Satyres (1789)/Complainte de la Supérieure des Bénédictines de Bayeux, à son Évêque, sur l’évasion d’une jeune Religieuse

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COMPLAINTE
De la Supérieure des Bénédictines
de Bayeux, à son Évêque
,
Sur l’évasion d’une jeune Religieuse.

AIR : Faut attendre avec patience.


Ah ! Monseigneur, quel coup funeste
Satan porte à notre pudeur !
Faut-il que le courroux céleste
Nous mît le trou si près du cœur ?
Un loup, ô rage impénitente !
Un loup forçant notre réduit,
S’est ici glissé par la fente,
Et par la fente il nous a pris.


Oui, par une fente sacrée,
L’indigne nous a pris, hélas !
Une brebis qui s’est sauvée
Le cul en haut, la tête en bas.
À minuit, la none élargie,
A reçu, son profanateur
Par le trou même où le Messie
Devoit seul être son sauveur.

Envain, pour rappeller son ame,
Au loup j’ai crié quatre fois ;
Malgré l’anathême, l’infâme
Emporta la brebis au bois.
Lui met-il en main l’évangile ?
Que fait-il à sœur Génitrix ?
Je n’en sais rien : mais ô Saint-Gilles !
Baise-t-on là le crucifix ?

Comme elle, voloit en hostie
À son avide loup-garou !
Ô si vous eussiez vu l’impie !
Comme il la tiroit par le trou !
Fatal guichet, fente chérie,
Source de plaisirs et de pleurs,
Faut-il que le trou de la vie
Sauve et damne en secret nos sœurs ?


Triomphe à nos saints scapulaires,
Et salut à vous, Monseigneur ;
On dit qu’un de vos grands vicaires
L’enleva pour votre grandeur :
Eh bien ! je n’en suis plus avare ;
Qu’elle aille à vos baisers bénis :
Elle faisoit notre Tartare,
Faites en votre Paradis.

Porter la crosse est un doux titre
Qui nous agrandira l’honneur ;
Gardez-la pour votre chapitre,
Puisqu’il aime tant le bonheur.
Sauvez-vous bien tous à la ronde,
Adieu je bénis l’éternel,
De vous voir tous dans ce bas monde,
Enfiler le chemin du ciel.

Mais, à propos, je vous conjure,
Puisque ce trou nous est fatal,
De nous retressir l’ouverture
Par où nous séduit l’infernal :
Par là l’une s’est élargie,
L’autre peut s’élargir demain ;
Faites-nous-là donc, je vous prie,
Seulement pour mettre la main.


Ô si Bayeux s’étonne et crie
De voir la brebis en ce lieu,
Par le trou de l’Eucharistie,
Recevoir un loup pour un Dieu,
Qu’il sache respecter et taire
Ce que l’esprit ne comprend pas :
La brebis fuit, c’est un mystère
Que Monseigneur ne conçoit pas.

Par M. l’abbé de la Baume, grand vicaire
de Bayeux.