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Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes/2/10

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CHAPITRE X


Budget de la Fabrique.


Comment dans une paroisse rurale a-t-on pu accomplir tant d’œuvres merveilleuses ? Où a-t-on pu trouver les ressources nécessaires pour solder de si grandes dépenses ? C’est une question qu’on peut se poser devant cette église, immense construction en pierres de taille, et ce clocher monumental ; devant cette chapelle ossuaire d’un travail si délicat et si parfait, cet arc de triomphe et ce calvaire d’une réelle valeur. On reste comme ébloui, en pénétrant dans l’intérieur de l’église, à la vue d’une ornementation si riche, de l’or prodigué comme à plaisir sur des rétables d’une largeur et d’une hauteur prodigieuses, et surtout devant ce chef-d’œuvre de sculpture qui se présente tout d’abord aux regards, devant cette chaire qu’un savant connaisseur appelle « la reine des chaires à prêcher. »

Quelques-uns pour trancher toute difficulté recourent à une explication qui a peut-être sa valeur pour d’autres paroisses. Ces constructions, disent-ils, sont l’œuvre de « francs-maçons » de diverses nationalités qui parcouraient les provinces pour élever des édifices « en l’honneur de Dieu et de la Vierge Marie ». Ils n’exigeaient pour leur salaire que le logement et le couvert avec un salaire insignifiant. Les archives de l’église paroissiale ne permettent pas d’accepter cette explication. Elles établissent que ces travaux ont été exécutés par des ouvriers de la région, et qu’ils ont été payés d’après le salaire des ouvriers de ces époques.

Tout travail à exécuter était mis en adjudication et le maître maçon ou entrepreneur qui restait adjudicataire des travaux était souvent payé par la fabrique d’après le nombre de journées employées par ses ouvriers à l’exécution de l’entreprise. Il recevait pour son travail personnel un salaire plus fort que celui de ses ouvriers ; ses frais d’installation et de voyage lui étaient remboursés. D’autres fois l’entrepreneur concluait avec la fabrique un marché à forfait [1]. Les tailleurs de pierre, les charpentiers et les manœuvres étaient payés à la journée et recevaient, les deux premiers, 13 ou 14 sols, et les derniers 10 sols par jour. De plus, la fabrique payait elle-même, et cette fois en nature, les charretiers qui se chargeaient du transport des pierres de la montagne d’Arrée, et plus d’une fois le vicaire général de Léon fut obligé de blâmer la prodigalité des marguilliers à l’égard de leurs compatriotes. Il refusait d’approuver les dépenses enregistrées au budget pour de nombreuses barriques de vin que consommaient les charretiers. La fabrique réglait donc elle-même les dépenses dans les moindres détails et faisait souvent mille difficultés pour solder ses créances. La perspective d’un procès n’était pas pour l’intimider, et elle eut même trouvé étrange de n’avoir pas de procès en cours devant un tribunal quelconque. Cette remarque se justifie d’après cette note que les comptables insèrent à la fin d’un de leurs budgets : « la fabrique étant sans procès ». C’était en l’année 1767.

Pour comprendre qu’elle ait pu faire face à tant de dépenses, il faut remarquer que ces travaux n’ont pas été exécutés en une année seulement ni même en un siècle. La construction de la partie nord de l’église date de 1520 à 1530, tandis que le dernier rétable n’a été mis en place qu’en 1734. Pour certains ouvrages d’art, tels que la chaire à prêcher ou le dosseret du siège du célébrant, les ouvriers n’exigeaient que le prix de la main-d’œuvre. Une autre considération dont il faut surtout tenir compte, quand on voit le peu de ressources dont disposait la fabrique relativement à l’importance des travaux exécutés, c’est que l’argent avait à ces époques une valeur qu’il n’a plus aujourd’hui.

D’autre part, certains legs pieux et le produit de quêtes spéciales faites dans la paroisse venaient encore s’ajouter au budget ordinaire de l’église. Parfois même la fabrique entreprenait un travail qui exigeait des dépenses au-delà de ses ressources du moment, mais quelques personnes généreuses se hâtaient de venir à son aide en lui avançant les fonds nécessaires.

Lors de la reconstruction de l’église en 1714, une jeune fille de Guélébara, Marie Madec, prêta à la fabrique sans intérêt la somme de 1.200 livres.

Voici en détail pour une année les diverses ressources de la fabrique (1713-1714) :

Rentes payables en argent des biens fonds situés dans la paroisse de Saint-Thégonnec. 1.112 liv.

