauffement. De plus, on sait que le bétail couleur de pie, a la langue parsemée de taches, tous effets dont la raison est sensible ; car, cette partie étant très molle et très délicate, doit, par cela seul, étre plus susceptible des moindres altérations, que toute autre partie charnue[58].

Observations sur le sens du goût.

690. Lorsqu’on a totalement perdu l’appétit, les alimens, quelle que soit leur saveur naturelle, paroissent quelquefois salés, le plus souvent amers, souvent même insipides, jamais sucrés. La vraie cause de ces saveurs accidentelles est l’humeur corrompue dont la langue est alors imprégnée, et qui a tantôt l’une de ces saveurs, et tantôt l’autre, à l’exception toutefois de la saveur sucrée ; car toutes les autres sont des indices d’autant de degrés différens de corruption.

Observations relatives aux années et aux saisons pestilentielles.

691. Durant le cours de cette épidémie qui régnoit l’année dernière, on a vu, dans les fossés et les terreins bas autour de Londres, un grand nombre de crapauds ayant des queues de deux ou trois pouces au moins, quoiqu’ordinairement les animaux de cette espèce n’en aient point ; ce qui annonçoit une grande disposition à la putréfaction dans l’air ou la terre. On prétend aussi que, dans les années où l’air a des qualités pestilentielles, les panais et les carottes sont d’une saveur plus douce, et même d’une douceur fastidieuse.

Observations sur les propriétés spécifiques des simples[59], dont on fait, ou peut faire usage en médecine.

692. Tout médecin attentif et prévoyant aura soin de multiplier les observations et les expériences, pour connoître les simples naturellement composées de parties très délicates et très atténuées, sans aucune teinte d’acrimonie et de qualité mordicante. Les substances de cette nature ont la propriété de miner, pour ainsi dire, les matières dures, de diviser et de détacher les humeurs visqueuses et tenaces, de dégager les vaisseaux obstrués, et, en général, de provoquer l’évacuation des matières nuisibles ou superflues ; tous effets qu’elles produisent insensiblement, sans occasionner de violentes agitions, et sans fatiguer excessivement les organes. De ce genre sont les fleurs de l’aune, qui ont la propriété de dissoudre les calculs ; l’ive muscate, qui guérit la jaunisse ; la corne de cerf, remède éprouvé pour les fièvres et les maladies contagieuses ; la pivoine, qui dégage le cerveau ; la fumeterre, qu’on emploie pour désopiler la rate ; et un grand nombre d’autres qui ont des effets analogues. Généralement parlant, les animaux nés de la putréfaction, tels que les vers de terre, les cloportes, les limaçons, etc. quoique les remèdes qu’on en tire aient quelque chose de rebutant, ne laissent pas d’être rangés dans cette classe. Je suis même porté à croire que les trochisques de vipère, remède si vanté, et la chair de serpent, corrigée et modifiée par les substances avec lesquelles on la combine, autre genre de médicament qui étoit aussi un peu en vogue dans ces derniers temps, sont à peu près de la même nature, et produisent des effets très analogues. Ainsi, ces substances, qui ne sont que des parties putréfiées d’animaux, et qui contiennent des principes très déliés, comme le castoreum, le musc, etc. se rapportent à la même classe : Il en est de même de celles qui ne sont que le produit de la putréfaction des plantes, comme l’agaric, le champignon de sureau, etc. substances éminemment douées de ces propriétés dont nous parlons. La raison de ces effets qui leur sont communs, est que, de tous les mouvemens dont les parties des plantes sont susceptibles, celui de la putréfaction est le plus subtil et le plus délicat : et comme il n’est pas permis de faire usage de la substance des animaux vivans[60], (genre d’aliment ou de remède, à l’aide duquel, suivant Paracelse, on pourroit se procurer une sorte d’immortalité, si une loi expresse, ne l’eût défendu), il faut en conséquence recourir à ce qui en approche le plus ; je veux dire, aux substances putréfiées, du moins à celles dont l’usage n’a rien de pernicieux.

Observations relatives au plaisir de la génération.

693. Quelques anciens prétendent que le plaisir de la génération trop réitéré, a l’inconvénient d’affoiblir la vue. Cependant on sait que les eunuques, qui sont inhabiles à la génération, ne laissent pas d’avoir la vue foible. La cause de cette foiblesse de la vue, dans les individus de la première espèce, c’est l’excessive dissipation des esprits ; et dans ceux de la dernière classe, l’excessive humidité du cerveau. Car la grande humidité du cerveau émousse, éteint les esprits visuels, et obstrue les conduits ou canaux par lesquels ils doivent se porter vers l’organe de la vision, comme on en voit un exemple dans cet affoiblissement de la vue, qui est le simple effet de l’âge, et qui a aussi pour cause la diminution de la quantité et de l’activité des esprits. On sait enfin, que la perte totale de la vue est souvent l’effet des rhumes, des catarres, etc. Quant aux eunuques, l’excessive humidité de leur constitution est indiquée par différens signes, tels que la grosseur des cuisses, le ventre lâche, la peau unie, etc.

694. De tous les plaisirs des sens, le plus vif c’est celui de la génération : celui qu’on ressent en grattant une partie où l’on éprouve des démangeaisons, plaisir très réel toutefois, n’est nullement comparable à celui-là[61], dont les causes sont d’ailleurs très difficiles à découvrir. En premier lieu, les mouvemens des esprits étant modifiés par tous les organes des sens, se diversifient comme la structure même de ces organes ; et à ces mouvemens ainsi modifiés, sont attachées autant d’espèces différentes de plaisir ou de douleur. Or, l’on voit que les organes de la vue, de l’ouïe, du tact, et de l’odorat, sont d’une structure très différente. Et il en est de même des parties génitales : ainsi, ce n’étoit pas sans raison que Scaliger qualifioit de sixième sens le plaisir de la génération[62] ; et si notre espèce avoit encore d’autres organnes, d’autres trous ou passages perméables aux exprits, et spécifiquement différens de ceux que nous connoissons, nous aurions un plus grand nombre de sens. Il se peut même que certains animaux terTestres, ou certains oiseaux, soient doués de sens tous différens des nôtres, et qui nous soient absolument inconnus. Par exemple, cet odorat si fin dont le chien est doué, semble être un sens d’une nature particulière, et tout différent de celui que nous désignons ordinairement par ce nom. Les plaisirs qui se rapportent au tact, sont en général plus vifs et plus intimes que ceux des autres sens, comme on en peut juger par celui qu’on éprouve, lorsqu’après avoir eu extrêmement froid, on commence à se réchauffer ; ou lorsqu’après avoir eu extrêmement chaud, on commence à se rafraîchir. Car, les douleurs relatives à ce sens, étant beaucoup plus vives que celles qui se rapportent à tous les autres, il en doit être de même des plaisirs qui leur correspondent, et proportionnellement. Les plaisirs les plus vifs sont ceux qu’on éprouve lorsque les esprits sont affectés immédiatement, et, en quelque manière, sans l’entremise d’aucun organe ; or, les deux seuls genres de plaisir qu’on puisse rapporter à cette classe, sont celui qui nait de l’impression d’une odeur suave, et celui qui est l’effet du vin ou de toute autre liqueur fermentée ; car l’on connoit assez les puissans effets des odeurs, et l’on sait qu’elles suffisent quelquefois pour ranimer des personnes tombées en syncope. Quant au vin, il n’est pas douteux que le plaisir que fait éprouver un commencement d’ivresse, approche fort de celui de la génération. Il en est de même des joies fort vives, leur impression sur les esprits n’étant pas moins agréable ; et le plaisir de la génération semble avoir quelque analogie avec ce dernier.

