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Société et Solitude/Le Courage

La bibliothèque libre.
Traduction par Marie Dugard.
Armand Colin (p. 221-244).

LE COURAGE

Je constate qu’il est trois qualités qui attirent visiblement l’admiration et le respect de l’humanité :

I. — Le désintéressement, tel qu’il se manifeste dans l’indifférence à l’endroit des profits et influences qui agissent d’ordinaire sur la conduite — des vues si sincères et si généreuses qu’on ne peut les détourner par des perspectives de richesses ou d’autres avantages personnels. Chez presque tous les hommes, l’amour de soi est tellement prépondérant, qu’ils se montrent incrédules à l’endroit d’un individu qui préfère habituellement le bien général au sien ; mais quand cette préférence leur est prouvée par le sacrifice des aises, de la richesse, du rang et de la vie même, leur admiration ne connaît plus de limites. C’est là ce qui a fait la force des saints de l’Occident et de l’Orient, qui ont dirigé la religion de grands peuples. Le sacrifice de soi-même est le miracle réel d’où sont sortis tous les autres miracles que l’on nous rapporte. C’est ce sacrifice qui a fait la gloire des héros de la Grèce et de Rome — de Socrate, d’Aristide, et de Phocion ; de Quinte-Curce, de Caton, et de Régulus ; de l’hospitalité d’Hatem Tai, de Chatham, à qui sa magnanimité dédaigneuse a valu une popularité immense ; de Washington, donnant ses services à la cause publique, sans salaire ni récompense.

II. — La puissance pratique. Les hommes admirent celui qui peut donner une forme à leurs pensées et à leurs désirs dans la pierre ou le bois, l’acier ou l’airain — celui qui peut construire le bateau, qui a l’impiété d’amener les rivières à prendre le cours qui lui convient, qui peut faire aller des fils télégraphiques à travers l’Océan, de rivage en rivage ; qui, assis dans son cabinet de travail, peut tracer des plans de campagne — de guerre sur mer et sur terre — de telle sorte que quand tout est fini, les meilleurs généraux et amiraux doivent le remercier du succès ; ils admirent le talent de mieux combiner et prévoir, de quelque manière qu’il se manifeste, qu’il s’agisse seulement de jouer aux échecs ou que, dans un domaine plus élevé, un mathématicien pénétrant calcule le poids cubique des étoiles, annonce l’existence d’une planète que les yeux n’ont jamais vue ; ou que, étudiant les éléments chimiques dont le monde et nous-mêmes sommes constitués, et percevant leur secret, Franklin amène l’éclair dans sa main, suggérant qu’un jour une science géologique plus experte rendra les tremblements de terre inoffensifs et tournera les volcans en ressources agricoles. Ou bien, voici un être qui, voyant les désirs des hommes, sait comment y répondre, murmure quelque chose à cet ami-ci, réduit au silence cet adversaire-là, façonne la société selon ses vues, regarde tous les hommes comme de la cire entre ses mains — les dirige comme le vent dirige les nuages, comme la mère dirige l’enfant, ou comme celui qui sait plus dirige celui qui sait moins, et les conduit, heureusement surpris, au point précis qu’ils voulaient atteindre : un tel homme est suivi avec acclamations.

III. — La troisième chose excellente est le courage, le vouloir parfait que nulle terreur ne peut ébranler, que le dédain, les menaces, ou les armées hostiles attirent — que dis-je, qui en a besoin pour éveiller ses énergies en réserve, les amener à la pure flamme, et n’est jamais tout à fait lui-même que dans l’extrémité du danger ; alors, il est calme, inventif, et toutes ses facultés se déploient. Dans la mythologie de tous les peuples, il y a un Hercule, un Achille, un Rustem, un Arthur, ou un Cid ; et dans l’histoire authentique, un Léonidas, un Scipion, un César, un Richard Cœur-de-Lion, un Cromwell, un Nelson, un grand Condé, un Bertrand Duguesclin, un Doge Dandolo, un Napoléon, un Masséna, et un Ney. On dit que le courage est ordinaire ; mais l’estime immense en laquelle on le tient, prouve que c’est chose rare. La résistance animale, le mâle instinct de défense de la bête quand elle est acculée, est sans doute chose commune ; mais le courage pur, le courage qui sait voir, le courage qui sait se conduire, la possession de soi-même à la bouche du canon, l’entrain alors que l’on est seul à s’attacher au juste, est le partage des caractères supérieurs. Je n’ai pas besoin de montrer combien on l’apprécie, car on lui donne le premier rang. On lui pardonne tout. Que de bruit nous faisons depuis deux mille ans autour des Thermopyles et de la bataille de Salamine ! Quel souvenir nous gardons des batailles de Poitiers, de Crécy, de Bunker Hill, et de la force d’âme de Washington ! Et quiconque met sa vie en péril pour une cause que l’on respecte devient le favori de tous. Les livres pour enfants, les ballades qui ravissent les jeunes garçons, les romans qui ravissent les hommes, les sujets favoris de l’éloquence, les accents retentissants avec lesquels les orateurs parlent de toute résistance et de toute passe d’armes martiales, et que les gens applaudissent, en sont un témoignage. Qu’il s’est écoulé peu de temps depuis que ce pays se levait le matin pour lire ou écouter le récit des traits de courage de ses fils et de ses frères sur les champs de bataille, et comme on ne se fatiguait jamais de la question ! Nous avons des exemples d’hommes qui, pour avoir montré du courage en une seule circonstance, sont devenus pour les peuples un spectacle favori, et qu’il faut les amener en triomphe à toutes les réunions populaires.

