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Saint Paul (Renan)/XIV. Schismes dans l’Église de Corinthe

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Michel Lévy (p. 371-417).


CHAPITRE XIV.


SCHISMES DANS L’ÉGLISE DE CORINTHE. — APOLLOS.
— PREMIERS SCANDALES.


En même temps qu’il dirigeait pour sa part la vaste propagande qui gagnait l’Asie au culte de Jésus, Paul était absorbé par les plus graves préoccupations. La sollicitude de toutes les Églises qu’il avait fondées pesait sur lui[1]. L’Église de Corinthe notamment lui inspirait les plus graves inquiétudes[2]. Durant les trois ou quatre années qui s’étaient écoulées depuis le départ de l’apôtre du port de Kenchrées, des mouvements de toute sorte n’avaient cessé d’agiter cette Église. La légèreté grecque amenait ici des phénomènes qui ne s’étaient encore produits sur aucun des points que le christianisme avait touchés.

Nous avons vu qu’Apollos, après un court séjour à Éphèse, où Aquila et Priscille travaillèrent à son éducation chrétienne, était parti pour Corinthe, avec des lettres très-pressantes des frères d’Asie pour ceux d’Achaïe[3]. Le savoir et l’éloquence de ce nouveau docteur furent fort admirés des Corinthiens. Apollos égalait Paul par la connaissance des Écritures, et il l’emportait de beaucoup sur lui par sa culture littéraire. Le grec qu’il parlait était excellent, tandis que celui de l’apôtre était des plus défectueux. Il avait aussi, ce semble, les dons extérieurs de l’orateur, qui manquaient à Paul, l’attitude imposante, la parole facile. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il eut à Corinthe de remarquables succès. Ses argumentations avec les juifs sur la question de savoir si Jésus était le Messie passaient pour très-fortes ; il fit beaucoup de conversions[4].

Apollos et saint Paul présentaient tous deux, dans la secte nouvelle, des physionomies à part. C’étaient les seuls juifs très-instruits à la manière juive qui eussent embrassé la doctrine de Jésus. Mais ils venaient d’écoles différentes. Paul sortait du pharisaïsme hiérosolymitain, corrigé par les tendances libérales de Gamaliel. Apollos venait de l’école judéo-hellénique d’Alexandrie, telle que nous la connaissons par Philon ; peut-être enseignait-il déjà les théories du logos, et fut-il l’introducteur de ces théories dans la théologie chrétienne. Paul avait l’espèce d’ardeur fiévreuse, le fanatisme intense qui caractérise le juif de Palestine. Les natures comme celle de Paul ne changent qu’une fois en leur vie ; la direction de leur fanatisme une fois trouvée, elles vont devant elles sans dévier jamais ni rien examiner. Apollos, plus curieux et plus chercheur, était susceptible de chercher toujours. C’était un homme de talent plutôt qu’un apôtre. Mais tout porte à croire qu’il joignait à ce talent une grande sincérité, et qu’il fut une personne très-attachante. À l’époque de son arrivée à Corinthe, il n’avait pas encore vu saint Paul[5]. C’est seulement par Aquila et Priscille qu’il connaissait l’apôtre, dont bientôt, sans le vouloir, il allait être le rival.

Chez ces populations légères, brillantes, superficielles des bords de la Méditerranée, les factions, les partis, les divisions sont un besoin social. La vie sans cela paraît ennuyeuse. Pour se procurer la satisfaction de haïr et d’aimer, d’être excité, jaloux, triomphant à son heure, on se bute souvent sur les choses les plus puériles. L’objet de la division est insignifiant ; c’est la division qu’on veut et qu’on cherche pour elle-même. Les questions de personnes deviennent, dans ces sortes de sociétés, des questions capitales. Que deux prédicateurs ou deux médecins se rencontrent dans une petite ville du Midi, la ville se divise en deux partis sur les mérites de chacun d’eux. Les deux prédicateurs, les deux médecins, ont beau être amis ; ils n’empêcheront pas leurs noms de devenir le signal de luttes vives, la bannière de deux camps ennemis.

Il en fut ainsi à Corinthe[6]. Le talent d’Apollos tourna toutes les têtes. C’était une manière absolument différente de celle de Paul. Celui-ci enlevait par sa force, sa passion, l’impression vive de son âme ardente ; Apollos, par sa parole élégante, correcte, sûre d’elle-même. Quelques personnes peu affectionnées à Paul, et qui peut-être ne lui devaient pas leur conversion, préférèrent hautement Apollos. Elles traitèrent Paul d’homme grossier, sans éducation, étranger à la philosophie et aux belles-lettres[7]. Apollos fut leur docteur ; elles ne jurèrent que par Apollos[8]. Les fidèles de Paul, sans doute, répliquèrent chaleureusement, et rabaissèrent le nouveau docteur. Quoique Paul et Apollos ne fussent nullement ennemis, qu’ils s’envisageassent comme collaborateurs et qu’il n’y eût entre eux aucune différence d’opinion[9], leurs noms devinrent ainsi les enseignes de deux partis, qui échangèrent, malgré les deux docteurs[10], d’assez grandes vivacités. L’aigreur persista, même après le départ d’Apollos. Celui-ci, en effet, fatigué peut-être du zèle qu’on déployait pour lui, et se mettant au-dessus de toutes ces petitesses, quitta Corinthe et revint à Éphèse. Il y trouva Paul, avec lequel il eut de longs entretiens[11] et noua des relations, qui, sans être celles du disciple ou de l’ami intime[12], furent de deux grandes âmes, dignes de se comprendre et de s’aimer.

Ce n’était point là l’unique cause de trouble. Corinthe était un point très-fréquenté des étrangers. Le port de Kenchrées voyait aborder tous les jours des masses de Juifs et de Syriens, dont plusieurs étaient déjà chrétiens, mais d’une autre école que celle de Paul, et peu bienveillants pour l’apôtre. Les émissaires de l’Église de Jérusalem, que nous avons déjà rencontrés, à Antioche et en Galatie, sur les traces de Paul, avaient atteint Corinthe. Ces nouveaux arrivés, grands parleurs, pleins de jactance[13], munis de lettres de recommandation des apôtres de Jérusalem[14], s’élevèrent contre Paul, répandirent des soupçons sur sa probité[15], diminuèrent ou nièrent son titre d’apôtre[16], poussèrent l’indélicatesse jusqu’à soutenir que Paul lui-même ne se croyait pas bien réellement apôtre, puisqu’il ne profitait pas des privilèges ordinaires de l’apostolat[17]. Son désintéressement était exploité contre lui. On le présentait comme un homme vain, léger, inconstant, parlant et menaçant beaucoup sans effet ; on lui reprochait de se glorifier à tout propos, de faire appel à de prétendues faveurs célestes[18]. On niait ses visions[19]. On insistait sur ce point que Paul n’avait pas connu Jésus[20], qu’il n’avait, par conséquent, aucun droit de parler de lui.

En même temps, on présentait les apôtres de Jérusalem, notamment Jacques et Pierre, comme les vrais apôtres, les archiapôtres[21], en quelque sorte[22]. Les nouveaux venus, par cela seul qu’ils étaient de Jérusalem, se prétendaient en rapport avec Christ selon la chair, vu le lien qu’ils avaient avec Jacques et avec ceux que Christ avait choisis de son vivant[23]. Ils soutenaient que Dieu a établi un seul docteur qui est Christ, lequel a institué les Douze[24]. Fiers de leur circoncision et de leur descendance juive[25], ils cherchaient à serrer le plus possible le joug des observances légales[26]. Il y eut ainsi à Corinthe, comme presque partout, un « parti de Pierre ». La division était profonde : « Je suis pour Paul », disaient ceux-ci ; « je suis pour Apollos », disaient ceux-là ; « je suis pour Pierre », disaient d’autres. Quelques-uns enfin, voulant se poser en esprits supérieurs à ces querelles, créèrent un mot assez spirituel. Ils inventèrent pour se désigner eux-mêmes le nom de « parti de Christ ». Quand la discussion s’échauffait, et que les noms de Paul, d’Apollos, de Pierre se croisaient dans la bataille, ils intervenaient avec le nom de celui qu’on oubliait. « Je suis pour Christ », disaient-ils[27], et, comme toutes ces juvénilités helléniques n’excluaient pas au fond un véritable sentiment chrétien, le souvenir de Jésus ainsi rappelé était d’un effet puissant pour ramener la concorde. Le nom de ce « parti de Christ » impliquait néanmoins quelque chose d’hostile contre l’apôtre et une certaine ingratitude, puisque ceux qui l’opposaient au « parti de Paul » semblaient vouloir effacer la trace d’un apostolat auquel ils devaient la connaissance de Christ.

