Soleils d’Hiver/18
SAUVAGEONNE
a nuit descendait vite, vite,
À l’horizon…
Elle rentrait, pauvre petite,
À la maison.
Pâle, frêle, dix ans à peine,
Nue à moitié…
Et son mince tricot de laine
Faisait pitié.
Elle portait, toute penchée,
Sa cruche d’eau,
Et se raidissait, déhanchée
Par le fardeau.
Italienne ou Provençale ?
Je ne le sais…
Ses pieds nus, sous la jupe sale,
Trottaient, pressés.
Et je lui dis : « La côte est raide ;
Dur le chemin.
Pitchounette, veux-tu qu’on t’aide
D’un coup de main ? »
Elle tourna vers moi, sauvage,
Ses yeux de jais,
Croyant qu’à ce vain badinage
Je m’amusais.
Je pris alors la cruche pleine
Et, d’un seul trait,
Montai vers la maison lointaine
Qui s’éclairait.
Elle me suivait, allégée,
Heureuse aussi ;
Mais pas une phrase échangée,
Pas un merci.
« La voilà donc, la gratitude
De cette enfant ! »
M’écriai-je d’une voix rude
En arrivant.
Mais comme, altéré, j’allais boire
Au vase frais,
Levant sa petite main noire
Et de tout près
Elle me dit en son langage,
Vite et bien bas :
« L’eau trop froide !… Mauvais !… Sois sage,
Moussu, bois pas ! »