Les hommes sont si épris du courage qu’ils se plaisent à se faire appeler lions, léopards, aigles, et dragons, d’après les animaux qui sont nos contemporains dans les âges géologiques. Mais en matière de précocité, les animaux ont un grand avantage sur nous. Que l’on touche à la « snapping-turtle[1] » avec un bâton, et elle le saisira avec ses dents. Coupez la tête, et les dents ne lâcheront pas le bâton. Brisez l’œuf du petit, et avant que ses yeux soient ouverts, l’embryon mordra furieusement, ces créatures tenaces trouvant moyen, si j’ose parler ainsi, non seulement de mordre après être mortes, mais encore avant d’être nées.

Mais l’homme débute dans la vie impuissant. Le bébé est au paroxysme de la frayeur dès que sa nourrice le laisse seul, et la faculté de se défendre quelque peu soi-même s’acquiert si lentement, que les mères disent que la conservation de la vie et de la santé d’un jeune enfant est un miracle perpétuel. Les terreurs de l’enfant sont tout à fait légitimes, et ajoutent à son attrait ; car son ignorance, sa faiblesse absolues, et ses indignations charmantes avec un fonds de ressources si petit, forcent tous les spectateurs à se mettre de son côté. À tout moment, dès qu’il est éveillé, il s’exerce à se servir de ses yeux, de ses oreilles, de ses mains et de ses pieds, apprenant à affronter, à éviter le danger, et perd ainsi à chaque heure un de ses effrois. Mais cette éducation s’arrête trop tôt. Élevés dans la famille, et commençant de bonne heure à s’engager jour après jour dans la monotonie d’un travail tranquille, la grande majorité des hommes n’arrivent jamais aux rudes expériences qui font l’Indien, le soldat, ou l’homme qui vit à la limite du désert, se soutenant lui-même et ignorant la peur. La haute estime où l’on tient le courage est une preuve de la timidité générale. « Quand l’humanité rencontre de l’opposition », disait Franklin, « elle se montre lâche. » Même dans la guerre, on trouve rarement des généraux empressés à livrer bataille. Lord Wellington disait : « Les uniformes sont souvent des masques ; quand mon Journal sera publié, bien des statues tomberont. » Les Sagas scandinaves racontent que quand l’évêque Magnus reprocha au roi Sigurd son divorce coupable, le prêtre qui accompagnait l’évêque, s’attendant à tout moment à voir le roi barbare éclater de rage et tuer son supérieur, disait « qu’il ne voyait pas le ciel plus grand qu’une peau de veau ». Et je me souviens de deux jeunes filles irlandaises qui, après avoir été emportées dans une voiture par un cheval ombrageux, disaient que quand le cheval avait commencé à se cabrer, elles avaient été si effrayées qu’elles n’avaient pu voir l’animal.