Le contact avec les païens ne causait pas à la jeune Église de moindres dangers. Ces dangers venaient de la philosophie grecque et des mauvaises mœurs, qui assiégeaient en quelque sorte l’Église, y pénétraient et la minaient de toutes parts. Nous avons déjà vu qu’à Athènes la philosophie avait arrêté les progrès de la prédication de Paul. Corinthe était loin d’être une ville d’aussi haute culture qu’Athènes ; il s’y trouvait cependant beaucoup de gens instruits, qui accueillaient fort mal les dogmes nouveaux. La croix, la résurrection, le prochain renouvellement de toutes choses leur paraissaient des folies et des absurdités[28]. Plusieurs fidèles étaient ébranlés, ou, pour essayer des conciliations impossibles, altéraient l’Évangile[29]. La lutte irréconciliable de la science positive et des éléments surnaturels de la foi chrétienne commençait. Cette lutte ne finira que par l’extinction complète de la science positive dans le monde chrétien, au vie siècle ; la même lutte renaîtra avec la science positive au seuil des temps modernes.

L’immoralité générale de Corinthe exerçait sur l’Église des effets désastreux. Plusieurs chrétiens n’avaient pas su se détacher d’habitudes relâchées qui, à force d’être répandues, avaient presque cessé de paraître coupables[30]. On parlait de scandales étranges et jusque-là inouïs dans l’assemblée des saints. Les mauvaises mœurs de la ville franchissaient les murs de l’Église et la corrompaient. Les règles juives sur le mariage, dont toutes les fractions de l’Église chrétienne proclamaient le caractère impératif et absolu[31], étaient violées[32] : tel chrétien vivait publiquement avec sa belle-mère. Un esprit de vanité, de frivolité, de dispute, de sot orgueil régnait chez plusieurs[33]. Il semblait qu’il n’y eût pas d’autre Église au monde, tant cette communauté marchait dans ses propres voies sans se soucier des autres[34]. Les dons de l’Esprit, la glossolalie, la prédication prophétique, le don des miracles, ailleurs sujets de tant d’édification, dégénéraient en scènes choquantes[35]. On se jalousait réciproquement[36] ; les inspirés de classes diverses s’interrompaient d’une façon inconvenante[37]. Il en résultait dans l’église des désordres étranges[38]. Les femmes, ailleurs si soumises, étaient ici audacieuses et réclamaient presque l’égalité avec les hommes. Elles voulaient prier tout haut et prophétiser dans l’église, et cela sans voile, leurs longs cheveux déroulés, rendant l’assemblée témoin de leurs extases, de leurs molles ivresses, de leurs pieux abandons[39].

Mais c’étaient surtout les agapes ou festins mystiques qui donnaient lieu aux abus les plus criants. Les scènes de bombance qui suivaient les sacrifices païens s’y reproduisaient[40]. Au lieu de tout mettre en commun, chacun mangeait la part qu’il avait apportée ; les uns sortaient presque ivres, les autres ayant faim. Les pauvres étaient couverts de honte ; les riches semblaient insulter par leur abondance à ceux qui n’avaient rien. Le souvenir de Jésus et de la haute signification qu’il avait donnée à ce repas paraissait effacé[41]. L’état corporel de l’Église était, du reste, assez mauvais : il y avait beaucoup de malades et plusieurs étaient morts[42]. Les cas de mort, dans la situation où se trouvaient les esprits, causaient beaucoup de surprise et d’hésitation[43] ; les maladies étaient tenues pour des épreuves ou pour des châtiments[44].

Est-ce à dire que quatre années eussent suffi pour enlever toute sa vertu à l’œuvre de Jésus ? Non certes. Il y avait encore des familles édifiantes, en particulier celle de Stéphanas, qui tout entière s’était vouée au service de l’Église et était un modèle d’activité évangélique[45]. Mais les conditions de la société chrétienne étaient déjà bien changées. La petite Église de saints du dernier jour était jetée dans un monde corrompu, frivole, peu mystique. Il y avait déjà de mauvais chrétiens ! Le temps n’était plus où Ananie et Saphire étaient foudroyés pour avoir gardé quelque petite propriété. Le festin sacré de Jésus devenait une orgie, et la terre ne s’entr’ouvrait pas pour dévorer celui qui sortait ivre de la table du Seigneur.

Ces mauvaises nouvelles arrivèrent coup sur coup à Paul, et le remplirent de tristesse. Les premiers bruits mentionnaient seulement quelques fautes contre les mœurs. Paul écrivit à ce sujet une épître que nous n’avons plus[46]. Il y interdisait aux fidèles tout rapport avec les personnes dont la vie n’était pas pure. Des gens mal intentionnés affectèrent de donner à cet ordre une portée qui le rendait impossible à exécuter. « N’avoir de rapports à Corinthe, disait-on, qu’avec des personnes irréprochables !… Mais à quoi pense-t-il ? Ce n’est pas seulement de Corinthe, c’est du monde qu’il faudrait sortir. » Paul fut obligé de revenir sur cet ordre et de l’expliquer.

Il connut les divisions qui agitaient l’Église un peu plus tard, probablement en avril[47], par des frères qu’il appelle « les gens de Chloé[48] ». À ce moment justement, il songeait à quitter Éphèse[49]. Des motifs que nous ignorons l’y retenant encore pour quelque temps, il envoya en Grèce devant lui, avec des pouvoirs égaux aux siens, son disciple Timothée[50], accompagné de plusieurs frères[51], entre autres d’un certain Éraste, probablement différent du trésorier de la ville de Corinthe qui portait le même nom[52]. Quoique le but principal de leur voyage fût Corinthe, ils passèrent par la Macédoine[53]. Paul comptait lui-même prendre cet itinéraire[54], et, selon son usage, il se faisait précéder de ses disciples pour annoncer son arrivée.

Peu de temps après le message de Chloé et avant que Timothée et son compagnon fussent arrivés à Corinthe[55], de nouveaux envoyés de cette ville vinrent trouver Paul[56]. C’étaient le diacre Stéphanas, Fortunat et Achaïcus[57], trois hommes fort chers à l’apôtre. Stéphanas était, selon l’expression de l’apôtre, « les prémices de l’Achaïe », et, depuis le départ d’Aquila et de Priscille, il avait le premier rang dans la communauté, ou du moins dans le parti de Paul. Les envoyés apportaient une lettre, demandant des explications sur l’épître antérieure de Paul et des solutions pour divers cas de conscience, en particulier touchant le mariage, les viandes sacrifiées aux idoles, les exercices spirituels et les dons du Saint-Esprit[58]. Les trois députés ajoutèrent de vive voix des détails sur les abus qui s’étaient introduits. La douleur de l’apôtre fut extrême, et, sans les consolations que lui donnèrent les pieux messagers[59], il se fut emporté contre tant de faiblesse et de légèreté. Il avait fixé son départ après la Pentecôte[60], laquelle pouvait être éloignée d’environ deux mois[61] ; mais il voulait passer par la Macédoine[62]. Il ne pouvait donc être à Corinthe avant trois mois. Sur-le-champ, il résolut d’écrire à l’Église malade et de répondre aux questions qu’on lui posait. Comme il n’avait pas Timothée sous la main, il prit pour secrétaire un disciple, inconnu du reste, nommé Sosthène, et, par une attention délicate, il voulut que le nom de ce disciple figurât dans la suscription de la lettre, à côté du sien[63].