695. On a observé aussi avec raison, que les hommes sont plus portés à l’acte de la génération durant l’hiver, et les femmes durant l’été. La raison de cette différence est que, dans un corps de constitution plus chaude et plus sèche, comme celui de l’homme, les esprits s’exhalent et se dissipent davantage durant l’été ; au lieu que, durant l’hiver, ces esprits sont plus condensés, plus concentrés, et en plus grande quantité. Au contraire, dans des corps de constitution froide et humide, tel que celui de la femme, la chaleur agace doucement les esprits, et les rappelle aux parties extérieures ; au lieu que le froid les émousse, les éteint et les amortit. De plus, l’abstinence totale, ou la trop longue interruption de l’acte vénérien, expose les sujets de complexion humide, et d’ailleurs bien constitués, à différentes espèces de maladies ou d’incommodités, comme inflammations, aposthumes[63], etc. La cause de ces maladies est sensible : cette cause n’est autre que la suppression d’une évacuation absolument nécessaire, sur-tout d’une évacuation d’esprits ; car il n’est presque point d’autre moyen pour évacuer les esprits, que l’acte de la génération et les exercices. Ainsi, la totale omission ou la trop longue interruption de ces deux genres de moyens, doit donner naissance à toutes ces maladies qui ne sont que des conséquences naturelles et diversifiées de la plénitude.

Observations relatives aux insectes.

La nature de la vivification est un sujet qui mérite d’être approfondi ; et comme, en général, la nature de chaque chose est plus sensible en petit qu’en grand, dans les sujets imparfaits que dans les sujets parfaits, dans les parties que dans le tout, la nature de la vivification, qui est l’objet actuel de nos recherches, sera aussi plus facile à découvrir dans les animaux nés de la putréfaction, que dans les animaux plus parfaits. Une recherche de ce genre a qua- tre principaux avantages : elle peut aider à découvrir, 1°. les causes de la vivification ; 2°. celle de la configuration des êtres organisés ; 3°. un grand nombre de vérités relatives à la nature des animaux parfaits, mais qui seroient plus difficiles à saisir dans ces derniers envisagés directement ; 4°. beaucoup de procédés utiles indiqués par ces observations purement spéculatives, et d’opérations applicables aux animaux plus parfaits. Mais il est bon d’observer que ce nom d’insecte ne répond nullement au but que nous nous proposons en traitant ce sujet, et que sa signification est trop limitée ; cependant nous en ferons usage pour abréger l’expression, et nous désignerons par ce mot généralement et sans exception, tous les animaux qui sont le produit de la putréfaction.

696. Les insectes se forment de différentes matières : il en est qui s’engendrent dans le limon (l’argile, la terre grasse, la boue, la vase), ou dans le fumier ; tels sont les vers de terre, les anguilles, les serpens, etc. Ces deux genres d’animaux tirent également leur origine de la putréfaction ; car l’eau se putréfie dans le limon, et n’y conserve pas la nature qui lui est propre. Quant au fumier, les excrémens d’animaux ne sont autre chose que le résidu des alimens, dont une partie qui n’a pu être digérée, s’est putréfiée et a été rejetée par le corps. Il est d’autres insectes qui se forment dans le bois, soit sur pied, soit déjà coupé. Il faut tourner ses observations vers cet objet, afin de savoir dans quelles espèces de bois ils se forment le plus souvent, et dans quels temps de l’année. Quant à ces vers qui ont un si grand nombre de pieds (en langue vulgaire, le cent-pieds, ou la bête à mille pieds), on les trouve ordinairement sous de vieux merrains, sous des pièces de bois qui n’ont pas été remuées depuis long-temps ; jamais dans le bois même. On en trouve aussi quelquefois dans des jardins où l’on ne voit point de telles pièces de bois. Il paroît que la génération de ces animaux exige quelque matière d’un certain volume, qui puisse leur servir comme de couverture, et les mettre à l’abri du soleil, de la pluie, de la rosée, etc. aussi, n’ont-ils rien de vénéneux. Les médecins leur attribuent mène la propriété de purifier le sang[64]. On trouve les punaises dans les trous et les fentes, à côté des lits, dans les jointures des bois de lit, etc. Il est d’autres insectes qui se forment dans les cheveux, et, en général, dans les poils des animaux ; tels sont le pou, le morpion[65], etc. qui proviennent de la sueur renfermée, retenue, et quelque peu desséchée par ces poils. D’autres encore s’engendrent dans les excrémens des animaux, non-seulement après que ces matières ont été rejetées par les selles, mais même lorsqu’elles sont encore dans le corps. Ils se forment ordinairement dans les intestins, sur-tout dans ceux des enfans qui sont, comme l’on sait, fort sujets à ce genre d’incommodités. Les observations de quelques médecins des derniers temps nous ont appris que, dans les années où règnent des maladies contagieuses, on voit une autre espèce de vers qui se forment dans les parties supérieures du corps où il n’y a point d’excrémens, mais seulement des humeurs putréfiées. Les puces se forment assez ordinairement dans la paille, dans les nattes, etc. un peu humides ; ou encore, dans les paillasses, et, en général, dans les chambres auxquelles on n’a pas l’attention de donner fréquemment de l’air. On croit communément qu’il suffit, pour les détruire, de répandre de l’absynthe dans les lieux où elles se multiplient : en effet, on observe assez généralement que les substances amères sont plus contraires que favorables à la putréfaction. On trouve aussi dans les farines échauffées une espèce de ver assez semblable à ces vers blancs de la viande, et dont les rossignols sont très friands. Les teignes s’engendrent dans les vêtemens, et, en général, dans les étoffes de laine trop humides, ou trop renfermées. Ces insectes semblent aimer la lumière ; et on les voit fréquemment se porter vers la flamme d’une chandelle[66]. Il est une autre espèce de ver (le ver de hanneton), qui se forme dans le sein de la terre, et qui ronge certaines racines, telles que les carottes, les panais, etc. Il est d’autres insectes qui se forment dans l’eau, surtout dans celle qui est fort ombragée et stagnante ; telle est entr’autres, l’araignée d’eau, qui a six pattes. L’insecte connu sous le nom de taon (ou de ton), se forme d’une substance qu’on trouve à la surface de certaines eaux dormantes, sur-tout dans les étangs, les lacs, etc. Enfin, la lie d’un vin qui a perdu presque toute sa force, produit un ver qui, ensuite, selon quelques anciens, se change en un insecte ailé. Quelques autres écrivains de l’antiquité parlent aussi d’un ver de couleur rougeâtre, qui se forme dans la neige, dont les mouvemens sont extrêmement lents ; et qui, en étant tiré, meurt aussi-tôt. Ce qui annonce que la neige recèle un certain degré de chaleur, très foible, à la vérité, mais sans lequel cette vivification ne pourroit avoir lieu. Et si cet insecte meurt dès qu’on le tire de la neige où il s’est formé, c’est sans doute parce que les esprits, peu actifs et en très petite quantité qui l’animent, s’exhalent dès qu’on les tire de la température froide qui les concentroit et les retenoit dans le corps de l’insecte. Car, si la chaleur peut ranimer des papillons engourdis par le froid, en éveillant, pour ainsi dire, leurs esprits, elle doit, au contraire, en déterminant l’émission de ces esprits, faire mourir ceux que le froid eut conservés, en retenant et concentrant cette substance pneumatique qui doit les animer. Quelques auteurs, soit anciens, soit modernes, prétendent que, dans les fourneaux de cuivre où l’on jette fréquemment du vitriol pour faciliter et perfectionner l’opération[67], on voit un insecte ailé, une espèce de mouche qui semble quelquefois s’attacher aux parois du fourneau, et quelquefois aussi sortir du feu même ; mais qui, une fois sorti du fourneau, meurt aussi-tôt : ce fait extraordinaire mérite de fixer l’attention, et d’être observé de plus près ; car il semble prouver que le feu le plus violent peut, tout aussi-bien que cette chaleur douce et tranquille qui anime la plupart des êtres organisés, opérer la vivification, lorsqu’il agit sur une matière qui a les qualités et la disposition requises. Au reste, le grand principe relatif à la vivification, est qu’elle exige trois principales conditions ; savoir : 1°. une chaleur capable de dilater les esprits du corps à vivifier ; 2°. un esprit actif et capable de dilatation ; 3°. enfin, une matière visqueuse et tenace qui puisse renfermer et retenir cet esprit, s’étendre, se figurer, et conserver cette forme qu’elle aura prise. Cela posé, dès que l’esprit dilate par un feu aussi actif que celui de ce fourneau dont nous venons de parler, ressent le plus foible degré de froid, il doit éprouver une sorte de congélation[68]. Il n’est pas douteux que cette vivification ne soit provoquée et facilitée par le vitriol, substance très disposée à l’expansion et à la germination, comme le prouvent un grand nombre d’expériences chymniques. En un mot, la plupart des substances putréfiées engendrent des insectes de différentes espèces, dont il seroit inutile de faire ici la complète énumération.

