Aller au contenu

Sermon CI. La moisson et les moissonneurs.

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CI.

LA MOISSON ET LES MOISSONNEURS[1].



Analyse. — Quelle est cette moisson spirituelle que Notre-Seigneur dit si grande ? C’est évidemment celle du bien à faire dans la Judée, où les patriarches et les prophètes avaient cultivé le terrain. Or cette récolte devait servir de semence pour la gentilité tout entière ; et la gentilité se trouve être indirectement la moisson annoncée. Donc exerçons-nous à n’être ni un grand chemin, ni un terrain pierreux, ni une terre couverte d’épines, mais une terre féconde qui porte de bons fruits. — Quels sont les moissonneurs appelés à faire la récolte ? Sans aucun doute les évêques, les ministres de Jésus-Christ. Mais ils doivent premièrement donner avec générosité ce qu’ils ont reçu ; secondement renoncer aux œuvres mortes et pratiquer en tout la charité ; troisièmement enfin, annoncer l’Évangile avec des intentions droites et surnaturelles. À ces conditions ils posséderont et répandront la paix.

1. La lecture de l’Évangile, que nous venons d’entendre, nous invite à rechercher quelle est cette moisson dont Notre Seigneur parle en ces termes : « La moisson est sûrement grande, mais les ouvriers en petit nombre. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer en sa moisson des ouvriers. » Ce fut alors qu’aux douze disciples, qu’il désigna sous le nom d’Apôtres, il en ajouta soixante-douze autres, et les envoya, comme l’indiquent ses paroles, à cette moisson toute préparée. Quelle est donc cette moisson : Cette moisson n’était pas celle de nous autres gentils, puisque rien n’avait été semé parmi nous. Il faut donc conclure qu’il s’agissait de celle du peuple Juif. C’est pour elle en effet que vint le Maître de la moisson, et pour elle qu’il envoya des moissonneurs, tandis qu’il adressa aux gentils, non pas des moissonneurs, mais des semeurs. Ainsi la récolte faite parmi les Juifs devait servir à ensemencer la gentilité. Dans cette récolte furent pris les Apôtres, et si la moisson était mûre dans cette contrée, c’est que les prophètes y avaient semé. Aimons à contempler la divine culture, à voir les dons de Dieu avec bonheur, ainsi que les ouvriers qui travaillent dans son champ. À cette culture s’exerçait celui qui disait : « J’ai travaillé plus qu’eux tous ; » mais comme les forces lui étaient données par le Maître de la moisson, il avait soin d’ajouter : « Ce n’est pas moi pourtant, mais la grâce de Dieu avec moi[2]. » Or c’est bien de l’agriculture qu’il s’occupe, puisqu’il dit expressément : « J’ai planté, Apollo a arrosé[3]. » Cet Apôtre donc qui de Saul était devenu Paul, c’est-à-dire petit, d’orgueilleux qu’il était ; car Saut vient de Saül et Paul de Paulum, petit ; et qui d’ailleurs semble avoir voulu nous faire comprendre la signification de son nom lorsqu’il disait : « Je suis le plus petit des Apôtres[4] ; » ce Paul, ce petit, ce dernier fut donc envoyé vers les gentils, et lui-même déclare que c’est surtout vers eux qu’il fut envoyé. Il l’écrit, et nous le lisons, nous le croyons, nous le prêchons. Il dit en effet, dans son Épître aux Galates, qu’après avoir été appelé par le Seigneur Jésus il vint à Jérusalem. Là il confronta son Évangile avec la doctrine des Apôtres, et ils se donnèrent la main en signe de concorde et d’harmonie parfaite ; car ce qu’ils avaient appris de lui ne différait aucunement de ce qu’ils enseignaient. Il ajoute qu’il fut convenu entre eux qu’il se réserverait pour la gentilité, et eux pour la circoncision, lui pour semer et eux pour moissonner[5]. Aussi est-ce avec raison que même sans s’en douter, les Athéniens lui donnèrent son véritable nom, lorsque l’entendant prêcher ils se dirent : « Quel est ce semeur de paroles[6] ? »

