Socrate chrestien/Discours 1

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Augustin Courbé (p. 3-18).

DE IESUS-CHRIST
ET DE SA DOCTRINE.



DAns le Cabinet, où nous ouïsmes Socrate la premiere fois, il y avoit un Tableau de la Nativité de nostre Seigneur, qui luy donna lieu de nous faire ce Discours.

Il seroit difficile de regarder une si saincte peinture, sans estre surpris de quelque pensée de pieté. Mais faisons davantage en cette surprise ; Rendons-nous volontairement et de bonne foy, à la pensée qui nous a surpris : Suivons-la, quand elle nous meneroit plus loin que nous n’avions resolu d’aller aujourd’huy.

Une Estable, une Creche, un Bœuf & un Asne. Quel Palais, bon Dieu, et quel Equipage ! Cela ne s’appelle pas naistre dans la Pourpre, et il n’y a rien icy qui sente la Grandeur de l’Empire de Constantinople. Ces princes qu' on nommoit porphyrogenetes  ; celuy qui fut roy avant que d' estre homme, le ventre de la reine sa mere ayant esté couronné par les suffrages des ordres de son royaume ; les Ptolomées, les Alexandres et les Cesars faisoient bien plus de bruit, en venant au monde. De l' autre costé, il y a eu des princes, qui ont esté exposez ; il y a eu des conquerans qui ont esté nourris et eslevez par des bestes. Il y a une force retenuë et dissimulée : la vertu est quelquefois en repos : la grandeur est quelquefois à l' estroit : la pompe n' accompagne pas tousjours la puissance.

Ne soyons point honteux de l’objet de nostre Adoration : Nous adorons un Enfant ; mais cet Enfant est plus ancien que le Temps. Il se trouva à la naissance des choses : Il eut part à la structure de l’Univers : Et rien ne fut fait sans luy, depuis le premier trait de l’ébauchement d’un si grand Dessein, iusqu’à la derniere piece de sa fabrique.

Cet Enfant fit taire les Oracles, avant qu’il commençast à parler. Il ferma la bouche aux Demons, estant encore entre les bras de sa Mere. Son Berceau a esté fatal aux Temples & aux Autels ; a esbranlé les fondemens de l’Idolatrie ; a renversé le throsne du prince du monde. Cét homme, promis à la nature, demandé par les prophetes, attendu des nations, cét homme enfin descendu du ciel, a chassé, a exterminé les dieux de la terre.

Quelle entreprise à cét homme enfant, à cét homme nu, d’avoir attaqué un monde, qui s’estoit fortifié plus de trois mille ans, contre la puissance de la verité ! Il est pourtant venu à bout de son entreprise ; sans armes, sans machines, sans violence. Et qu’est-ce, à vostre advis, que d’avoir amolli d’abord et par sa seule presence un si long et si opiniastre endurcissement ; d’avoir arraché des erreurs, confirmées par la vieillesse ; qui avoient pris racine dans les esprits ; qui s’estoient naturalisées avec eux ? Qu’est-ce que d’avoir delivré ces pauvres esprits, d’une infinité de monstres qui les ravageoient ? Monstres de differentes especes, et sous differentes formes ; monstres agreables ou desagreables aux yeux, selon l’humeur de la superstition, qui les embellissoit ou les barbouïlloit à sa fantaisie. Les uns se faisoient aimer ; les autres se faisoient craindre : les uns demandoient des sacrifices cruels, et estoient alterez de sang humain ; les autres avoient des appetits moins sauvages, et moins desreglez, et se contentoient du sang des bestes.

L’homme que nous adorons, a nettoyé la terre de cette multitude de monstres que les hommes adoroient. Mais il n’en est pas demeuré là.

Il ne s’est pas contenté de ruiner l’idolatrie, et d’imposer silence aux demons ; il a de plus confondu la sagesse humaine ; il a osté la parole aux philosophes. Leurs sectes ont fait place à son eglise, et leurs dogmes à ses commandemens : toute la raison, toute l’eloquence d’Athenes luy a cedé. C’est luy qui a humilié l’orgueil du portique ; qui a décredité le lycée, et les autres escholes de Grece. Il a fait voir qu’il y avoit de l’imposture par tout ; qu’il y avoit des fables dans la philosophie, et que les philosophes n’estoient pas moins extravagans que les poëtes, mais que leur extravagance estoit plus grave et plus composée. Il a fait advouër aux speculatifs, qu’ils avoient resvé, lors qu’ils avoient voulu mediter. Il leur a montré que de cent cinquante tant d’opinions, qui visoient au souverain-bien, il n’y en avoit pas une qui eust touché au but : vous pouvez voir et compter ces opinions, dans les livres de la Cité de Dieu de S Augustin. Jesus Christ a ainsi traité les sages du monde : de cette sorte il a pacifié leurs querelles et leurs guerres. En les refutant tous, il les a tous accordez.

