Sophocle - Œdipe Roi, trad. Bécart, 1845.djvu/03

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Traduction par Antoine-Joseph Bécart.
Société Typographique Belge (p. 9-10).


PRÉFACE.


Après avoir tout épuisé, jusqu’aux horreurs les plus révoltantes, il n’est pas du tout surprenant que l’on revienne avec enthousiasme à l’antique, au simple, au naturel, au vrai sublime. Voilà ce qui nous a fait entreprendre de mettre en vers français l’ŒDIPE-ROI de Sophocle, après le grand succès d’ANTIGONE.

Cette première édition de la seule traduction complète, littérale et en vers français, du chef-d’œuvre de toutes les tragédies anciennes et même modernes, ne doit être regardée que comme un simple essai littéraire, ainsi que celle, que nous avons donnée dans le temps, des Œuvres et des Jours du père de la poésie[1]. Il serait absurde de venir nous dire qu’on ne fait point de pareils essais : des expériences sans nombre avant la nôtre ont prouvé le contraire.

Quoique, par suite de travaux spéciaux et multipliés, nous puissions peut-être nous-même en apprécier les défauts et les qualités mieux que personne, nous appelons sur notre œuvre la critique belge et surtout française. Nous profiterons, comme nous l’avons déjà fait pour d’autres publications, de tous les conseils utiles que la bonne presse, et des littérateurs de la plus haute distinction qui nous ont toujours encouragé et ne nous ont jamais fait défaut, voudront bien encore nous donner, et nous continuerons à mépriser les critiques injustes, déloyales et systématiques, les calomnies et les injures du mauvais et stupide journalisme.

Notre seconde édition, revue et corrigée avec le plus grand soin, améliorée et perfectionnée à l’aide de toutes les meilleures critiques, sera publiée à Paris, chez un des principaux éditeurs de France, avec le texte grec le plus correct, des prolégomènes, des observations critiques sur les différents Œdipes, des commentaires philologiques complets, et sera suivie des imitations et des traductions latines, françaises, allemandes, italiennes, etc. Elle formera un fort gros volume in-8o, imprimé avec soin et avec luxe : on peut y souscrire dès à présent chez les principaux libraires de Paris et de Bruxelles, ainsi que chez l’auteur, dans cette dernière capitale.

Quels que soient les jugements que l’on porte sur notre travail d’une difficulté tellement insurmontable que des littérateurs de la plus haute distinction n’ont osé ni pu l’entreprendre[2], nous déclarons en avoir été assez récompensé par ce seul plaisir indicible, par cette exquise et divine volupté de l’esprit, laquelle ne peut être mieux goûtée et sentie qu’en traduisant un poète d’un talent éminemment supérieur, en s’identifiant en quelque sorte avec un génie sublime et extraordinaire. Quelles douceurs ne fait pas éprouver à l’âme le sentiment d’une admiration continue ; quelles jouissances et quelles délices ne goûte-t-on pas en imitant, et en tâchant de refléter comme dans un miroir ces traits de vive flamme, ces rayons électro—magnétiques du feu sacré, qu’on ne saurait pourtant reproduire dans toute leur réalité et dans toute leur vigueur !

Cette traduction, fût—elle très-imparfaite, comme nous n’en doutons aucunement, servira du moins à faire mieux sentir, dans toute leur force et dans toute leur franchise native, les sublimes beautés de celui que ressuscita Racine ; elle contribuera peut-être un jour, cette faible obole littéraire, à nous faire jouir d’une traduction vraiment digne de la pièce grecque ? C’est là un vœu auquel s’associera tout véritable amateur de la plus belle littérature qui ait jamais immortalisé un peuple et d’une langue si belle, si riche et si sonore, que l’éloquent Mirabeau regrettait amèrement qu’on l’eût laissé passer à l’état de langue morte.

Nous n’ignorons pas qu’une traduction à peu près parfaite d’un chef-d’œuvre aussi difficile à bien rendre ou à reproduire fidèlement et avec élégance, nous placerait dans un rang des plus élevés de la littérature, mais nous sommes loin de prétendre à un pareil honneur. Toutefois il nous sera permis de dire avec Horace :

...Si quid novisti rectius istis,
Candidus imperti : si non, his utere mecum.
  1. Cette traduction d’Hésiode, avec notes philologiques, la première qui ait été faite en vers français, a été publiée par nous à Bruxelles, en 1838. Elle a eu à Paris, en 1843, les honneurs de l’imitation par un littérateur estimable, M. Fresse-Monval. Il en a été à peu près de même d’un de nos principaux ouvrages, de notre Précis des faits les plus utiles de l’histoire et de la civilisation universelle, connu depuis longtemps en Belgique ; un volume compact, in-8o.
  2. On connaît l’opinion de Boileau sur l’Œdipe-Roi, et l’estime qu’en faisait le grand Racine, qui, tenté de le traduire, tremblait toujours de le faire avec infériorité.