Sermons choisis de Sterne/10

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 187-204).


LES ABUS
de
LA CONSCIENCE.[1]

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SERMON X.


« Car nous sommes persuadés d’avoir une bonne conscience. » Saint-Paul aux Hébreux, chap. 13. ℣. 18.


Nous sommes persuadés… nous sommes convaincus d’avoir une bonne conscience ?… Assurément, me direz-vous, s’il y a quelque chose dans la vie sur laquelle un homme doive compter, et qu’il puisse connoître d’une manière bien évidente, c’est de savoir si sa conscience est bonne ou non.

Pour peu qu’il réfléchisse, il doit se rendre là-dessus le compte le plus exact. Conseiller privé de ses pensées et de ses désirs, il doit se rappeler sa conduite passée, et connoître à fond les sources cachées et les vrais motifs qui ont déterminé ses actions.

Dans toute autre matière on peut se laisser décevoir par de fausses apparences. L’homme sage fait ainsi ses plaintes : À peine pouvons-nous faire quelques conjectures sur les choses d’ici-bas, nous travaillons à trouver celles qui sont devant nous ; mais ici, notre esprit a l’évidence de tout en lui-même ; il touche, il manie la toile qu’il a ourdie ; il en connoît la contexture, la force, et la part exacte que chaque passion a eue en l’ouvrant devant les dessins divers que le vice et la vertu ont mis devant lui.

Si la conscience n’est donc autre chose que la connoissance intime de l’ame, et le jugement soit d’approbation, soit de censure qu’elle porte inévitablement sur les actions successives de la vie, vous allez me dire, je le vois, qu’aussitôt que ce témoignage s’élève contre un homme, et qu’il s’accuse lui-même, il faut qu’il soit coupable, et qu’il est innocent au contraire quand ce rapporteur favorable ne le condamne pas. Ce n’est alors qu’un sujet de confiance, comme dit l’apôtre ; il est certain et de fait que la conscience est bonne, et que l’homme par conséquent est bon.

Tel est au premier coup-d’œil l’état de la question, et je ne doute pas que la connoissance du bien et du mal ne soit profondément gravée dans le cœur de l’homme. S’il étoit même possible que par l’habitude du péché sa conscience ne devînt pas insensiblement calleuse, comme certaines parties de son corps qu’un frottement habituel et continu endurcit, et qu’elle ne perdît pas ce sens exquis, et cette perception délicate dont Dieu et la nature l’ont douée, si l’amour-propre ne faisoit jamais chanceler notre jugement, et que de petits intérêts enveloppant des ténèbres les facultés supérieures de notre esprit n’en détruisissent jamais les opérations ; si la faveur n’entroit jamais dans cette cour sacrée, et que l’esprit dédaignant de s’y laisser corrompre par des présens, rougît d’être l’avocat d’une cause injuste ; si l’intérêt demeuroit tranquille et indifférent pendant que la cause se plaide, et que les passions chassées du tribunal ne prononçassent jamais de jugement à la place de la raison : si tout cela étoit, je l’avoue, l’état moral et religieux de l’homme seroit ce qu’il estimeroit lui-même ; son innocence ou ses crimes seroient déterminés par le degré d’approbation ou de censure qu’il donneroit à ses actions.

Je conviens qu’un homme est coupable quand sa conscience l’accuse ; elle se trompe rarement. À moins qu’il ne soit affecté de mélancolie et de marasme, on peut assurer qu’il existe un motif d’accusation.

Mais la proposition inverse n’est point vraie. Il n’est pas vrai que lorsqu’il est coupable sa conscience l’accuse, et qu’il est innocent quand elle ne l’accuse pas. Un chrétien aura beau se donner quelques heures de consolation et remercier Dieu de ce que son cœur ne lui reproche rien, et de ce que sa conscience est bonne, parce qu’elle est tranquille ; cette conséquence est fautive. Quelques brillans que soient les argumens dont on l’étaye, quelqu’évidente que paroisse cette proposition, quand on l’examine de près, et qu’on fait l’épreuve de l’axiome par l’expérience, combien d’erreurs et de fausses applications ne découvre-t-on pas ! Le principe sur lequel on s’appuie s’écroule de tous côtés, il se renverse, tombe, et il est bien difficile de trouver des exemples qui le relèvent et le confirment.