La poltronnerie fait fermer les yeux au point que le ciel ne paraît pas plus grand qu’une peau de veau, fait fermer les yeux au point que nous ne voyons plus le cheval qui nous emporte et, ce qui est pire, elle ferme les yeux de l’esprit et glace le cœur. La peur est cruelle et vile. Les règnes de terreur politiques ont été des règnes de folie et de méchanceté, une perversion totale de l’opinion ; la société est sens dessus dessous, et on estime que les meilleurs hommes sont trop mauvais pour vivre. Aussi la sécurité que donne une maison, une famille, le voisinage, la propriété, et même la première accumulation d’épargnes, contribue à toutes les époques à produire cette dégénérescence des classes respectables. Voltaire disait : « Un des plus grands malheurs des honnêtes gens, c’est qu’ils sont des lâches. » Que les partis politiques qui réunissent les éléments bien disposés de la société sont impuissants et vulgaires ! Comme leurs lèvres sont pâles ! Ils sont toujours sur la défensive, comme si la direction était confiée aux journaux, souvent écrits en grande partie par des femmes et de jeunes garçons qui, étant sans force, désirent maintenir les apparences de la force. Ils peuvent faire les hurras, placarder des affiches, arborer des drapeaux — et voter, si la journée est belle ; mais l’attitude combative des hommes qui veulent que le bien soit, ne saurait être plus longtemps contrariée par les cambrioleurs et brigands de la rue, les imposteurs dans les charges publiques, et les voleurs siégeant au Tribunal ; ce rôle, le rôle du chef et de l’âme du comité de vigilance, doit être assumé par des hommes fermes et sincères qui sont réellement courroucés et résolus. D’ordinaire, nous avons une critique aigre qui observe et contredit le parti opposé. Nous avons besoin du vouloir qui va de l’avant et qui commande. Quand nous obtenons un avantage, comme l’autre jour au Congrès, c’est parce que notre adversaire a commis une faute, non parce que nous avons pris l’initiative et fait la loi. La Nature a décidé que ce qui ne peut se défendre soi-même ne sera pas défendu. Se lamenter plus hautement, et avec plus de raison que jamais, ne sert de rien. Dans le Kansas et ailleurs, on a entendu il y a longtemps beaucoup de verbiage de la part des partis de la paix ; on a entendu affirmer que leur force gisait dans la grandeur des injustices qui leur étaient faites, et déconseiller toute résistance, comme pour rendre cette force plus grande. Mais les injustices qu’ils subissaient étaient-elles plus grandes que celles du nègre ? et quelle sorte de force lui ont-elles jamais donnée ? Cette attitude a toujours invité la tyrannie, et engendré le dégoût chez ceux qui voudraient protéger la victime. Ce qui ne peut se tenir debout doit tomber, et la mesure de notre sincérité, et par conséquent du respect des hommes, c’est la somme d’énergie physique et de biens que nous hasardons pour la défense de notre droit. Quand je lui demande s’il ne va pas à la réunion municipale, un vieux fermier, mon voisin par delà la palissade, me répond : « Non ; il n’est pas utile de voter, car cela ne reste point ; mais ce que vous faites avec votre fusil reste. » La Nature a donné à chacun la charge de se défendre soi-même, comme de subvenir à ses besoins, et je ne puis avoir droit à l’aide que quand j’ai virilement déployé pour me soutenir toutes les ressources dont je dispose et que, me sentant accablé par des forces inégales, les spectateurs éprouvent naturellement le désir d’intervenir et de voir franc jeu.

Mais avec cette éducation pacifique, nous ne sommes pas prêts pour les temps difficiles. Ou je me trompe fort, ou chacun de ceux qui se sont enrégimentés dans la dernière guerre avait une vive curiosité de savoir comment il se comporterait dans l’action. De jeunes garçons aimables et délicats, qui ne s’étaient jamais engagés en des jeux plus rudes qu’un concours de balle ou une excursion de pêche, se sont trouvés amenés à affronter une charge à la baïonnette ou à s’emparer d’une batterie. Naturellement, chacun a dû aller à l’action avec un certain désespoir. Chacun s’est murmuré à lui-même : « Mes efforts seront de peu de poids dans le résultat ; que le Ciel bienveillant me préserve de me déshonorer moi-même, et mes amis, et mon pays. Mourir ! ah certainement je puis mourir ; mais je ne peux me permettre de me comporter mal, et je ne sais ce que j’éprouverai. » Un soldat aussi grand que le vieux maréchal français Montluc reconnaît qu’il tremblait souvent de frayeur, et reprenait courage quand il avait récité une prière pour la circonstance. J’ai connu un jeune soldat, mort au début de la campagne, qui avait confié à sa sœur qu’il était décidé à s’engager pour la guerre : « Je n’ai nullement le courage voulu », avait-il dit, « mais je ne laisserai personne s’en apercevoir. » Et il s’était accoutumé à aller toujours en n’importe quel endroit dangereux, et à faire ce dont il avait peur, mettant une fermeté obstinée à lutter contre cette infirmité naturelle. Coleridge a conservé l’histoire d’un officier de la marine anglaise qui, parlant de sa première expédition, alors qu’il était un enseigne de quatorze ans et accompagnait Sir Alexander Ball, lui dit : « Comme nous ramions vers le vaisseau que nous devions attaquer, au milieu d’une décharge de mousqueterie, je fus vaincu par la peur, mes genoux tremblèrent, et je fus sur le point de m’évanouir. Le lieutenant Ball, me voyant, vint se placer tout près de moi, me prit la main et murmura : « Courage, mon cher enfant ! Vous allez vous remettre en une minute ou deux ; j’ai éprouvé juste la même chose quand j’ai fait ainsi ma première sortie. » Ce fut comme si un ange me parlait. À partir de ce moment, je fus aussi intrépide et allai autant de l’avant que le plus âgé de l’équipage. Mais je n’ose penser à ce qui serait advenu si, à ce moment-là, il m’avait raillé et avait attiré l’attention sur moi. »

