Sans asile !/10

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La Revue populaire (p. 104-110).

X

explications


Des mois ont passé.

À l’hôtel d’Hallon, la vie a repris son cours avec ses uniformités.

Il en est de même dans le petit intérieur de la rue de Ponthieu.

Berthe s’est prononcée lorsque la semaine de réflexion a été écoulée, et rien n’a pu la faire sortir de sa détermination.

Peinée de contrister sa mère, mais forte de son amour pur, elle a dit très simplement :

— J’aime Roger. Je ne puis, ayant le cœur plein de lui, me marier à un autre. Je consens à ne pas le revoir de six mois. Si je puis l’oublier et si M. Blégny veut attendre jusque-là, je consentirai volontiers à devenir sa femme.

Peu à peu, le calme est revenu, et, ici, comme là-bas, les jours s’écoulent sans variantes.

Cependant, dans la monotonie des heures, Malcie est hantée d’une idée.

La recommandation maternelle lui revient sans cesse.

Sa mère mourante lui apparaît et elle entend :

« Faites ce que je n’ai pas fait ».

C’est, pour elle, devoir sacré !

Un jour, elle a l’idée de courir dans l’atelier.

Quel bien cela lui fera !

Elle parlera de celle qui n’est plus… Elle répètera la suprême recommandation, et, peut-être que celui qui a beaucoup souffert aussi pardonnera.

Elle s’habille.

Lorsqu’elle est dans ses crêpes, une crainte, celle qui l’a déjà retenue une fois, l’assailli.

Est-ce le moment de commettre une imprudence ?

Jean n’est pas désarmé, puisque dans les jours de deuil, il n’a pas eu un mot, pas une tendresse.

« Aux yeux du monde, vous serez Mme d’Anicet, mais, entre nous, c’est fini ».

S’il la suivait !…

Elle enlève sa vêture de tristesse et cherche un autre moyen d’action.

Il faut que le désir de la mourante soit respecté.

« Faites ce que je n’ai pas fait », c’est à dire réparez, soyez la mère que je n’ai pas été, donnez-lui les tendresses dont je l’ai privé : pour son bonheur faites ce que vous pourrez ».

Soudain, une idée traversa le cerveau fatigué de Malcie.

Son œil brille.

Son teint se colore.

Pour la mettre à exécution, elle n’attendra pas.

Les atermoiements la tuent.

Elle sonne.

Fulbert arrive.

— Est-ce que monsieur le capitaine est dans son cabinet ?

— Je ne sais pas. Madame veut-elle que je me renseigne.

— Oui, Fulbert, et si monsieur est chez lui, demandez lui s’il peut me recevoir.

— Oui, madame.

— Le plus tôt sera le meilleur.

Sans bruit, la porte se referme.

Deux minutes d’horrible attente s’écoulent et le domestique revient.

— Monsieur Jean attend madame.

Puis, joignant les mains comme devant une sainte, suppliant, le vieux serviteur murmure :

— Faites, madame, tout ce qui dépendra de vous pour que l’hôtel redevienne ce qu’il était.

— Mon bon Fulbert !

Elle était debout, dans la direction de l’appartement de Jean.

— Vous m’avez fait demander si je pouvais vous recevoir ?

— Oui, puisque nous vivons comme si nous étions étrangers l’un à l’autre.

— Avez-vous besoin de quelque chose ?

— Que vous m’écoutiez quelques instants. Ce ne sera pas long.

Elle s’assit.

Jean qui s’était levé lorsqu’il avait entendu le froufroutement approcher machinalement l’imita.

— J’avais pensé, expliqua-t-elle en le regardant droit dans les yeux, que la mort inattendue de ma mère aurait amené une amélioration, un changement dans notre vie.

— Je vous prie de ne pas revenir sur le passé. Expliquez-moi le but de votre visite. Lorsque certaines existences sont brisées, rien ne peut y remédier.

— Oh ! tranquillisez-vous. Je ne viens pas ici pour gémir. Si j’ai souffert, vous ne vous plaindrez pas de l’écho de mes souffrances, puisque je ne vous ai jamais dit un mot. Quant à essayer de me disculper, je ne l’ai pas fait et je ne le ferai pas. Me disculper de quoi ?

Il allait parler.

Elle eut un geste très doux.

— Je vous en prie, ne m’interrompez pas. Il pourrait encore vous échapper des expressions brutales, des mots blessants qui me tortureraient et dont vous vous repentiriez amèrement.

