Soleils d’Hiver/34

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A. Lemerre (p. 113-114).


FÉERIE TRAGIQUE



Un décor de théâtre, avec son édifice
Pompeux et surchargé, sa nature factice,
Ses aloès géants rangés en espaliers,
Sa place minuscule aux larges escaliers
Et, pour toile de fond, la montagne âpre et grise.

L’œil ébloui s’étonne et verrait sans surprise
Quelque prince grotesque aux bas jaunes ou verts,
Démarche titubante et couronne à l’envers,
Hurluberlu Quatorze ou seigneur de la sorte,
S’avancer dignement, entouré d’une escorte
De gardes moustachus et casqués de fer-blanc ;
Puis, se tournant soudain vers l’escadron volant
Des danseuses, brillant en sa magnificence,
Crier : « Et maintenant, que la fête commence ! »

Le soleil déjà bas enflamme l’horizon.

Seul, devant le palais, parmi la floraison
Des roses de Bengale et des palmiers d’Afrique,

Un homme est là, debout. Sur ce tableau féerique
Il attache un regard vague et comme hébété ;
Autour du tapis vert il a longtemps lutté :
La Fortune marâtre a fait sa poche vide.
Et très pâle, sentant le vent du suicide
Affoler sa pensée et lui brûler le front,
Il contemple, au lointain, le soleil rouge et rond,
Et vers ce louis d’or dont les clartés descendent,
Comme pour le saisir, ses mains sèches se tendent…