Le savoir est l’antidote de la peur — le Savoir, l’Habitude, et la Raison, avec ses auxiliaires supérieurs. L’escalier, le poêle, le tub, ou le chat, font courir autant de dangers à l’enfant qu’un canon ou une embuscade en font courir au soldat. Chacun surmonte la peur aussitôt qu’il comprend exactement le péril, et apprend les moyens d’y résister. Chacun est sujet à la panique, laquelle est faite, précisément, des terreurs de l’ignorance livrée à l’imagination. Le savoir est un protecteur — le savoir qui fait disparaître l’effroi du cœur, le savoir et l’habitude, qui est le savoir mis en pratique. Ceux-là l’emportent, qui croient pouvoir l’emporter. C’est celui qui a fait l’acte une fois qui n’hésite pas à l’essayer de nouveau. C’est le groom qui connaît bien le cheval ombrageux qui peut le monter en sécurité. C’est le vétéran qui, en voyant la flamme du canon, peut s’écarter de la ligne du boulet. L’habitude fait un meilleur soldat que les considérations de devoir les plus pressantes — le fait d’être familiarisé avec le péril, le rendant capable de le juger. Il voit l’étendue du risque, et n’est pas victime de l’imagination ; il connaît en pratique le principe du maréchal de Saxe — à savoir que chaque soldat tué coûte à l’ennemi son poids de plomb.

Le marin perd ses craintes aussitôt qu’il acquiert l’expérience des voiles, des espars et de la vapeur ; il en est de même pour l’homme qui vit à la limite du désert, quand il a un excellent fusil et acquis la sûreté du tir. Chaque circonstance nouvelle suggère à l’expérience du marin ce qu’il doit faire. Les périodes de hasards terrifiants, qui rendent les heures et les minutes longues pour les passagers, il les passe tranquillement en une application incessante d’expédients et de réparations. Pour lui, une voie d’eau, une tempête, une trombe, représentent tel ou tel travail — rien de plus. Les chasseurs ne s’effraient pas des sangliers, des lynx ou des loups, ni l’éleveur de bétail, de son taureau, l’éleveur de chiens de son limier, l’Arabe du simoun, ou le fermier d’un incendie dans les bois. Une forêt en feu est chose assez décourageante pour un citadin : le fermier a l’expérience voulue pour lutter contre elle. Les voisins accourent ; ils écrasent les flammes avec des branches de pins et, en creusant avec la houe une tranchée longue, mais étroite, ils limitent à un coin de terre l’incendie qui se serait aisément étendu à une centaine d’acres.

En résumé, le courage consiste à être à la hauteur du problème qui se pose à nous. L’écolier est intimidé devant son professeur par une question d’arithmétique, parce qu’il ne possède pas les simples éléments de la solution dont l’écolier à côté de lui s’est rendu maître. Ces éléments une fois saisis, il est aussi calme qu’Archimède, et procède avec entrain. Avoir du courage, c’est être à la hauteur du problème en matière d’affaires, de science, de commerce, de conseil, ou d’action ; c’est avoir la conviction que les agents contre lesquels on lutte ne vous sont pas supérieurs en force, en ressources ou en esprit. Le général doit éveiller l’intelligence de ses soldats à la perception qu’ils sont des hommes, et que les ennemis ne sont rien de plus. Oui, le savoir est nécessaire, car le danger des dangers, c’est de se faire illusion. Les yeux s’intimident facilement ; et les tambours, les drapeaux, les casques étincelants, la barbe et la moustache du soldat vous ont vaincu bien avant que son sabre ou sa baïonnette ne vous ait atteint.

Mais nous n’épuisons pas le sujet par une légère analyse ; nous ne devons pas oublier la variété des tempéraments, qui modifient chacun la force de résistance. On a remarqué que les hommes de peu d’imagination sont moins timides ; ils attendent d’avoir senti la douleur, tandis que ceux qui sont plus sensibles l’anticipent, et souffrent d’une manière plus aiguë de la crainte de la douleur que de la douleur même. Il est certain que la menace est quelquefois plus terrible que le coup, et il est possible que les spectateurs souffrent plus vivement que les victimes. La douleur corporelle est superficielle ; elle siège d’ordinaire à la peau et aux extrémités, pour nous avertir d’être sur nos gardes ; elle ne siège point dans les parties vitales, où la rupture qui produit la mort ne se sent peut-être pas, et la victime ignore ce qui l’a atteint. La douleur est chose superficielle, et par conséquent la crainte l’est aussi. Ce sont probablement les spectateurs qui éprouvent le plus vivement les tourments du martyre. Les tourments sont illusoires. La première souffrance est la dernière, le coup suivant se perdant dans l’insensibilité. Nos sympathies, nos souhaits pour le bien extérieur du héros s’expriment impétueusement par des larmes et de hauts cris ; mais, comme lui-même, nous arrivons bientôt à une attitude d’indifférence et de défi, quand nous voyons combien le plus long bras de la méchanceté est court, et le patient serein.

