Saint-Thégonnec. L’Église et ses annexes/1/1

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Saint-Thégonnec. — L’Église
Saint-Thégonnec. — L’Église

Saint-Thégonnec. — L’Église
Première Partie


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CONSTRUCTION DE L’ÉGLISE


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CHAPITRE PREMIER


L’église de Saint-Thégonnec.


L’Église de Saint-Thégonnec, classée dans les monuments historiques par la Commission des Beaux-Arts en 1886, a subi bien des changements depuis sa première construction. Elle possède actuellement trois nefs avec sept colonnes et div arcades. La tour, construite au milieu de la nef latérale sud, vient rompre la régularité de l’église et s’avance jusqu’à la nef principale. Au xviiie siècle, la fabrique pour faciliter le passage de la procession dans l’église fit percer deux portes au bas du clocher. La Commission des Beaux-Arts répara heureusement cette brêche et rétablit le portique tel qu’il avait été construit à l’origine.

L’église actuelle, bâtie sur l’emplacement de l’ancien édifice, appartient à différentes époques. La partie la plus ancienne ne remonte pas au delà de 1520 à 1530. Elle comprend la muraille du côté nord, depuis la chapelle de Notre-Dame de Vrai-Secours jusqu’au bas de l’église, avec quatre fenêtres du style ogival flamboyant. Lorsqu’on refit vers 1650 la muraille correspondante du côté sud, on ne jugea pas à propos de faire de l’église un tout homogène, et au lieu de reproduire le style ogival, on donna à cette partie le style de la Renaissance. Les arcades des différentes nefs ainsi que les fenêtres de l’abside sont en plein cintre et datent du commencement du xviiie siècle.

Nous allons voir, d’après les archives de l’église paroissiale, le détail de ces diverses modifications.



§ I.
Nef latérale Sud.


En 1650, la fabrique conçut le dessein d’agrandir l’église en reculant les murailles du côté sud. La mise en adjudication des travaux fut annoncée au prône de la grand’messe pendant trois dimanches consécutifs. À cette occasion plusieurs entrepreneurs

et architectes vinrent à Saint-Thégonnec. Jean Le Bescond de Carhaix fut déclaré adjudicataire, « par advis et consentement de vénérable personne Messire Guillaume Prouff, recteur de la dite paroisse, Messire Charles du Parc, seigneur de Kerdanet, procureur syndic et capitaine d’icelle, Vincent de la Roche et Louys de Kerhoaz sieurs de Guernanbaou et Coatgoulouarn, et autres habitants de la paroisse du tiers-état ».

D’après le devis et le marché, on devait défaire la muraille du côté sud, ainsi que les vieilles arcades de la grande nef et une autre petite arcade située au pignon de la chapelle du Herlan. La construction des arcades et des chapelles latérales commencée en 1652 dura jusqu’en 1656.

Pour agrandir l’église du côté de l’épître, il fallut obtenir l’autorisation des seigneurs du Herlan et de Penfao, à cause de leurs droits honorifiques dans cette partie de l’église. Voici d’après un acte notarié des juridictions de Lesneven et du Penhoat l’état de la chapelle du Herlan et les modifications qui devaient y être apportées.


Chapelle du Herlan, aujourd’hui chapelle du Sacré-Cœur. — Cette chapelle était située du côté de l’épître du maître autel, où se trouve actuellement l’autel du Sacré-Cœur. Elle avait 20 pieds 1/2 de longueur sur 16 pieds 1/2 de largeur. Par cette chapelle on pénétrait au chœur en passant sous une grande arcade, et l’un des piliers de cette arcade touchait au mur. D’après le nouveau plan, ce pilier et cette arcade devaient disparaître. La disparition du pilier rendrait le mur tout uni et semblable au pignon correspondant de la chapelle du Rosaire. Pour entrer dans la chapelle du Herlan en venant du portique, on passait sous une petite arcade qui reposait d’un côté sur un pilier attenant à la muraille du côté sud de l’église et de l’autre sur le pilier de la grande arcade. Cette petite arcade devait être enlevée et agrandie. Quant au pilier de la nef sur lequel elle reposait, il devait être élevé à la même hauteur que celui qui se trouvait vis-à-vis du côté de l’évangile, et auquel était adossée la chapelle de la Sainte-Trinité, aujourd’hui disparue. L’autre pilier attenant au mur aurait aussi la même hauteur.