Il débute par un appel à la concorde, et, sous apparence d’humilité, par une apologie de sa prédication :

« Que m’apprend-on ? Que voici les paroles qu’on entend parmi vous : « Moi, je suis du parti de Paul ; — moi, de celui d’Apollos ; — moi, de celui de Céphas ; — moi, de celui de Christ. » Est-ce que le Christ est divisé ? Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? Je remercie Dieu de ce que je n’ai baptisé aucun d’entre vous, si ce n’est Crispus et Caïus, pour que l’on ne puisse dire que vous avez été baptisés en mon nom. J’ai baptisé aussi la maison de Stéphanas ; à cela près, je ne sais si j’ai baptisé personne, le Christ ne m’ayant pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher, et pour prêcher sans aucune des habiletés de la science profane, afin de ne pas rendre inutile la croix du Christ. La prédication de la croix, en effet, est folie pour les hommes perdus ; pour nous, les sauvés, elle est la puissance de Dieu ; car il est écrit : « Je perdrai la sagesse des sages, je rendrai vaine la prudence des prudents[64]. » Où est le sage ? où est le scribe ? où est le disputeur mondain ? Dieu n’a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde ? Le monde, en effet, n’ayant pas su par la philosophie connaître Dieu en la sagesse de ses œuvres, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des miracles[65] ; les Grecs veulent de la philosophie ; pour nous, nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les gentils, mais pour les appelés, soit juifs, soit gentils, Christ, puissance de Dieu, sagesse de Dieu ; car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. Considérez en effet votre vocation, frères ; il n’y a pas parmi vous beaucoup de sages selon la chair, beaucoup de puissants, beaucoup de nobles ; Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde pour confondre les forts, ce qui est ignoble et méprisé selon le monde, disons mieux, ce qui n’est pas pour anéantir ce qui est, afin qu’aucune chair ne se glorifie en sa présence…

« Pour moi, frères, quand je vins à vous, je ne vins pas vous porter le témoignage de Dieu avec le prestige de l’éloquence ni de la philosophie. Tandis que j’ai été parmi vous, je n’ai jugé savoir qu’une seule chose, Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Tout ce temps, je l’ai passé dans la faiblesse, la crainte, le tremblement ; mes discours, ma prédication ne puisaient pas leur force dans les arguments de la philosophie, ils la puisaient dans les démonstrations vives de l’Esprit et de la puissance divine[66], afin que votre foi ne reposât pas sur la sagesse des hommes, mais sur la force de Dieu.

« Nous avons bien notre sagesse, mais nous ne l’exposons qu’aux parfaits. Cette sagesse n’est pas celle de ce monde, ni celle des princes de ce monde, dont le règne est fini… Nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’esprit qui vient de Dieu, et ce qu’il nous révèle, nous l’exprimons en mots dictés par l’Esprit, non par la sagesse humaine, attentifs que nous sommes à exposer les choses spirituelles en style spirituel. L’homme qui n’a que ses facultés naturelles ne comprend pas les choses de l’Esprit de Dieu ; ces choses sont pour lui une folie, il ne peut les connaître, car elles demandent à être jugées spirituellement. L’homme spirituel, au contraire, juge de tout, et n’est jugé par personne.

« Jusqu’ici, frères, j’ai pu vous parler non comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à de petits enfants en Christ. Je vous ai donné du lait, non de la nourriture : vous n’eussiez pas pu la porter. Vous ne le pourriez pas encore. Le seul fait qu’il y a de la jalousie et des querelles parmi vous n’est-il pas la preuve que vous êtes charnels et que les vues humaines sont la règle de votre conduite ? Quand vous dites, l’un : " Moi, je suis de Paul ", l’autre : " Moi, je suis d’Apollos ", ne montrez-vous pas bien que vous n’êtes que des hommes ? Qu’est-ce qu’Apollos ? Qu’est-ce que Paul ? Tous deux sont les ministres dont le Seigneur s’est servi pour vous faire croire, chacun selon la mesure qui lui a été donnée. Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui a donné la croissance. Celui qui plante et celui qui arrose ne sont rien ; Dieu, qui donne la croissance, est tout… Nous sommes les collaborateurs de Dieu ; vous êtes le champ que Dieu travaille, la maison qu’il édifie. Selon la grâce de Dieu qui m’a été donnée, j’ai posé le fondement comme un savant architecte, un autre bâtit dessus ; rien de mieux ; seulement, que chacun regarde bien comment il bâtit. Personne, en effet, ne peut poser un autre fondement que celui qui est déjà placé, lequel est Jésus-Christ… Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?… Il ne faut pas s’y tromper : si quelqu’un parmi vous paraît être sage aux yeux du siècle, qu’il devienne fou pour redevenir réellement sage ; car la sagesse du monde est folie devant Dieu. N’est-il pas écrit : « Il prend les sages dans leurs finesses[67] », et encore : « Le Seigneur connaît les pensées des sages, et sait qu’elles sont vaines[68] » ? Que personne donc ne cherche sa gloire dans les hommes[69]. Tout est à vous, Paul, Apollos, Céphas, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir. Tout est à vous, dis-je ; vous, vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu.

« Nous sommes les ministres de Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu… Pour moi, il m’importe peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ; je m’interdis de me juger moi-même… Mon vrai juge, c’est le Seigneur… Attendez que le Seigneur vienne jeter la lumière sur les choses cachées dans l’ombre et mettre en plein jour les volontés des cœurs ; alors, chacun obtiendra de Dieu la louange qu’il mérite.

« Si j’ai fait l’application de ces principes, frères, à moi et à Apollos, c’est pour que vous appreniez la vérité du proverbe : « N’en faites pas plus que ne commande l’Écriture[70] », et que vous cessiez de vous enfler les uns contre les autres pour des tiers… Vraiment, on dirait que vous n’avez plus besoin de rien, que vous êtes assez riches de votre propre fonds, que vous avez atteint sans nous[71] le royaume du ciel. Plût à Dieu ! J’espère au moins que vous nous permettriez d’y entrer avec vous. Pour moi, j’ai toujours pensé qu’en effet Dieu a fait de nous autres apôtres les derniers des hommes, des malheureux qu’on réserve pour la mort, offerts en spectacle, comme dans un amphithéâtre, au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes des fous pour Christ, vous êtes des sages en Christ ; nous sommes faibles, vous êtes forts ; vous êtes glorieux, nous sommes obscurs. Jusqu’à cette heure, notre vie s’est passée à avoir faim et soif, à souffrir la nudité, à être souffletés, à errer çà et là, à travailler sans relâche de nos mains. Maudits, nous bénissons ; persécutés, nous supportons ; injuriés, nous redoublons de politesse. Nous sommes les balayures du monde, le rebut de tous, jusqu’à cette heure !

« Je ne vous écris pas ceci pour vous faire honte, mais je vous avertis comme mes enfants bien-aimés. Vous pourrez trouver dix mille pédagogues en Christ, mais vous ne trouverez pas beaucoup de pères ; car je vous ai engendrés en Christ par l’Évangile. Je vous en prie donc, soyez mes imitateurs. Je vous ai envoyé Timothée, qui est mon enfant chéri et fidèle dans le Seigneur, pour qu’il vous fasse connaître mes façons d’agir en Christ et comment j’enseigne dans toutes les Églises. Croyant que je ne viendrais plus chez vous, certains se sont enflés ; mais bientôt j’arriverai, si Dieu le veut bien, et je jugerai ceux qui se sont enflés ; je les jugerai, dis-je, d’après leurs actes, non d’après leurs paroles ; car le royaume de Dieu consiste en actes et non en paroles. Lequel voulez-vous ? Que je vienne à vous avec la verge, ou avec amour et en esprit de douceur ? »

Après cette apologie générale, l’apôtre aborde chacun des abus qu’on lui avait signalés et chacune des questions qu’on lui avait posées. Il est pour l’incestueux d’une sévérité extrême[72].

« On dit partout qu’il y a chez vous un cas de fornication, et de fornication telle qu’on n’en voit pas parmi les païens : quelqu’un vivrait avec la femme de son père ! Et vous vous laissez enfler d’orgueil, et vous n’êtes pas plutôt dans le deuil, et vous n’avez pas chassé d’entre vous celui qui a commis un tel acte ! Pour moi, — absent de corps, mais présent en esprit, — au nom de Notre-Seigneur Jésus, — vous et mon esprit étant réunis, — avec le pouvoir de Notre-Seigneur Jésus, — je condamne, — comme si j’étais présent parmi vous, — celui qui a péché de la sorte, et je le livre à Satan pour la mort de sa chair, afin que son esprit soit sauvé au grand jour du Seigneur. »

Il ne faut pas en douter : c’est une condamnation à mort que Paul prononce[73]. De terribles légendes circulaient sur l’effet des excommunications[74]. Il faut se rappeler, d’ailleurs, que Paul croyait sérieusement faire des miracles. En ne livrant à Satan que le corps du coupable, il crut sans doute être indulgent.