Il est évident qu’il n’existe pas une entité spéciale qui s’appelle le courage, qu’il n’y a pas dans le cerveau une cavité ou une cellule, ni dans le cœur un vaisseau, contenant des gouttes ou des atomes qui formeraient ou donneraient cette vertu ; mais le courage est l’état sain et normal de tout homme lorsqu’il est libre de faire les actes auxquels le pousse sa constitution. Il consiste à aller droit au but — à accomplir immédiatement ce que l’on doit faire. L’homme réfléchi vous dit : vous différez de moi par les opinions et la méthode ; mais ne voyez-vous pas que je ne peux penser ou agir autrement, que ma manière de vivre est organique ? Et pour être réellement forts, il nous faut adhérer à nos méthodes propres. Toute énergie relève d’une activité conforme au tempérament. Écoutez ce que les femmes disent de l’accomplissement d’une besogne par la seule force de la volonté : il leur en coûte un accès de fièvre. Plutarque raconte que quand la Pythonisse essayait de prophétiser dans le temple de Delphes sans en avoir reçu l’ordre, alors même qu’elle accomplissait les rites habituels et respirait l’air de la caverne en se tenant sur le trépied, elle tombait en convulsions et expirait. Assurément, il y a un courage qui tient au tempérament, un sang guerrier qui aime le combat et ne se sent lui-même que dans la lutte, comme on peut le voir chez les guêpes, les fourmis, les coqs, ou les chats. La même tendance se manifeste chez certaines races d’hommes, et dans toutes les races chez certains individus. Dans toutes les écoles, on trouve certains garçons querelleurs ; dans tous les milieux, des hommes contredisants ; dans toutes les villes, des « bravi » et des matamores plus ou moins bien habillés, des boxeurs, des hommes qui patronnent les combats de coqs et l’arène. Le courage est organique, scientifique, idéal. Swedenborg a laissé sur son roi ce témoignage : « Charles XII de Suède ignorait ce que les autres entendaient par la peur, et ne connaissait pas davantage cette fausse valeur ou audace que provoquent les boissons enivrantes, car il ne but jamais autre chose que de l’eau pure. Nous pouvons dire de lui qu’il eut une vie plus éloignée de la mort que tout autre homme et que, en fait, il vécut davantage. » On a dit du Prince de Condé « qu’alors qu’il n’existait pas au monde d’homme plus violent que lui, le danger dans le combat n’avait d’autre effet que de le rendre courtois, de lui faire donner des ordres à ses officiers et à ses hommes sous une forme des plus obligeantes, sans troubler aucunement son esprit ». Chacun a son courage personnel, comme son talent propre ; mais le courage du tigre est une chose, et celui du cheval une autre. Le chien qui dédaigne se battre, se battra pour son maître. Le lama qui portera un fardeau, si vous le caressez, refusera la nourriture et mourra si vous lui donnez des coups. L’impétuosité de l’attaque est une chose, et la tranquille endurance une autre. Il y a un courage de cabinet de travail aussi bien qu’un courage de champ de bataille ; un courage d’attitude dans les réunions privées, et un courage dans les réunions publiques ; un courage qui rend l’individu capable de s’adresser avec autorité à un auditoire hostile, tandis qu’un autre qui affronterait aisément une bouche de canon n’ose pas ouvrir la sienne.

Il y a le courage du marchand dans son commerce, courage grâce auquel il affronte de dangereuses difficultés d’affaires, et l’emporte sur elles. Les marchands reconnaissent autant d’héroïsme dans la conduite d’un homme d’affaires prudent et loyal, que les soldats chez un soldat, et savent également l’apprécier.

Il y a du courage dans la manière dont les maîtres en architecture, en sculpture, en peinture ou en poésie, traitent leur art, chacun d’eux animant comme par de véritables traits de génie l’esprit du spectateur — courage qui toutefois n’implique nullement chez l’artiste l’existence de la bravoure physique. Une certaine quantité de puissance appartient à une certaine quantité de talent. La belle voix va retentissant dans l’Église, et recouvre de son étendue, comme d’un manteau, tous les défauts de chacun. Les chanteurs y cèdent tous, je l’ai remarqué ; et ainsi la cantatrice suit son instinct, ose, et ose davantage, parce qu’elle sait qu’elle le peut.

