Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes/2/4

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CHAPITRE IV


Ossuaire (1676).



§. I.
Sa Description.


Avant la construction de l’ossuaire actuel, en 1676, il en existait un autre sur l’un des côtés du cimetière à la partie nord, et celui-ci servait en réalité à recueillir les ossements. Il a été détruit vers 1850.

« L’ossuaire de 1676, dit M. le chanoine Abgrall [1], est un des derniers ossuaires en date, mais c’est le plus beau et le plus monumental. La façade midi et l’abside à pans coupés sont particulièrement riches. L’abside est percée de deux belles fenêtres et appuyée sur ses angles par des contreforts surmontés de clochetons qui forment une admirable silhouette avec les trois autres clochetons plus haut placés sous les pignons aigus.

« Sur la façade latérale, un solide soubassement soutient un rang de six fenêtres séparées par des colonnes corinthiennes, et au milieu est une large porte de même style.

« Le deuxième étage est formé par une série de huit niches à coquilles, encore séparées par des colonnes semblables mais plus courtes.

« Au-dessus de la porte une niche monumentale abrite la statue de saint Paul Aurélien ; cette niche est surmontée d’un dais et accosté de deux cariatides à gaines coiffées de la volute ionique.

« Dans la frise qui sépare les deux étages est sculptée une inscription magistrale en grandes capitales romaines qui se continue sur tout le pourtour de l’édifice :


C’EST UNE BONNE ET SAINCTE PENSÉE DE PRIER
POUR LES FIDÈLES TRÉPASSÉS.
REQUIESCANT IN PACE. AMEN. — HODIE MIHI.
CRAS TIBI.
Ô PÉCHEURS, REPENTEZ-VOUS ÉTANT VIVANTS,
CAR À NOUS, MORTS, IL N’EST PLUS TEMPS.
PRIEZ POUR NOUS, TRÉPASSÉS,
CAR UN DE CES JOURS AUSSI VOUS EN SEREZ,
SOIEZ EN PAIX.

« Dans les contreforts des extrémités sont incrustés deux bénitiers rappelant toute l’ornementation des clochetons et des niches.

« À l’intérieur de la chapelle on voit un autel surmonté d’un retable à colonnes torses, et sous l’autel est une sorte de chambre basse ou crypte éclairée par deux soupiraux, dans laquelle on a placé en 1702 un sépulcre de Notre-Seigneur, œuvre des plus remarquables, où l’on doit admirer surtout la Madeleine, la Véronique et les deux anges pleurant sur le tombeau. »



§ II
Architecte et Ouvriers.


Le deuxième dimanche de février 1676, plusieurs architectes vinrent à Saint-Thégonnec pour assister à la mise en adjudication des travaux à exécuter pour la chapelle ossuaire. « Le second dimanche de février, ayant convenus de M. architecteurs pour voir l’aplacement du reliquaire qu’on vouloit bastir, fait des frais pour la some de quatre livres dix sols [2]. » Jean Le Bescont

Saint-Thégonnec. — L’Ossuaire et le Calvaire.
Saint-Thégonnec. — L’Ossuaire et le Calvaire.

Saint-Thégonnec. — L’Ossuaire et le Calvaire.