L’ordre que Paul avait donné dans une précédente lettre (perdue) aux Corinthiens d’éviter tout rapport avec les impudiques avait amené des malentendus. Paul développe sa pensée[75]. Le chrétien n’a pas à juger les gens du dehors, mais pour ceux du dedans il doit être sévère. Une seule tache à la pureté de la vie doit suffire pour qu’on soit exclu de la société ; défense est faite de manger avec le délinquant. C’est, on le voit, à un couvent, à une congrégation de pieuses personnes occupées à se surveiller et à se juger, bien plus qu’à une église, dans le sens moderne du mot, qu’une telle organisation nous reporte. Toute l’Église, aux yeux de l’apôtre, est responsable des fautes qui se commettent dans son sein. Cette exagération de rigorisme avait sa raison d’être dans la société antique, qui péchait par de tout autres excès. Mais on sent ce qu’une telle idée de la sainteté a d’étroit, d’illibéral, de contraire à la morale de celui qu’on appelait autrefois « l’honnête homme », morale dont le principe fondamental est de s’occuper le moins possible de la conduite d’autrui. — La question seulement est de savoir si une société peut tenir sans une censure des mœurs privées, et si l’avenir ne ramènera pas quelque chose d’analogue à la discipline ecclésiastique, que le libéralisme moderne a si jalousement supprimée.

Le type idéal de la perfection morale selon Paul est un homme doux, honnête, chaste, sobre, charitable, détaché de la richesse[76]. L’humilité de la condition et la pauvreté sont presque requises pour être chrétien. Les mots d’ « avare, rapace, voleur » sont à peu près synonymes ; au moins les vices qu’ils désignent sont-ils frappés du même blâme[77]. L’antipathie de ce petit monde pour la grande société profane était étrange. Paul, suivant en cela la tradition juive[78], reprend comme un acte indigne des fidèles le fait de déférer les procès aux tribunaux.

« Est-il vrai qu’il y en a parmi vous qui, ayant, une affaire avec leur frère, s’adressent pour la faire juger aux iniques et non aux saints ? Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? Et, si le monde doit être jugé par vous, vous seriez incapables de rendre des jugements de petite importance ?… Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Des questions d’argent seraient-elles au-dessus de nous ? Si donc vous avez entre vous des affaires d’argent, cherchez dans l’Église ceux qui sont le moins considérés, et constituez-les juges. Je le dis pour vous faire honte. Ainsi, il n’y a pas parmi vous un seul sage qui soit capable d’être juge entre ses frères ? Mais partout les frères se jugent entre eux, même chez les infidèles. C’est déjà un grand dommage que vous ayez des procès entre vous. Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt l’injustice ? Pourquoi ne vous laissez-vous pas plutôt dépouiller ? Mais c’est vous-mêmes qui êtes injustes, spoliateurs, et cela envers des frères ! »

La règle des rapports naturels de l’homme et de la femme entraînait les plus graves difficultés. C’était ici la constante préoccupation de l’apôtre, quand il écrivait aux Corinthiens. La froideur de Paul donne à sa morale quelque chose de sensé, mais de monastique et d’étroit. L’attrait sexuel est à ses yeux un mal, une honte. Puisqu’on ne peut le supprimer, il faut le régler. La nature pour saint Paul est mauvaise, et la grâce consiste à la contredire et à la maîtriser. Il a pourtant de belles expressions sur le respect que l’homme doit à son corps : Dieu le ressuscitera ; les corps des fidèles sont le temple du Saint-Esprit, les membres du Christ. Quel crime de prendre les membres du Christ pour en faire les membres d’une courtisane[79] ! La chasteté absolue est ce qui vaut le mieux[80] ; la virginité est l’état parfait ; le mariage a été établi comme un moindre mal. Mais, dès qu’il est contracté, les deux parties ont l’une sur l’autre des droits égaux. L’interruption des rapports conjugaux ne doit être admise que pour un temps et en vue des devoirs religieux. Le divorce est interdit, sauf pour les cas de mariage mixte où la partie infidèle se retire la première.

Les mariages contractés entre chrétiens et infidèles peuvent être continués. La femme fidèle sanctifie le mari infidèle, le mari fidèle sanctifie la femme infidèle, de la même manière que les enfants sont sanctifiés par les parents. On peut d’ailleurs espérer que la partie fidèle convertira l’autre. Mais les nouveaux mariages ne peuvent se faire qu’entre chrétiens[81]. Toutes ces questions se présentaient sous le jour le plus singulier, puisqu’on croyait que le monde allait finir[82]. Dans l’état de crise où l’on était, la grossesse, la nourriture des enfants paraissaient des anomalies[83]. On se mariait peu dans la secte[84], et une des conséquences les plus fâcheuses pour ceux qui s’y affiliaient était l’impossibilité d’établir leurs filles. Beaucoup murmuraient, trouvant cela messéant et contraire aux usages[85]. Pour empêcher de plus grands maux[86], et par égard pour les pères de famille qui avaient sur les bras des filles âgées[87], Paul permet le mariage. Mais il ne cache pas le dédain et le dégoût qu’il a pour cet état, qu’il trouve désagréable, plein de trouble, humiliant.

« Le temps est court, dit-il ; ce qui reste à faire, c’est que ceux qui ont des épouses soient comme n’en ayant pas, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, ceux qui achètent comme ne possédant pas, ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas ; car la figure de ce monde passe. Je veux que vous n’ayez pas de soucis. L’homme non marié a pour souci les choses du Seigneur ; il cherche à plaire au Seigneur. L’homme marié a pour souci les choses du monde ; il cherche à plaire à sa femme ; ainsi il est partagé. La femme non mariée, la vierge, a pour souci les choses du Seigneur ; elle travaille pour être sainte de corps et d’esprit. Mais la femme mariée songe à plaire à son mari. Je vous dis cela pour votre bien, non pour vous tendre des pièges ; je vous le dis en vue de ce qui est le plus honnête et le plus propre à vous permettre de vaquer sans distraction au culte du Seigneur[88]. »

L’exaltation religieuse produit toujours de tels sentiments. Le judaïsme orthodoxe, qui, cependant, se montra opposé au célibat et qui érigea le mariage en devoir[89], eut des docteurs qui raisonnèrent comme Paul. « Pourquoi me marierais-je ? disait Rabbi ben Azaï. Je suis amoureux de la Loi ; le monde peut se continuer par d’autres[90]. » Plus tard, à ce qu’il paraît, Paul exprima sur ce sujet des pensées bien plus justes, et vit dans l’union de l’homme et de la femme un symbole de l’amour du Christ et de son Église[91] ; il posa comme loi suprême du mariage l’amour du côté de l’homme, la soumission du côté de la femme ; il se rappela l’admirable page de la Genèse[92] où le mystérieux attrait des deux sexes est expliqué par une fable philosophique d’une divine beauté.

La question des viandes provenant des sacrifices païens est résolue par saint Paul avec un grand bon sens[93]. Les judéo-chrétiens tenaient à ce qu’on s’abstînt absolument de telles viandes, et il paraît qu’il avait été convenu au concile de Jérusalem que tout le monde se les interdirait[94]. Paul est plus large. Selon lui, la circonstance pour un morceau de viande d’avoir fait partie d’une bête immolée est insignifiante. Les faux dieux n’étant rien, la viande qui leur est offerte n’en contracte aucune souillure. On peut donc acheter indistinctement toute viande exposée au marché, sans faire de question sur la provenance de chaque morceau. Une réserve pourtant doit être faite : il y a des consciences scrupuleuses qui prennent cela pour de l’idolâtrie ; or l’homme éclairé doit se guider non-seulement par les principes, mais aussi par la charité. Il doit s’interdire des choses qu’il sait être permises, parce que les faibles en sont scandalisés. La science enfle, mais la charité édifie. Tout est permis à l’homme éclairé ; mais tout n’est pas opportun, tout n’édifie pas[95]. Il ne faut pas seulement songer à soi, il faut aussi songer aux autres. C’est ici une des pensées favorites de Paul, et l’explication de plusieurs épisodes de sa vie, où on le voit s’assujettir, par égard pour les personnes timorées, à des observances dont il ne faisait aucun cas. « Si la viande que je mange, dit-il, tout innocente qu’elle est, scandalisait mon frère, je renoncerais à manger de la viande pour l’éternité. »

Quelques fidèles allaient cependant un peu trop loin. Entraînés par leurs relations de famille, ils prenaient part aux festins qui suivaient les sacrifices et qui avaient lieu dans les temples. Paul blâme cet usage, et, selon une manière de raisonner qui lui est familière, part d’un principe différent de celui qu’il admettait tout à l’heure. Les dieux des nations sont des démons ; participer à leurs sacrifices, c’est avoir commerce avec les démons. On ne peut à la fois participer à la table du Seigneur et à la table des démons, boire à la coupe du Seigneur et à la coupe des démons[96]. Les festins qui se font dans les maisons n’ont pas la même conséquence : il ne faut ni refuser d’y aller, ni s’inquiéter de la provenance des viandes ; si l’on vous dit qu’une viande a été sacrifiée aux dieux, et qu’il doive en résulter un scandale, s’abstenir[97]. En général, éviter ce qui peut être une pierre d’achoppement pour le juif, le païen, le chrétien ; subordonner dans la pratique sa liberté à celle d’autrui, tout en maintenant son droit ; en tout, chercher à plaire à tous[98].