697. Les anciens s’imaginoient que les insectes prenoient fort peu d’alimens ; ce qui prouve qu’ils n’avoient fait sur cette classe d’animaux que des observations très superficielles : car l’on sait que les sauterelles dévorent en peu de temps toute l’herbe d’une vaste contrée ; que les vers à soie rongent fort vite les feuilles de mûrier, et que les fourmis font d’amples provisions. Il est vrai cependant, que les animaux qui dorment ou demeurent immobiles durant une partie de l’année, tels que les loirs, les chauve-souris, etc. mangent fort peu dans cet état d’inertie. Tous les insectes sont dépourvus de sang ; ce qui peut venir de ce que le suc dont leur corps est rempli, est tout homogène, tout d’une seule espèce, et non de nature à former des substances de différente espèce, telles que le sang, la chair, la peau, les os, etc. comme dans les animaux parfaits. Aussi voit-on beaucoup de diversité dans leurs organes, et très peu dans leurs parties similaires. Cependant, il en est qui ont un diaphragme, des intestins, etc. tous ont une peau, et quelques-uns en changent plusieurs fois. Généralement parlant, les insectes sont peu vivaces. On s’est toutefois assuré que les abeilles vivent sept ans ; mais si l’on croit communément que les serpens vivent fort long-temps, c’est par la seule raison qu’ils changent de peau ; cette opinion, d’ailleurs, n’étant fondée sur aucune observation directe. Les anguilles, qui sont aussi un produit de la putréfaction, vivent et croissent fort long-temps. Quant à ces insectes rampans qui se changent en insectes ailés durant l’été, et qui, durant l’hiver, reviennent de l’état d’insecte ailé à celui de ver, on s’est assuré, en en gardant de cette espèce dans des boites, qu’ils vivent au moins trois ou quatre ans[69]. On connoit cependant un insecte ailé qui ne vit qu’un seul jour, et auquel, par cette raison, on a donné le nom d’éphémère. La cause de cette courte durée peut être la quantité extrêmement petite, et le peu de force de l’esprit qui anime cette sorte d’insectes ; ou encore, la simple absence du soleil ; et, selon toute apparence, si on les tenoit exposés aux rayons de cet astre, ou en général, très chaudement, ils vivroient davantage. Il est beaucoup d’insectes ailés, tels que les papillons, les mouches, etc. qu’on ranime aisément quoiqu’ils paroissent comme morts, en les exposant au soleil, ou en les approchant du feu ; ce qu’on peut attribuer à la grande expansibilité de leurs esprits vitaux, et à la facilité avec laquelle le plus foible degré de chaleur peut les dilater. La plupart de ces insectes, après l’amputation de la tête, font encore différens mouvemens ; et même lorsqu’on les coupe par morceaux, ces morceaux frémissent et palpitent ; ce qu’on peut expliquer aisément, en supposant que leurs esprits vitaux sont distribués plus également dans toutes les parties, et moins confinés dans certains viscères ou sièges particuliers, que ceux des animaux parfaits.