« architecteur de Khaez » ou Carhaix fut chargé de l’entreprise. Il était en même temps « architecteur, entrepreneur et maître picoteur », et outre son atelier de Carhaix, il en possédait un autre à Landerneau. On peut être étonné qu’un monument d’un travail si fin et du style Renaissance le plus pur soit l’œuvre d’un ouvrier de province. Me Bescond, comme beaucoup de « compagnons » de cette époque a bien pu faire son tour de France et qui sait, peut-être d’Italie pour se perfectionner dans son art. Toujours est-il que le talent ne lui fit pas défaut. Son œuvre est là qui l’atteste. En ce temps, n’était pas reçu maître maçon qui voulait. Il fallait avoir passé plusieurs années comme apprenti pour devenir ensuite compagnon ou valet et l’on n’était reçu maître que si l’on avait déjà exécuté une œuvre remarquable. Ce long apprentissage supposait chez le nouveau maître des connaissances étendues de son art. L’étude des monuments et l’émulation nécessairement existant entre les diverses corporations développaient chez l’ouvrier le goût inné de son art et faisaient surgir sur notre sol breton ces œuvres qui, si elles dénotent surtout l’intensité de la foi, montrent parfois aussi chez l’ouvrier un instinct de génie. La chaire à prêcher de Saint-Thégonnec, œuvre des plus remarquables, à laquelle peut être seul comparé le baptistère de Guimiliau est sortie des ateliers de Landivisiau.

Me Jean Le Bescond fut payé d’après le nombre de journées employées par ses ouvriers à la construction de l’ossuaire. Les tailleurs de pierre payés à treize sols par jour étaient : Ivon Huon, Yvon Tanguy, Georges Pouliquen, René Pouliquen. Jean Bescont, Guillaume Tauc, Jacques Hamon, Le Duff et Vincent Tréguier.

Les six premiers travaillèrent jusqu’à la fin de l’entreprise. Les trois derniers ne furent pas employés d’une façon régulière et au bout de quelque temps furent même remplacés par Mathieu Runot, Jean Blez et Yvon le Bescont.

L’architecte mettait lui-même de temps en temps la main à l’ouvrage, probablement pour remplacer quelqu’un de ses ouvriers, ou pour exécuter un travail plus délicat, et recevait pour son salaire vingt-cinq sols par jour.

Les charpentiers percevaient le même salaire que les « picoteurs ». C’étaient Alain Picart, Charles Prigent, Charles Picart et François Chapalain.

Les couvreurs, Hervé Pichon et Yvon Pichon étaient payés douze à treize sols par jour, tandis que les « darbareurs » ou manœuvres ne touchaient que dix sols. Les darbareurs s’appelaient Yan Grall, Charles Prigent et Pierre Berthélé.

Pour l’ensemble des travaux qui durèrent de 1676 à 1681, les tailleurs de pierre reçurent 6.304 livres. Les frais de charrois de pierres de la montagne d’Arrée montèrent à la somme de 2.682 livres. Si l’on joint à ces deux chiffres le salaire des darbareurs, les dépenses en chaux, charbon, pierres de maçonnerie et quelques autres menus frais, nous trouvons que cette chapelle ossuaire revient à la fabrique à la somme de 9.500 livres, la charpente non comprise [3].

Le recteur de la paroisse était à cette époque Jean Armand Harscouët. Les autres prêtres, vicaires ou chapelains, s’appelaient : Thomas Breton, Hervé Spaignol, Jacques La Haye et Guillaume Breton. Les marguilliers étaient :


En 1676, Yvon Breton de Cozlen,

Pierre Caro de Gouazanlan.

En 1677, Pierre Maguet de Mengars,

Yvon Fagot de Penanvern.

En 1678, Yvon Maguet de Cosquéric,

Jean Pouliquen de Brogadéon.

En 1679, Pierre Le Grand de Broustou,

Guillaume Picart du Bourg.

En 1680, Mathieu Abgrall de Bodenéry,

François Caro de Mengars.

En 1681, Hervé Cottain de Gozlen,

Hervé Tanguy de Cosquéric.

En 1682, Olivier Herrou de Kerfeultz.

Jean Bras du Fers.



§ III.
Rétable de l’Ossuaire.