« Prenez exemple de moi, continue-t-il ; ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur ? N’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur ? Si pour d’autres je ne suis pas apôtre[99], au moins le suis-je pour vous ; car vous êtes le sceau de mon apostolat, mon apologie contre ceux qui me mettent en cause. N’aurions-nous pas le droit de vivre à vos frais ? N’aurions-nous pas le droit de mener partout avec nous une femme sœur, comme les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas ? Barnabé et moi, sommes-nous les seuls qui n’aient pas ce droit ? Qui jamais a servi l’État à ses propres frais ? Plante-t-on une vigne pour n’en pas manger le fruit ? Fait-on paître un troupeau sans goûter son lait ?… Nous avons semé chez vous une moisson spirituelle ; serait-ce beaucoup de cueillir quelque chose de votre temporel ? Si d’autres se sont donné ce droit, ne l’aurions-nous pas à plus forte raison ? Eh bien, nous n’en avons pas usé ; nous supportons tout au monde pour ne créer aucun obstacle à l’Évangile du Christ… Notre gloire, en évangélisant, est de prêcher l’Évangile gratis ; c’est de ne pas user des droits que nous aurions au nom de l’Évangile. Étant libre de tous, je me suis fait esclave de tous, pour gagner un plus grand nombre. Je me suis fait juif pour les juifs, afin de gagner les juifs ; à ceux qui étaient sous l’autorité de la Loi, je me suis présenté comme étant sous l’autorité de la Loi (quoique je ne fusse pas sous cette autorité), afin de gagner ceux qui sont sous l’autorité de la Loi. Avec ceux qui ne sont pas sous l’autorité de la Loi, j’ai été sans Loi (quoique je ne fusse pas hors de la vraie loi de Dieu, étant dans la loi de Christ), pour gagner ceux qui sont sans Loi. Pour les faibles, j’ai été faible, afin de gagner les faibles ; j’ai été tout à tous[100], pour sauver les âmes de toutes les manières… Vous savez bien que, dans les courses du stade[101], tous courent, mais qu’un seul reçoit le prix ; courez de façon à atteindre le but. Ceux qui doivent concourir aux jeux pratiquent une abstinence rigoureuse[102], pour recevoir une couronne périssable ; faites de même pour une couronne impérissable. Pour moi, je cours, non comme le coureur qui va sans but ; je me bats, non comme l’athlète au pugilat qui frappe en l’air ; mais je meurtris mon corps et je le rends esclave, de peur qu’après avoir fait le héraut pour les autres, je ne sorte de la lice sans gloire[103]. »

Quant à la question du rôle des femmes dans l’église, on s’attend bien que l’apôtre la tranchera avec sa ferme rudesse. Il blâme les tentatives hardies des femmes de Corinthe et les rappelle à la pratique des autres communautés[104]. Les femmes ne doivent jamais parler ni même questionner dans l’église. Le don des langues n’est pas pour elles. Elles doivent être soumises à leur mari[105]. Si elles désirent savoir quelque chose, qu’elles le demandent à leur mari dans leur maison. Il est aussi honteux pour une femme de paraître sans voile à l’église que d’y paraître tondue ou rasée[106]. Le voile est d’ailleurs nécessaire à cause des anges[107]. On supposait les anges, présents au service divin[108], susceptibles d’être tentés par la vue de la chevelure des femmes[109], ou du moins d’être distraits par cette vue de leur office, qui est de porter à Dieu les prières des saints[110]. « La tête de l’homme, c’est Christ ; la tête de la femme, c’est l’homme ; la tête de Christ, c’est Dieu… L’homme ne doit pas voiler sa tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. L’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l’homme… Tout vient de Dieu[111]. »

Les observations relatives au « repas du Seigneur[112] » ont un immense intérêt historique. Ce repas devenait de plus en plus la partie essentielle du culte chrétien. De plus en plus aussi se répandait l’idée que c’était Jésus lui-même qu’on y mangeait. Cela sans doute était métaphorique[113] ; mais la métaphore, dans le langage chrétien de ce temps, n’était pas nettement distincte de la réalité. En tout cas, ce sacrement était par excellence un sacrement d’union et d’amour.

« La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas la communion du sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas la communion du corps du Christ ? De même qu’il n’y a qu’un seul pain, nous tous qui participons de ce pain unique, nous devenons, tout nombreux que nous sommes, un seul corps. Voyez Israël selon la chair ; ceux qui mangent de la victime ne communient-ils pas avec l’autel[114] ?… J’ai appris du Seigneur ce que je vous ai transmis, savoir que le Seigneur, dans la nuit où il fut livré, prit le pain, et qu’après avoir rendu grâces, il le rompit, et dit : " Ceci est mon corps, qui est pour vous : faites ceci en souvenir de moi. " De même, après le dîner, il prit la coupe, disant : " Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci, toutes les fois que vous boirez, en souvenir de moi. " Aussi, toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous signifiez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi celui qui mangerait le pain ou qui boirait de la coupe du Seigneur indignement serait coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun commence donc par s’examiner et qu’ensuite il mange du pain et boive de la coupe. Car celui qui mange et boit sans reconnaître le corps du Seigneur mange et boit son propre jugement[115]. »

Ce jugement qu’on encourt en méconnaissant la haute sainteté du repas du Seigneur n’est pas la damnation éternelle, ce sont des épreuves temporelles ou même la mort, la mort étant souvent une expiation qui sauve l’âme[116]. « Voilà pourquoi, ajoute l’apôtre, il y a chez vous beaucoup de gens débiles, malades, et des décès nombreux. Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais les jugements du Seigneur sont des corrections qui nous préservent d’être jugés avec le monde, » c’est-à-dire damnés dans l’éternité. Pour le moment, l’apôtre se borne à ordonner que ceux qui viennent aux agapes s’attendent les uns les autres, qu’on mange chez soi pour satisfaire son appétit, et qu’on garde au repas du Seigneur sa signification mystique[117]. Il réglera le reste à son passage.

L’apôtre trace ensuite la théorie des manifestations de l’Esprit[118]. Sous les noms mal définis de « dons[119] », de « services[120] » et de « pouvoirs[121] », il range treize fonctions, constituant toute la hiérarchie et toutes les formes de l’activité surnaturelle. Trois fonctions sont nettement désignées et subordonnées l’une à l’autre ; ce sont : 1o la fonction d’apôtre, 2o celle de prophète, 3o celle de docteur[122]. Puis viennent des dons, des services ou des pouvoirs qui, sans conférer un caractère permanent aussi élevé, servent aux perpétuelles manifestations de l’Esprit[123] Ce sont : 1o la parole de sagesse[124], 2o la parole de science[125], 3o la foi[126], 4o le don des guérisons[127], 5o le pouvoir de faire des miracles[128], 6o le discernement des esprits[129], 7o le don de parler les diverses espèces de langues[130], 8o l’interprétation des langues ainsi parlées[131], 9o les œuvres de charité[132], 10o les soins administratifs[133]. Toutes ces fonctions sont bonnes, utiles, nécessaires ; elles ne doivent ni chercher à se rabaisser l’une l’autre ni se porter envie ; elles ont une même source. Tous les « dons » viennent de l’Esprit-Saint ; tous les « services » émanent du Christ ; tous les « pouvoirs » viennent de Dieu. Le corps a plusieurs membres, et pourtant il est un ; la division des fonctions est nécessaire dans l’Église comme dans le corps. Ces fonctions ne peuvent pas plus se passer les unes des autres que l’œil ne peut se passer de la main, la tête des pieds. Toute jalousie entre elles est donc déplacée. Sans doute, elles ne sont pas égales en dignité, mais ce sont justement les membres les plus faibles qui sont les plus nécessaires ; ce sont les membres les plus humbles qui sont les plus honorés, les plus soigneusement entourés. Dieu ayant voulu établir à cet égard une compensation, pour qu’il n’y eût pas de schisme ni de jalousie dans le corps. Les membres doivent donc être soucieux les uns des autres ; si l’un souffre, tous souffrent ; les avantages et la gloire de l’un sont les avantages et la gloire de l’autre. À quoi bon, d’ailleurs, ces rivalités ? Il y a une voie ouverte à tous et qui est la meilleure, un don qui a sur les autres une immense supériorité.