Un homme est vicieux, ses mœurs sont aussi débordées que ses principes sont erronés, coupable envers le monde entier, il vit couvert d’infamie, et se livrant scandaleusement à des crimes que la raison ne peut justifier. Il perd à jamais la complice de ses forfaits, lui vole sa dot la plus précieuse, charge sa tête du poids accablant de la honte, et enveloppe une famille entière dans les lacs de l’infortune : vous croyez que cet homme est sans cesse bourrelé de remords ; vous dites, les reproches de son ame ne lui laissent aucun repos ni la nuit ni le jour.

Hélas ! sa conscience a autre chose à faire que de lui parler et de l’interrompre. C’est le dieu Baal du prophète Élisée. Ce dieu domestique, disoit-il, cause peut-être avec quelqu’un, il est en voyage peut-être, peut-être qu’il dort, et ne veut pas qu’on l’éveille.

La conscience de cet homme est peut-être sortie pour le mener avec l’honneur se battre en duel ; elle est allée payer une dette du jeu, ou l’annualité du salaire infâme constitué par son incontinence. Ne déclameroit-elle pas par hasard chez lui contre quelque filouterie légère, n’exerceroit-elle pas sa vindicte sur quelques petites fautes contre lesquelles son rang et sa fortune auroient dû le prémunir. Cependant il vit aussi gaiement, il dort aussi profondément, il rencontre la mort avec autant, avec plus d’indifférence, que l’homme le plus irréprochable.

Un autre est sordide et sans pitié ; son cœur resserré par l’intérêt ne s’ouvre ni à l’amitié, ni à la félicité publique. Voyez comme il passe auprès de la veuve et de l’orphelin, et comme il considère les malheurs attachés à la vie humaine sans pousser un soupir ! Sa conscience ne s’élèvera-t-elle jamais contre lui ? ne tourmentera-t-elle jamais son apathie ? non. Grâces à Dieu, dit-il, je n’ai rien à me reprocher. Je paie exactement mes dettes, personne n’est alarmé de mon libertinage, je n’ai fait ni vœu, ni promesse, je n’ai débauché ni la femme ni la fille de mon voisin. Je ne suis ni injuste, ni adultère, comme ce libertin qui passe devant moi.

Un troisième est subtil et rusé. Observez sa vie entière, c’est un tissu délié d’artifices obscurs, de subterfuges injustes pour frustrer indignement l’intention de toutes les lois ; il élude leurs décisions, et se joue de nos propriétés : le voilà occupé à achever le piège où se prendront l’ignorance et la nécessité. Sa fortune s’élève insensiblement sur l’inexpérience de la jeunesse ou sur la bonne foi et l’honnêteté d’un ami qui lui auroit confié sa vie. La vieillesse s’approche, le repentir lui fait tourner les yeux sur ses projets infâmes, et le place vis-à-vis de sa conscience. Elle fixe les lois avec attention, et n’en trouve aucune lésée par ses actions. Elle ne voit aucune amende, aucune forfaiture encourue. Elle n’aperçoit aucun fléau déployé se balançant sur sa tête, aucun cachot ouvert sur ses pas ; qu’y a-t-il donc pour l’effrayer, cette conscience ? Elle s’est retranchée en sûreté derrière la lettre de la loi, elle s’y est fortifiée de rapports et d’analogies ; couverte de ce rempart, elle est inaccessible à tous les reproches : l’honneur tonne et foudroie ; elle est inattaquable dans ce fort.

Celui-ci méprise les petites ressources ; il passe par-dessus les pratiques d’une basse chicanne ; il laisse les artifices douteux, et les menées qui vont en secret à la réussite : voyez le scélérat tête nue ; comme il trompe, ment, se parjure, vole, assassine. Oh l’horreur ! jamais cependant il n’exista un plus saint homme. Le prêtre qui a pris à forfait sa conscience lui a enseigné à courir d’un temple à l’autre, à faire mille signes de croix, à murmurer des prières. C’en est assez pour le ciel… Quoi ! s’il se parjure ? Mais il fait une réservation mentale. S’il vole, s’il tue, sa conscience ne recevra-t-elle pas mille blessures profondes ? Pourquoi ? Il a porté aux pieds d’un prêtre qu’il trompe ce lourd fardeau, il s’en est relevé avec une absolution qu’il n’a pas méritée.