Le 3o décembre 1685, la fabrique conclut un marché avec Pierre Lahaye demeurant à Pont-Croix, paroisse de Beuzec-Cap-Sizun, évêché de Cornouaille, et Alain Castel, demeurant à Morlaix, paroisse de Saint-Martin. Il s’agissait de construire pour 400 livres le retables de l’autel de l’ossuaire. Les sculpteurs devaient laisser au bas, au milieu de l’autel, une place pour y mettre un tableau. Une fois achevé l’ouvrage sera examiné, et si les experts ne le trouvent pas « parfait selon l’art », les sculpteurs l’emporteront à leurs frais. Si Paul Lahaye et Alain Castel ont besoin d’argent, les comptables leur avanceront la moitié de la somme, mais ils seront ensuite obligés de la rembourser si le travail n’est pas accepté.

En 1688, la fabrique paie la somme de 22 livres un tableau de la Sainte Famille, qu’elle fit mettre sur cet autel. Aujourd’hui la place laissée vide au bas de l’autel est occupée par un bas-relief, représentant la mort de saint Joseph.



§ IV.
Sépulcre (1699-1702).


Ce sépulcre en bois de chêne est un des plus beaux du diocèse. Le groupement harmonieux des personnages, la variété de leur attitude et la vivacité particulière de leurs physionomies font de cette mise au tombeau une scène pleine de mouvement et de vie. La statue de la Madeleine surtout est une œuvre des plus remarquables. Il est impossible de ne pas admirer cette pose naturelle d’une personne qui s’abandonne à sa douleur, cette finesse de traits et cette expression toute vivante de la figure. C’est bien la Madeleine, telle que nous la dépeint l’Évangile, celle dont Notre Seigneur a dit : « Elle a beaucoup aimé ». Abîmée dans sa douleur, elle pleure son divin Maître que les Juifs viennent de crucifier.

Les autres statues du groupe ne manquent pas non plus de naturel et sur chaque figure est empreinte l’expression de douleur qui convient à chaque personnage.

Au fond du tableau, la Vierge aux regards voilés et baissés vers le Christ et dont l’attitude défaillante montre ce que le « Fiat » suprême a coûté à son cœur maternel. À ses cotés saint Jean, accomplissant les dernières volontés de son Maître soutient Celle que, du haut de la croix, Jésus lui donna pour mère.

À la droite de la Vierge, se trouve la Véronique tenant en mains le voile de la Sainte-Face, témoignage de la reconnaissance de son Dieu. Ses regards attristés sont tournés vers le Christ que portent dans un linceul Joseph d’Arimathie et Nicodème. Ce sont là deux types de vieux docteurs d’Israël, tels que nous les représentent les anciennes enluminures. Leurs traits sont fortement accentués, et leurs yeux grands ouverts expriment la stupeur.

À côté de chacun de ces docteurs, on voit un ange dont les regards se détournent du tombeau, et dont le visage ainsi que le maintien reflètent encore les sentiments d’angoisse qu’ils ont éprouvés, lors du crucifiement de leur Dieu. Un d’entr’eux porte en main la couronne d’épines. Un troisième ange à la gauche de saint Jean tient le calice de la Passion.

Sur le devant du groupe qui entoure le Christ, et à gauche de la Madeleine, se trouve Marie Salomé ou une des saintes femmes de la suite du Sauveur. Sa tête est penchée, ses lèvres entr’ouvertes, et ses yeux baissés. Elle laisse transpirer sa douleur qu’elle semblait vouloir garder pour elle.

Ce sépulcre est l’œuvre de Jacques Lespaignol, maître sculpteur, demeurant près le Pont-aux-Choux, paroisse de Saint-Melaine-de-Morlaix. Son travail lui fut payé 1.550 livres [4].

Les sieurs Godefroy et Bourriquem, maîtres peintres de Morlaix, reçurent de la fabrique pour peindre les statues du sépulcre la somme de 1.200 livres, suivant leur quittance du 29 octobre 1906.

  1. Architecture bretonne, p. 119.
  2. Cahier des comptes, année 1675-1676.
  3. Extrait des Cahiers des comptes, années 1677 à 1682.
  4. Les quittances sont datées du 24 avril et du 9 août 1699 ; du 14 mars 1700, du 7 décembre 1702 et du 3 février 1703.