Soleils d’Hiver/33
LES GRELOTS D’OR
este comme un perdreau qui trotte
Au jour levant,
À la main tenant sa marotte,
Le nez au vent,
Secouant la gaîté jolie
De ses grelots,
Un beau matin, dame Folie,
Le long des flots
De la mer ourlée en dentelle
Qui chantonnait,
Sans savoir où, droit devant elle
Se promenait.
Soudain, au détour d’une roche,
Sur son chemin
Une vieille femme s’approche,
Et tend la main.
Sur ce cadavre qui mendie
En ses haillons,
Le soleil verse l’incendie
De ses rayons.
Le pas joyeux de la Folie
S’est arrêté :
« Qui donc es-tu, je t’en supplie ?
— La Pauvreté.
Quand tout sourit, moi je suis seule
Triste à mourir ;
Personne ne veut, pauvre aïeule,
Me secourir.
— Personne, dis-tu ? Quel blasphème !
Tais-toi ! tais-toi !
Pour alléger ta peine extrême
Je suis là, moi ! »
Et, s’irritant contre un reproche
Immérité,
Dame Folie ouvre sa poche
Avec fierté…
Vide, grand Dieu ! tout à fait vide !
Le Carnaval
Vient de finir et, monstre avide,
L’a mise à mal.
Que faire, hélas ? quel parti prendre ?
Oui, quel moyen
De témoigner d’une âme tendre,
Quand on n’a rien ?
Rien ?… Rien ?… — Si fait ! Dame Folie
Possède encor
Sur sa jupe au soleil pâlie
Ses grelots d’or.
Elle les arrache, très prompte,
Et d’un ton doux :
« Prends, pauvre femme, prends sans honte
Ces vains joujoux !
Ils ont l’air, en dansant leur ronde,
De rire entre eux…
Mais comme les plaisirs du monde,
Vois, ils sont creux !
— Sois bénie, ô toi qui m’assistes ! »
Dit en tremblant
La sombre vieille aux regards tristes,
Au front tout blanc.
Quand à ce point ton cœur s’oublie
En sa bonté,
Tu ne t’appelles plus Folie,
Mais Charité ! »