2. Soyez attentifs, aimez à contempler avec moi cette grande culture ; ces deux moissons dont l’une est faite et l’autre à faire ; car l’une est faite parmi les Juifs, et l’autre à faire parmi les Gentils. Prouvons-le ; et comment le prouver, sinon par les livres divins du Maître de la moisson ? Déjà il est dit, dans le passage que nous expliquons : « La moisson est abondante, mais les ouvriers en petit nombre. Priez le Maître de la moisson d’envoyer à sa moisson des ouvriers. » Et comme les Juifs devaient contredire et persécuter les moissonneurs : « Voici, poursuit le Seigneur, que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » Relativement à cette moisson, montrons quelque chose de plus clair encore dans l’Évangile selon saint Jean. Près du puits de Jacob, où le Seigneur s’assit tout fatigué, il se passa de grandes choses ; mais nous avons trop peu de temps pour traiter de ces mystères. Voici ce qui a rapport à la question présente.

Nous avons entrepris, de prouver que la moisson dont parle le Sauveur désigne les peuples à qui se sont adressés les prophètes ; et il fallait bien que les prophètes semassent pour que les Apôtres pussent recueillir. Or, pendant que la Samaritaine s’entretenait avec le Seigneur Jésus, lorsque le Seigneur lui eut dit, entre autres choses, de quelle manière on doit adorer Dieu : « Nous savons, reprit-elle, que le Messie, c’est-à-dire le Christ, va venir et qu’il nous apprendra toutes choses. » — « Moi qui te parle, ajouta le Sauveur, je le suis. » Crois ce que tu entends ; pourquoi chercher ce que tu vois ? « Moi qui te parle, je suis le Christ. » Mais quand cette femme disait : « Nous savons que le Messie va venir ; » le Messie qu’ont annoncé Moïse et les prophètes, et « qu’on nomme le Christ », évidemment la moisson était en épis. Elle avait dû, pour germer, être semée par les prophètes ; mais elle était mûre et pour être recueillie elle attendait les Apôtres. Aussi, dès qu’elle eut entendu ces mots du Sauveur, la Samaritaine crut, laissa là sa cruche s’en alla en courant, et commença à annoncer le Seigneur.

Pendant ce temps-là les disciples étaient allés acheter des aliments. Ils virent, en revenant, que leur Maître s’entretenait avec une femme, et ils s’en étonnèrent. Ils n’osèrent cependant lui dire : « De quoi ou par quel motif vous entretenez-vous avec elle ? » gardant en eux leur étonnement et refoulant dans leur cœur le désir de l’exprimer.

Ainsi le nom du Christ n’était pas nouveau pour la Samaritaine ; elle attendait son arrivée, elle croyait qu’il allait paraître. D’où lui venait cette foi, sinon de ce que Moïse l’avait semée ? Mais voici plus expressément encore ce que nous cherchons. « Vous prétendez que l’été est loin encore, dit alors le Seigneur à ses disciples ; levez les yeux et voyez les campagnes déjà blanchissant pour la moisson… D’autres ont travaillé, ajouta-t-il, et vous, vous êtes entrés dans leurs travaux[7]. » En effet, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, et les prophètes avaient travaillé, pour semer. La moisson était mûre à l’arrivée du Seigneur. Il envoya des moissonneurs armés de la faux de l’Évangile, et ils rapportèrent des gerbes sur l’aire sacrée, où devait être foulé saint Étienne.

3. Ici se présente Paul et on l’adresse aux gentils ; ce qu’il ne laisse pas oublier en parlant de la grâce spéciale qu’il a reçue en propre, car il est dit dans ses écrits qu’il est envoyé pour prêcher l’Évangile dans des pays où le nom même du Christ n’était pas connu. Mâts comme la première moisson est terminée et que tous les Juifs qui restent…, considérons cette autre récolte dont nous faisons partie. Que la semence ait été répandue par les Apôtres ou par les Prophètes, c’est toujours le Christ qui a semé ; car il était dans les Apôtres, quoique d’ailleurs il ait moissonné en personne. Les Apôtres en effet ne pouvaient rien sans lui, tandis que sans eux rien ne lui manque, et il leur disait : « Sans moi vous ne sauriez rien faire[8]. » Que dit donc le Sauveur en répandant la semence dans la gentilité ? « Le semeur s’en alla semer. » Aux Juifs il envoya des moissonneurs ; il vient ici semer hardiment. Pourquoi d’ailleurs aurait-il hésité en voyant tomber sa semence, partie sur le chemin, partie dans des endroits pierreux et partie au milieu des épines ? S’il avait craint de passer par ces terrains ingrats, il ne serait pas arrivé au bon terrain.

