Satyres (1789)/01

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Qu’aujourd’hui dans mes vers, les muses une fois,
Au lieu de les flater, épouvantent les rois ;
Stupides citoyens, ô lâches que nous sommes !
Un homme ose braver tant de millions d’hommes ;
Du front de l’artisan, du front du laboureur,
Il croit que pour lui seul doit couler la sueur ;
Que les peuples sont faits, dans nos tristes contrées,
Pour payer les hochets à d’augustes poupées ;
Et que tout doit souffrir, afin qu’à Trianon
Nos maux fassent danser l’Autrichienne Toinon.
Claude sur les François règne, et de Messaline,
L’âge accroît tous les jours la fureur utérine,
Et quoiqu’un milliard coule dans le trésor,
Claude pour ses amans demande un fleuve d’or :
Car tel est mon plaisir, dit-il, Dieux quel langage !
Sommes-nous de vils serfs échus par héritage.
Ah ! mon sang qui bouillonne à ces mots insolens,
M’avertit que je sors de ces antiques francs,
Qui pour mettre leur septre en des mains plus habiles,

L’ôtoient aux fainéans, l’ôtoient aux imbéciles ;
Et, maîtres d’obéir, ont du trône deux fois,
Car tel fut leur plaisir, fait descendre leurs rois.
Héritier d’Henry IV, et de Charles septième,
Est-ce donc à son fer qu’il doit le diadème ?
Croit-il parler en maître à des peuples conquis ?
Tout conquérant qu’il fût, mais à ses francs, Clovis,
S’il eût dicté pour loi sa volonté suprême,
La massue à leurs pieds l’eût étendu lui-même.
Apprends, mon cher Louis, mon gros benet de roi,
Que tel est ton plaisir n’est pas telle est la loi :
Rends compte, et l’on veut bien encor payer ta dette :
Mais sois poli du moins quand tu fais une quête,
D’un gueux, dit Salomon, l’insolence déplaît,
Et c’est au mendiant à m’ôter son bonnet.

Par Camille Desmoulins.