Le courage donne dans chaque profession le ton décisif. Le juge étudie avec attention les contradictions enchevêtrées de la cause, l’aborde carrément, et par le fait qu’il ne s’en effraie pas, la traitant comme une affaire qu’il peut régler, il s’aperçoit bientôt que l’arithmétique ordinaire et les méthodes courantes s’appliquent à la question. La persévérance la dépouille de toute particularité, et la met au même rang que les autres affaires. Morphy jouait audacieusement aux échecs ; mais l’audace n’était qu’une illusion du spectateur, car le joueur veillait à ce que ses coups fussent bien couverts et sûrs. Vous pouvez voir la même chose dans la critique ; un livre nouveau étonne pendant quelques jours, se place en dehors du jugement commun, et personne ne sait qu’en dire : mais le scholar ne se laisse pas tromper. Les antiques principes, que les livres ne sont là que pour formuler, sont supérieurs à n’importe quel livre ; et grâce à son amour du réel, il peut décider d’une façon experte dans quelle mesure le livre se rapproche des principes, et dans quelle mesure il s’en écarte. Dans tous les cas, il y a là la même force — l’habitude de s’en référer à son propre esprit, source de toute vérité et de tout jugement, et qui peut aisément classer n’importe quel livre parce qu’il peut très bien se passer d’eux tous. Quand un homme plein de confiance en lui arrive dans une réunion exalter tel ou tel auteur qu’il vient de lire, les interlocuteurs restent silencieux et confus de leur ignorance. Mais je me souviens que quand nous lui demandions s’il avait lu telle ou telle nouveauté bruyante, le vieux professeur, dont l’esprit pénétrant gravait chacun des mots qu’il prononçait dans la mémoire des élèves, répondait : « Non, je n’ai pas lu ce livre-là » ; aussitôt, le livre perdait son crédit, et l’on n’en parlait plus.

Chaque être a le courage de sa constitution, en rapport avec ses devoirs : Archimède a le courage du géomètre qui s’attache à ses diagrammes, inattentif au siège et au sac de la ville ; et le soldat romain, sa capacité de frapper Archimède. Chacun est fort quand il s’appuie sur ce qui lui est propre, et chacun se perd quand il cherche en lui-même la forme de courage des autres.

Le capitaine John Brown, le héros du Kansas, me disait dans une conversation que, « comme colon en un pays neuf, un homme bon, croyant, d’esprit ferme, vaut cent, et même mille hommes sans caractère ; et que les hommes justes donnent une direction permanente aux destinées d’un État. Quant à ces fiers-à-bras, ces buveurs dont se composent ordinairement les armées, il pensait que le choléra, la petite vérole et la phtisie étaient d’aussi bonnes recrues ». Il avait la conviction que la valeur et la chasteté se taisent sur elles-mêmes. Il disait : « Aussitôt que j’entends un de mes hommes dire : « Ah ! que je voie seulement l’individu, et je l’abattrai ! » je ne m’attends pas à ce que ce hâbleur apporte beaucoup d’aide dans le combat. Ce sont les hommes calmes, placides, les hommes de principes qui font les meilleurs soldats. »

Le plus brave à la guerre, on le constate encor,
Était auparavant l’homme le plus modeste.

Le vrai courage ignore l’ostentation ; les hommes qui désirent inspirer la terreur semblent par là s’avouer poltrons. Pourquoi s’appuient-ils sur elle, sinon parce qu’ils sentent quelle force elle a sur eux ?

Le sang-froid véritable a une heureuse influence. Il crée un lien entre gens ennemis. Dans le récit de sa première entrevue avec son prisonnier, le gouverneur Wise, de la Virginie, apparaît sous un beau jour. Si le gouverneur Wise est un homme supérieur, dans la mesure où il est un homme supérieur, il doit sentir la valeur de John Brown. En conférant, ils se comprennent rapidement ; chacun respecte l’autre. Si les conjonctures le permettaient, ils préféreraient leur société mutuelle à toute autre, et abandonneraient leurs anciens compagnons. Les ennemis se prendraient en affection. Hector et Achille, Richard et Saladin, Wellington et Soult, le général Dumas et Abd-el-Kader, s’aperçoivent qu’ils sont plus rapprochés que n’importe quel autre groupe d’amis, et si leur nationalité et les circonstances ne les séparaient pas, ils se jetteraient dans les bras l’un de l’autre.

Voyez aussi l’heureuse contagion du courage. Partout, il découvre ce qui est sien avec une sorte d’affinité magnétique. Le courage du soldat éveille le courage de la femme. Florence Nightingale apporte de la charpie et la bénédiction de son ombre. Des femmes héroïques s’offrent comme infirmières des braves vétérans. La troupe de fantassins de la Virginie venue pour garder la prison de John Brown demande la permission de présenter ses respects au prisonnier. La poésie et l’éloquence saisissent la donnée, et prennent leur essor à une hauteur auparavant inconnue. Tout sent le souffle nouveau, excepté les vieux politiciens radoteurs et à demi morts, dont la trompette de la résurrection ne pourrait réveiller le cœur.