698. Les insectes ont des mouvemens volontaires, et par conséquent une imagination : et si quelques anciens ont avancé que ces animaux n’ont que des mouvemens indéterminés, qu’une imagination vague et sans objet fixe, c’est faute de les avoir suffisamment observés ; car, les fourmis, par exemple, vont droit au lieu de leur retraite ; et les abeilles reconnoissent leur chemin avec une étonnante facilité, lorsqu’après avoir traversé des plaines fleuries, elles font deux ou trois milles pour retourner à leurs ruches. Il se peut toutefois que les mouches, les moucherons, les papillons, etc. aient une imagination beaucoup plus variable, et soient dans une sorte de vertige perpétuel, à peu près comme les oiseaux de la plus petite espèce[70]. Mais, quelques anciens leur refusent tout autre sens que celui du tact, opinion évidemment fausse ; car ils ne pourroient aller droit à leur objet, s’ils n’avoient le sens de la vue ; ni préférer telle fleur à telle autre, s’ils n’avoient celui du goût : enfin, si l’on peut rappeler les abeilles en frappant sur des vaisseaux d’airain, elles ont donc aussi le sens de l’ouïe : tous faits qui prouvent en même temps que ces sens ont dans leur tête certains sièges particuliers, quoique leurs esprits soient répandus plus également dans toutes les parties, que ceux des animaux terrestres.

Nous croyons devoir renvoyer les autres observations que nous aurions à faire sur les insectes et l’énumération de leurs différentes espèces, au chapitre ou nous traiterons des animaux en général.

Observations relatives aux moyens de sauter et de lancer les corps avec plus de force.

699. Il est plus aisé de sauter avec des poids dans ses mains, que sans ce secours ; l’effet de ces poids, lorsqu’ils ne sont pas trop grands, étant de contracter les nerfs (les muscles), et de les fortifier. Aussi, lorsque cette contraction n’est pas nécessaire, de tels poids ne font-ils qu’embarrasser et gênent-ils les mouvemens, au lieu de les faciliter ; comme on le voit par ces précautions qu’on prend ordinairement aux courses de chevaux ; car on sait que les parieurs ont soin de faire peser, avec la plus minutieuse exactitude, ce que doivent porter les doux chevaux, afin que l’un ne soit pas plus chargé que l’autre, même d’une once. Quand on saute avec des poids dans les mains, on retire d’abord les deux bras en arrière, puis on les porte en avant, avec un élan qui va en croissant très sensiblement ; les deux mains qui portent les poids, ne se portant elles-mêmes en avant, qu’après s’être retirées en arrière. Il seroit à propos de multiplier les observations de ce genre, afin de savoir si en effet, lorsqu’on fait d’abord le mouvement contraire à celui qu’on a en vue, les esprits, par ce moyen, prenant, pour ainsi dire, un plus grand élan, se portent ensuite avec plus de force dans les parties qu’on veut mouvoir ; car, dans la respiration, par exemple, si l’on retient long-temps son haleine, elle sort ensuite avec plus de force ; de même lorsqu’on veut lancer une pierre, pour donner plus de force au jet, on retire d’abord le bras en arrière[71].

Observations sur les sensations agréables on déplaisantes, et principalement sur celles qui se rapportent à l’ouïe.

700. Nous avons traité assez amplement des tons musicaux et des sons inégaux (dans la seconde et la troisième centurie) ; mais en nous étendant un peu moins sur les sons agréables ou déplaisans, dont il est ici question. Les sons déplaisans, tels que ceux d’une scie qu’on aiguise, de deux pierres qu’on frotte avec force l’une contre l’autre, d’une voix aigre et glapissante, font, en quelque manière, frissonner tout le corps et agacent les dents. La cause de ce double phénomène est que les objets relatifs à l’ouïe, sont presque les seuls dont l’impression immédiate sur les esprits soit agréable ou déplaisante ; par exemple, il n’est point de couleur qui, par elle-même, blesse la vue autant que les sons, dont nous venons de parler, blessent l’oreille, Il est sans doute une infinité de choses, dont la simple représentation est effrayante ou rebutante ; mais ces images ne produisent de tels effets que par l’intervention de la mémoire, et parce qu’elles nous rappellent des objets de cette nature ; représentations qui n’affectent jamais aussi vivement que la présence des objets mêmes. Quant à ce qui regarde les odeurs, les saveurs et les différentes espèces de tacts, les impressions qui s’y apportent sont toujours, en totalité ou en partie, occasionnées par l’impulsion du corps même de l’objet, ou par celle de quelque substance qui en est émanée. Ainsi, on doit regarder les sons comme le genre de sensations ou d’impressions qui affectent les esprits le plus immédiatement, et de la manière la plus incorporelle. C’est ce dont on voit une infinité d’exemples dans la musique, surtout dans les effets des accords et des dissonances. Car les sons agréables, soit clairs ou sourds, soit forts ou foibles, etc, ont, par cela seul qu’ils flattent l’oreille, une sorte de rondeur et d’égalité ; au lieu que les sons déplaisans sont toujours inégaux ; une dissonance en elle-même n’étant autre chose qu’une sorte d’aspérité, produite par le concours et le choc de plusieurs sons différens, qui ne sont pas de nature à être tempérés les uns par les autres. Il est vrai que cette inégalité, lorsqu’elle est de courte durée ; et n’est, pour ainsi dire, qu’une passade, est agréable ; de ce genre sont les cadences et les tremblés qu’on fait sur les instrumens à cordes, le son tremblotant de ce tuyau des orgues de Barbarie, auquel, en Angleterre, on donne le nom de rossignol, le son rauque d’une trompette, une dissonance qui se fait tout-à-coup entendre dans une symphonie ; mais si cette inégalité subsiste assez pour que son impression devienne dominante, alors elle blesse l’oreille. Ainsi, on peut distinguer dans les sons trois degrés ou espèces d’impressions, agréables ou déplaisantes ; savoir : celle des sons agréables par eux-mêmes, celle des sons discordans, et celle des sons déplaisans par eux-mêmes, que nous distinguons par différens noms, tels que ceux dont nous avons parlé plus haut. Quant à l’effet des sons qui agacent les dents, il est d’autant moins étonnant, qu’on voit un exemple frappant de la corrélation et de la correspondance qui existe entre cette partie et l’organe de l’ouïe, dans ce qu’on éprouve lorsqu’ayant pris entre ses dents l’extrémité d’un arc, on donne un coup sec sur la corde.

Avertissement ; boussole ; méthode de renversement ; fin de la cinquième Centurie[72].

Quand cette construction rencontreroit, dans la pratique, des difficultés beaucoup plus grandes que celles qu’on y entrevoit, à la première vue, il ne seroit peut-être pas impossible de remédier à ces inconvéniens, en appliquant, d’une autre manière, le principe qui en est la base ; mais, dans le cas même où ce remède seroit impossible, elle ne laisseroit pas de remplir encore notre triple objet, qui étoit, 1°. de donner un moyen méchanique applicable à une infinité d’autres cas ; 2°. d’offrir un exemple de la manière de rendre les erreurs et les déviations plus sensibles, en doublant leur effet par un renversement alternatif de position qui les fait agir en deux sens opposés tour à tour : 3°. enfin, d’éclaircir, par un exemple quelconque, l’exposé de notre méthode de renversement ; éclaircissement qui étoit notre principal but.

