Scènes d’un naufrage ou La Méduse/Chapitre 12
CHAPITRE XII.
Avant d’arriver au récit des faits qui se sont passés au camp de Daccard, le lecteur ne sera pas fâché de rencontrer ici quelques données, sur les établissements français, de la côte occidentale d’Afrique (elles se rapportent seulement au temps de notre prise de possession). Commençons par Saint-Louis.
À l’époque de notre naufrage, Saint-Louis, siège du gouvernement général, n’était qu’une petite ville établie sur un banc de sable étouffant formé par le fleuve du Sénégal, sans eau potable ni verdure, avec quelques maisons assez bien bâties vers le sud, dont la blancheur faisait mal aux yeux, et une grande quantité de cases en roseau, basses et enfumées, qui occupaient presque tout le nord et qu’habitaient les noirs.
Vers le milieu de cette espèce de ville, était une vieille fabrique en ruine, que l’on décorait du nom de fort, et dont les Anglais avaient sacrifié une partie, afin d’y ménager des appartements pour le Gouverneur. Au rez-de-chaussée, étaient casernées les troupes.
En face, se trouvait une batterie de gros calibre, dont le parapet couvrait la place publique, sur laquelle on remarquait quelques arbustes, alignés, plantés en ornement. À l’est du fort se trouve le port où les navires sont en parfaite sûreté.
La place d’armes est assez belle ; elle est située en face du château et de ce que l’on appelle le fort et la caserne ; à l’ouest elle est bordée d’une batterie de 10 à 13 pièces de 24 et de deux mortiers. Ce sont là les forces principales de Vile. Sur douze mille âmes de population, on ne compte environ que cinq cents Européens. Ces religions catholique et mahométane étaient pratiquées avec une égale liberté ; mais la dernière était celle du plus grand nombre ; néanmoins, tous les habitants vivaient en paix et dans la plus profonde union. Là point de différents pour opinion religieuse : chacun, à sa manière, adresse ses prières à Dieu.
Par sa position importante, Saint-Louis peut commander sur le fleuve, étant placé en tête d’un archipel d’îles assez considérables, et dont quelques-unes pourraient devenir fécondes. La ville n’offre, du reste, qu’une très-petite surface.
Sa longueur est de 2,500 mètres du nord au sud, et sa largeur, dans la partie nord, en suivant la direction de l’est à l’ouest, et de 370 mètres ; et dans la partie du sud, et en suivant la même direction, elle n’a que 170 mètres, et dans le milieu de sa longueur 280 mètres.
L’élévation de son sol n’est pus de plus de 50 centimètres au-dessus du niveau de la rivière : cependant son milieu est un peu plus exhaussé, ce qui facilite l’écoulement des eaux.
Le principal des deux bras du fleuve, à l’est, présente une étendue de 1000 mètres de largeur ; le liras à l’ouest n’a que 600 mètres ; les courants sont très-rapides à la mer descendante, et entraînent avec eux des sables que la mer repousse vers les côtes ; c’est ce qui forme une barre à l’embouchure du fleuve ; mais ces mêmes courants se sont frayes un passage, qu’on nomme : Passe de la Barre.
Cette passe a environ 200 mètres de largeur et de 3 à 6 mètres de profondeur. Très-souvent ses dimensions varient en moins ; mais, dans tous les temps, on ne peut y faire passer que deux navires tirant 4 mètres d’eau au plus ; l’excédant est très-nécessaire pour le tangage qui est toujours très — fort sur cette barre.
Les lames qui la couvrent continuellement sont très-grosses et fort courtes ; lorsque le temps est mauvais, elles brisent avec fureur et intimident les marins les plus intrépides.
Le bras occidental du fleuve est séparé de la mer par une pointe nommée Pointe de Barbarie ; il est incroyable que cette langue de terre, qui n’a pas 250 mètres dans sa plus grande largeur, et qui n’est que de sable, puisse résister aux efforts du fleuve, qui tend toujours à la détruire, et à ceux de la mer, qui brise dessus, quelquefois avec une fureur telle, qu’elle la couvre toute entière, et vient même, après avoir traversé le bras de la rivière, expirer sur le rivage de Saint-Louis.