Ce qui fait le charme des courages supérieurs, c’est qu’ils sont des inventions, des inspirations, des éclairs du génie. Le héros n’aurait pu accomplir son exploit à une autre heure, en une disposition d’esprit moins élevée. La manifestation la plus haute du merveilleux génie de la Grèce a été sa première manifestation ; elle n’est pas dans les statues du Parthénon, mais dans l’instinct qui, aux Thermopyles, tint l’Asie en respect, chassa l’Asie de l’Europe — empêcha l’Asie avec ses vieux usages et son esclavage enraciné, de corrompre les expériences et l’aube nouvelle de l’Occident. Les statues, l’architecture, ont été les créations plus tardives et inférieures de ce même génie. En face de cette heure de l’histoire, nous reconnaissons un instinct prophétique meilleur que la sagesse. Napoléon disait avec raison : « Ma main est immédiatement reliée à ma tête » ; mais le courage sacré est relié au cœur. L’esprit n’est qu’une moitié, une portion, tant qu’il n’est pas élargi et inspiré par le sentiment moral. Car ce ne sont pas les ressources où nous puisons, la santé, la richesse, le savoir-faire pratique ou le talent adroit, la multitude des disciples qui comptent, mais seulement les fins. Les fins réagissent sur les moyens. Une fin supérieure agrandit les moyens. L’eau et la farine qui sont la ration des enfants perdus qui risquent leur vie pour défendre le défilé sont aussi sacrées que le Saint Graal ou, si l’on avait des yeux qui pénètrent la combinaison chimique, que le combustible qui se précipite pour alimenter le soleil.

Il y a dans l’âme de l’homme la conviction qu’il est là pour une cause, que le Créateur l’a mis à cette place afin d’accomplir l’œuvre pour laquelle il l’inspire, et qu’ainsi il est supérieur à tous les adversaires qui pourraient se conjurer contre lui. La pieuse Mrs Hutchinson dit au sujet de quelques incidents de la lutte de Nottingham contre les cavaliers : « La grande leçon, c’est que les courages les meilleurs ne sont que des inspirations du Tout-Puissant. » Et partout où le sentiment religieux s’affirme d’une manière adéquate, ce doit être avec un courage éblouissant. Aussi longtemps qu’on l’insinue d’une manière lâche, comme avec le désir de défendre quelque intérêt particulier et temporaire, ou de l’amener à affirmer quelque dogme pratique que notre église paroissiale accepte aujourd’hui, on ne le communique pas, et il ne peut ni inspirer, ni créer. Car il est toujours nouveau, toujours il dirige et surprend, et la réalité n’est jamais à sa hauteur. Il paraît toujours dans le monde des hommes qui, presque aussitôt nés, prennent tout droit le chemin de la roue de l’inquisiteur ou de la hache du tyran, comme Giordano Bruno, Vanini, Paul, Jésus, et Socrate. Voyez les Vies des martyrs, par Fox, l’Histoire des Quakers, par Sewell, le Livre de l’Église par Southey, les in-folios des frères Bollandistes, qui ont réuni les vies de vingt-cinq mille martyrs, de confesseurs, d’ascètes, et d’hommes qui se sont mortifiés eux-mêmes. Beaucoup de ces récits sont fabuleux, mais ils contiennent un large fonds de réalité. L’épiderme délicat ne recule pas devant les baïonnettes, la femme timide n’a pas peur du bûcher ; la roue n’effraie pas, et la pendaison n’a rien d’ignominieux. Lié à la potence, le pauvre puritain, Antony Parsons, s’attacha de la paille sur la tête quand le feu approcha, et dit : « C’est le chapeau de Dieu. » Le courage sacré montre qu’un homme aime une idée plus que toutes choses au monde, qu’il ne vise ni au lucre, ni au confort, mais risque tout pour réaliser la pensée invisible de son esprit. Il est partout un libérateur, mais d’une indépendance idéale ; il ne cherche pas à avoir des terres, de l’argent, ou des commodités, mais à n’avoir d’autres limites que celles que lui impose sa constitution propre. Il est libre de dire la vérité, il n’est pas libre de mentir. Il désire briser par toute la terre les jougs qui empêchent ses frères d’agir selon leur pensée.

Il est des degrés dans le courage, et chaque pas en avant nous initie à une vertu plus haute. Disons donc nettement que l’éducation du vouloir est le but de notre existence. La pauvreté, la prison, la roue, le feu, la haine et l’exécration de nos semblables, semblent des épreuves au-dessus des forces du commun de l’humanité ; mais pour le héros dont l’intelligence est élargie par l’âme, et qui par conséquent mesure ses peines au bien que sa volonté entrevoit, ces terreurs s’évanouissent comme les ténèbres au lever du soleil.

Durant les périodes amollies de la paix, nous n’avons guère le droit de nous prononcer sur ces hauteurs de caractère exceptionnelles ; mais nous n’avons aucune garantie de sécurité. Dans la vie la plus retirée, le devoir difficile n’est jamais loin. Aussi devons-nous penser avec courage. Les scholars et les penseurs ont tendance à s’efféminer, et tremblent quand des cris plus rudes montent de la rue, ou que les journaux rapportent un acte brutal. Le collège médical accumule dans son Muséum ses horribles monstres de constitution anormale, et il est des sceptiques mélancoliques, goûtant la pourriture, qui se délectent aux faits épouvantables de l’histoire, aux persécutions, aux inquisitions, aux massacres de Saint-Barthélemy, aux vies démoniaques, aux Néron, César Borgia, Marat, Lopez — aux hommes chez qui tout rayon d’humanité s’est éteint, aux parricides, aux matricides, à tous les monstres moraux. Ce ne sont pas là des faits réconfortants ; mais ils ne troublent pas un être sain d’esprit ; ils exigent de nous une endurance aussi robuste que la puissance qui nous attaque, et un inlassable examen des causes finales. Le loup, le serpent, le crocodile, ne sont pas hors d’harmonie avec la nature, mais deviennent utiles en tant qu’obstacles, dévorateurs de pourriture et pionniers ; et nous devons avoir des vues aussi larges que celle de la Nature pour agir avec les hommes bestiaux, découvrir les besognes de nettoyeurs qui leur sont assignées, et entrevoir dans l’amélioration séculaire de notre planète comment de tels êtres seront un jour inutiles, et disparaîtront.