Fin du huitième volume
  1. Je suis obligé d’ajouter ici ces mots, habituel et habituellement, sans lesquels son exposé seroit inintelligible. L’obscurité de notre auteur dépend de ce qu’il ne sait pas répéter à propos un substantif ; ce qu’on doit faire plus fréquemment dans les langues latine et angloise, où les pronoms ne différencient pas assez les genres, et où l’on fait fréquemment usage du neutre. En physique, il faut sacrifier hardiment l’élégance à la clarté.
  2. Mais quelle est la vraie différence entre : cette accrétion et cette alimentation ? C’est ce qu’on nous laisse à deviner, en se tirant d’affaire avec des mots : devinons donc, si nous le pouvons. Cette différence paroît consister en ce que les molécules alimentaires, en s’agrégeant aux corps organisés, s’y assimilent ; au lieu que les molécules qui s’agrègent aux corps inanimés, ne s’y assimilent pas.
  3. Le métal est tout au-dessous ; la plante est en partis au-dessus, en partie au-dessous. L’animal est tout au-dessus ; mais il y tient encore par les pieds, et il y paroît, même dans l’homme : c’est la terre qui le ravale, et le fou qui l’élève ; il est roturier par ses sens, et noble par sa pensée.
  4. Cette phrase indique le véritable sens du n°. 601, où il semble comparer les plantes aux corps inanimés.
  5. Linnée n’est pas de ce sentiment.
  6. Je suis obligé de forger ce mot, pour rendre son idée, qui me paroît très grande et très philosophique.
  7. Abstraction faite du sexe proprement dit, les individus forts et courageux, dans chaque sexe, sont aux individus foibles et timides, ce que le mâle est à la femelle ; et chaque individu, comparé à lui-même dans ses plus grandes variations, est, pour ainsi dire, tantôt mâle, tantôt femelle ; il est l’un et l’autre alternativement, par rapport à ses qualités méchaniques, à ses sens, à son cœur, à sa pensée, à sa volonté, à ses discours et à ses actions. Or, ce que nous disons de deux individus considérés dans le même temps, et du même individu considéré en différens temps, on peut le dire aussi des familles, des villes, des provinces, des empires, des siècles et des âges ; en un mot, des sociétés humaines, grandes et petites, comparées à d’autres dans le même temps, ou à elles-mêmes en différens temps. Cette manière de considérer les différences et les variations des individus et des sociétés, est une grande clef ; c’est la plus grande simplification qu’un philosophe puisse imaginer.
  8. Je sais que, du temps de Bacon, on donnoit le nom d’écu à cette arme défensive ; mais alors il auroit fallu dire que les feuilles de cet arbre sont de la largeur d’un petit écu : des pieds et des pouces auroient mieux valu.
  9. On le trouve dans toute la longueur de la canne. Prenez une de ces cannes ; coupez-la en plusieurs morceaux ; mordez-les par une extrémité ou par l’autre, et vous exprimerez de tous un suc aussi doux que l’est une eau très chargée de sucre, mais d’une saveur un peu plus agréable.
  10. Dans nos relâches à Java et à Sumatra, les Malais nous apportoient, sur des feuilles de palmier, une substance brune, visqueuse et fort sucrée, que nos marins appelloient du jagre : on la tire du palmier.
  11. Le traducteur latin dit des raisins de Corinthe, qui, à la vérité, vaudroient mieux.
  12. Par exemple, arroser des carottes avec du vin de Tokay.
  13. Arbrisseau odoriférant et analogue au cannelier.
  14. Ce passage est relatif à un centurion dont parle Tacite, et qui, ayant rompu sur le dos d’un soldat un bâton (de vigne, vitem), en demandoit un autre, pour le rompre encore. On trouve aujourd’hui, à Rome, des cannes de cette espèce, qui sont aussi droites, aussi unies et aussi souples que des jets ; mais trop légères. M’étant avisé d’en couper une, je vis que son intérieur étoit spongieux et rempli de petits trous, comme celui d’un jet.
  15. On conserve assez bien ces fruits dans une liqueur composée d’eau-de-vie et de sucre ; mais alors on ne mange, à proprement parler, que ce sucre et cette eau-de-vie, dont la saveur forte fait disparoître celle du fruit. Il faudroit essayer de les mettre dans l’eau-de-vie, ou dans l’esprit de vin, en les enveloppant auparavant, de manière que la liqueur ne pût les toucher, Mais, comme toutes les enveloppes qui seroient de nature à n’être point pénétrées par ces liqueurs, pourroient dounner aux fruits une odeur désagréable, ayez deux vaisseaux cylindriques, dont l’un ait un diamètre plus petit de quelques lignes, et puisse entrer aisément dans l’autre. Mettez les fruits dans le plus petit ; fermez-le exactement ; mettez-le dans le grand ; versez entre deux de l’esprit de vin, de l’eau-de-vie, du vin, ou même de l’eau, en assez grande quantité pour que cette liqueur couvre entièrement le plus petit vaisseau ; fermez exactement le grand, et attendez.
  16. De cendres, de charbon pulvérisé, de petits grains, comme le millet, la navettes et même de gros ; comme froment, orge, avoine, vesces, chenevis, etc, mais, avant d’employer ces poudres, ou ces grains, il faut les mettre au four, pour en ôter toute l’humidité.
  17. Ces moyens moins connus qu’on peut employer pour conserver des fruits on autres substances corruptibles, peuvent être ramenés à huit classes : le lecteur nous saura peut-être quelque gré d’en former ici une espèce de tableau.
    1°. Le néant Le vuide d’air fait plus ou moins exactement, à l’aide de la machine pneumatique.
    2°. Substances aériformes ; fluides L’air condensé ; l’air déphlogistiqué ; les gas inflammable, méphitique, nitreux, marin, acide spathique, etc. la fumée.
    3°. Poudres et grenailles Son, farine, sciure de bois, chaux, cendres, charbon, sucre, sel, poivre, sable, craie, etc. millet, navette, froment, orge, avoine, vesce, chenevis, etc. les limailles métalliques.
    4°. Enveloppes Papier simple, papier huilé ; toile simple, toile cirée ou gommée ; étoffes de fil, de laine, de soie, de coton ; peaux, cuirs, etc. (en cueillant les fruits ou les laissant sur l’arbre).
    5°. Enduits Vernis, cire, graisses, plâtre, chaux, argile, etc.
    6°. Liqueurs Eau pure, vin, eau-de-vie, esprit de vin, huiles, sucs d’herbes ou de fruits, encre ; acides nitreux, marin, sulfureux, etc, affoiblis avec de l’eau ; dissolutions de toute espèce.
    7°. Enfouissement Dans une terre végétale, dans la marne, la craie, la glaise, le sable, les creux de roches, etc. au fond d’un puits, d’un étang, etc.
    8°. Clôture simple.
    Puis les différentes combinaisons de ces moyens
    Les renfermer dans des boîtes, dans des vaisseaux de terre, de faïence, de porcelaine, de verre, d’ivoire, d’os, de métal, etc. et en scellant l’extrémité du pédicule avec cire à cacheter ; cire d’abeilles, poix, etc.

