Scènes de la vie des courtisanes/L’Abandonnée
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L’Abandonnée
Ce soldat, Thaïs, l’Akarnane qui entretenait autrefois Abrotonon et après devint amoureux de moi, je veux dire celui qui était toujours sous la pourpre et la chlamyde, est-ce que tu le connais ou bien as-tu oublié l’homme ?
Non, je le connais, ma petite Glykera. Même il a fait la noce avec nous l’année dernière à la fête de Dêmêter. Eh bien, qu’est-ce que tu veux en dire ?
Cette mauvaise Gorgona que je croyais mon amie, a si bien manœuvré qu’elle me l’a enlevé.
Et maintenant il n’est plus à toi, il a fait de Gorgona sa maîtresse ?
Oui, ô Thaïs, et la chose m’a terriblement frappée.
C’est méchant, ô Glykerion, mais ce n’est pas imprévu ; ces choses arrivent, chez nous les hétaïres. Il ne faut pas te faire de peine ni dire du mal de Gorgona. Abrotonon n’a pas dit de mal de toi dans la même circonstance, et pourtant vous étiez amies. — Mais je me demande ce qu’il lui trouve de bien, ce soldat-là, à moins d’être complètement aveugle, pour ne pas voir comme elle a les cheveux rares et comme ils sont loin du front ; Ses lèvres sont livides, cadavéreuses, son cou est grêle ; ses veines ressortent ; son nez est long. Elle n’a qu’une chose, c’est qu’elle est bien faite et droite ; et puis son sourire est très attirant.
Tu crois donc, Thaïs, que c’est pour sa beauté que l’Akarnane l’aime. Tu ne sais pas que la sorcière Chrysarion est sa mère, cette femme qui sait les charmes thettaliens, et qui fait descendre la lune ; on dit qu’elle vole pendant la nuit ; elle aura tourné la tête de cet homme en lui faisant boire des poisons, et maintenant elle le panne.
Et toi, ma petite Glykera, tu en panneras un autre. Mais tu peux dire adieu à celui-là.