Pourquoi nous occuper encore des Juifs et parler de la paille ? Cherchons seulement à n’être ni un chemin, ni des endroits pierreux ou couverts d’épines, mais une bonne terre. Que notre cœur soit si bien préparé qu’il produise trente, soixante, mille et cent pour un : ces chiffres sont bien différents sans doute ; tous néanmoins ne représentent que du froment. Ne soyons pas un chemin, dans la crainte que la semence, foulée aux pieds par les passants, ne soit emportée par l’ennemi comme par un oiseau rapace. Ne soyons pas un terrain pierreux, dans la crainte que perçant bien vite une couche si légère, la divine semence ne puisse supporter les ardeurs du soleil. Ne soyons pas non plus une terre couverte d’épines, livrés aux passions du siècle, aux sollicitudes d’une vie abandonnée aux vices[9]. Eh ! qu’y a-t-il de plus affreux que ces sollicitudes de la vie qui ne laissent point arriver à la vie ? Qu’y a-t-il de plus misérable que ces soins de la vie qui font perdre la vie ? Qu’y a-t-il de plus infortuné que ces craintes de la mort qui donnent la mort ? Ah ! qu’on arrache ces épines, qu’on prépare le champ, et qu’il reçoive la semence : qu’on parvienne enfin à la moisson avec le désir d’être serré dans le grenier et sans craindre le feu.

4. Établi par le Seigneur ouvrier tel quel dans son champ, nous devions vous rappeler ces vérités, semer, planter, arroser, creuser même autour de certains arbres et y mettre de l’engrais. Notre devoir est de vous donner avec fidélité ; le vôtre, de recevoir fidèlement ; et c’est au Seigneur de nous aider, nous à travailler, vous à croire, tous à souffrir et en même temps à vaincre le monde avec sa grâce. Maintenant donc que j’ai rappelé vos obligations je veux aussi parler des nôtres.

Peut-être néanmoins que quelques-uns d’entre vous jugent inutile ce dessein et qu’ils se disent en eux-mêmes. Ah ! si plutôt il nous renvoyait ? Il nous a entretenus de ce qui nous regarde ; que nous importe ce qui le concerne ? Mais je crois, mes frères, que la charité mutuelle qui nous unit demande plutôt que nous ne soyons pas étrangers. Vous ne faites tous qu’une seule famille, et nous tous qui vous distribuons les dons de Dieu, ne faisons-nous point partie de cette même famille, n’obéissons-nous, pas au même Chef ? Est-ce d’ailleurs de mon bien que je vous donne ? N’est-ce pas du sien et ne m’en fait-il point part à moi-même ? Si je vous donnais de ce qui est à moi, je vous enseignerais le mensonge, puisque le menteur parle de son propre fonds[10]. Ainsi donc vous devez entendre ce qui concerne les dispensateurs de la parole sainte, afin que vous vous félicitiez, si vous en rencontrez de bons, afin aussi que vous vous instruisiez de leurs obligations. Combien en effet je vois parmi vous de dispensateurs futurs ! Nous étions où vous êtes ; si l’on nous voit aujourd’hui distribuer, du haut de cette chaire, les aliments spirituels aux serviteurs de notre commun Maître, il y a peu d’années encore que placé en bas nous recevions avec eux les mêmes aliments sacrés. Évêque, je parle à des laïques ; mais je sais à combien de futurs évêques je parle.

