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Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes/Légende de saint Thégonnec

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LÉGENDE DE SAINT THÉGONNEC


La Bretagne Armorique entendit de bonne heure la prédication de l’Évangile. « Drennalus qui fut, croit-on, disciple de Joseph d’Arimathie, passa de la Grande Bretagne en Armorique. Il aborda à Morlaix, vers l’an 72, en convertit les habitants et alla bientôt planter la croix à Lexobic où il établit son siège[1]. » Mais le pays armoricain ne fut vraiment évangélisé que trois ou quatre siècles plus tard, lorsque parurent les moines, anachorètes ou cénobites, issus de son sol, ou sortis des contrées d’Irlande et de la Grande Bretagne. Ces religieux quittant leurs ermitages ou leurs monastères se répandirent dans le pays et consacrèrent leur zèle à cultiver une bourgade déterminée. Ils se firent fondateurs de paroisses.

Au commencement du vie siècle, la ville d’Occismor fut érigée en évêché et Paul Aurélien, abbé des monastères d’Ouessant et de Batz, fut nommé à ce siège, sur la demande du peuple et du comte Witur (ce comte fonda la seigneurie de Penhoat). Saint Paul, à peine monté sur son siège épiscopal, s’occupa de l’organisation de son diocèse. Il fonda différents monastères, « desquels comme de pépinières et séminaires de sainteté, il tirait des gens doctes et pieux pour en faire des recteurs et curés pour son diocèse. » Les premiers pasteurs de paroisses dans notre pays furent donc des moines.

M. de la Borderie, dans son Histoire de Bretagne, (tome I, p. 342) cite les noms des religieux, que saint Paul avait amenés de l’Ile. Nous y trouvons, entr’autres, le nom du maître des moines.

Quonocus-Toquonocus

Il traduit ce dernier nom par Tégonec. L’origine de la paroisse actuelle de Saint-Thégonnec remonterait donc au vie siècle.

Une autre tradition fait de saint Thégonnec, non le disciple de saint Paul Aurélien, mais celui de saint Guénolé, abbé de Landévennec. Il serait né à Tréfentec, village de la paroisse actuelle de de Plouévez Porzay, sur les bords de la baie de Douarnerez. Chassé par les habitants de son village qui lancèrent les chiens à ses trousses, le jeune Thégonnec vint établir son ermitage dans un lieu appelé depuis Plogonnec, qui veut dire : « peuple de Egonnec. » Une chapelle bâtie près de cet endroit et dédiée au saint rappelle encore le séjour qu’y fit le pieux anachorète. La paroisse de Plogonnec a conservé le souvenir de la conduite indigne des habitants de Tréfentec. Le dicton suivant en fait foi :

Kement ki klanv er vro a deuio
Dre Tréfentec a dremeno.

Pas un chien enragé ne dévastera la région sans passer par Tréfentec.

Triste privilège pour ce village ! Mais là ne se borna pas la malédiction du saint. Il lui prédit en outre que, malgré leurs labeurs, ses habitants resteraient toujours pauvres, et jusqu’à ce jour, cette prédiction n’a pas, qu’on le sache, reçu de démenti. Il ne voulut pas cependant affliger ce village de maux sans remède. Auprès de son ermitage, il fit jaillir une source, dont l’eau miraculeuse guérissait de la morsure des chiens enragés. Encore aujourd’hui les habitants de Plogonnec attribuent à cette eau la même vertu. Ils viennent même y puiser pour se guérir de toute fièvre maligne. Les paroissiens de Saint-Thégonnec reconnaissent aussi à leur saint patron le don de chasser les fièvres. Sur l’un des volets de la niche située au-dessus de la chaire à prêcher ils l’ont représenté guérissant des fiévreux.

Le saint quitta bientôt son ermitage et se fit le disciple de saint Guénolé, abbé de Landévennec. Son maître, d’après la tradition, l’aurait guéri de la morsure d’une vipère. Plus tard lui-même eut le don de guérir les morsures de ces bêtes venimeuse. On peut voir dans l’église de Saint-Thégonnec un tableau représentant plusieurs personnages, avec des vipères enroulées autour des bras, qui accourent vers le saint évêque pour lui demander leur guérison.