Emporté par un souffle vraiment prophétique au delà des idées mêlées d’aberrations qu’il vient d’exposer, Paul écrit alors cette page admirable, la seule de toute la littérature chrétienne qui puisse être comparée aux discours de Jésus :

« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante. Quand j’aurais le don de prophétie, quand je connaîtrais tous les mystères, quand je posséderais toute science, quand j’aurais une foi suffisante pour transporter les montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. Je transformerais tous mes biens en pain pour les pauvres, je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert de rien. L’amour est patient ; il est bienveillant ; l’amour ne connaît ni la jalousie, ni la jactance, ni l’enflure ; il n’est pas inconvenant ; il n’est pas égoïste ; il ne s’emporte pas ; il ne pense pas à mal ; il ne sympathise pas avec l’injustice ; il sympathise au contraire avec la vérité. Il souffre tout ; il croit tout ; il espère tout ; il supporte tout. L’amour n’a pas de décadence, tandis que la prophétie pourra disparaître, le don des langues cesser, le don de science devenir sans objet. La science et la prophétie sont des dons partiels ; or, quand le parfait viendra, le partiel disparaîtra. Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je sentais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; mais, depuis que je suis devenu homme, j’ai laissé là les façons de l’enfant. Maintenant, nous voyons à travers un miroir et en images ; alors, nous verrons face à face. Maintenant, je connais d’une manière partielle ; alors, je connaîtrai [Dieu] comme je suis connu [de lui]. En somme, il y a trois grandes choses : foi, espérance, amour ; mais la plus grande des trois est l’amour. »

Versé dans la psychologie expérimentale, Paul eût été un peu plus loin ; il eût dit : « Frères, laissez là les illusions. Ces bégaiements inarticulés, ces extases, ces miracles, sont les rêves de votre enfance. Ce qui n’est pas chimère, ce qui est éternel, c’est ce que je viens à l’instant de vous prêcher. » Mais alors il n’eût pas été de son temps ; il n’eût pas fait ce qu’il a fait. N’est-ce pas déjà beaucoup d’avoir indiqué cette distinction capitale des vérités religieuses éternelles, qui ne tombent pas[134], et de celles qui tombent comme les imaginations du premier âge ? N’est-ce pas avoir assez fait pour l’immortalité que d’avoir écrit cette parole : « La lettre tue, l’esprit vivifie[135] » ? Malheur à celui qui s’arrêterait à la surface, et qui, pour deux ou trois dons chimériques, oublierait que dans cette étrange énumération, parmi les diaconies et les charismata de l’Église primitive, se trouvent le soin de ceux qui souffrent, l’administration des deniers du pauvre, l’assistance réciproque ! Paul énumère ces fonctions en dernier lieu et comme d’humbles choses. Mais son regard perçant sait encore ici voir le vrai. « Prenez garde, dit-il ; nos membres les moins nobles sont justement les plus honorés. » Prophètes, parleurs de langues, docteurs, vous passerez. Diacres, veuves dévouées, administrateurs du bien de l’Église, vous resterez ; vous fondez pour l’éternité.

Dans le détail des prescriptions relatives aux exercices spirituels, Paul montre son esprit pratique[136]. Il met hautement la prophétie au-dessus du don des langues. Sans repousser absolument la glossolalie, il fait à ce sujet des réflexions qui équivalent à un blâme. Le glossolale ne parle pas aux hommes, il parle à Dieu, personne ne le comprend, il n’édifie que lui-même. La prophétie, au contraire, sert à l’édification et à la consolation de tous. La glossolalie n’est bonne que si elle est interprétée, c’est-à-dire si d’autres fidèles spécialement doués pour cela interviennent et savent en tirer un sens ; par elle-même, elle est comme une musique indistincte ; on entend un son de flûte ou de cithare, mais on ne saisit pas le morceau que jouent ces instruments. C’est comme une trompette enrouée : elle a beau sonner ; comme elle ne dit rien de clair, personne n’obéit à ce signal incertain et ne se prépare au combat. Si la langue ne donne pas des sons nettement articulés, elle ne fait que frapper l’air ; un discours dans une langue qu’on ne comprend pas n’existe pas pour l’intelligence. Ainsi pas de glossolalie sans interprétation. Il y a plus, la glossolalie en elle-même est stérile ; l’intelligence avec elle reste sans fruit ; la prière a lieu en vous sans que vous y ayez part.

« Tu fais un hymne d’action de grâces par l’inspiration de l’Esprit, comment veux-tu que le peuple dise l’Amen, s’il ne sait pas ce que tu dis ? Ton hymne est peut-être très-beau ; mais les autres n’en sont pas édifiés. Pour moi, je remercie Dieu de parler plutôt la langue de vous tous. J’aime mieux dire dans l’église cinq paroles avec mon bon sens, pour instruire les autres, que dix mille paroles en langues étrangères[137]. Frères, ne soyez pas des enfants par le jugement ; soyez des enfants quand il s’agit du mal ; mais par le jugement soyez des hommes parfaits… Supposez donc l’Église réunie et tous parlant les langues, et qu’il entre des personnes ignorantes et incrédules : ne diront-elles pas que vous êtes des fous ? Si tous, au contraire, prophétisent, et qu’il entre un incrédule ou un ignorant, il est sur-le-champ entrepris par tous ; tous le confondent, le jugent, les choses cachées au fond de son cœur sont révélées ; frappé de ce qu’il voit et de ce qu’il entend, il tombe la face contre terre, adore Dieu et reconnaît que Dieu est vraiment avec vous. Que conclure de tout cela, frères ? Quand vous vous rassemblez, que chacun ait son psaume, sa leçon, sa révélation, son exercice de langues, son interprétation, rien de mieux, pourvu que tout se fasse pour l’édification. S’agit-il d’un exercice des langues, il faut que deux ou tout au plus trois parlent, et cela séparément, l’un après l’autre, et qu’un seul interprète ce qu’ils ont dit. S’il n’y a pas d’interprète, qu’ils se taisent, qu’ils parlent pour eux et pour Dieu. Observez la même règle en ce qui regarde les prophètes : que deux ou trois parlent, et que les autres fassent le discernement. Si, pendant que l’un parle, un autre assis reçoit une révélation, que le premier se taise. Vous pouvez tous prophétiser, si vous voulez, à condition de le faire les uns après les autres, de façon que l’assistance soit instruite et touchée. Chaque prophète est maître de l’esprit qui l’anime. Dieu n’est pas le Dieu du désordre, il est le Dieu de la paix… En résumé, frères, cultivez la prophétie, n’empêchez pas la glossolalie ; mais que tout se fasse honnêtement et selon l’ordre. »

Quelques sons bizarres que prononçaient les glossolales, et où se mêlaient le grec, le syriaque, les mots anathema, maran atha, les noms de Jésus, de « Seigneur », embarrassaient fort les simples gens. Paul, consulté à ce sujet, pratique ce qu’on appelait « le discernement des esprits », et cherche à démêler dans ce jargon confus ce qui pouvait venir de l’Esprit et ce qui n’en venait pas[138].

Le dogme fondamental de l’Église primitive, la résurrection et la prochaine fin du monde, tient en cette épître une place considérable. L’apôtre y revient à huit ou neuf reprises différentes[139]. La rénovation se fera par le feu. Les saints seront juges du monde, même des anges. La résurrection, qui de tous les dogmes chrétiens était le plus répugnant à l’esprit grec, est l’objet d’une attention particulière[140]. Plusieurs, tout en admettant la résurrection de Jésus, sa prochaine apparition et le renouvellement qu’il allait opérer, ne croyaient pas à la résurrection des morts. Quand il y avait un décès dans la communauté, c’était pour eux un scandale et un embarras. Paul n’a pas de peine à montrer leur inconséquence : si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité, toute espérance est vaine, les chrétiens sont les plus à plaindre des hommes, les vrais sages sont ceux qui disent : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. » La résurrection de Jésus est la garantie de la résurrection de tous. Jésus a ouvert la marche, ses disciples le suivront au jour de sa manifestation glorieuse. Alors commencera le règne du Christ : toute autre puissance que la sienne sera anéantie ; la mort sera le dernier ennemi qu’il domptera ; tout lui sera soumis, à l’exception de Dieu, qui lui a soumis toute chose. Le Fils, en effet, s’empressera de rendre l’hommage à Dieu et de se soumettre à lui, pour que Dieu soit tout en tous.