5. Examinons quel sens donner aux prescriptions faites par le Seigneur aux disciples qu’il envoyait prêcher l’Évangile ; mais ne perdons pas de vue que la moisson était toute prête. « Ne portez, leur dit-il, ni bourse, ni sac, ni chaussures, et dans le chemin ne saluez personne. En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison. Et s’il s’y trouve un fils de la paix, elle reposera sur lui ; sinon elle vous reviendra. » Sera-t-elle perdue pour eux, si elle ne leur revient point ? Ah ! loin des âmes saintes une interprétation semblable ! Il ne faut donc pas prendre ces paroles à la lettre ; ni conséquemment ce qui est dit de la bourse, des chaussures, du sac ; moins encore la défense de saluer personne en chemin, ce qui, pris à la lettre et sans examen, semblerait nous commander l’orgueil.

6. Considérons Notre-Seigneur ; il est à la fois notre vrai modèle et notre soutien. Notre soutien : « Sans moi, dit-il, vous ne pouvez rien faire. » Notre modèle : « Le Christ a souffert pour nous, dit saint Pierre, vous servant de modèle, afin que vous marchiez sur ses traces [11]. » Or Notre-Seigneur lui-même, étant en voyage, avait une bourse et il la confiait à Judas. Sans doute il avait affaire à un voleur[12] ; mais je désire m’instruire auprès de mon Seigneur lui-même. Vous aviez, Seigneur, affaire à un voleur ; mais aussi pourquoi possédiez-vous matière à vol ? Je ne suis qu’un homme faible et misérable, et vous m’avez averti de ne point porter de bourse ; mais vous en aviez une et vous pouviez être volé, car si vous n’en aviez pas eu, ce malheureux n’aurait pu vous l’enlever. — Ne faut-il donc pas que le Seigneur me réponde ici : Comprends bien ce que signifient ces mots : « Ne portez point de bourse ? » Qu’est-ce qu’une bourse, sinon de l’argent enfermé, ou la sagesse que l’on tient cachée ? Que signifie donc : « Ne portez pas de bourse ; » sinon : Ne soyez pas sages pour vous-mêmes ? Recevez le Saint-Esprit ; mais dans ton âme il doit être une source jaillissante et non une bourse, ce qui se donne et non ce qui s’enferme. Le sac aussi est une espèce de bourse.

7. Mais les chaussures ? Les chaussures qui nous servent, sont des cuirs d’animaux morts qui nous préservent les pieds. L’obligation de ne porter pas de chaussures est ainsi l’obligation de renoncer aux œuvres mortes. C’est à quoi Moïse était invité, lui aussi, d’une manière figurée, quand le Seigneur lui disait : « Ôte la chaussure de tes pieds ; car le lieu où tu es debout est une terre sainte[13]. » Est-il terre aussi sainte que l’Église de Dieu ? Restons-y donc debout, ôtons-y nos chaussures, c’est-à-dire renonçons aux œuvres de mort, Quant à ces chaussures avec lesquelles nous marchons, Notre-Seigneur sait encore consoler ma faiblesse : Eh ! s’il n’en avait pas eu lui-même, Jean aurait-il dit de lui : « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sa chaussure ?[14] » Ainsi obéissons, plutôt que de nous laisser gagner par la dureté et par l’orgueil. Moi, dit celui-ci, j’accomplis l’Évangile, puisque je marche pieds nus. — Tu le peux, moi je ne le puis. Mais soyons fidèles à l’obligation qui nous est commune. — Laquelle ? — D’avoir une ardente charité, de nous aimer réciproquement. Par là en effet j’aimerai de te voir fort, et tu supporteras ma faiblesse.