Voici en quels termes Albert le Grand rapporte et l’accident et la guérison du moine Thégonnec : « Un des condisciples de saint Guénolé, nommé Thethgonus, s’étant endormi sur son livre, en un champ, fut mordu d’un serpent ; le venin s’écoula incontinent par tout le corps qui s’enfla gros et devint tout noir et plombé ; saint Guénolé, ayant compassion de cet enfant prest à mourir, fait le signe de la croix sur la tanière du serpent, lequel sortit hors et creva tout sur le champ, et depuis ne s’est trouvé en ce canton-là telle espèce de serpent ; puis ayant oinct et frotté la morsure d’huile sainte, le venin découla goutte à goutte et le jeune homme fut entièrement guéri. »

Saint Guénolé aurait envoyé son disciple prêcher la foi dans le Léon, et saint Thégonnec aurait fondé au ve siècle la paroisse qui porte actuellement son nom [2].

Un autre document que possède encore l’église de Saint-Vougay est aussi en faveur de cette origine antique. Ce manuscrit appelé : « Missel de saint Vougay », date du xie siècle. Outre quelques messes, ce missel contient une litanie de saints dont le culte est antérieur au ixe siècle. La dernière invocation est ainsi conçue : « Sce Tegonoce. »

Dom Lobineau, dans sa Vie des Saints de Bretagne, n’hésite pas cependant à mettre saint Thégonnec au nombre des saints inconnus : Dans une réponse à la requête des paroissiens de Saint-Thégonnec au Parlement de Bretagne, Me Poulain, avocat de M. de Kérouartz, renchérit encore sur l’étrange assertion du moine historien. Il en tire cette conclusion d’une logique non moins étrange : saint Thégonnec classé dans les saints inconnus n’a jamais existé. Peut-on affirmer qu’un personnage n’a jamais existé, parce qu’un critique à court de documents écrits n’a pu établir d’une façon précise l’origine et la vie de ce personnage ? Il est difficile d’admettre qu’un être imaginaire ait pu donner son nom à deux paroisses. D’ailleurs tous ces moines et ces évêques venus pour la plupart de la Grande Bretagne pour évangéliser notre Armorique n’ont pas toujours trouvé d’historien. Les vertus qu’ils ont pratiquées et les miracles qui accompagnaient leurs travaux apostoliques n’ont pas toujours été consignés par écrit. Force nous est donc pour connaître quelques détails de leur vie de nous en rapporter à la tradition orale.

Voici pour ce qui concerne saint Thégonnec la tradition reçue dans la paroisse.

À son arrivée, le missionnaire reçoit un accueil enthousiaste de la part de la population qui attendait depuis longtemps un pasteur. Quelques voix discordantes cependant se font entendre et l’homme de Dieu trouve sur son chemin quelques esprits rebelles qui ne tiennent pas à voir fleurir autour d’eux les vertus chrétiennes.

Un jour, revenant épuisé d’une de ses courses apostoliques, il s’arrête dans ce village nommé Bougès. Il demande un verre d’eau pour étancher sa soif ; sa demande est repoussée. Sans murmurer, le saint reprend son bâton de voyage et s’achemine péniblement vers une autre maison, appelée Herlan, éloignée de quelques centaines dopas. Là, sa prédication a porté des fruits ; il y reçoit la plus généreuse hospitalité. Saintement indigné du refus qu’il a essuyé à Bougés, le missionnaire profère contre ce village l’anathème encore vrai aujourd’hui :

Boujès a voujezo.
Biken dour mad n’iien devezo.

Les sources de Bougés peuvent être abondantes, mais, jamais il n’en sortira une bonne eau.

Puis il bénit le Herlan et lui promet pour toujours une eau des plus limpides. Joignant l’action à la parole, il frappe la terre de son bâton, et à l’instant il en jaillit une eau claire et abondante. C’est l’eau tant vantée du Stivel. La piété des habitants a construit en cet endroit une fontaine encore vénérée de nos jours. On y vient « pardonner » pour obtenir les faveurs du saint. Les jeunes filles, en quête d’un mari, y viennent jeter des épingles pour savoir si, dans le courant de l’année, leurs désirs seront exaucés. On dit que plusieurs doivent y retourner plus d’une fois, et la chronique locale se charge d’enregistrer malicieusement les tristes retours de pèlerinage.

