Sous la neige/2

La bibliothèque libre.
Plon-Nourrit et Cie (p. 47-62).


II


Les danseurs sortaient de la salle, et Frome se rejeta derrière la double porte.

De sa cachette il assista à la séparation des groupes de villageois comiquement emmitouflés. De-ci, de-là, le reflet sautillant d’une lanterne éclairait un visage congestionné par la bonne chère et par la danse. Les gens de Starkfield, venus à pied, furent les premiers à gravir le raidillon qui menait à la Grande Rue, tandis que les fermiers des environs S’installaient plus lentement dans leurs traîneaux.

— Vous ne rentrez pas en traîneau, Mattie ? cria une voix de femme, dans la foule sous le hangar.

Le cœur d’Ethan sursauta dans sa poitrine.

De l’endroit qu’il occupait, il ne pouvait voir ceux qui sortaient de la salle avant qu’ils eussent dépassé le tambour de la porte. Mais une voix claire répondit :

Certes, non, par une nuit pareille !…

Mattie était donc là, tout à côté de lui : une mince cloison les séparait. Dans un instant elle allait apparaître, et les yeux de Frome, accoutumés à l’obscurité, la discerneraient entre toutes, aussi aisément qu’en plein jour. Un mouvement de timidité le fit reculer davantage et il demeura dans l’ombre sans dénoncer sa présence.

Cela n’avait pas été une des moindres surprises de leur intimité que, dès le début, Mattie, bien qu’elle fût plus vive et plus fine que lui, loin de l’écraser par cette supériorité lui avait communiqué quelque chose de son naturel et de son aisance. Mais ce soir il se sentait aussi gauche, aussi emprunté, qu’autrefois aux pique-nique de Worcester, lorsqu’il se hasardait à plaisanter les jeunes filles.

Il se blottit dans son coin et Mattie sortit seule : elle s’arrêta à quelques pas de lui. Elle avait été à peu près la dernière à quitter la salle, et elle jeta autour d’elle un regard indécis, visiblement étonnée qu’Ethan ne parût point. Puis, un homme se rapprocha d’elle, si près que, sous leurs manteaux informes, le groupe ne faisait plus qu’une lourde et noire silhouette.

— Est-ce que votre ami vous a lâchée ? Dites donc, Mattie, ce serait un peu fort… Mais, soyez tranquille, je n’en dirai rien : je suis trop bon garçon pour cela… Mais, écoutez donc, j’ai là-bas sous le hangar le cutter[1] du vieux qui nous attend.

Frome était exaspéré par ce ton goguenard ; mais la voix de la jeune fille répondit, incrédule et gaie :

— Et que vient faire ici le cutter de votre père ?

— Mais, il nous attend pour faire un tour. J’ai sorti le poulain rouan. Je me doutais bien que nous allions nous promener ce soir, fit Eady, essayant de mettre une note sentimentale dans sa voix de jeune coq.

Mattie semblait balancer. Frome vit qu’elle roulait le bout de son écharpe autour de ses doigts. Pour rien au monde il n’eût bougé, mais il sentait toute son existence suspendue au prochain geste de la jeune fille.

— Attendez une minute : je vais détacher le poulain, lui cria Denis, se dirigeant vers le hangar.

Elle demeura immobile, le regardant s’éloigner dans une attitude d’attente tranquille. Frome, dans sa cachette, en souffrait profondément. Il remarqua que pas une seule fois elle ne tournait la tête pour découvrir dans la nuit noire une autre silhouette. Elle laissa Denis Eady sortir le cheval, monter sur le traîneau et relever la peau d’ours pour lui faire place. Puis, brusquement, elle fit volte-face et courut vers la montée, dans la direction du portail de l’église,

— Au revoir ! bonne promenade ! cria-t-elle.

Denis se mit à rire. Il fouetta son cheval et rejoignit la jeune fille, qui avait pris de l’avance.

— Allons, voyons, grimpez vite ! Ce coin est bigrement glissant ! fit-il, se penchant pour lui saisir la main.

Le rire de la jeune fille éclata de nouveau.

— Non, décidément… je ne monte pas ! Bonne nuit I

Pendant ce dialogue ils avaient dépassé Frome, et celui-ci, ne pouvant plus entendre leurs propos, en était réduit à suivre la pantomime que jouaient leurs ombres sur la crête. Il vit Eady sauter de son cutter, les guides sur le bras, et s’avancer vers Mattie. Le jeune homme essaya de l’atteindre une dernière fois, mais elle l’évita par une retraite agile.

Le oœur de Frome, qu’avait secoué une crainte mortelle, se reprit à battre régulièrement. Quelques secondes plus tard, il entendit tinter les grelots du cutter qui s’éloignait ; puis il vit une silhouette isolée s’avancer sur la neige devant l’église.

Sous l’ombre épaisse que projetaient les sapins des Varnum il rejoignit Mattie, qui se retourna.

— Oh ! fit-elle, surprise.

— Vous croyiez donc que je vous avais oubliée ? demanda-t-il avec une joie puérile.

Gravement elle répondit :

— Je pensais qu’il vous avait été impossible de venir me chercher.

— Impossible ?… Et pourquoi ?

— Zeena était assez mal entrain aujourd’hui…

— Oh ! il y a longtemps qu’elle est couchée.

Il s’arrêta, une question sur les lèvres :

— Alors, vous comptiez rentrer seule à la maison ? reprit-il.

— Bah ! je ne suis pas peureuse.

Ils se tenaient tous deux dans l’ombre qui tombait des sapins. Autour d’eux une solitude infinie et grise se déroulait dans la demi-clarté, sous les étoiles.

Frome insista :

— Si vous pensiez que je ne viendrais pas, pourquoi n’êtes-vous pas montée avec Denis Eady ?

— Eh quoi !… Comment savez-vous ?… Vous étiez là ?… Je ne vous ai pas vu !

Le cri de surprise de Mattie et le rite de Frome se mêlèrent comme deux ruisseaux d’avril à la fonte des neiges. