Sagesse de Bretagne/Préface

La bibliothèque libre.
Sagesse de BretagneAlphonse Lemerre, éditeur1 (p. 227-229).

PRÉFACE


Nos frères du pays de Galles possèdent depuis longtemps un livre intitulé Science des Bardes ; mais c’est un livre, comme le dit son titre, écrit par des poètes, par des lettrés.

Le nôtre est tiré presque tout entier de la sagesse du peuple. Nous l’avons recueilli de la bouche même des marins et des laboureurs, pendant nos paisibles retraites en Bretagne.

Plus d’une source écrite nous a cependant versé sa richesse ; ainsi les dictionnaires du P. Grégoire de Rostrenen et de Le Gonidec, le Barzaz Breiz de M. de la Villemarqué, et le charmant dialogue appelé le Bughel Fur.

Malgré nos doubles recherches, ce recueil, nous le déclarons, est bien incomplet ; toute la sagesse de Bretagne n’est point ici déposée ; mais le cadre est ouvert, que d’autres plus patients et mieux renseignés pourront un jour remplir.

Ainsi, dans la science aphoristique seraient comptés les dires de cette race superbe qui, abusant de la victoire, criait : « Malheur aux vaincus ! » ou, avec un plus noble orgueil, répondait au conquérant macédonien : « Nous ne craignons qu’une chose, la chute du ciel. » Mais ce sont là des cris isolés, comme le « Bois ton sang ! » d’un héros moderne, et non des proverbes.

Parmi tous les dictons familiers qui, dans ce recueil, montrent les rapports d’intérêts, de famille, de pays à pays, comme les altercations des bergers antiques, ou les travaux journaliers des laboureurs, quelques-uns cependant s’élèvent avec force ou douceur, et témoignent d’un grand sens moral. Contre l’avarice, quoi de plus terrible que ces quatre vers ?

 
Quand vous striez de la race au chien.
Entrez dans ma maison si vous avez du bien ;
Quand vous seriez de la race du roi,
Si vous n’avez plus rien, passez : chacun chez soi.

Les deux pivots de l’existence humaine, comme ils sont ici indiqués avec imagination !

Beg ar zoc’h, beg ar vronn

Gand hô daou é vévomp.

Bout du soc, bout du sein,

Par eux deux nous vivons.

Et, pour finir, voici par quelle image le peuple moraliste et poétique rendra la sentence du roi sage, sur la vanité des vanités de toutes choses :

Avel, aveloui, holl avel.
Vents, vents, tout n’est que vent.
A. B.
Septembre 1853.