Messire Charles Du Parc, seigneur du Herlan, possédait dans sa chapelle une tombe enlevée, une voûte et une lisière. La tombe était élevée au-dessus du sol de deux pieds huit pouces du roi, et elle était ornée de quatre grands écussons et armoiries en bosse, chacun portant un champ d’or et un lion rampant de sable chargé d’une fasce de gueules. Le seigneur, croyant que l’agrandissement

de l’église devait entraîner la disparition de son enfeu et de sa tombe, voulut réclamer une indemnité à la fabrique ; mais il lui fut répondu qu’on ne toucherait pas à ses privilèges. La fabrique consentit cependant à avancer sa tombe de trois pieds jusqu’au mur. Elle était auparavant contiguë au pilier de la petite arcade et, d’après ce nouveau plan, ce pilier devait disparaître. Au pignon de la chapelle se trouvait une voûte ornée de trois grands écussons avec des armoiries en bosse, les armoiries déjà citées.

La lisière faisait le tour des arcades et de la chapelle et continuait le long de l’église jusqu’au dernier pilier du côté de l’épître. Elle existait aussi dans la nef depuis le jubé jusqu’au bas de l’église, et se terminait du côte de l’évangile après avoir fait le tour de la dernière arcade sous laquelle se trouvent les fonts baptismaux.

On comprend qu’ayant à sauvegarder tant de privilèges, le seigneur du Herlan ait fait quelques difficultés pour autoriser la fabrique à toucher à sa chapelle. Il donna cependant son consentement le 16 décembre 1652.

« Pour François Du Parc seigneur ne Lézerdault, Herlan, Kéranrouxet autres lieux. Donons pouvoir et faculté aux habitants de la parroisse de Pleibert-Sainct-Tégonnec de faire à croistre l’esglise de la dicte parroisse du costé de nostre chapelle prohibitive de telle grandeur qu’ils croiront bon estre, sans toutefois préjudicier ny desroger à nos droicts honoriffiques et préminances en la dicte esglise, desquels estat et procès-verbal en sera faict à nostre présance, ou à celle de celluy que nous ferons condesandre à notre absence, en cas qu’il seroit nécessaire de desmolir nos vieux murailles où sont à présent nos préminances, lesquels en cas de novalité du bastiment qui est à présent en la dicte esglise seront mis et aposés tant aux vitres qu’ailleurs conformément qu’ils sont posés.

« Donné à nostre manoir, ce jour seizième
de décembre mil six cents cinquante et deux.
« Pour François du Parc,
« Simon, notaire. »

Le seigneur de Panfao qui possédait une arcade donnant sur le pignon de la chapelle du Herlan, autorisa la fabrique à enlever cette arcade par un acte notarié daté du 6 juillet 1653 [1].



§ II.
Abside.


En 1667, les paroissiens résolurent d’agrandir leur église en reculant l’abside de cinq à six pieds. Ils durent à cette occasion avoir recours au roi et au seigneur du Penhoat, alors marquis de Coatanfao.

Voici l’autorisation royale :

« Je consentz pour le Roy que les paroissiens de Pleiber Sainct Egonec facent renverser le pignon oriantal de leur église de Notre-Dame de Vray-Secours, dans lequel est située la mestresse vitre, pour alonger le dict pignon et donner au mestre autel de la dicte église une plus grande clarté que celle qui y est à présent, affin que par cette augmentation et embelissement ils puissent contribuer dadvantage à la gloire de Dieu, à condition néantmoins qu’après l’entière construction et restablissement des mesme pignon et mestresse vitre, ils y feront mettre en supériorité et dans le lieu le plus éminent les armes de sa Majesté et immédiatement au dessoubz celles de la seigneurie et compté de Penhoat de la mesme façon et au mesme ordre qu’ils y paroissent, je veux dire en pareil nombre descussions et sans y ajouter les armes d’aucun gentilhomme, ains seulement celles du seigneur marquis de Coatanfao propriétaire de la dicte seigneurie.