Au contact des vertus du serviteur de Dieu, et sous l’influence de la grâce jetée dans ces âmes par sa parole évangélique, bien des cœurs rebelles finissent par se rendre. Le pasteur croit pouvoir alors commencer l’œuvre qu’il a depuis si longtemps à cœur. Il lui faut une église pour y réunir ses nombreux néophytes. Il s’ouvre de son projet à quelques habitants les mieux intentionnés et les décide à lui prêter leur concours. Mais devant l’indifférence des uns et le mauvais vouloir des autres, il craint de voir son œuvre compromise. Pour encourager les hésitants, il va lui-même leur prêcher d’exemple ; il attelé son vieux bidet et, plein de confiance en Dieu, s’en va prendre des pierres à la montagne de Plounéour-Menez. Hélas ! les chemins ne sont rien moins que sûrs. Au retour un loup sortant à l’improviste d’un bois se jette au cou du cheval et l’étend raide mort entre les brancards. Le saint qui ne tient pas à ce que sa charretée de pierres reste à mi-chemin, fait un signe de croix sur le loup et le prend pour l’atteler au chariot. Cet étrange attelage poursuit sa route, entraînant à sa suite tous ceux qui l’aperçoivent. — Est-là une réalité ou une simple allégorie ? Ce loup désigne-t-il quelque ennemi du saint qui s’opposait à la construction de l’église et qui se laissa ensuite gagner à son projet ou est-ce réellement un. loup sorti des bois de Plounéour ? Les deux hypothèses ont leurs partisans mais la tradition est en faveur de la dernière.

Ce miracle devient le plus éloquent des sermons. La population voit que Dieu se met du côté de son serviteur et exige une église. Elle se hâte de réparer le temps perdu et c’est à qui partira le premier ou retournera avec la plus lourde charge.

En peu de temps s’amassent sur le plateau voisin du bourg actuel les pierres nécessaires pour la construction de l’église. Ici surgit une difficulté entre le pasteur et ses ouailles. Il s’agit de déterminer l’endroit où sera construit l’édifice. Les habitants veulent une église sur le plateau tout près des grands marais (Morlennou ou Lennou-mor) et l’on sait que déloger de la cervelle d’un Breton une idée qui s’y est implantée est une œuvre dont il faut laisser le soin à Dieu. Le saint ne veut pas y perdre son temps. Il est breton, lui aussi ; il a son idée et il y tient. Pour ne pas l’abandonner et avoir gain de cause devant ses paroissiens, il fera plutôt un miracle. Pendant la nuit il se met en prière et tout d’un coup un roulement formidable se fait entendre. Ce sont les pierres qui descendent d’elles-mêmes du plateau jusqu’à mi-côte, marquant ainsi d’une façon miraculeuse l’emplacement de la nouvelle église. Cette fois Dieu a parlé, les Bretons se rendent.

Ce qu’a fait le saint patron, disent actuellement les habitants de Saint-Thégonnec, est bien fait. Il a construit son église sur le flanc d’une colline, et le bourg sans être établi sur un marais ne descend pas cependant jusqu’à la rivière. Le plateau le préserve des vents qui soufflent des montagnes de Plounéour et les marais ainsi que la rivière se trouvent trop éloignés pour l’empester de leurs miasmes malsains.

Où saint Thégonnec finit-il sa carrière apostolique ? L’histoire et la tradition bien sobres de détails sur son ministère dans le Léon ne nous donnent aucun renseignement certain sur la dernière période de sa vie. On doit admettre cependant qu’il ne mourut pas dans la paroisse qui porte actuellement son nom. Ses reliques y auraient été vénérées ; or on ne trouve nulle part trace de ce culte et l’on ne voit pas non plus que, lors des invasions normandes, on ait transporté ses reliques ailleurs ; ce qu’on fut obligé de faire pour tant d’autres saints bretons. D’ailleurs la tradition fait de saint Thégonnec un archevêque. Ses statues qui se trouvent en différentes parties de l’église nous le montrent revêtu de ses habits pontificaux, crosse en main et mître en tête. Sur le maître-autel le saint patron, an lieu du bâton pastoral, porte en main la croix à double branche, insigne de sa dignité archiépiscopale.

Quel siège illustra-t-il ? IL ne nous est pas facile de le savoir. Si nous consultons le catalogue des évêques bretons cité dans l’ouvrage d’Albert Le Grand, nous constatons qu’il faut aller hors de la Bretagne pour trouver le siège occupé par saint Thégonnec. Il fut peut-être évêque du pays de Galles. Ce qui permettrait de le croire, c’est que saint Thégonnec est honoré dans cette contrée [3]. Mais est-ce le même que celui qui a évangélisé le Léon ? Rien n’empêche de l’admettre. Si la Grande Bretagne a fourni de nombreux missionnaires à l’Armorique, ils ne sont pas rares non plus les saints qui, après avoir prêché la foi dans notre région, ont ensuite émigré dans les pays d’Outre-Manche.

  1. Albert le Grand. Vie des Saints de Bretagne.
  2. La paroisse de Saint-Thégonnec s’appelait jusqu’à la fin du xviiie siècle ; Pleiber-Saint-Thégonnec.
  3. Renseignement donné par le R. P. Corentin Le Guen de Plouvorn, décédé en Angleterre en 1905.