…Je vais vous dire de suite pourquoi je suis auprès de vous.

…Malheureusement pour l’explication que j’ai résolu de vous donner, je dois revenir en arrière et toucher au délicat sujet, à l’affreuse méprise.

Il la regarda.

Ses lèvres s’entr’ouvrirent pour une protestation.

— Jean !… taisez-vous !…

Comme pour lui rappeler le pacte, il répondit froidement avec un regard d’acier :

— Madame, veuillez continuer.

Des larmes lui montèrent aux yeux.

Hésiterait-elle ?

Elle reprit haleine.

— C’est cela. Puisque vous l’avez décidé, veuillez m’écouter comme si j’étais une étrangère. Oubliez un instant que j’ai été votre femme, la mère de nos enfants. Je vais, moi, m’efforcer de me considérer comme telle et, par conséquent, de parler comme la circonstance l’exige.

Il se leva, nerveux et ironique :

— L’exorde est long. Je me demande ce que sera le roman.

C’était trop.

Elle s’attendait à de l’indifférence, mais pas à des insultes.

Ne lui restait-il donc qu’à reculer ?

Si elle réfléchissait après avoir accompli le premier pas, elle aurait le courage de recommencer ?

À demi suffoqué d’émotion, elle hésita un moment et déclara :

— Je vois que l’explication deviendra impossible. Vous devenez railleur. Nous ne nous comprendrons pas.

— Vous avez tort. Je trouve, au contraire, le prologue intéressant. Seulement, vous êtes femme, et vous ne savez pas sortir des difficultés en trois mots. Il vous faut des discours à perte de vue.

…Vous êtes ici, n’est-ce pas, pour me dire que vous n’avez jamais été la maîtresse d’un individu qui vous embrassait ?

— Je suis ici, en effet, pour vous donner la preuve du contraire.

Il la regardait narquois.

Le front plein de tristesse, elle détourna les yeux et fit comme si elle n’avait pas entendu.

Elle expliqua lentement, mais sans arrêt, pour sortir enfin de la torturante épreuve.

— Il y a quelque temps, un jour que vous étiez à Cambrai…

Toujours marchant, il appuya.

— Je suis, en effet, allé à Cambrai.

— Eh bien, ce jour-là, je me suis senti si faible que la pensée de la mort m’est venue…

…On meurt à tout âge.

…J’ai appelé Fulbert, qui m’a donné ce qui était nécessaire pour écrire…

…Je ne voulais pas que moi morte, vous soyez poursuivi du doute affreux qui vous avait assailli.

…Je vous ai écrit une lettre.

…Je l’ai cachetée et je ne l’ai jamais rouverte depuis.

…À cette époque, je ne pensais pas que nous serions frappés par le deuil qui nous a atteints.

…Je me souviens de ce que je vous ai écrit et je n’ai pas un mot à y changer.

…Je suis venue vous prier de prendre connaissance de cette lettre.

…C’est peu, comme vous voyez.

…Après lecture, vous serez libre d’agir comme vous voudrez.

…Certains devoirs sont sacrés. Je remplirai ceux qui m’incombe. Je l’ai juré au lit de mort de ma mère.

…Rien ne m’en détournera.

…J’ai cruellement expié une faute qui n’était pas la mienne. Ce n’est pas moi qui la révélerai. Je ne le dois pas.

Malcie s’arrêta. Avant de donner le temps d’une protestation, elle reprit :

— Voulez-vous aller la prendre vous-même cette lettre où elle a été déposée, il y a trois mois ?

Elle se ravisa :

— Non, je vais vous l’envoyer par Fulbert… Prenez-en connaissance sans parti pris. Faites ensuite ce que votre cœur vous dictera.

…Je subirai ce qu’il vous plaira de décider.

Le capitaine Jean s’arrêta.

Pas un mot ne tomba de ses lèvres.

Des devoirs sacrés ?… Une faute qui n’était pas la sienne ?… Elle ne l’a révélerais pas cette faute… Des mots blessants dont il se repentirait !… Elle avait eu peur de mourir !…

Qu’est-ce que tout cela signifiait ?

Il regarda Malcie s’éloigner dans sa longue robe noire.

Il la trouva plus maigre encore… d’une pâleur inquiétante.

Il s’effraya.

Son cœur s’amollissait.

Encore une fois le doute, spectre se dressa.

Allons, donc ! Il n’était pas fou !

Et le bruit des baisers ?

Il revint à son bureau.

