Scènes de la vie des courtisanes/Le Retour malencontreux
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Le Retour malencontreux
Nous sommes perdues, maîtresse, nous sommes perdues. Polémôn est revenu riche de la guerre à ce qu’on dit. Je l’ai vu sous un manteau à bande de pourpre, au milieu de beaucoup d’esclaves. À ce moment j’ai aperçu derrière lui celui qui l’avait accompagné à l’étranger et je lui ai demandé : « Dis-moi, ô Parménôn, — et je l’ai salué la première, — avez-vous fait quelque chose pour nous, et nous rapportez-vous de la guerre quelque chose qui en vaille la peine.
Il ne fallait pas dire cela si vite, mais : « Vous êtes sauvés, grâces en soient rendues aux dieux, et surtout au Dzeus Xenios et à l’Athéna Stratia. La maîtresse demandait toujours ce que vous faisiez, où vous étiez. » Et si tu avais ajouté : « Elle pleurait et pensait toujours à Polémôn, » cela aurait été beaucoup mieux.
Je lui ai dit tout cela dès le début, mais je ne t’en parlais pas pour te répéter ce que j’avais appris. Dès que je me suis approchée de Parménôn, j’ai commencé ainsi : « Est-ce que, Parménôn, les oreilles ne vous tintaient pas ? car toujours la maîtresse pensait à vous au milieu des larmes, surtout quand quelqu’un revenait d’un combat où il y avait eu beaucoup de tués, elle s’arrachait les cheveux, elle se frappait les seins, elle pleurait à chaque nouvelle. »
Très bien, Dorcas, c’est ce qu’il fallait.
Ensuite je lui ai demandé ce que je viens de te dire, et il a répondu : « Dorcas, nous revenons dans la magnificence. »
Ainsi il n’a pas commencé par dire que Polémôn se souvenait de moi et qu’il souhaitait de me retrouver vivante ?
Il m’a dit beaucoup de choses comme cela ; mais l’important c’est qu’il m’a parlé de grandes richesses, d’or, de vêtements, d’esclaves, d’ivoire ; quant à l’argent ils en apportent non plus compté par pièces, mais mesuré au médimne et ils en ont beaucoup de médimnes. Parménôn lui-même a au petit doigt un grand anneau polygonal avec une pierre de trois couleurs qui est rouge en dessus. Quand je l’ai quitté il voulait me raconter comment ils avaient traversé le Halys, comment ils avaient tué un certain Tiridatês et comment s’était conduit Polémôn dans un combat contre les Pisides. Je suis revenue en courant pour t’annoncer cela, pour que tu examines ce qu’il faut faire dans cette circonstance. Si Polémôn arrive (et il viendra dès qu’il se sera délivré de ses amis), — s’il apprend tout, et s’il trouve Philostratos avec nous, penses-tu, qu’est-ce qu’il va faire ?
Cherchons, Dorcas, un remède à ce qui nous arrive. Ce ne serait pas beau de renvoyer Philostratos qui m’a donné l’autre jour 6, 000 drachmes, qui est commerçant et qui me promet beaucoup. Et pourtant je ne peux pas ne pas recevoir ce Polémôn qui revient avec tant d’argent. En outre, il est jaloux. Quand il était pauvre, il était déjà insupportable ; maintenant qu’est-ce qu’il ne va pas faire !
Ah ! le voici qui arrive.
Je suis énervée, je ne sais que faire, Dorcas, je tremble.
Mais Philostratos arrive aussi !
Qu’est-ce que je vais devenir ? Oh ! que la terre m’avale !
Pourquoi ne boirions-nous pas, Pannychis ?
Misérable, tu m’as perdue. Toi, salut, Polémôn, tu as été bien long à revenir.
Quel est cet homme qui s’approche de vous ? Tu te tais ? C’est très bien, Pannychis. Moi qui suis venu des Thermopyles jusqu’ici en cinq jours pour voir cette femme ! Je méritais cela et je t’en remercie. Désormais tu ne seras plus à mes crochets.
Mais toi, qui es-tu, l’ami ?
As-tu entendu parler d’un Polémôn de Steirieus, Pandionide, d’abord chiliarque, maintenant commandant à cinq mille boucliers, et qui fut amant de Pannychis quand je lui croyais des sentiments humains.
Eh bien, capitaine de mercenaires, sache que Pannychis est à moi, qu’elle a reçu six mille drachmes et qu’elle en recevra bientôt autant dès que j’aurai placé ma cargaison. Et maintenant suis-moi, Pannychis, laisse celui-là chiliarquer chez les Odryses.
Elle est libre, et elle suivra si elle veut.
Que ferais-je, Dorcas ?
Le mieux est de rentrer. Il n’est pas possible que tu restes près de Polémôn
en colère ; il n’en serait que plus jaloux.Puisque tu le veux, rentrons.
Mais je vous prédis que c’est la dernière fois que vous boirez ensemble, aujourd’hui ; ce n’est pas pour rien que je me suis exercé à de tels massacres. Mes Thraces, Parménôn ! Que la phalange barre la rue ! Sur le front les hoplites, sur les ailes les frondeurs et les archers et le reste à l’arrière-garde.
Est-ce à de petits enfants que tu parles, mercenaire, et penses-tu nous effrayer ? As-tu jamais tué un coq ? As-tu vu la guerre ? Peut-être comme premier soldat as-tu gardé un petit rempart, et encore.
Tu le sauras avant peu, quand tu nous verras sous la lance avec des armes éclatantes.
Venez donc ici tous ensemble. Moi et ce Tibios, car lui seul me suit, rien qu’en vous jetant des pierres et des coquilles d’huîtres, nous vous disperserons si bien que vous ne saurez plus où vous sauver.