Solitude (Armand Silvestre)
SOLITUDE
I
Plus haut que la clameur joyeuse de l’aurore,
Plus loin que les éclairs de pourpre du couchant,
A jailli mon sang clair, s’est élevé mon chant,
Pour atteindre les pieds de celle que j’adore.
Car j’ai dit le secret du mal qui me dévore
Au vent qui s’enfuyait vers l’horizon penchant ;
Mais, dans l’azur sans fin, sans trêve la cherchant,
Mon messager muet ne revient pas encore !
Celle dont la beauté m’a vaincu pour jamais
Vit pourtant dans l’éclat de sa jeunesse ! Mais
Elle a quitté le ciel où l’attendait mon rêve.
Un autre amour l’a prise à mon amour pâli,
Et ses pas ont trouvé pour chemin vers l’oubli
Quelque terre lointaine ou quelque obscure grève !
II
Plus loin que les couchants, plus haut que les zéniths,
Volent au loin mes rêves,
Comme des cygnes blancs qu’a chassés de leurs nids
Le souffle amer des grèves.
Ils emportent aux cieux, sous la solaire ardeur
Dont la nue est brûlée,
Comme un reflet d’argent, la dernière candeur
De ma jeunesse ailée.
Ils emportent aux cieux l’orgueil désespéré
De mon amour fidèle,
Et tout ce qu’en fuyant, dans mon cœur déchiré,
Sa beauté laissa d’Elle.
Et quand sur l’horizon, comme un chasseur passant,
L’ombre tendra ses toiles,
De ma sainte blessure ils mêleront le sang
Au sang d’or des étoiles !
III
Sa trahison n’a pas chassé de ma mémoire
La douceur de ses yeux, la pâleur de son front.
Souvent le mal d’aimer survit au bien de croire :
Comme au plaisir notre âme est fidèle à l’affront.
Non ! rien n’est mort pour moi des cruelles délices
Que verse à mes regards son être de clarté.
Le poison souille-t-il l’or sacré des calices ?
C’est d’un métal plus pur qu’est faite la beauté.
À l’encens que le prêtre aux pieds du Dieu balance
Mon désir sans espoir et sans plainte est pareil :
Car j’ai fait mon orgueil d’adorer en silence
Ce soleil dont mon sang teint le couchant vermeil !
Dans mon cœur resté fier après la foi partie,
— Sur un autel désert tel brille un ostensoir —
J’ai gardé mon dernier amour comme une hostie
Qu’entoure de rayons la lumière du soir !
IV
Sous la forêt épaisse à tous les pas fermée
Et dans la profondeur ombreuse des buissons
Où le reptile seul met de vagues frissons,
J’irai cueillir la fleur sauvage et parfumée
Dont nul souffle n’a bu les fragiles poisons.
Bravant l’épine ardue et déchirant les toiles
Dont l’insecte chasseur tend son obscur chemin,
Ainsi qu’un voleur d’or j’y glisserai ma main,
Puis je l’emporterai sous les yeux des étoiles
Et je la poserai sur ton cœur inhumain.
Sur ton cœur ténébreux dont l’éternel mystère
Torture mon amour, fait mes désirs plus grands,
Sur ton cœur vierge et faux que, donné, tu reprends,
Je poserai la fleur sauvage et solitaire,
Dont nul souffle n’a bu les poisons odorants.