Rentes sur des terres situées dans les paroisses de Plouneour-Ménez, Guiclan, Guimiliau, Lampaul, Plouvorn, Landivisiau, Ploudiry……… 111 liv.

À reporter.. 1.223 liv.

Report.. 1.223 liv.

Rentes payables en nature…… 58 liv.

Offrandes de l’année…… 1.533 liv.

Total des recettes... 2.814 liv.

Argent en caisse depuis les années précédentes.............. 9.017 liv.

Pour évaluer actuellement ces chiffres, il faudrait les multiplier par cinq ou au minimum par trois.

Les offrandes dont on vient de parler étaient constituées en partie par des dons que faisaient les paroissiens à l’occasion du jour octave ou anniversaire d’un décès. Les principales familles de la paroisse tiennent encore à honneur de conserver cette pieuse tradition. La plupart des offrandes provenaient cependant de dons en nature : poulets, veaux, beurre ou blé. Les habitants des campagnes donnent plus volontiers une partie des produits de leurs terres ou de leur industrie que la valeur de ces objets en numéraire. Aussi supprimer les offrandes en nature, c’est toucher à une des principales ressources de toute fabrique rurale. Tous les dimanches, à l’issue des offices, le sacristain ou l’un des marguilliers montait sur les degrés du calvaire pour vendre aux enchères les divers objets donnés en offrande à l’église.

La plus importante des oblations était, sans contredit, le lin ou le fil blanc. Le lin était encore naguère une des principales cultures du Haut-Léon et du Tréguier. Les nombreuses maisons qui ont à l’extérieur un escalier en pierre pour pénétrer au grenier où l’on remisait la toile, prouvent combien cette industrie était florissante dans la paroisse. Il a fallu l’importation des machines pour réduire le prix de la toile et ruiner un commerce qui a fait pendant longtemps la prospérité de Saint-Thégonnec.

Certaines années le produit du fil blanc reçu par la fabrique atteignait jusqu’à la somme de 700 ou 800 livres ; mais la valeur moyenne n’était que de 500 livres ; ce qui constituait encore un beau denier.

D’autres fois, les femmes se dépouillaient de leurs croix ou bagues d’or et d’argent pour en faire don aux saints honorés dans la paroisse, et en particulier à Notre-Dame de Bon-Secours.

Si les ressources de la fabrique atteignaient jusqu’à la somme de 3.000 livres, ses dépenses finissaient bien par atteindre les recettes. Outre le paiement des différents travaux exécutés pour l’embellissement de l’église, il lui fallait encore rétribuer le nombreux personnel qui émargeait à son budget et pourvoir aux frais de l’assistance publique.

Les enfants abandonnés étaient à sa charge et plus d’une fois, acculée sans doute au manque de ressources, la fabrique prétendit regimber contre cette obligation. En 1708, elle voulut refuser de s’occuper de l’entretien d’un enfant trouvé dont la paternité était attribuée à Jean Le Louarn du village de Luzec.

Elle fut appelée devant la juridiction de la cour du Penhoat par Françoise Marchaland, mère de Jean Le Louarn. La fabrique n’eut pas gain de cause et elle fut condamnée à payer 178 livres 9 sols comme frais du procès et à verser 78 livres 9 sols à la nourrice de l’enfant.

D’autres dépenses également nécessaires venaient encore grever le budget. Les impôts payés en deux termes montaient à 160 livres pour les décimes ordinaires et extraordinaires et pour la capitation.

La baisse sur la valeur de l’argent occasionnait de temps en temps à la fabrique une perte assez sensible. Elle possédait en caisse l’excédent des recettes des années précédentes et cette valeur consistait principalement en argent. C’est surtout à la fin du règne de Louis XIV et pendant la Régence que cette dépréciation de l’argent se fit sentir. Les marguilliers, en quittant leurs fonctions au mois de décembre, avaient soin de faire constater que l’encaisse laissée par leurs prédécesseurs avait perdu de sa valeur durant l’année de leur charge. En 1701, c’est une perte de 44 livres et en 1723, la perte est encore plus sensible ; elle est de 246 livres.

Telle était la nature des recettes et des dépenses de la fabrique de Saint-Thégonnec. C’est avec ce budget, qui souvent ne dépassait pas la somme de 3.000 livres, qu’elle a su réaliser un ensemble de constructions dont la richesse et l’harmonie n’ont été surpassées ni même atteintes dans aucune autre paroisse du diocèse.

  1. Voir la construction de l’ossuaire et des rétables.