Soleils d’Hiver/21
LETTRE À UNE PARISIENNE
idi sonne au clocher de Cannes, lentement.
Sur la Croisette
Je vais de ci, de là, rêveur, tout en rimant
Cette amusette.
Il fait un bon soleil, clair, bienfaisant et gai ;
La mer scintille ;
Des bateaux pavoisés le long, le long du quai
Vont par flottille.
Près du square Brougham tous à la queue-leu-leu,
Chevaux étiques,
Les fiacres découverts trottent sous le ciel bleu,
Cherchant pratiques.
Pour un lawn-tennis-part trois Anglais, revêtus
De laine blanche,
Marchent, raquette en main, secs, anguleux, pointus,
Droits sur la hanche.
Les deux îles là-bas étendent dans le fond
Leurs formes rondes
Et sur le flot d’argent qui miroite, elles font
Des taches blondes.
On est heureux ; on n’a ni chagrin, ni souci,
Ni deuil, ni peine…
Ô mignonne, avec moi venez passer ici
Une quinzaine !
Quittez Paris, quittez cet éternel hiver
Coiffé de givre ;
Venez, quand le soleil se couche, voir la mer
Aux tons de cuivre !
Délaissez les Français, délaissez l’Opéra
Même Comique ;
Délaissez le salon qu’un journal déclara
Académique !
Refusez les dîners aux menus frelatés
Connus d’avance ;
Venez vous enivrer des sereines clartés
De la Provence !
Venez, et nous irons tous deux sans cache-nez
Et sans pelisses,
Courir sur les tapis de sable satinés
Par les flots lisses !
Nous nous reposerons sous les palmiers légers
Qu’un rien balance,
Et nous nous griserons de parfums d’orangers
Et de silence !
Si votre bourse est lourde et veut que d’un kilo
Quelqu’un l’allège,
Autour du tapis vert, vite, à Monte-Carlo
Prenons un siège.
Près d’un bourgeois naïf ou d’un grec trop malin,
L’âme aguerrie,
Jouons l’impair, le manque ou le numéro plein
Ou la série !
Venez vite, venez ! Refuser serait mal !
Pour vous distraire,
Voici que justement Nice est en carnaval
Et veut vous plaire.
Vous mettrez une robe aux suaves couleurs
Pour cette fête ;
Nous prendrons un landau qu’on remplira de fleurs
Par-dessus tête ;
L’un et l’autre masqués, joyeux et bannissant
Spleens ou névroses,
Nous nous escrimerons contre chaque passant
À coups de roses !
Et quand un confetti tout blanc arrivera
Sur votre manche,
Ô mignonne, la peau sous l’étoffe sera
Encor plus blanche !