Superstition ! superstition ! qu’as-tu à me répondre ? Non contente d’ouvrir des voies funeste à l’homme qui s’égare, tu ouvres encore la porte de l’erreur devant les pas du voyageur imprudent ; tu lui parles confidemment de paix avec lui-même, quand il ne peut en avoir aucune.

Ces exemples choisis dans l’état actuel des choses sont trop vrais pour être étayés de preuves. Si quelqu’un doute de leur réalité ; s’il croit qu’il est impossible qu’un homme se trompe si long-temps, je le renvoie à ses réflexions, et dans un instant je viens plaider ma cause au tribunal de son cœur.

Qu’il examine le degré de haine auquel se sont élevé à ses yeux quelques mauvaises actions, quoiqu’elles soient toutes également mauvaises, il trouvera bientôt que celles que son penchant et ses habitudes lui ont fait commettre, sont peintes et enluminées des couleurs les plus fausses que la flatterie puisse broyer, tandis que celles où il n’a jamais été entraîné, lui paroissent salies des marques de la folie et du déshonneur.

Lorsque David surprit Saül dormant dans une caverne, et qu’il lui coupa un pan de sa robe, son cœur, nous dit-on, lui murmura quelques reproches. Mais lors de l’aventure d’Urie, ce fidelle serviteur qu’il eût dû chérir et honorer, devint la victime de son incontinence ; sa conscience avoit la plus grande raison de s’alarmer ; eh bien ! elle ne lui dit rien. Une année entière s’écoula entre son crime et le jour où Natan lui fut envoyé pour le lui reprocher. Il est écrit qu’il n’en avoit pas encore témoigné le moindre repentir.

Telle est la conscience. Ce moniteur fidelle constitué en nous pour être notre juge suprême, et doué d’équité par le créateur, par une malheureuse série de causes et d’obstacles prend une connoissance si imparfaite de ce qui s’y passe, il remplit son devoir avec tant de négligence, quelquefois avec tant de corruption, qu’il est impossible de s’en rapporter à lui seul. Il est nécessaire, absolument nécessaire de lui associer un autre principe pour aider, pour maîtriser même ses déterminations.

Voulez-vous former un jugement exact sur ce qu’il vous importe tant de bien connaître ? Voulez-vous savoir à quel degré de mérite réel vous êtes honnête, bon citoyen, sujet fidelle, zélé chrétien ? appelez la religion et la morale au secours de votre conscience. Lisez ce qui est écrit dans la loi de Dieu, consultez après cela en silence les obligations invariables de la justice et de la vérité.

Que la conscience détermine sur ce rapport ses motifs. Si votre cœur alors ne vous condamne pas, vous serez dans le cas supposé par Saint-Paul. La règle est infaillible ; toute votre confiance sera en Dieu ; vous aurez de sûres raisons de croire que le jugement que vous aurez porté sur vous-même est celui de Dieu, et l’anticipation de la sentence rigoureuse qui sera prononcée sur vous le jour que vous rendrez le compte final de vos actions.

Heureux l’homme, s’écrie l’auteur de l’Ecclésiastique, qui n’est pas assailli par la multitude de ses péchés ! Heureux celui que son cœur n’a pas condamné, et qui n’est pas déchu de son espoir en Dieu ! Qu’il soit riche ou pauvre, s’il a une conscience irréprochable, il se réjouira tous les jours dans ses œuvres, et son esprit lui en dira davantage que sept sentinelles qui veillent au haut d’une tour.

Dans les matières les plus obscures et les plus douteuses ce guide le conduira plus sûrement que mille casuistes. Il lui exposera le plan de sa vie bien plus exactement que toutes les analogies et les restrictions que les législateurs ont été forcé de multiplier. Je dis forcés, car on sait que les lois humaines ne sont pas une affaire de choix primitif, mais de pure nécessité : elles furent établies pour défendre la société contre les effets dangereux de ces consciences qui ne se sont jamais donné aucun frein. Ces statuts sont faits avec tant de précautions, que dans les cas où le cri de l’ame n’auroit aucun pouvoir sur nous, il a fallu suppléer à sa force, et obliger les hommes au bien par la terreur des cachots et des gibets.

