Soleils d’Hiver/37

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A. Lemerre (p. 125-126).


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Neuf heures du matin… Paris ! On entre en gare,

Les yeux gros de sommeil.

Fini, le rêve d’or ! Éteint, le brillant phare

Qu’allumait le soleil !


Adieu, la côte douce où les brises câlines

Allaient, rasant le sol !

Adieu, la mer ! Adieu, panache des collines,

Le grand pin parasol !


Les cochers, dans la cour, attendent en silence ;

Le ciel se fond en eau.

Sec depuis trop longtemps… Dieu me voit, et me lance

Tout un fond de tonneau !


Dans le fourmillement de la ville enfiévrée,

Dans l’éternel remous

De ce torrent humain, molécule ignorée,

Vite, replongeons-nous !


Dès demain, ce seront les mêmes choses faites

Et faites tant de fois ;

Les mêmes serrements de mains, les mêmes têtes

Avec les mêmes voix ;


Les mêmes magasins, les mêmes coins de rues,

Les mêmes ciels lavés,

Et les mêmes… serins croisant les mêmes… grues

Sur les mêmes pavés ;


Et les mêmes dîners dressant les mêmes cônes

De petits fours branlants ;

Et, sur les boulevards, les mêmes fiacres jaunes

Aux mêmes chapeaux blancs !


Courses, ennuis, tracas, — contre lesquels s’insurge

Chacun, à tout propos !

Sempiternel manège où, moutons de Panurge,

Nous tournons sans repos !


Paris, Paris fiévreux, Paris fou, Paris blême

Sous ton ciel attristant,

Ah ! qu’on te maudirait, qu’on te haïrait même…

Si l’on ne t’aimait tant !