« Mais, dira quelqu’un, comment les morts ressusciteront-ils ? Avec quel corps reviendront-ils ? — Insensé ! ne vois-tu pas que le grain qu’on sème n’est vivifié qu’après avoir traversé la mort ? Le grain qu’on sème n’est pas le corps qui sera un jour. C’est un grain nu : par exemple, un grain de froment ou de toute autre espèce de blé ; mais Dieu lui donne un corps, comme il lui plaît, et à chaque semence il donne un corps particulier. Toute chair n’est pas une même chair : autre est la chair des hommes ; autre la chair des bêtes ; autre la chair des oiseaux ; autre la chair des poissons. Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; autre est la gloire des premiers, autre est la gloire des seconds. Autre est la gloire du soleil, autre la gloire de la lune, autre la gloire des étoiles. Une étoile même diffère en gloire des autres étoiles. Il en sera de même à la résurrection des morts. Semé corruptible, le corps renaît incorruptible ; semé humble, il renaît glorieux ; semé faible, il renaît fort. On a semé un corps animal ; un corps spirituel ressuscite… C’est un mystère que je vous dis : Nous ne mourrons pas tous ; mais tous nous serons transformés[141] en un instant indivisible, en un clin d’œil, au bruit de la dernière trompette. La trompette, en effet, sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous serons transformés. Car il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l’immortalité. Alors s’accomplira ce qui est écrit : " La mort a été absorbée dans sa victoire[142]. Où est, ô mort, ta victoire ? Où est, ô mort, ton aiguillon[143] ? "… Grâces à Dieu, qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Hélas ! le Christ ne vint pas. Tous moururent les uns après les autres. Paul, qui croyait être de ceux qui vivraient jusqu’à la grande apparition[144], mourut à son tour. Nous verrons comment ni la foi ni l’espérance ne s’arrêtèrent pour cela. Aucune expérience, quelque désespérante qu’elle soit, ne paraît décisive à l’humanité, quand il s’agit de ces dogmes sacrés où elle met, non sans raison, sa consolation et sa joie. Il nous est facile de trouver après coup que ces espérances étaient exagérées ; il est heureux du moins que ceux qui les ont partagées n’aient pas été si clairvoyants. Paul nous dit naïvement que, s’il n’avait pas compté sur la résurrection, il eût mené la vie d’un bourgeois paisible, tout occupé de ses vulgaires plaisirs[145]. Quelques sages de premier ordre, Marc-Aurèle, Spinoza, par exemple, ont été plus loin, et ont pratiqué la plus haute vertu sans espoir de rémunération. Mais la foule n’est jamais héroïque. Il a fallu une génération d’hommes persuadés qu’ils ne mourraient pas, il a fallu l’attrait d’une immense récompense immédiate pour tirer de l’homme cette somme énorme de dévouement et de sacrifice qui a fondé le christianisme. La grande chimère du prochain royaume de Dieu a été de la sorte l’idée mère et créatrice de la religion nouvelle. Nous assisterons bientôt aux transformations que la nécessité des choses fera subir à cette croyance. Vers les années 54-58, elle avait atteint son plus haut degré d’intensité. Toutes les lettres de Paul écrites vers ce temps en sont pour ainsi dire imprégnées. Les deux mots syriaques Maran atha, « le Seigneur va venir[146] », étaient le mot de reconnaissance des chrétiens entre eux, l’expression vive et courte qu’ils se jetaient les uns aux autres pour s’encourager dans leurs espérances[147].