Avoir la crainte de Dieu devant les yeux, et gouverner nos actions dans la société par la règle éternelle du bien et du mal, tels sont les deux points principaux de la religion et de la morale ; ces deux tables de la loi sont si étroitement enchaînées, qu’on ne peut les séparer même dans la pensée, sans les briser et les détruire.

Combien de fois ne les sépare-t-on pas la réalité ? Rien n’est si commun que de voir un homme sans principes de religion, l’avouer, en faire gloire, et se croire mortellement offensé si on élevoit le moindre soupçon sur son caractère moral, et si l’on pensoit qu’il n’est pas consciencieusement juste et scrupuleux jusqu’au ridicule. Je veux le croire, parce qu’il est pénible de suspecter une vertu aussi aimable que l’honnêteté, cependant en jetant un regard sur ses motifs, nous trouvons peu de raisons à lui en envier l’honneur.

Qu’il déclame pompeusement, sa probité n’aura d’autre fondement que son intérêt, sa vanité, son plaisir, et quelques petites passions dont la mobilité nous donnera de bien foibles espérances quand il s’agira de choses importantes.

Embellissons ceci par un exemple.

Je sais que le banquier qui trafique mon argent, et le médecin que j’appelle dans mes maladies, n’ont pas beaucoup de religion ; j’ai entendu leurs railleries, ils ont traité devant moi ses mystères et ses pratiques avec tant de dédain qu’ils paroissent s’être mis au-dessus de tous les doutes. Eh bien ! je mets malgré cela ma fortune entre les mains du premier, et je confie ma vie à la science du second. Quelle est la raison de cette confiance ? Je crois d’abord qu’il n’est pas possible qu’ils employent à mon préjudice le pouvoir que je leur ai donné ; je considère que la probité est la base de leur profession, et que leur succès en dépend, je suis persuadé enfin qu’ils ne peuvent me faire du mal sans se compromettre.

Mais donnons un nouveau motif à leur intérêt ; supposons que le premier pût sans nuire à sa réputation m’enlever ma fortune, et que le second pût jouir de mon bien par ma mort sans avilir son art, quelles sûretés aurai-je contr’eux ? la religion, le plus puissant des motifs ? Ce n’en est plus un, l’intérêt plus puissant qu’elle est contre moi. Que mettrai-je dans l’autre bassin pour contrebalancer cette tentation ? Hélas ! je n’ai rien, rien, ou ce qui est aussi léger que rien ; l’honneur. Je suis à la merci du principe le plus capricieux, et quelle sûreté pour deux biens aussi précieux que ma propriété et moi-même ?

Comme il ne peut exister de vertu morale sans la religion, on ne doit rien attendre de la religion sans la morale. Un homme n’a pas rempli ses devoirs envers Dieu, quand il néglige ceux qui l’attachent à ses semblables. Ceci est susceptible de la plus stricte démonstration.

Il n’est pas rare de voir un chrétien dont le caractère moral est bas et vil, avoir sur lui-même des idées fort élevées, les entretenir avec soin, et se regarder comme très-religieux. Il est avare, vindicatif, implacable ; il manque aux devoirs de la probité : écouter cependant comme il déclame hautement contre l’impiété du siècle, voyez combien il est jaloux d’observer quelque pratique pieuse ; il va se prosterner deux fois par jour au pied des autels, il fréquente les sacremens, il s’amuse enfin avec la partie instrumentale de la religion. Eh bien, trompant sa propre conscience, il croit avoir rempli tous ses devoirs. Il fait plus, dans la force de son aveuglement il regarde avec dédain et plein d’un orgueil spirituel, ceux qui affectant moins l’extérieur de la piété, ont mille fois plus de droiture que lui.

C’est un des maux que le soleil éclaire, et il n’y a point de principe erroné qui ait engendré plus de malheurs.

En voulez-vous des preuves, lisez l’histoire des méprises du christianisme. Quelles scènes de cruautés, de meurtres, de rapines, de sang, n’ont pas été sanctifiées par la religion quand elle n’a pas été dirigée par la morale !

