Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/Deuxième nouvelle

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Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 81-82).

DEUXIÈME NOUVELLE.


Bighino Trotti, croyant que sa maîtresse l’avait volé pendant qu’il dormait, la frappe à grands coups de poing, et il se trouve ensuite obligé de l’apaiser en lui faisant des cadeaux, l’erreur étant découverte.


Je me souviens d’un différend, accompagné de coups de poing, qui s’éleva une fois entre notre ami Bighino Trotti et une certaine nymphe qui lui tenait compagnie. Ce brave homme avait gagné un écu au jeu de la trappola à notre ami Alfonzo Corzaro. Il quitta le jeu sa bourse dans sa main, et, croyant y mettre la pièce dont il venait d’être mis en possession, il la laissa tomber par terre ; il referma ensuite la bourse et alla se coucher avec sa belle. Le matin étant venu, il se lève, et en ouvrant sa bourse il n’y trouve pas ce qu’il croyait y avoir mis. Il pousse alors des cris jusqu’au ciel, disant : « Quand je me suis levé cette nuit pour pisser, cette coquine a pris la bourse de dessous l’oreiller et m’a volé, » et tout en criant il fait bien vite cesser le sommeil de la pauvre créature en lui lançant un coup de poing capable de l’assommer. Fort étonnée, elle dit : « Pourquoi me traiter ainsi ? — Parce que tu le mérites bien, triple coquine, » réplique Trotti, et il lui envoie un second coup en frémissant de colère. Un ami de Bighino, qui logeait chez lui, entendant ce fracas, accourt, s’interpose, les engage à se calmer, tandis qu’on le met au fait de la chose. Chacun maintenait son dire : « Ce n’est pas à cause de la perte que je fais que je suis en colère, disait Bighino, je me soucie très-peu de l’argent ; mais c’est que le trait est vilain, et cela me courrouce. — Je ne suis point une voleuse, répondait la dame, et je ne vous ai rien pris ; mais vous me payerez ce que vous venez de faire. » Le gentilhomme avait en sa main le ducat qu’il avait ramassé lorsque Trotti l’avait laissé choir ; quand il jugea que la farce avait duré assez longtemps, il dit aux combattants qu’il pouvait les mettre d’accord, et, leur recommandant de fermer les yeux, il murmura des paroles qui paraissaient magiques ; il jeta ensuite en l’air l’écu, qui tomba avec fracas aux pieds de Bighino. Grand fut l’étonnement de chacun ; mais l’explication fut bientôt donnée, et ce fut au tour de la donzelle de se montrer irritée. Elle ne voulait pas entendre Trotti, qui lui demandait mille pardons et qui lui faisait les plus belles promesses ; elle se montra longtemps implacable, et pour que la paix fût rétablie, il fallut seize aunes de satin vert.