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Scènes d’un naufrage ou La Méduse/Chapitre 13

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CHAPITRE XIII.

Description du camp de Daccard. — Sable sur la presqu’île du Cap-Vert. — Maladies, mortalité. — Prise de possession du Sénégal et dépendances, par les troupes françaises.

J’arrive au récit des événements qui ont eu lieu au camp de Daccard, établi sur la presqu’île du Cap-Vert, dont la propriété était reconnue à la France.

Nous partîmes pour le Cap-Vert, le 27 juillet, sur la gabare la Loire ; le brick l’Argus, et un trois-mâts appartenant a MM. Durécu et Potin, se chargèrent du reste de l’équipage de la Méduse, il ne resta au Sénégal qu’un officier de terre et deux officiers de génie, logés chez M. Potin.

Je n’ai que des éloges a donner au gouvernement français, pour la tendre sollicitude qu’il nous témoigna.

Tous ces efforts lurent employés à radoucissement de notre position ; nous reçûmes tous indistinctement un vêtement complet. Mais, malgré ces soins vigilants, nous ne fûmes pas aussi bien traités pour le logement et la nourriture lors de notre séjour au camp.

Qu’on se représente un mauvais taudis divisé en plusieurs compartiments étroits, c’était le logement de nos soldats ; une petite pièce était destinée à contenir sept officiers ; deux cabinets étaient occupés, l’un par le chef de bataillon, l’autre par un capitaine, son épouse et ses deux enfants.

Cette maison appartenait à un nommé Martin, qui faisait autrefois le commerce des noirs.

Nous avions remplacé les esclaves dans cette chétive habitation.

Notre mobilier se composait d’un hamac chacun, de quatre chaises rustiques fabriquées en bois de palmier, un contrevent placé sur deux grosses pierres nous servait de table.

Nous étions tous à la ration du soldat ; et sans le produit de ma chasse, nous aurions été réduits au plus strict nécessaire.

Notre camp avait été établi près du village de Daccard. Il se composait de la troisième compagnie du bataillon du Sénégal, forte de quatre-vingts soldats ou sous-officiers, trois officiers : et des débris de la première et de la deuxième compagnie. Cinquante militaires, cinq officiers, un adjudant, vingt-un matelots ; en tout, cent soixante hommes.

Le commandement du camp fut confié à M. Fonsin, commandant de Gorée, d’un dévouaient, sans égal pour nous ; il mourut victime de son zèle.

Les naturels du pays virent avec plaisir les Français sur cette côte.

La haute protection que m’avait accordée le chef suprême du pays, Moctar, fut d’un grand avantage pour nous tous.

Je devais cette faveur particulière à la sultane favorite du prince Yakati, qui avait été la signara du colonel de Vassimon, à l’époque où cet officier commandait l’île de Gorée.

La mauvaise saison qui avait commencé à se faire sentir dès les premiers jours de juillet ; des chaleurs violentes, une nourriture bien différente de celle que nous prenions en Europe : les fatigues et les privations auxquelles nous avions été exposés dans notre traversée du désert avaient altéré notre santé.

Des maladies cruelles vinrent bientôt nous assaillir ; la fièvre nerveuse maligne, qui attaque, dans ces climats, les Européens nouvellement arrivés ; la fièvre jaune et la dyssenterie se déclarent dans le camp.

Nous avions chaque jour des camarades à pleurer ; dix d’entre nous périrent dans la même journée. Les deux tiers de nos soldats eurent bientôt disparu.

La marche rapide de l’invasion laissait à peine au médecin le temps de faire usage des médicaments, dont nous fûmes bientôt dénués.

Ceux qui ont échappé à cette effrayante mortalité, n’ont dû leur salut qu’aux soins de M. Quinsé, chirurgien-major de la colonie.

Ce fut dans ces pénibles circonstances, que M. de Chaumareys vint prendre le commandement du camp. Les nouvelles mesures qu’il ordonna améliorèrent sensiblement le sort de nos malades.

Depuis notre arrivée au camp, une mauvaise hutte servait d’infirmerie.

De cette fétide demeure on transportait, au moyen d’une embarcation, les mourants à Gorée, dont nous étions séparés par un bras de mer d’environ deux mille mètres de large.

Dans cette traversée, que l’ardeur du soleil et les vagues de la mer rendaient très-pénible, les malades avaient souvent cessé de vivre avant d’arriver à leur destination.

Ceux qui avaient l’avantage d’y arriver, étaient déposés dans un bâtiment divisé en deux pièces, que l’on avait baptisé hôpital, et dont le mobilier se composait de huit matelots par chambre, étendus sur le sol, et sur lesquels le sang des morts fumait encore lorsqu’on y déposait un mourant.

J’eus la douleur de faire déposer dans cet établissement insalubre deux de mes camarades, Losazch et Dumongeau, officiers distingués par leur mérite et leur courage à supporter toutes nos tribulations.

C’est en rendant les derniers devoirs de l’amitié à Losach que je fus atteint de la fièvre jaune.

Déjà le lieutenant Clairet, resté à Saint-Louis, avait payé son tribut à la nature.

M. Correard, que les craintes de l’insalubrité du camp de Daccard, où il devait se rendre, avaient déterminé à rester à Saint-Louis, eut la douleur de voir mourir à ses côtés son ancien compagnon d’infortune, M. Clairet.