Presque en face du château, et sur la pointe de Barbarie, était une petite batterie, de 6 pièces au plus, que l’on appelait fort de Guetandar ; ce fort est sur le haut d’une butte de sable qui a été formée par le vent et qui s’accroît journellement : die est même assez haute, et se trouve entourée d’une grande quantité de cases de noirs, qui forment un village assez étendu.
Ces cases tendent à affermir les sables et empêchent leur éboulement.
La rive gauche du fleuve, qu’on appelle Grande-Terre, était couverte d’une verdure perpétuelle ; ce sol n’est pas très-fertile, mais il est couvert d’une forêt de palmiers, qui s’étend à dix lieues dans l’intérieur.
En face et à l’est de Saint-Louis, se trouve l’île de Sor, dont l’étendue est d’environ quatre à cinq lieues de circuit ; on y remarque deux grandes plaines, où l’on pourrait établir des habitations.
Après l’île de Sor, dans la partie du sud, se rencontre l’île Babagué, séparée de la première et de celle de Salai par doux petits bras du fleuve. Le sol du Babagué est fertile et plus élevé que celui des autres îles environnantes.
À son extrémité sud, qui est positivement en face de la nouvelle barre du fleuve, on aperçoit une infinité de cases de noirs, un poste militaire avec un observatoire ; et deux ou trois petites maisons de plaisance.
L’île de Safal appartenait à M. Picard ; elle présente les mêmes avantages. Son sol est à-peu-près le même que celui dont nous venons de parler. Dans aucune île on ne trouve d’eau potable. Jetons maintenant un coup-d’œil rapide sur l’île de Corée : nous passerons ensuite au camp de Daccard.
L’ile de Gorée n’est rien par elle-même ; cependant, sa position lui donne la plus grande importance ; elle se trouve à demi-lieue du Cap-Vert, à trente-six lieues de l’embouchure du fleuve du Sénégal.
Les îles du Cap-Vert sont à quatre-vingts lieues dans l’ouest ; c’est cette position qui la rend maîtresse de tout le commerce de ces contrées.
On évalue à cinq mille le nombre de ses habitants, ce qui est hors de toute proportion avec son peu de surface, qui n’offre qu’environ 910 mètres de longueur, sur une largeur de 140 mètres ; son pourtour n’est pas de 2, 000 mètres.
Cette île ou plutôt ce gros rocher noir qui semble être sorti brusquement du sein des eaux, est coupé à pic d’un côté, inabordable dans les deux tiers de son pourtour, et se termine vers le sud en une plage basse qu’il domine, et qui est bordée de gros galets, sur lesquels la vague déferle avec une grande violence.
Ce banc, qui est le prolongement de la base du rocher, se courbe en arc et forme un avancement où l’on débarque comme on peut.
À l’extrémité de ce banc, est une batterie pour 2 ou 3 pièces ; sur la plage du débarcadère, est un épaulement à embrasure qui le domine. La ville s’élève sur ce batte de sable, et un fort construit sur la croupe du rocher la commande et la défend, tant bien que mal.
L’air de Corée est frais pendant la soirée, la nuit et le matin. Mais dans le cours de la journée ; il règne dans l’île une chaleur insupportable, produite par la réverbération du soleil qui frappe perpendiculairement les basaltes qui l’entourent. En joignant à cette cause la non circulation de l’air interrompue par les maisons très-resserrées, une population considérable dont les rues sont continuellement remplies, et qui est hors de proportion avec l’étendue de la ville, on concevra facilement que toutes ces raisons contribuent puissamment à y concentrer une chaleur si accablante, qu’à peine peut-on respirer eu plein midi. Au reste, tous les noirs qui, certes, se connaissent en fait de pays chauds, y trouvent la chaleur excessive, et préfèrent habiter Saint-Louis.