    Il ne s’agit pas ici d’une énumération complète, mais d’une simple distribution, pour mettre un peu d’ordre dans les expériences de ce genre.

  18. Il ne détermine pas avec assez de précision ce qu’il entend par saveur grasse et saveur douce.
  19. Ce sant des espèces de dissonances destinées à rompre l’uniformité des saveurs agréables et continues ; en un mot, ce sont des stimulans, et comme substances actives, et comme substances nouvelles.
  20. Il veut toujours que Le vin soit inflammable.
  21. Qui vient, selon nos chymistcs, de ce que l’acide concentré par la chaleur qui fait évaporer l’humor aqueux où il est délayé corrode, brûle même le papier.
  22. La couleur, l’odeur, le gonflement, et beaucoup d’autres symptômes, annoncent que toute génération, soit de végétaux, soit d’animaux, est le produit, ou du moins, en partie, l’effet d’un genre de fermentation fort analogue à la fermentation putride : il paroit que cette putréfaction est nécessaire pour dégager le germe, en amollissant et dissolvant même son enveloppe ; je n’ose ajouter, et pour l’animer, pour lui donner un premier mouvement, et provoquer son développement.
  23. Ce n’étoit pas par humanité ; mais c’étoit parce que ceux qui décernoient la peine capitale, étoient eux-mêmes exposés à l’encourir.
  24. Le nom de cette plante est en latin, même dans l’original anglois ; et comme l’auteur n’indique jamais les sources où il puise toutes ses fables, on ne peut y puiser d’autres petits contes, pour éclaircir les siens.
  25. Parce que, sur ces chèvre-feuilles, on voit deux fleurs l’une sur l’autre, comme, dans les petits vaisseaux, l’on voit les huniers au-dessus des basses voiles ; et dans les grands, les perroquets au-dessus des huniers.
  26. Je traduis ce passage mot à mot, et d’après l’original anglois qui est le véritable, afin que le lecteur sente la nécessité de m’accorder un peu de liberté dans cette traduction. On voit qu’il suppose aux végétaux, des goûts, des désirs, des projets et des mouvemens conformes à leurs penchans ; mais il suffit, pour rentrer dans la physique, de substituer à ces mots, désir, envie, volonté, le mot tendance.
  27. Ils en poussent une autre, parce que cette racine pivotante rencontrant le tuf ou la pierre qui arrête sa pousse, leur sève qui ne peut plus alors se porter perpendiculairement de haut en bas, se détourne et se jette de coté, c’est-à-dire, se porte vers les points où elle éprouve moins de résistance.
  28. Certains cultivateurs, persuadés que toute racine coupée, rompue, ou pincée, ne s’allonge plus, et qu’alors la sève se jetant de côté produit des racines rampantes et horizontales, ont soin, lorsqu’ils transplantent un arbre à racines pivotantes, de rompre, de couper, de pincer, ou de couder cette racine, afin que la pousse ultérieure se porte latéralement, et que l’arbre ait plus d’empattement. D’autres blâment cette pratique, prétendant que la méthode qui imite le mieux la marche de la nature, est la meilleure que le plus sûr est de la laisser faire ; et qu’un arbre, par le moyen d’un seul suçoir fort gros, pompe plus de suc qu’à l’aide d’un grand nombre de petits. D’autres encore objectent à ces derniers, qu’on n’est pas toujours maître de laisser subsister cette racine pivotante, et que, dans certain cas, on se trouve forcé de l’accourcir, ou de couder sa partie inférieure ; par exemple, lorsqu’on veut transplanter un arbre de cette espèce dans un terrein dont la couche végétale n’est pas fort épaisse. Mais d’ailleurs, pour décider cette question, il faudroit comparer ensemble des arbres ou des arbrisseaux à peu près de même taille, dont les uns eussent beaucoup de sève, et les autres en eussent peu ; et voir si les racines de ceux qui en ont beaucoup, sont pivotantes, ou rampent latéralement, et ont beaucoup de chevelu. Cette distinction une fois faite, la marche de la nature, à cet égard, seroit connue, et il ne resteroit plus qu’à l’imiter.
  29. Ils ne conserveront pas toute leur fraîcheur ni tout leur suc ; au contraire, ils se flétriront de plus en plus, et n’en deviendront que plus sucrés. Voici un procédé à l’aide duquel j’ai, en différentes années, mangé du raisin jusqu’à la fin de mai. Prenez plusieurs cerceaux de grandeur un peu inégale ; faites-les entrer les uns dans les autres en les croisant ; et formez-en une espèce de sphère armillaire ; passez-y des ficelles ou des fils dans tous les sens ; suspendez à ces fils ou à ces ficelles les grappes une à une, et de manière qu’elles ne se touchent pas ; enfin, suspendez cet appareil au plancher d’une cuisine, ou chambre à feu, un peu haute. Deux appareils de cette espèce suffisent pour une seule personne. Le raisin mangé en petite quantité deux fois par jour, entretient la liberté du ventre et du cerveau : ce procédé est donc précieux pour les gens d’étude, et en général pour toutes les personnes sédentaires.
  30. Et de sceller l’extrémité de cette queue avec de la cire d’Espagne ou de la cire d’abeilles, comme il est dit dans le tableau.
  31. On ne choisit point entre ces deux substances, mais on emploie l’une et l’autre ; on fait entrer l’étoupe ou les feuilles de roseau dans les jointures à l’aide d’un ciseau dont le tranchant est cave, et d’un maillet ; puis on met la poix ou le brai par dessus ; l’un sans l’autre ne suffiroit pas.
  32. On les frappe sur la partie supérieure et postérieure des cuisses, avec une espèce de latte fort large et fort longue, composée d’un morceau de bambou aplani des deux côtés ; ce que nos marins appellent donner la houppade. À Canton, on voit fréquemment des espèces de soldats armés de ces lattes.
  33. Je soupçonne que, pour faire cette expérience, il vaudrait mieux être deux car il me semble que si l’on mettoit sa bouche à une extrémité d’une pièce de bois de trente pieds de long, et son oreille à l’autre bout, on n’entendroit pas bien.
  34. C’est peut-être parce qu’ils sont plus sauvages. Il en est des arbres comme des hommes : quand on les cultive trop, les vers s’y mettent ; la culture rendant les uns et les autres plus souples et moins forts.
  35. Ces vents violens de sud et de sud-ouest, accompagnés ou suivis de grosses pluies, ont cinq principaux inconvéniens. 1°. Ils abattent les fleurs ; 2°. ou ils les lavent, et enlèvent les poussières fécondantes des étamines ; 3°. en avançant excessivement la pousse, ils exposent les végétaux à tous les inconvéniens des gelées tardives ; 4°. ils renplissent d’eau et ces végétaux et la surface du terrein ; ce qui rend ces gelées encore plus dangereuses ; 5°. ils rendent la terre pâteuse dans le temps où elle a le plus besoin d’être ameublie.