8. Toi qui ne veux pas examiner le sens de ces paroles et qui arrives à l’effroyable nécessité d’accuser le Sauveur de contradiction, à propos de bourse et de chaussures, que prétends-tu ? Veux-tu que si nous rencontrons en voyageant des personnes qui nous sont chères, inférieures ou supérieures, nous ne leur fassions ni même nous ne leur rendions de salut ? Est-ce être fidèle à l’Évangile, que de ne répondre même pas au salut reçu ? N’est-ce pas ressembler plutôt à la borne qui montre le chemin, qu’au voyageur qui le parcourt ? Allons, quittons cette stupidité, saisissons le sens des paroles du Seigneur et ne saluons personne sur notre route. Est-ce en effet sans dessein que cette défense nous est faite, et le Sauveur nous interdit-il d’exécuter ses ordres ? On pourrait sans doute entendre simplement ces expressions de l’obligation d’accomplir promptement ce qui nous est commandé. « Ne saluez personne sur le chemin », signifierait alors : Laissez tout pour faire ce que je vous dis. C’est une locution assez ordinaire et connue dans le discours sous le nom d’exagération. N’allons pas loin pour en rencontrer des exemples. Un peu après les paroles que nous étudions, le Seigneur disait dans le même discours : « Et toi, Capharnaüm, élevée jusqu’au ciel, tu seras plongée jusqu’au fond de l’enfer[15]. » Pourquoi élevée jusqu’au ciel ? Est-ce que les murailles de cette ville touchaient les nues et atteignaient les astres ? Que signifie donc élevée jusqu’au ciel ? Tu te crois trop heureuse, trop puissante, tu es trop superbe. Or, de même que pour mieux peindre cet orgueil on représente comme élevée jusqu’au ciel cette ville qui ne s’élevait ni ne montait jusques-là ; ainsi pour exprimer avec plus de force la promptitude que doivent mettre les disciples à exécuter les ordres reçus par eux, il leur est dit : Courez, accomplissez mes prescriptions si vite, que rien ne puisse vous retarder tant soit peu dans votre route ; laissez tout pour arriver plus tôt au but proposé.

9. Toutefois il y a ici un sens figuré que je préfère méditer ; il s’applique mieux, soit à moi, soit à tous les dispensateurs de la sainte parole, soit à vous qui l’écoutez. Saluer, c’est souhaiter le salut ; aussi les anciens mettaient-ils dans leurs lettres : Un tel à un tel, salut. Saluer vient du mot salut. Que signifie alors : « Ne saluez personne en chemin ! » Saluer en chemin, c’est saluer par occasion. Je vois que déjà vous m’avez compris ; néanmoins je ne dois pas finir immédiatement, car si vos acclamations me disent que vous saisissiez, j’en vois plusieurs dont le silence m’interroge. Et puisque nous parlons de chemin, imitons les voyageurs ; vous qui êtes en avant, attendez ceux qui sont en retard, et marchez tous ensemble. Qu’ai-je dit ? Que saluer en chemin, c’est saluer par occasion. On n’allait pas vers quelqu’un, et on le salue. On faisait une chose, il s’en rencontre une autre ; on poursuivait un dessein, et accidentellement on a trouvé quelqu’autre chose à faire. Ainsi, qu’est-ce que saluer par occasion ? C’est par occasion annoncer le salut. Mais annoncer le salut n’est-ce pas annoncer l’Évangile ? Ah ! si tu l’annonces, fais-le donc par choix et non par occasion. Il y a en effet des hommes qui ne cherchent absolument que leurs intérêts et qui prêchent l’Évangile. Tels étaient ceux dont l’Apôtre disait en gémissant : « Ils cherchent tous leurs intérêts, et non pas ceux de Jésus-Christ[16]. » Ils saluaient, ils annonçaient le salut, ils prêchaient l’Évangile, mais en vue de toute autre chose. Aussi saluaient-ils par occasion. Mais à quoi cela mène-t-il ? Ah ! si tu te reconnais à ce trait, si tu agis ainsi ; mais quiconque agit, n’agit pas de la sorte, et pourtant il peut se rencontrer quelqu’un qui le fasse ; si donc tu te reconnais à ce trait, tu ne fais rien, tu sers seulement à faire quelque chose.

