Soleils d’Hiver/28

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A. Lemerre (p. 96-98).


EN YACHT



Le yacht aux mouvements coquets
Et très lents, s’éloigne des quais,
Puis, pris par la brise câline,

S’incline.


Rien que l’obscur bruissement
Du flot qui frôle doucement
Les courbes luisantes et blanches

Des planches.


Les cuivres flambants et polis
À chaque travers de roulis
S’éclairent, lueurs fugitives

Et vives.


À pic sur le pont bien verni
Le mât, mince et droit comme un I,
Découpe en noir sa silhouette

Très nette.


Le soleil, aux rayons amis,
D’accord avec la brise, a mis
Des frissons roses dans les toiles

Des voiles.


Et serrant le vent au plus près,
On file, dans un bain d’air frais,
Le corps heureux et la pensée

Bercée…


Oh ! l’exquis mouvement sans bruit
Loin de la rive qui s’enfuit
Et, comme un trait barrant l’espace,

S’efface !


Oh ! l’engourdissement léger
Et suave, à ne point bouger,
Quand autour de soi, dans l’air libre,

Tout vibre !


Oh ! le mouvement très charmeur
Du flot, dont la vague rumeur
Adorablement monotone

Chantonne !


Oh ! la neigeuse illusion
De voler, comme l’alcyon
Frôlant d’une aile bien ouverte

L’eau verte !


Oh ! l’oubli pur, l’oubli profond
Des hommes et de ce qu’ils font…
Oh ! la sensation trop brève

D’un rêve !