  36. Jamais trois hivers doux ne se suivent immédiatement, comme je suis en état de le prouver par un grand nombre d’observations en ce genre. Sur trois hivers, il y en a toujours un assez rude ; et sur quatre ou cinq, un très rude. On en verra la raison à la fin de la neuvième centurie.
  37. Elle l’humecte, sans la détremper excessivement, et sans la convertir en boue ou en pâte.
  38. Il paroit que la neige se forme par la congélation d’une eau qui ne s’est pas encore ramassée en gouttes, et qui se trouve alors disséminée entre les parties de l’air.
  39. L’eau donne la quantité, et le soleil, la qualité.
  40. Arroser beaucoup le matin, durant l’été, c’est donner à déjeuner au soleil ; par la même raison, pour humecter le ventre, durant les grandes chaleurs, il faut boire beaucoup plus le soir que le matin ; car boire beaucoup le matin dans une telle saison, c’est se préparer à suer.
  41. Il veut sans doute parler de la greffe en fente.
  42. Les qualités et les dispositions des substances composées des mêmes principes, doivent nécessairement avoir entr’elles une certaine analogie : or, la couche végétale des terreins cultivés est composée de terre, d’eau, d’air, de feu ou de calor, d’huile, etc. comme la substance des animaux qui se nourrissent de leurs productions. Il ne seroit donc pas étonnant que la substance de cette terre fût susceptible d’appétit et de satiété, comme ces animaux. Dans l’homme, par exemple, ce n’est pas l’âme qui a faim ; car l’âme ne mange pas : c’est donc le corps. Or, si cette matière a faim dans l’homme, pourquoi n’auroit-elle pas faim hors de l’homme ? et il en est de même de la satiété. On peut dire en général que l’univers entier a faim de changements ; et la terre, comme tout le reste.
  43. C’est le plus substantiel, le plus farineux et le plus pesant.
  44. Puis il distribua tout l’argent de ces profits aux pauvres familles de Milet sa patrie, et se remit à philosopher. Mais une physique qui prétend que la lune n’a aucune influence sur les végétaux, ne nous mettra pas en état de faire de telles prédictions. On verra à la fin de la neuvième centuric, qu’elles ne sont pas impossibles. Nous-mêmes, réunis avec Bacon et Toaldo, nous mettrons un peu sur la voie.
  45. Et l’on pourroit, après avoir fait ces profits, être pendu, comme on l’auroit mérité. Il est inutile de donner de tels conseils aux monopoleurs, accapareurs et autres brigands qui mangent le peuple en l’empêchant de manger : se mettre en état de prévenir les disettes, est pour un philosophe un gain suffisant.
  46. Cet oiseau de paradis dont parle notre auteur, n’est pas celui qu’on voit au cabinet national à Paris, mais celui qu’on trouve dans les bosquets aériens du paradis terrestre, et qui se perche ordinairement sur l’arbre de la science du bien et du mal, espèce de pommier sauvageon, dont le fruit est si difficile à digérer. Il pond ordinairement dans le nid du roc ou du phénix ; mais seulement deux œufs par couvée ; l’un blanc, et l’autre noir.
  47. Cette impertinente phrase est une vraie déjection d’un grand génie ; j’ai peine à me persuader qu’elle vaille mieux que toute l’histoire naturelle d’Aristote et toute celle de Pline. En quelque genre que ce puisse être, c’est toujours le plus foible qui a recours le premier aux invectives : moins on digère, plus on rejette par bas.
  48. Et d’âne.
  49. On voit dans ce passage pourquoi nous disons le calor, à l’exemple du systématique Crawfierd ; et non le calorique, comme ses copistes.
  50. Il y a, dans le corps humain, des parties qui transpirent beaucoup, et qui n’en sont pas moins velues.
  51. Il n’est pas conséquent ; car il faut des trous et même des trous plus grands pour l’évacuation que pour l’assimilation : d’où il suit que la solidité du crâne doit être un obstacle à l’évacuation ainsi qu’à l’assimilation ; d’ailleurs, cette phrase et la précédente paroissent contradictoires.
  52. On peut ajouter qu’il ne croit jamais de poils sur ces parties, par la même raison que l’herbe ne croit jamais dans les allées de jardins très fréquentés, ni sur le pavé ; la dureté de ces parties, et les frottemens continuels qu’elles éprouvent, étant un obstacle à l’accroissement des poils ; car l’herbe est le poil de la terre, et les poils sont l’herbe des terreins animés, des terres vivantes.
  53. Cette explication seroit d’autant plus mauvaise, que la portion du poids absolu d’un animal terrestre, soutenue par la terre, est beaucoup plus grande que la portion du poids absolu de l’oiseau, soutenue par l’air. Au reste, on peut dire qu’à certains égards, un oiseau est un poisson qui nage dans l’air ; et qu’un poisson est un oiseau qui vole dans l’eau ; et ce qui semble appuyer cette comparaison, c’est que les nageoires et la queue du poisson ont beaucoup d’analogie avec les ailes et la queue de l’oiseau. L’oiseau, ainsi que le poisson, est soutenu en partie par la résistance naturelle du fluide où il est plongé, et en partie par la réaction de ce fluide vivement frappé ; mais avec cette différence, que le fluide où vole le poisson, est au moins huit cents fois plus dense que celui où nage l’oiseau ; d’où il suit que le poisson a deux grandes facilités de plus.
  54. J’ai fait moi-même plusieurs fois cette expérience sur une marmite de fer blanc remplie d’eau bouillante ; et je soupçonne qu’elle ne réussiroit pas aussi-bien sur un vaisseau très épais.
  55. Mauvaise explications car on ne peut toucher impunément les côtés du vaisseau, quoiqu’ils aussi en contact avec l’eau.
  56. Le traducteur latin dit : de piquer l’oreille à une personne qui baille.
  57. Pour se faire éternuer par le moyen du soleil, il faut rabattre son chapeau sur ses yeux, ne regarder l’astre que de coté et en clignant l’œil : mais, d’ailleurs, l’on sait que le passage rapide de l’air des maisons à l’air extérieur suffit pour exciter l’éternuement ; par la même raison qu’on voit souvent un enfant venant au monde, éternuer. En général, l’éternuement est excité par tout corps, solide ou fluide, qui irrite et stimule légèrement la membrane pituitaire.