Avant luy on se doutoit bien de quelque chose. On donnoit de legeres atteintes à la verité : on avoit quelques soupçons et quelques conjectures de ce qui est. Mais les plus intelligens estoient les plus retenus et les plus timides à se faire entendre ; ils n’osoient se declarer sur quoy que ce soit ; ils ne parloient qu’en tremblant et en hesitant, des affaires de l’autre vie : ils consultoient et deliberoient tousjours, sans jamais se resoudre ni prendre parti.

Ie ne m’en estonne pas neantmoins. Car comment eussent-ils pû trouver la verité qu’ils cherchoient, puisqu’elle n’estoit pas encore née ; il faloit que la verité se fist chair, afin de se rendre sensible, et de devenir familiere aux hommes ; afin de se faire voir et toucher.

Cette verité n’est autre que Jesus Christ : et c’est ce Jesus Christ qui a fait les doutes et les irresolutions de l’academie ; qui a mesme asseuré le pyrrhonisme. Il est venu arrester les pensées vagues de l’ esprit humain, et fixer ses raisonnemens en l' air. Apres plusieurs siecles d' agitation et de trouble, il est venu faire prendre terre à la philosophie, et donner des ancres et des ports à une mer qui n' avoit ni fond ni rive.

Par son moyen nous sçavons ce qu' Aristote, ce que le maistre d' Aristote, ce que les disciples d' Aristote ont ignoré. Ils avoient les yeux bons ; mais ils cheminoient de nuit, et la subtilité de leur veuë n' estoit point comparable à la pureté de nostre lumiere. Assidus, mais malheureux courtisans de la nature, ils ont vieilli dans la Basse-cour : et nous, favoris de Dieu, quoy qu’indignes favoris, des le premier jour nous avons esté receûs dans le cabinet.

Ou le monde est eternel, ou il a eu un commencement : ou l’ame de l’homme meurt avec le corps, ou il y a une seconde vie pour elle, apres celle-cy. Voilà toute la satisfaction que vous donneront les sçavans de Grece et les habiles de Rome. Ne leur en demandez pas davantage. L’inconstance de leur esprit, l’incertitude de leurs opinions est une chose à faire pitié. Ils ne vous payeront que d’ambiguitez & que d’equivoques ; ils ne vous conseilleront que de suspendre vostre jugement ; que de retenir vostre determination ; que de balancer entre cela est et cela n’est pas.

Le seul Jesus Christ a pouvoir de conclure et de prononcer, et sa seule doctrine nous peut mettre l’esprit en repos. Elle definit, elle decide, elle juge souverainement. Elle tranche les difficultez. Elle coupe les nœuds, et ne s’amuse pas à les desmesler. Elle nous asseure en termes formels, que les choses visibles ont commence, et que les substances spirituelles ne finiront point.

Depuis la publication de cette doctrine, nous disons hautement et affirmativement, que le monde ne s’est pas basti soy-mesme, mais qu’il y a je ne sçay quoy de plus vieux et de plus ancien, qui a travaillé à une si admirable architecture. Nous disons que le soleil n’est pas la source, mais le reservoir de la lumiere ; qu’il a esté allumé avant que de luire ; que les astres ont esté faits par une main, qui en pourroit faire de plus beaux.

Nous disons que l’ame de l’homme est un feu inextinguible et perpetuel ; qu’elle est originaire du ciel ; que c’est une partie de Dieu mesme : et par consequent qu’il y a bien plus d’apparence qu’elle se ressente de la noblesse de sa race, que de la contagion de sa demeure ; qu’il est bien plus à croire qu’elle dure, pour se réünir à son principe, pour acquerir la perfection de son estre, pour devenir raison toute pure ; qu’il n’est à croire qu’elle finisse, pour tenir compagnie à la matiere, pour s’esloigner de sa veritable fin, pour courir la fortune de ce qui est son contraire plustost que son associé.

La mesme doctrine nous descouvre les autres secrets du ciel, avecque la mesme certitude : Mais ce sont les Secrets importans, & qui contribuënt à nostre Salut, & non pas les Secrets inutiles, & qui ne font que donner de l’exercice à nostre Curiosité. Cette Doctrine nous enseigne tout ce qu’il est necessaire que nous apprenions.