Soleils d’Hiver/17

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A. Lemerre (p. 61-62).


DEVANT L’HÔTEL



Au soleil de midi, l’hôtel des Îles d’or
Étale sa façade ainsi qu’un blanc décor,
Et, sous la vérandah prétentieuse et haute,
On cause, on rit, on fume après la table d’hôte.
En bas, près du chemin, colosse aux yeux d’émail,
Lissant d’un doigt distrait sa barbe en éventail,
Le portier galonné des pieds jusqu’à la tête,
Brave Suisse ahuri par ce soleil en fête,
Regarde bêtement, blanches sur le grand ciel,
Quatre misses jouant un tennis éternel.

Plus loin, se dentelant comme des mousselines
Sur l’azur uniforme et profond, les collines
Que pointille un semis d’élégantes villas,
De coquets bastidons aux murs verts ou lilas,
Descendent mollement vers la mer pailletée,
Tache de vif-argent à l’horizon jetée…
Tout est sourire, joie et rayon.


Tout est sourire, joie et rayon.Cependant
En un coin du jardin de l’hôtel, étendant
Sur un long rocking-chair son corps maigre et débile,
Un Anglais, aux yeux lourds, au teint jauni de bile,
— Quelque officier, sans doute, usé par la langueur
Des climats indiens, aujourd’hui sans vigueur,
Sans force, n’ayant plus qu’un dernier souffle à vivre, —
Se réchauffe au rayon bienfaisant qui l’enivre,
Et l’on jurerait voir, en ce cadre vermeil,
Le spectre d’Albion doré par le soleil.