Malgré lui, il répétait toutes les phrases.

N’avait-elle pas dit encore :

« Je suis ici pour vous en donner la preuve !… »

La preuve, répétait-il, la preuve de son innocence ?

Son visage s’empourpra.

Aurait-elle souffert aussi longtemps sans protester ?

Absorbé dans ses réflexions, il n’entendit pas l’avertissement de Fulbert, qui dut s’annoncer deux fois.

— Entrez !

La lettre mystérieuse aux cinq cachets était dans ses doigts.

Il la tourna, la retourna, impressionné, peu maître de lui.

Jean avait le cœur serré.

Il étouffait.

Il se leva.

Que contenait-elle cette lettre ?

— Ah ! non, c’est tout de même trop bête, se dit-il. On rirait joliment si l’on savait que le capitaine d’Anicet tremble comme une femme.

Il glissa sous la partie gommée la pointe effilée d’un coupe-lettre et, en sortant la feuille, il disait :

— Si je m’étais trompé !… Si cela n’était pas !… Si Malcie !…

Il ne continua pas.

Le visage de l’homme sanguin s’empourpra de nouveau.

Sa violence tomba.

Celui qui, dans une minute de folie, avait failli trancher deux vies, n’osait pas déplier cette lettre.

Il n’osait pas la lire.

Jean porta la main à son front. Un calme se fait enfin dans son cerveau.

Il ouvre et très troublé, il lit.

Il ne s’arrête qu’à la fin.

De cette souffrance résignée qui s’exhale sans plainte de l’âme meurtrie une phrase seule se détache et le capitaine Jean ne s’arrête qu’à elle.

« Je le laisse libre de vous communiquer ce qui m’attache à lui ».

Mille suppositions heurtent le cerveau du capitaine. Il souffre. Un secret existe. Mais quel secret ?… Quelle mystérieuse révélation ?…

Malcie a dit qu’elle se taira. Elle ne parlera pas.

Il se lève. Il marche. Que va-t-il apprendre ? Mais quoi ? Celui-là seul qu’il a cru l’amant de sa femme peut parler ? Et, c’est lui, le capitaine d’Anicet qui doit aller à lui et demander cette révélation ?

Un rire sardonique coupe l’air.

Il murmure sourdement :

— Le roman est…

Jean n’achève pas. L’amour-propre et le cœur sont en jeu. Ce qu’il endure est horrible.

Malcie serait-elle vraiment innocente ? Toutes les tortures, toutes les insultes, sa froideur glaciale, l’étude minutieuse de chaque heure, de chaque minute pour entretenir l’éloignement et l’indifférence, lui reviennent à l’esprit.

Quelle folie que tout cela, puisque tortures, insultes, froideurs, le torturent lui aussi.

Malcie le lui a dit et il n’a pas nié, donc c’est vrai. Il l’aime. Il l’adore.

Que faut-il pour détruire la barrière qui existe entre eux ?

Un mot, une explication là-bas, dans l’atelier…

Reculera-t-il ?

Il réfléchit, passe la main sur son front.

Rêve-t-il ?

La lutte douloureuse est finie.

À mi-voix, il balbutie ;

Irai-je ?

Une voix douce répond :

— Va, va… La martyre attend ton retour. Ses bras sont prêts à s’ouvrir pour te donner la caresse du pardon… Va donc ! N’hésite pas !… Le bonheur est à la portée de ta main. Profites-en.

Jean regarde autour de lui.

Vraiment ne rêve-t-il pas ?

Il est engourdi comme sous la fraîcheur d’une caresse troublante, d’une de ces caresses des heures d’autrefois où le doux murmure d’amour le berçait divinement.

Il revoit Malcie lui sourire… lui pardonner ! De ses grands yeux a disparu le vague indifférent des vies mornes. La joie les anime.

Jean se lève.

Ce qu’il a enduré froidement, par volonté, depuis les mois de séparation morale, n’a rien de comparable avec ce qu’il endure à cette heure.

Quoi qu’il ait à apprendre, il saura !…

En apercevant le capitaine, brusquement. Mme Barbillon sort de sa loge.

— Le peintre Roger est-il chez lui ?

Elle regarda Jean qui renouvelle :

— Le peintre Roger est-il chez lui ?

— Je ne sais pas. Je vais aller voir.

— Je puis vous éviter cette peine, madame.

— Inutile. Je monte.

Elle gravit déjà les escaliers.

— Monsieur Roger ?