10. L’Apôtre, en effet, admit avec lui de semblables ouvriers ; et pourtant il ne les formait pas ainsi. Ils font bien quelque chose, ou plutôt ils y contribuent puisqu’ils annoncent la parole sainte en vue de tout autre motif. Mais ne te soucies point de l’intention du prédicateur ; attache-toi à ce qu’il proclame, ne t’inquiète point de ce qu’il cherche. Reçois et retiens le salut de sa bouche ; ne sonde pas son cœur. Si tu vois qu’il a d’autres desseins, que t’importe ? Reçois le salut « Faites ce qu’ils disent. » Ces paroles : « Faites ce qu’ils disent », te doivent tranquilliser. Font-ils mal ? « Gardez-vous de faire ce qu’ils font[17]. » Font-ils bien, sans saluer en chemin, sans prêcher l’Évangile par occasion ? Soyez leurs imitateurs comme ils le sont eux-mêmes du Christ[18]. Est-ce un homme de bien qui te prêche ? Comme le raisin sur la vigne. Est-ce un méchant homme ? Cueille le raisin sur l’épine. C’est une grappe avec sa branche qui s’est perdue dans une haie d’épines ; elle y a poussé, mais ce n’est point l’épine qui l’a produit. Ah ! quand tu rencontres ce phénomène et que tu es pressé de la faim, cueille ; mais cueille avec précaution, dans la crainte qu’en portant la main sur le raisin, tu ne sois déchiré par les épines. En d’autres termes, écoute ce qui est bien sans imiter ce qu’on fait de mal. Si ce malheureux prêche par occasion et salue en chemin, il aura à se repentir de n’avoir pas été fidèle à ce précepte du Christ ; « En route ne saluez personne ; » mais toi, tu n’auras pas à te repentir de recevoir ni de conserver précieusement le salut qu’on te donne soit en passant, soit dans le but de te le donner. Revenons à l’Apôtre, écoute-le, voici son conseil : « Qu’importe ? dit-il ; pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle, je m’en réjouis et je continuerai à m’en réjouir ; car je sais que grâces à vos prières, ceci tourne à mon salut[19]. »

11. Ah ! que ces Apôtres du Christ, que ces prédicateurs de l’Évangile qui ne saluent pas en chemin, c’est-à-dire qui n’ont d’autre dessein, ni d’autre vue que d’annoncer l’Évangile avec uns sincère charité, entrent dans la maison et qu’ils disent : « Paix à cette demeure. » Ils ne le disent pas seulement de bouche, ils répandent ce dont ils sont remplis, ils prêchent la paix et ils ont la paix. Ils ne ressemblent pas aux infortunés qui répétaient : « Paix, paix, sans avoir la paix[20]. » Que signifie : « Paix, paix, et point de paix ? » Ils la prêchent, et ne l’ont pas ; ils la louent, sans l’aimer ; ils disent, et ne font pas.

Pour toi, accepte la paix, que le Christ soit annoncé par occasion ou par un vrai zèle.

Mais quand on est rempli de paix et qu’on dit en saluant : « Paix à cette demeure s’il y a là un fils de la paix, cette paix reposera sur lui ; sinon », s’il n’y a pas là un fils de la paix, celui qui l’a donné n’y aura rien perdu ; « elle vous reviendra », dit le Seigneur. Elle te reviendra, sans qu’elle t’ait quitté. En d’autres termes : Il te sera utile de l’avoir annoncée, mais lui ne gagnera rien de l’avoir refusée. Si ton vœu est resté sans effet, tu n’as point pour cela perdu ta récompense ; il en est accordé une à la bonne volonté, une à la charité que tu as déployée ; et tu la recevras de Celui-là même qui t’en donne l’assurance quand il fait dire aux Anges : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[21]. »
  1. Luc. 10, 2-6
  2. 1Co. 15, 10
  3. Ibid 3, 6
  4. 1Co. 15, 9
  5. Gal. 2, 1-9
  6. Act. 17, 18
  7. Jn. 4, 38
  8. Jn. 15, 5
  9. Mat. 13, 2-23
  10. Jn. 8, 44
  11. 1Pi. 2, 21
  12. Jn. 12, 6
  13. Exo. 3, 6
  14. Luc. 3, 16
  15. Luc. 10, 15
  16. Phi. 2, 21
  17. Mat. 23, 8
  18. 1Co. 4, 16
  19. Phi. 1, 18-19
  20. Jer. 8, 11
  21. Luc. 2, 14