L’épée des croisés n’a-t-elle pas porté la terreur et le ravage dans diverses contrées ? Ces paladins religieux conduits par un vagabond vont militer sous la bannière de la religion, oublient l’humanité et la Justice, et n’épargnent ni l’âge, ni le sexe, ni le mérite, ni le rang. Brigands effrénés, ils ne montrent aucune vertu et les foulent toutes sous leurs pieds ; sourds aux cris de la douleur, ils ne témoignent aucune pitié.

Si le témoignage des siècles est insuffisant, considérez comment quelques dévots du siècle présent croient servir et honorer leur Dieu qu’ils outragent.

Voulez-vous en être convaincus ? Descendez un moment avec moi dans les cachots de l’inquisition. Voyez la religion tristement assise sur un tribunal d’ébène s’appuyant sur des chevalets et des instrumens de mort, et tenant enchaînées à ses pieds la merci et la justice. Écoutez,… entendez ces lamentables gémissemens. Voyez le malheureux qui les a poussés, on vient de l’arracher aux fers pour faire sur son corps exténué, l’épreuve des supplices, qu’un système de la cruauté la plus rafinée put seul inventer. La victime est jetée aux bourreaux, elle étoit déjà épuisée par les peines et les longueurs d’une prison sévère. Observez le premier mouvement de cet horrible machine, quelles convulsions elle opère ! les muscles s’étendent, les nerfs se brisent, les os craquent et se déboitent ; voyez dans quelle posture le malheureux est ensuite jeté ; c’est tout ce que la nature peut endurer. Bon Dieu ! comme il retient avec effort son ame fatiguée, errante sur ses lèvres tremblantes ; elle veut abandonner le corps mutilé, on ne le permet pas encore. Il est replongé dans le cachot, et il n’en sortira désormais que pour aller au bûcher, et être insulté à son agonie. Qui lui prépare cette mort et ces insultes ? Le principe affreux que la religion peut exister sans la morale.

La meilleure manière de reconnoître le mérite d’un système religieux est de voir les conséquences qu’il a produit, et de les comparer avec l’esprit du christianisme. Cette règle courte et sûre vaut un millier d’argumens, et elle nous a été donnée par notre Sauveur. Vous les connoîtrez aux fruits qu’ils porteront.

On ne peut séparer la religion et la morale, anciens amis et fidelles alliés, sans les déshonorer et les perdre toutes les deux. Celui qui voudroit le tenter seroit leur ennemi commun ; ne comptez ni sur sa piété, ni sur ses mœurs.

Je n’ajouterai à ce discours que deux ou trois maximes déduites de mon sujet.

1°. Toutes les fois qu’un homme déclame contre la religion, ce n’est pas sa raison, mais ses passions qui dictent son langage. Une mauvaise vie et une bonne croyance sont deux voisins turbulens et incommodes qu’il faut séparer pour obtenir la paix.

2°. Quand un tel homme vous dit qu’une chose est contraire à sa conscience, c’est comme s’il vous disoit qu’un mets est contraire à son estomac. Le manque d’appétit est généralement la cause d’un pareil aveu. Ne vous confiez, en un mot, en rien à celui qui n’a pas une bonne conscience en tout.

Ressouvenez-vous encore de cette distinction, mille s’y sont mépris. Votre conscience n’est pas une loi ; c’est Dieu et la raison, qui ont fait la loi, et ont placé en nous la conscience pour juger selon elle, non comme un cadi asiatique, entraîné par le flux et le reflux de ses passions ; mais comme un juge britannique qui ne fait pas des lois nouvelles, mais prononce fidellement sur celles qu’il trouve écrites. Ainsi soit-il.



  1. Ce Sermon est déjà imprimé dans le Tristram Shandy, ouvrage moral, plus lu que compris ; il a semblé meilleur à quelques-uns, entouré de folies ; mais d’autres l’aiment mieux tel qu’il a été prêché, sans les coupures et les fréquentes interruptions de l’oncle Tobie et de l’accoucheur Slop.

    Ce Sermon risque d’être lu par de graves personnages en sûreté de conscience. Tout ce que l’auteur désire, c’est que ceci ne soit pas un des abus qu’il va censurer.