Devant son chevalet, l’artiste travaille à la toile qui l’absorbe la moitié de ses jours, lorsqu’il entend la concierge.

— Qu’y a-t-il, madame Barbillon ?

— Le mari de la dame est en bas.

— De quelle dame ?

— Vous savez… le monsieur au revolver.

— Ah ! Eh bien ?

— Il veut parler à monsieur Roger. J’ai dit que j’ignorais si vous étiez chez vous. J’ai grande envie de répondre que vous êtes sorti.

Le peintre eut une hésitation.

— Priez-le de monter.

— Ce n’est peut-être pas prudent.

— Si je ne reçois pas aujourd’hui, il reviendra. Épargnons-lui cette peine.

Les deux hommes, jeunes tous deux, l’un âgé de trente ans, l’autre de vingt-six, s’étudièrent dans un regard.

Roger montra une chaise au capitaine. Il resta sur son tabouret devant son œuvre et il attendit.

— Je serai aussi bref que possible, déclara Jean un peu nerveux. Les incidents qui ont eu lieu mettent un peu de gêne entre nous.

Roger se tut.

Si son silence n’était pas encourageant, son abord restait extrêmement courtois.

Le capitaine continua :

— Je ne reviendrai pas sur ce que vous savez. Je suis ici simplement pour éclairer un mystère.

…Homme d’honneur, je suis prêt à réparer une méprise, si méprise il y a.

…Mais je tiens à ce que les explications soient nettes, franches.

…Je suis ici d’après la volonté de madame d’Anicet.

L’appréhension de Roger tomba.

— D’après ce que je crois comprendre, c’est la fin prématurée de Mme d’Hallon, ma belle-mère, qui précipite une explication.

Roger ne sourcilla pas.

Il connaissait la mort.

— Voici, monsieur, quelques lignes écrites il y a deux mois. Mme d’Anicet me les a soumises ce matin. Je suis autorisé, je dois même vous les communiquer.

…Veuillez en prendre connaissance.

— Est-ce que cette lettre m’est adressée ? interrogea le peintre.

— Non. À moi.

— Dans ce cas, monsieur, veuillez en faire lecture vous-même.

Jean allait lire.

Il s’arrêta.

— Mon Dieu, je ne suis pas plus timide, plus scrupuleux qu’un autre, mais la chose est infiniment délicate, et si cela ne vous contrarie pas, j’aimerais autant…

Roger comprit.

Il prit le papier que lui offrait Jean.

Les yeux du capitaine restèrent pendant quelques minutes fixées sur le peintre.

Pas une émotion extérieure ne trahit Roger. Il lut plusieurs fois la phrase qui le concernait et tendit la lettre au capitaine.

— Vous dites, monsieur, que Mme d’Anicet vous l’a remise ce matin ?

— Me l’a fait remettre — ce qui revient au même — après une conversation dans laquelle Mme d’Anicet m’a déclaré qu’elle n’avait pas un mot à changer à ce qu’elle a écrit il y a deux mois.

— Je vous crois sur parole, monsieur le capitaine. Je sais que vous êtes un homme d’honneur. Il est regrettable que certains actes aient été commis : mais puisque Mme d’Anicet me laisse libre de parler, je n’ai aucun motif de me taire.

…Celle qui porte votre nom, monsieur le capitaine, est une sainte.

…C’est elle qui m’a empêché de me livrer à des actes désespérés…

…C’est elle qui a évité que je portasse le scandale et le déshonneur dans une famille, la sienne… la vôtre.

Jean sursauta :

— Inutile de prendre des ménagements, n’est-ce pas ? Entre hommes, on se comprend.

— Elle l’a chèrement payé, puisque, de ce jour, le martyre pour elle a commencé.

…Que vous dirai-je encore ? C’est elle qui a fait renaître en mon cœur la confiance en la vie, l’amour dans le travail.

…Sans elle, j’étais perdu, parce que j’étais résolu à toute vengeance et à toutes excentricités.

…Rien ne m’eût arrêté sur la pente malheureuse, où, déjà, j’avais mis le pied.

…Une main de femme m’a retenu.

Il soupira et poursuivit :

— D’après ce que j’ai lu, vous ne savez rien de moi.

Les deux regards se rencontrèrent.

— Rien.

— Comme Mme d’Anicet, je ne vous dirai pas, moi non plus, le nom que je devrais porter ; mais ce que j’ai mis sous les yeux de la douce et vaillante créature, je dois aujourd’hui à la démarche que vous avez tentée, de vous le révéler également.

