Soleils d’Hiver/22

La bibliothèque libre.
A. Lemerre (p. 79-81).

FLEUR D’ANGLETERRE



Toute claire, adossée aux collines, parmi
Les orangers trapus et les longs palmiers grêles,
Ainsi qu’un nid joyeux de prestes tourterelles,
L’élégante villa se dérobe à demi.

Ardent dévastateur des côtes provençales,
Le mistral n’atteint point son toit bien abrité ;
Des crépuscules courts la brusque humidité
Ne pousse pas si haut ses caresses fatales ;

Mais superbe, éclatant dans la splendeur du ciel,
Sur ce coin parfumé que le passant envie,
Le soleil verse à flots la lumière et la vie,
Et fait rêver tout bas d’un bonheur éternel.

Là, devant le perron aux colonnettes blanches,
Assise dans un rocking-chair, miss Héléna,
Pâle fleur d’Albion que le sort condamna,
Se réchauffe aux rayons glissant parmi les branches.


Triste et frêle, portant dans ses yeux de vingt ans
Le lent détachement des choses de la terre,
Elle songe aux brouillards de la froide Angleterre
Et regrette l’hiver au milieu du printemps.

En vain pour l’arracher à ses sombres pensées
Tout est joie autour d’elle, et sourire, et rayon…
Elle poursuit toujours la vaine illusion
Des choses tendrement et longtemps caressées.

Et c’est vers un mignon cottage à volets verts,
Au bord de la Tamise, enfoui sous le lierre,
Que s’envole, bien loin du pays de lumière,
Le regard de ses yeux vaguement entr’ouverts.



Ô Terre de Provence, ô terre douce et bonne,
Hospitalière à tous les souffrants d’ici-bas ;
Sous tes gris oliviers toi qui ne connais pas
Les tristesses d’hiver ou les langueurs d’automne ;

Terre d’or, d’où jaillit l’ardent alleluia
De toute une nature au soleil embrasée,
Que dis-tu de te voir à ce point méprisée
Par cette pâle enfant que le Nord t’envoya ?


À quoi bon prodiguer la richesse odorante
De ta flore aux parfums subtils comme le miel
Et les rayonnements splendides de ton ciel
Devant cette cruelle et froide indifférente ?

Pour punir ses dédains, ne ferais-tu pas mieux
D’éteindre brusquement l’éclat de ton sourire ?
De fermer ce beau livre où son cœur ne peut lire ?
De cacher ces trésors que ne voient pas ses yeux ?

Mais non, non ! Loin de toi cette mesquine envie,
Ô Nature !… Pour tous ton amour est pareil !
Puisque la pauvre enfant sous ton brillant soleil,
Sous ton azur profond ne peut trouver la vie,

Tu veux t’associer du moins au prochain deuil
De cette fleur du Nord, aux pétales mi-closes ;
Et, sous ses yeux ingrats, tu fais naître les roses
Qui s’épanouiront demain sur son cercueil.