« Arresté à Quimper, ce jour vingt et

deuxième juin mil six cent soixante et sept,

« P. Lhonoré, procureur du Roy. »


Avant de renverser ce pignon pour construire deux nouvelles fenêtres, il fallait faire un inventaire des armoiries et droits de prééminences contenus dans le grand vitrail du maître autel, afin de les rétablir ensuite dans le nouveau vitrail. D’après l’inventaire fait par Alain Huon et Claude Gonan, vitriers de Morlaix, la fenêtre de l’abside qui contenait les armoiries de la seigneurie de Penhoat se composait « de quatre grands panneaux de vitre façonnés de trois poteaux de pierre de taille. Sur ces panneaux étaient représentées les figures de la passion de Notre-Seigneur avec dix soufflets et une rose en forme de poire au-dessus, avec huit arcs-boutants aussi remplis de vitre. Dans cette rose se trouvait l’écusson armorié de trois barres d’azur de bout en chef, en champ d’argent au mitan, écartelé de huit macles d’argent

en champ de gueules et en fasce de gueules en champ d’or ensemble avec les macles ». L’écusson était entouré d’un cordon de saint Michel, et dans ce cordon à la partie supérieure se trouvaient les armes du Roy et de Bretagne à mi-partie.

L’annonce de l’adjudication des travaux que la fabrique voulait entreprendre était faite au prône de la grand’messe pendant trois dimanches consécutifs non seulement à Saint-Thégonnec, mais encore dans les paroisses voisines. La nouvelle circulait ainsi rapidement, et de différentes localités accouraient les architectes, entrepreneurs ou sculpteurs pour prendre part à l’adjudication. Il venait même du fond de la Cornouaille, de Carhaix et de Pont-Croix.

L’entreprise de 1650 pour les chapelles latérales sud fut confiée à Jean Bescond de Carhaix et ses ouvriers étaient les suivants : Yvon Huon, Guillaume Corre, Yvon Le Duff, Thomas Galliou, Pierre Jouhan et Guillaume Le Tauc.

L’adjudicataire des travaux à exécuter pour l’abside fut Guillaume Plédran appelé : « maître picoteur. » Il était payé vingt sols par jour tandis que ses ouvriers ne recevaient que quatorze sols. Les piqueurs de pierre étaient : Maurice Le Bras, Yvon Huon, Pierre Jouhan, Guillaume Le Tauc, Georges Pouliqueu, Yvon Tanguy et Gabriel Guillou. Les darbareurs ou manœuvres n’étaient payés que dix sols par jour. C’était Hervé Picard et Guillaume Crec’hmine.

Outre ce salaire, la fabrique payait le logement des ouvriers, ainsi que les frais d’entretien de leurs outils. À chaque travail important, quand on posait par exemple le fondement d’une construction, ou que l’on mettait en place les pierres de taille, les ouvriers collationnaient aux frais de l’église. Les vieux registres énumèrent avec complaisance la quantité de pain, vin, viande et même poisson absorbée dans ces collations. Quelques habitants du bourg qui avaient probablement rendu quelques menus services aux ouvriers, ou peut-être n’étaient-ce que de simples curieux prenaient également part à ces repas. À l’occasion des charrois de pierres de la montagne d’Arrée, la fabrique faisait appel à la bonne volonté des paroissiens et se chargeait elle-même de pourvoir à la nourriture des charretiers. Tous les ans elle enregistre à son compte plusieurs barriques de vin à 36 livres la pièce et plusieurs bœufs de 60 à 80 livres chacun. Le pain qu’on servait aux charretiers provenait du froment donné en offrande à l’église. En ce temps comme aujourd’hui, un grand « gueuleton » était la clôture

nécessaire de tout travail fait en commun et opéré gratuitement. Lorsque la chaire à prêcher fut transportée de Landivisiau à Saint-Thégonnec, il y eut un grand dîner au bourg pour les charretiers. Quelques verres cassés dans cette réjouissance (pour trois livres six sols) nous permettent de croire que dans la chaleur communicative du banquet, les esprits montèrent à un haut diapason et que quelques horions durent être échangés entre les convives. Lors de la reconstruction de l’abside, ce fut encore bien pis, du moins pour les intérêts de la fabrique. L’incident est ainsi relaté : « Disent les dits comptables avoir acheté deux barriques de vin pour subvenir aux affaires de la paroisse, en même temps survinrent les soldats dans le bourg qui les burent presque toutes, avec la valeur de sept livres en pain ; les deux barriques coûtant 72 livres. Total: 79 livres. »


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  1. Voir cette autorisation dans la Monographie de l’église de Saint-Thégonnec, p. 69.