Soleils d’Hiver/18

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A. Lemerre (p. 63-65).


SAUVAGEONNE



La nuit descendait vite, vite,

À l’horizon…

Elle rentrait, pauvre petite,

À la maison.


Pâle, frêle, dix ans à peine,

Nue à moitié…

Et son mince tricot de laine

Faisait pitié.


Elle portait, toute penchée,

Sa cruche d’eau,

Et se raidissait, déhanchée

Par le fardeau.


Italienne ou Provençale ?

Je ne le sais…

Ses pieds nus, sous la jupe sale,

Trottaient, pressés.


Et je lui dis : « La côte est raide ;

Dur le chemin.

Pitchounette, veux-tu qu’on t’aide

D’un coup de main ? »


Elle tourna vers moi, sauvage,

Ses yeux de jais,

Croyant qu’à ce vain badinage

Je m’amusais.


Je pris alors la cruche pleine

Et, d’un seul trait,

Montai vers la maison lointaine

Qui s’éclairait.


Elle me suivait, allégée,

Heureuse aussi ;

Mais pas une phrase échangée,

Pas un merci.


« La voilà donc, la gratitude

De cette enfant ! »

M’écriai-je d’une voix rude

En arrivant.


Mais comme, altéré, j’allais boire

Au vase frais,

Levant sa petite main noire

Et de tout près


Elle me dit en son langage,

Vite et bien bas :

« L’eau trop froide !… Mauvais !… Sois sage,

Moussu, bois pas ! »