…C’est un parchemin qui ne me quitte pas.

Roger ouvrit son veston, et, dans la pochette d’un portefeuille tout neuf, il prit la lettre jaunie, froissée, vieille déjà de son père, Jacques d’Anvertout.
« Oh ! mon Roger, comme je t’aime.

Pendant que Jean lut, une lutte douloureuse se livra en lui.

Il voulait se rappeler toutes les phrases, toutes les expressions de celui qui avait écrit cela, de celui qu’il sentait loyal. Lorsqu’il était à la fin d’un alinéa, il le recommençait.

Pas une seule fois il ne leva les yeux sur Roger, qui, lui, le fixait.

Le peintre vit la surprise et l’étonnement se manifester.

À une pâleur subite succéda un flot pourpre. Dominé par une idée unique, Jean dit en repliant la lettre :

— Me pardonnera-t-elle ?

— Je la connais peu, répondit le peintre. Il me semble que son grand cœur l’a déjà fait.

Le capitaine se leva.

— Je comprends maintenant à quels devoirs Mme d’Anicet faisait allusion. Elle a éloigné son père pour s’entretenir avec sa mère quelques minutes avant la mort de celle-ci.

…Elle lui a parlé seule. C’est un désir que j’ai respecté. Malcie connaissait cette lettre, n’est-ce pas ?

— Oui.

— C’est vous qui la lui aviez révélée !

— C’est moi.

Jean ne s’attarda pas.

Ce n’était pas la pensée de Roger qui le hantait. C’était celle de la femme qui, chez lui, devait l’attendre.

Bravement, simplement, il tenait la main du peintre.

— Nous nous reverrons. Je regrette de n’avoir pas su plus tôt ce que je viens d’apprendre… En effet… pour Malcie… l’aveu était difficile. Peut-être ne sera-t-il pas trop tard pour réparer !

Il prend l’escalier et disparaît.

Lorsqu’il arrive à l’hôtel, Malcie se trouve derrière la fenêtre de sa chambre.

Elle veut l’apercevoir dès qu’il passera, sous le porche.

À son air, elle comprendra.

Jean lève les yeux.

Son trouble est si grand que son visage est bouleversé.

Malcie, qui depuis une heure espère, se met à craindre. Elle croit défaillir.

Son cœur bat à l’étouffer.

Que s’est-il passé là-bas ?

Que va-t-il lui dire ? Va-t-il venir directement ou bien mettra-t-il encore entre eux, la présence ennuyeuse d’un domestique ?

Elle ne veut pas qu’il connaisse la supercherie d’amour qui l’a tenue tremblante, oppressée, une heure durant, derrière le tulle du rideau.

Elle s’éloigne et va d’un pas nonchalant, s’asseoir sur le canapé qui fait face à la porte.

Elle retient sa respiration… Elle écoute…

Jean monte.

Il est au premier étage.

Il arrive chez lui.

Le passe-partout glisse dans la serrure.

La porte est refermée.

Malcie n’entend plus rien. Elle a aux oreilles un douloureux bruit de cloche.

Elle est pâle à mourir.

Si Jean ne vient pas, s’il hésite, s’il retarde, c’est que là-bas l’explication n’a pas été ce qu’elle aurait dû être, c’est qu’ils ne se sont pas compris.

Elle essaye de percevoir un bruit. Elle veut que Jean vienne et elle ne peut pas croire qu’il ne viendra pas.

Rien encore.

Jean, cependant, est là derrière la porte. Son cœur bat avec une telle violence qu’il hésite à entrer… Jamais les mots ne lui viendront !

Soudain un geste significatif.

Assez souffrir !

Brusquement, il ouvre… Devant lui, dans une pâleur de morte, Malcie apparaît.

Elle se lève défaillante.

Mais Jean l’empêche de faire un pas. Elle est dans ses bras. Il la force a se rasseoir. Et lui, miné de remords, de confusion, mais dominé par l’amour qui vibre intense, il s’écroule à genoux devant elle.

Il l’enlace, regarde ses jolis yeux, constate la pâleur dont il est cause, n’ose pas encore l’embrasser, mais laisse tomber de ses lèvres tremblantes le mot :

— Pardon !… Pardon !…

Des pleurs de joie s’échappent des yeux de Malcie. Elle sourit… retient contre le visage torturé de celui que les remords accablent… et c’est elle qui donne les premiers baisers sur les yeux angoissés, sur les lèvres suppliantes…