Sept petites nouvelles de Pierre Arétin/Troisième nouvelle

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Traduction par Philomneste junior.
Chez Jules Gay, éditeur (p. 83-84).

TROISIÈME NOUVELLE.


Un certain niais, se rendant à Lorette pour accomplir un vœu et portant avec lui vingt ducats et un cierge, est rencontré en chemin par un fripon qui lui gagne son argent au jeu, et, la nuit étant venue, il est obligé d’allumer son cierge pour avoir de la lumière.


Il n’y a pas longtemps qu’un jeune homme s’en alla à Lorette, portant vingt ducats et un cierge de cire blanche du poids de douze livres et parsemé de morceaux d’encens. Ce pauvre pèlerin avait fait vœu non-seulement de faire la route à pied, mais encore de porter son cierge sur ses épaules. Il cheminait lentement et tristement, lorsqu’il fut rejoint par un filou qui lui proposa de lui tenir compagnie, et, après des salutations mutuelles, lui offrit de porter le cierge pendant un moment. On était au mois de juin, et la chaleur obligea bientôt les voyageurs à s’arrêter dans la chaumière d’un paysan qui avait chez lui de très-bon vin. La liqueur brillante qu’il leur offrit fut de leur goût et ils s’assirent pour la déguster à l’aise. Les cigales chantaient, les eaux d’un ruisseau au bord duquel s’élevait la chaumière murmuraient, un vent doux agitait avec mollesse les feuilles des arbres. Après avoir dormi un moment, le fripon tira un paquet de cartes et proposa une partie, pour employer le temps, en disant : « Avaler deux morceaux, ce n’est pas rompre le jeûne, et jouer deux petites pièces de monnaie, ce n’est pas enfreindre un vœu. » Le pèlerin était là comme une mariée qui, le jour des noces, veut et ne veut pas, lorsque le paysan, auquel le joueur avait fait signe de l’œil, dit : « Il vaudrait mieux pour vous jouer toute la journée que dormir une heure ; avec cette grande chaleur vous pourriez attraper une fièvre ardente qui vous emporterait. » On se mit donc à jouer, et, grâce à ce passe-temps, la journée tout entière ne leur parut qu’un instant. La nuit vint, et, comme il n’y avait chez le paysan ni lampe ni chandelle, le pèlerin se dépêcha d’allumer son cierge. Tant dura la partie que le cierge se trouva brûlé jusqu’au bout, et le pèlerin avait perdu tout ce qu’il possédait. Il s’écria alors : « Je suis encore plus fâché de ne pouvoir accomplir mon vœu que de voir qu’il ne me reste rien. » Le fripon lui répondit : « Ne t’inquiète pas à cet égard, je te donne l’absolution. » Et la pauvre dupe ne savait pas que, lorsqu’il était parti pour la Santa Casa, le plus grand péril qui menaçait ses ducats était qu’ils ne fussent mis en jeu pendant la route.