  1. II Cor., xi, 28.
  2. Quelques critiques, se fondant sur II Cor., ii, 1 ; xii, 14, 21 ; xiii, 1, 2, supposent que Paul, pendant son séjour à Éphèse, fit à Corinthe un voyage dont les Actes ne parleraient pas ; mais ces passages s’expliquent sans une telle hypothèse.
  3. Act., xviii, 27-28.
  4. Act., xviii, 24-28 ; I Cor., iii, 5 et suiv.
  5. Act., xix, 1.
  6. I Cor., i, 10 et suiv. ; iii, 3 et suiv, ; II Cor., xii, 20. L’Église de Corinthe garda longtemps les mêmes défauts. Voir la première épître de Clément Romain aux Corinthiens, ch. 2, 3, 14, 46, 47, 54.
  7. I Cor., i, 17 et suiv.
  8. I Cor., i, 12 ; iii, 4.
  9. Cela résulte clairement de I Cor., iii, 6, 8-10, iv, 6 ; xvi, 12.
  10. I Cor., iv, 6.
  11. I Cor., xvi, 12.
  12. Tit., iii, 13.
  13. II Cor., v, 12 ; x, 12 et suiv. ; xi, 13, 16 et suiv. ; Rom., xv, 18, 20.
  14. II Cor., iii, 1 ; iv, 2 ; v, 12 ; x, 12, 18 ; xii, 11. Cf. Recognit. IV, 35 ; Homél. pseudo-clém., xi, 35.
  15. I Cor., ix, 2 ; II Cor., xii, 16. Cf. Jud., 11, 16.
  16. I Cor., ix, 2-3.
  17. I Cor., ix, 1 et suiv. ; II Cor., xi, 7 et suiv.
  18. I Cor., iv, 10, 12 ; ix, 4 et suiv. ; II Cor, i, 12 et suiv. ; iii, 1 ; vi, 8 ; x, 10-12 ; xi, 7.
  19. Homélies pseudo-clém., xvii, 13-19.
  20. II Cor., v, 16.
  21. I Cor., i, 12 ; II Cor., xi, 4 et suiv. ; xii, 11 et suiv.
  22. Οἱ ὑπερλίαν ἀπόστολοι.
  23. II Cor., v, 16 ; x, 7.
  24. Récognitions, IV, 36.
  25. II Cor., xi, 18.
  26. I Cor., viii, 1 et suiv. Comp. Récognitions, IV, 36.
  27. I Cor., i, 12 ; iii, 22 ; II Cor., x, 7.
  28. I Cor., i, 22, 23 ; xv, 12 et suiv. Cf. Act., xvii, 18, 32 ; xxiv, 26. Les objections matérialistes contre la résurrection durèrent toujours chez les païens et même dans la conscience chrétienne. Voir Athénagore, De resurr., 3, 4 ; Minutius Felix, Octav., 11, 34 ; Arnobe, II, 13 ; Orig., Contre Celse, I, § 7 ; V, § 14 et suiv. ; lettre des Églises de Vienne et de Lyon, dans Eusèbe, H. E., V, 1, in fine ; Tatien, Adv. Gr., 6 ; Irénée, V, 3 ; Tertullien, De carne Christi, 15 ; saint Augustin, De civ. Dei, XXII, 4, 12 et suiv. Pour les inscriptions, voir Leblant, dans la Revue de l’Art chrétien, mars 1862, et Inscr. chrét. de la Gaule, I, préf., p. lxxxvi et suiv. La disparition du corps laissait de l’inquiétude. Les légendes populaires arrangent en général les choses de manière que les corps des martyrs ne soient pas entièrement détruits ; le feu les laisse entiers, les bêtes ne les mangent pas. Le Pseudo-Phocylide (v. 99-108) défend de couper les cadavres et ordonne de les inhumer avec soin, en vue de la résurrection.
  29. I Cor., i, 17 et suiv. ; ii, 1 et suiv., 13.
  30. I Cor., v, 9 et suiv. ; vi, 12 et suiv. ; x, 8.
  31. Act., xv, 29.
  32. I Cor., v, 1 et suiv. ; vii.
  33. I Cor., iv, 6-8 ; xi, 16-19 ; xiii, 4 et suiv. ; II Cor., xii, 20.
  34. I Cor., xiv, 36.
  35. I Cor., xiv, 23 et suiv.
  36. I Cor., xii, 15 et suiv. ; xiii, 4.
  37. I Cor., xiii, 5 ; xiv, 33, 39.
  38. I Cor., xiv, 40.
  39. I Cor., xi, 3 et suiv. ; xiv, 33-35.
  40. Voir l’étymologie grotesque de μεθύειν, dans Philon, De plantat. Noe, § 39.
  41. I Cor., xi, 20 et suiv. Cf. Jud., 12.
  42. I Cor., xi, 30.
  43. Comp. I Thess., iv, 13 et suiv.
  44. I Cor., v, 5 ; xi, 30-32.
  45. I Cor., xvi, 15-17.
  46. I Cor., v, 9 et suiv.
  47. La navigation, en effet, ne reprenait que vers le 20 mars (Act., xxvii, 9 ; xxviii, 11 ; Végèce, De re milit., IV, 39). Or, la première épître aux Corinthiens fut écrite avant la Pentecôte (I Cor., xvi, 8), et probablement à l’époque même de Pâques (I Cor., v, 7-8).
  48. I Cor., i, 11.
  49. Act., xix, 21.
  50. Act., xix, 22 ; I Cor., iv, 17 ; xvi, 10-11.
  51. I Cor., xvi, 11.
  52. Comp. Rom., xvi, 23 ; II Tim., iv, 20.
  53. Act., xix, 22 ; I Cor., xvi, 10.
  54. I Cor., xvi, 5.
  55. I Cor., xvi, 10.
  56. I Cor., xvi, 17-18.
  57. C’est à tort que la version latine a inséré ces deux derniers noms dans le verset 15.
  58. I Cor., vii, 1 ; viii, 1 ; xii, 1 ; xvi, 1.
  59. I Cor., xvi, 17-18.
  60. I Cor., xvi, 8.
  61. I Cor., iv, 19 ; xi, 34 ; xvi, 3 et suiv., 11.
  62. I Cor., xvi, 5.
  63. I Cor., i, 1. Comp. xvi, 21
  64. Is., xxix, 14.
  65. Comp. Matth., xvi, 1 et suiv.
  66. C’est-à-dire les phénomènes spirites et les miracles.
  67. Job, v, 13.
  68. Psalm., xciv, 11.
  69. C’est-à-dire dans tel ou tel maître, Paul, Apollos, etc.
  70. Proverbe analogue à notre « plus royaliste que le roi ». Paul fait allusion à ceux qui étaient plus passionnés pour Paul et Apollos que Paul et Apollos eux-mêmes.
  71. Sans le secours de Paul et d’Apollos.
  72. I Cor., v, 1 et suiv.
  73. Cf. I Tim., i, 20. Voir les Apôtres, p. 87 et suiv.
  74. Act., v, 1-11. Comp. Act., xiii, 9-11.
  75. I Cor., v, 9 et suiv.
  76. I Cor., v, 10-11 ; vi, 9-10.
  77. Ibid. Cf. Schleusner, aux mots πλεονεκτής, πλεονεξία.
  78. Jos., Ant., XIV, x, 17 ; Code, lib. I, tit. ix, De judæis et cælicolis, loi 8. Cf. Epist. Clem. ad Jac., § 10, en tête des Homélies pseudo-clémentines.
  79. I Cor., vi, 12 et suiv.
  80. I Cor., vii, 1 et suiv.
  81. I Cor., vii, 39.
  82. I Cor., vii, 26.
  83. Matth., xxiv, 19 ; Marc, xiii, 17 ; Luc, xxi, 23 ; cri de Jésus, fils de Hanan, dans Jos., B. J., VI, v, 3.
  84. Sur vingt-six personnes nommées Rom., xvi, 3-16, sont mentionnés tout au plus trois couples de mariés.
  85. I Cor., vii, 36.
  86. I Cor., vii, 9.
  87. I Cor., vii, 37-38.
  88. I Cor., vii, 29-35.
  89. Talm. de Bab., Jebamoth, 63 b et suiv.
  90. Ibid.
  91. Eph., v, 22-33. On peut douter que cette épître soit bien l’ouvrage de Paul.
  92. Gen., ii.
  93. I Cor., viii, 1 et suiv.
  94. Act., xv, 20 ; Apoc., ii, 14-15, 20 ; Justin, Dial. cum Tryph., 35 ; Pseudo-Clém., Recognit., IV, 36 ; Pline, Epist., X, 97 (passim venire victimas)
  95. I Cor., vi, 2 ; x, 22-24, 33.
  96. I Cor., viii, 10 ; x, 14 et suiv. Comp. II Cor., vi, 14 et suiv. Cf. Homél. pseudo-clém., vii, 4, 8.
  97. I Cor., x, 27 et suiv.
  98. I Cor., x, 31-33.
  99. Allusion aux attaques des judéo-chrétiens.
  100. Comp. I Cor., x, 33.
  101. Les jeux isthmiques, bien connus des Corinthiens.
  102. Comp. Horace, Art poét., v. 412.
  103. I Cor., ix, 1 et suiv.
  104. I Cor., xiv, 33-35.
  105. Comp. Éph., v, 22 et suiv.
  106. I Cor., xi, 3 et suiv. Cf. Sifré, sur Nombr., v, 18.
  107. Cf. Tertullien, Contre Marcion, V, 8 ; De virginibus velandis, 7.
  108. Voir Ps. cxxxviii, 1 ; Buxtorf, Synagoga, c. x, p. 222 ; c. xv, p. 306 (Bâle, 1661).
  109. Gen., vi, 2, et le Targum de Jonathan sur ce passage ; Testam. des douze patriarches, Ruben, 5. Selon les idées juives, les cheveux des femmes et la voix des femmes sont des nudités. Talm. de Bab., Berakoth, 24 a.
  110. Tobie, xii, 12, 15 ; Apoc., viii, 3 et suiv. ; Hénoch, dans le Syncelle, p. 43 (Bonn) ; Évang. de la nat. de sainte Marie, c. 4 ; Porphyre, De abstin., II, 38. On omet les autorités chrétiennes Tertullien, Origène, saint Éphrem, saint Augustin.
  111. Comp. Col., iii, 18 ; Eph., v, 22-33.
  112. I Cor., xi, 20 et suiv.
  113. Comparez, par exemple, I Cor., x, 17 ; xii, 27.
  114. I Cor., x, 16-18.
  115. I Cor., xi, 23-29. J’ai suivi le texte, plus court et plus authentique, du Codex Vaticanus et du Codex Sinaiticus, en écartant les petites additions du texte reçu, qui du reste ne font qu’expliquer le sens.
  116. Comparez I Cor., v, 5.
  117. Comp. Ép. de Jude, 12.
  118. I Cor., xii-xiv. Comp. Rom., xii, 3-8 ; Eph., iv, 7 et suiv. ; I Petri, iv, 10-11 ; Justin, Dial. cum Tryph., 39.
  119. Χαρίσματα.
  120. Διακονίαι.
  121. Ἐνεργήματα.
  122. I Cor., xii, 28. Paul ne nomme ici ni les πρεσϐύτεροι, ni les ἐπίσκοποι. Il semble, du reste, que pour Paul ces trois degrés de la hiérarchie sont des ἐνεργήματα ; comp. I Cor., xii, 6, à Gal., ii, 8. Dans l’Épître aux Éphésiens (iv, 11), les évangélistes et les pasteurs (ποιμένες), identiques sans doute aux ἐπίσκοποι, ont rang entre les prophètes et les docteurs. Les fonctions, dans cette épître, sont ainsi au nombre de cinq.
  123. I Cor., xii, 4 et suiv. ; 28-30 ; xiv, 5-6, 26.
  124. Λόγος σοφίας.
  125. Λόγος γνώσεως.
  126. Πίστις.
  127. Χαρίσματα ἰαμάτων.
  128. Ἐνεργήματα δυνάμεων ou δυνάμεις.
  129. Διακρίσεις πνευμάτων.
  130. Γένη γλωσσῶν.
  131. Διερμηνεία γλωσσῶν.
  132. Ἀντιλήψεις.
  133. Κυϐερνήσεις. Ces deux dernières fonctions sont évidemment des diaconies, l’office propre des diacres. Les huit autres exercices peuvent être considérés comme des χαρίσματα, à l’exception du cinquième qui est un ἐνέργημα. La « révélation » (ἀποκάλυψις), xiv, 6 et 26, n’est pas un don permanent, mais une faveur passagère faite à un croyant.
  134. Οὐδέποτε ἐκπίπτει
  135. II Cor., iii, 6.
  136. I Cor., xiv entier.
  137. Γλῶσσα pour les classiques désigne toujours un mot étrange ou étranger, un mot qui a besoin d’interprétation. Les « glossaires » sont des recueils de mots à expliquer.
  138. I Cor., xii, 3 ; xvi, 22.
  139. I Cor., i, 7-8 ; iii, 13 ; iv, 5 ; vi, 2-3 ; vii, 26, 29 et suiv. ; xi, 26 ; xv entier ; xvi, 22. Cf. II Tim., iv, 1.
  140. I Cor., xv, 3 et suiv.
  141. Je suis la leçon du manuscrit B du Vatican, qui est aussi celle du texte reçu. Comp. I Thess., iv, 12 et suiv.
  142. Is., xxv, 8, ponctué autrement que la Masore et mal traduit.
  143. Osée, xiii, 14, lu comme les Septante, autrement que la Masore, et mal traduit.
  144. I Thess., iv, 16 ; I Cor., xv,51, 52.
  145. I Cor., xv, 30-32.
  146. Comparez Phil., iv, 5.
  147. I Cor., xvi, 22.