Il n’a pas appris la leçon de la vie celui qui chaque jour ne surmonte pas une crainte. Je ne désire pas me mettre, ni mettre qui que ce soit, en une position théâtrale, ou l’inciter à singer le courage de son compagnon. Ayez le courage de ne pas adopter le courage d’un autre. Dans notre condition et notre travail propres, il y a pour nous assez d’horizon, de cause et de force de résistance. Et il n’est pas de Credo d’honnête homme, Chrétien, Turc ou Gentil, qui ne le prêche également. Si vous n’avez pas foi en l’existence d’un pouvoir bienveillant au-dessus de vous, mais ne voyez qu’un Fatum adamantin enserrant ses cercles autour de la nature et de l’homme, réfléchissez alors que la meilleure utilité du Fatum est de nous enseigner le courage, quand ce ne serait que parce que la lâcheté ne peut modifier l’événement prédéterminé. Si vous acceptez vos pensées comme des inspirations de l’Intelligence suprême, obéissez-leur quand elles prescrivent des devoirs difficiles, car elles ne viennent qu’aussi longtemps qu’on les met en pratique ; ou, si votre scepticisme va jusqu’à la limite dernière, si vous ne vous fiez à aucun esprit étranger, alors soyez brave, car il est une bonne opinion qui doit toujours avoir de l’importance pour vous, à savoir — la vôtre.


J’ai eu l’autorisation d’enrichir mon chapitre d’un exemple de pur courage emprunté à la vie réelle, tel qu’il est rapporté en une ballade par une femme qui a connu exactement tous les détails de l’aventure[2]

GEORGE NIDIVER

Il est des faits de haute gloire,
Chantés des bardes d’hier :
Pour moi, je veux dire l’histoire
Du bon George Nidiver.


Dans les monts de Californie
C’était un vaillant chasseur :
Ses yeux perçants, sa main hardie,
Étaient du plus sûr tireur.

Un enfant indien sur ses traces
Marchait toujours pas à pas,
Heureux d’avoir part à ses chasses,
D’avoir sa part des repas.

Et lorsque, grâce à son adresse,
On voyait les oiseaux tomber,
Avec un élan d’allégresse,
L’enfant accourait l’aider.

Un jour, par une route étroite,
Resserrée aux flancs du mont,
Fermée à gauche et close à droite,
Ils allaient péniblement,

Quand, soudain, un couple sauvage
D’ours excités par la faim,
Bondissant furieux, pleins de rage,
Se dressent sur le chemin.

Le garçon, l’épouvante en l’âme,
Se sauve en poussant un cri ;
Mais l’un des ours, les yeux en flamme,
Court vers l’enfant qui s’enfuit.

N’ayant qu’une seule cartouche,
Le chasseur, tranquillement,
Épaule son fusil, et touche
L’ours qui poursuivait l’enfant.

Mais l’autre, avec des pas rapides,
S’avance sur Nidiver :
Le chasseur reste les mains vides
Devant l’ours terrible et fier.

Lui, le chasseur est sans défense.
Contre ces grands bras velus,
Bâton, fusil, ont l’impuissance
Qu’auraient de simples fétus.


Nidiver lève haut la tête
Et regarde fixement ;
L’animal étonné s’arrête,
Puis marche d’un pas plus lent.

Le chasseur le regarde en face,
Bien que son cœur batte fort ;
La bête, que ce regard glace,
Hésite, et s’arrête encor.

Le chasseur plonge en sa prunelle,
Calme, il ne recule pas ;
Sa fermeté demeure telle,
Que l’ours s’éloigne à lents pas.

Que pensèrent la bête et l’homme ?
L’ours, je ne le sais pas bien.
Pour Nidiver, mieux vaut en somme
Deviner, sans dire rien.

Mais son coup, prompt comme la foudre,
Choix d’un esprit courageux,
Montre dans l’éclair de la poudre
Le fond d’un cœur généreux.


  1. Grande tortue d’eau, des États-Unis (T.).
  2. Il est regrettable que, dans son admiration pour le courage de George Nidiver, Emerson n’ait pas senti la faiblesse de cette Ballade, et que sa modestie ait pu y voir un « enrichissement » pour son Essai (T.).