Plus heureux que mes camarades, je trouvai l’hospitalité chez une famille de Gorée, à lequel le je dus d’être rappelé à la vie. C’est aux soins qu’elle ne cessa de me prodiguer durant trois mois, que je dois d’avoir échappé à la fièvre jaune.

Telle était la situation du camp, lorsque les Anglais se déterminèrent à nous rendre le Sénégal et ses dépendances ; c’était six mois après notre naufrage.

J’étais à peine en convalescence : le gouverneur français me donna l’ordre de revenir à Saint-Louis avec deux autres officiers pour prendre le commandement des nouvelles troupes qu’avaient transportées la Lionne et l’Églantine ; malgré ma faiblesse, je me rendis à mon poste : mais le nouveau voyage et les dangers que je courus en passant la barre du Sénégal, dangers auxquels je n’échappai que comme habile nageur, achevèrent de ruiner ma santé ; une fièvre lente me consumait ; je sentis la nécessité de respirer l’air natal, je demandai un congé de six mois, et je l’obtins.

En voici la copie :

Congé de six mois, pour raison de maladie.

« Sur le rapport du chirurgien-major de la colonie, que M. d’Anglas (Paulin-Étienne), lieutenant de la compagnie des troupes du Sénégal et dépendances, ne peut se rétablir sans retourner en Europe, et que son séjour on Afrique, pendant la mauvaise saison prochaine, l’exposerait à périr, à raison de l’état de débilité dans lequel il est tombé par suite de la maladie qu’il a faite a Daccard, je me suis déterminé à lui accorder un congé de six mois, à l’expiration desquels il devra reprendre sa compagnie, ou justifier, par certificats valables, de l’impossibilité où il serait de venir reprendre son service.

 » Saint-Louis, le 12 mars 1817.

 » Le commandant, pour le roi, administrateur du Sénégal et dépendances.

 » J. Schemaltz. »

Je donne ici copie de la lettre que le gouverneur du Sénégal écrivit à mon père lors de mon retour en France :

« Saint-Louis, le 19 mars 1817.

» Monsieur,

» Sur la déclaration des médecins de la colonie, je viens d’accorder à M. votre fils, un congé de six mois, pour aller rétablir sa santé.

» Par suite du naufrage et des événements que l’expédition du Sénégal a eu à supporter depuis son arrivée en Afrique, ce jeune officier a fait une grande maladie, et plusieurs rechutes graves, dont il a été affaibli de manière à craindre qu’il ne puisse pas résister à l’influence de la mauvaise saison dans laquelle nous allons entrer.

» Je me plais à vous annoncer, Monsieur, que, pendant tout le temps qu’il a été sous mes ordres, je n’ai eu qu’à me louer de sa bonne conduite et de son courage à supporter toutes les tribulations dont nous avons été assaillis ; et l’attachement que lui porte les officiers, du corps dont il fait partie, me porte à désirer qu’il se rétablisse promptement pour revenir dans la colonie.

» Recevez, Monsieur, l’assurance, etc.

» Le commandant pour le Roi, et administrateur du Sénégal et dépendances.
» J. Schemaltz. »

Je partis du Sénégal le 14 mars 1817, sur la gabarre la Lionne, laissant le bataillon réduit à 2 capitaines, 2 lieutenants, 1 adjudant, 1 sergent-major, un sergent, un fourrier, 9 caporaux et 68 fusiliers ; ce qui formait un effectif de 75 hommes, 57 étaient malades à l’Hôpital, et j’arrivai en France le 12 mai de la même année, après une traversée de deux mois.

La fatigue du voyage et la nourriture échauffante que je prenais, augmentèrent la fièvre qui me dévorait ; mais la vue de la France sembla calmer mes douleurs, et la fièvre elle-même cessa de me tourmenter.

Cependant, j’avais encore une longue route à faire. Débarqué à Rochefort il fallait me rendre dans ma famille qui habitait Nimes. Ce voyage ne se termina pas sans de nouvelles souffrances ; des douleurs nerveuses m’empêchaient de me mouvoir ; je fus forcé de faire usage de deux béquilles. Je revis enfin mes parents. C’est au milieu de leurs soins empressés et de leurs embrassements que je repris un peu de santé.

Quelques jours après mon arrivée dans ma famille, je fis part de ma triste position à Son Excellence le ministre de la marine M. Molé. Courrier par courrier il me prévint qu’il m’avait mis à la disposition de Son Excellence le ministre de la guerre le maréchal Gouvion St-Cyr. Ce ministre ne tarda pas à me faire connaître qu’il avait remplacé ma solde d’activité par une demi-solde.

Quelle position pour celui qui venait de tout perdre et de tout souffrir !

Depuis mon retour en France, une série d’évènements est venue prolonger la chaîne de mes malheurs inouïs et immérités. J’ai accepté cette adversité avec résignation, sans murmurer contre ceux qui m’ont donné une partie de ce triste héritage, pour récompense de mes services.

Soumis aux rigueurs de l’infortune, j’ai voué, après Dieu, à ma femme et à mes enfants, toute mon existence. Je n’aspire qu’au seul bonheur, s’il n’est pas trop tard pour moi, de voir un jour trois fils que j’ai sous les drapeaux de ma patrie, recueillir les fruits de mes faibles services, de mes souffrances, de mes douleurs.

FIN.