  58. Les lèvres fournissent aussi des indications assez sûres. Par exemple, leur couleur indique, par son espèce, les qualités du sang ; et par son intensité, la quantité de ce fluide, du moins dans cette partie. Or, dans la plupart des individus, tel le sang, tel l’homme. Ainsi, les lèvres parlent, même quand l’homme se tait.
  59. Il qualifie de simples, certaines substances animales, employées comme médicamens.
  60. L’expression, dans le texte original, est très vague et très obscure : on voit qu’il n’ose s’expliquer ; mais il paroit qu’il veut parler de ce genre d’alimens ou de remèdes que certains législateurs, entr’autres Moyse, avoient défendu par une loi positive, et qui consistoit à sucer le sang chaud d’un animal récemment tué, ou même encore vivant ; ou enfin de la transfusion du sang, opération qui consiste à évacuer en partie le sang d’un vieillard ou d’un individu cacochyme, et à le remplacer en faisant couler dans ses veines le sang d’un animal jeune, sain et vigoureux.
  61. C’est une allusion à une réponse un peu burlesque de Socrate. Un sophiste prétendant que le bonheur consistoit à désirer beaucoup et à jouir en proportion de ses désirs : fi d’un tel bonheur, répondit le philosophe sévère, ce seroit un bonheur semblable à celui d’un galeux qui éprouve de continuelles démangeaisons, et qui se gratte sans cesse.
  62. Suivant M. de Buffon et quelques autres philosophes, les cing sens ne sont, à proprement parler, que cinq différentes espèces de tact ; conjecture qu’il est facile de convertir en une vérité certaine, par le moyen du raisonnement suivant : toute sensation est l’effet d’un ébranlement, ou, ce qui est la même chose, d’un mouvement ; et ce mouvement venant nécessairement d’ailleurs, toute sensation est donc l’effet d’un mouvement communiqué. Or, sans un contact quelconque, nul mouvement ne peut être communiqué. Toute sensation est donc l’effet d’un contact, et n’est que la perception de ce contact même, ou du mouvement qui en est la conséquence. Ainsi, les différentes espèces de sensations ne sont que différentes espèces de tact ; et rien n’empêche de qualifier de sixième sens ce genre de tact auquel est attaché le plaisir de la génération. Comme il est fort différent des autres, il mérite un nom particulier ; car, au fond, il ne s’agit ici que de ce nom, et c’est une pure dispute de mots.
  63. À des maladies quelquefois mortelles ; mais la plus ordinaire est un certain genre de folie et d’affection hypocondriaque.
  64. Leur morsure ou piqûre occasionne une sorte de pléthore ou de fièvre de peu de durée, et dont l’effet peut être de purifier le sang ; mais nous ne parlons que de ceux des pays chauds.
  65. Le texte anglois dit les tiques (ou en langue vulgaire, les chiques) ; mais des expériences réitérées nous ont appris à nous-mêmes qu’elles se forment dans les parties exposées à la poussière. J’ai cru devoir y substituer l’araignée de Cythère.
  66. Après leur transformation en papillons.
  67. Quelle sorte d’opération ? Il ne s’explique jamais : l’expression du texte original, soit anglois, soit latin, est si équivoque, qu’on ne peut deviner s’il s’agit d’une opération quelconque faite dans un vaisseau de cuivre, ou faite sur ce métal même.
  68. Ce doit être tout le contraire : plus l’esprit est dilaté, plus il est loin du terme de la congélation, qui est l’effet d’une contraction ; et plus le froid capable de le faire parvenir à ce terme doit avoir d’intensité. Il vouloit et il devoit dire seulement que cet esprit est alors plus susceptible non de congélation, mais de contraction.
  69. Ce ne sont pas les mêmes individus : le ver se change en insecte ailé ; par exemple, en papillon, en mouche, etc. l’insecte ailé pond ; de ces œufs naissent d’autres vers, etc.
  70. Généralement parlant, même dans notre espèce, et au-delà de certaines limites, les petits individus ont moins de jugement que les grands. Ces petits corps, tout composés de chanterelles extrêmement courtes, ont des oscillations trop promptes, un pouls trop fréquent et des mouvemens trop vifs : cette extrême vivacité les rend inconstans ; et l’effet naturel de cette inconstance est que, ne donnant pas à chaque objet le temps et l’attention nécessaires pour le connoître et l’analyser, ils ne peuvent avoir d’aucun de justes idées, ni saisir les vrais rapports de ces idées, ni les combiner avec justesse. Le singe, par exemple, peut être regardé comme un petit homme muet, turbulent et habituellement fou. Il faut pourtant excepter de cette règle, parmi les insectes, la fourmi ; et dans notre espèce, Monsieur Le Tourneur, le plus petit physiquement, et le plus grand moralement, de tous les traducteurs.
  71. Non-seulement pour lancer une pierre avec plus de force, il faut retirer le bras en arrière ; mais si on ne retiroit point le bras en arrière, il seroit tout-à-fait impossible de lancer ce corps. Car, pour pouvoir porter cette pierre en avant, il faut nécessairement porter en avant la main qui doit la lancer : or, il est impossible de porter la main en avant, si elle y est déjà ; et plus elle est en arrière, plus il reste d’espace pour porter en avant et cette main et cette pierre à lancer. À cette raison triviale, et à celles que nous avons exposées dans la Balance naturelle (chap. I), en expliquant le même fait, on peut joindre la suivante. La main qui lance un corps, considérée depuis l’instant où elle commence à se porter en avant jusqu’à celui où elle lâche ce corps, est une force constante, c’est-à-dire, une force qui, en donnant l’impulsion au mobile, suit son mouvement, et qui, dans chaque instant, lui communique un nouveau degré de vitesse qui se joint à tous ceux qu’elle lui a donnés dans les instans précédens. Cela posé, plus la main se retirera en arrière, plus l’espace qu’elle aura à parcourir sera grand ; plus cet espace sera grand, plus il lui faudra de temps pour le parcourir ; plus elle en aura pour communiquer au mobile de nouveaux degrés de vitesse, plus ces degrés s’accumuleront, et plus leur somme sera grande. Or, la vitesse du mobile, au moment où il quitte la main, est égale à la somme de ces degrés. Ainsi, plus l’on retirera la main en arrière, plus la force du jet, ou la distance à laquelle le corps se portera, sera grande. Car ce mot d’élan n’est qu’une expression vague dont on se paie pour remplacer la véritable cause, avant de l’avoir aperçue.
  72. Note WS : Il semble que la place de cet avertissement devrait être, en effet, à la fin de la cinquième Centurie et non à la fin de la septième.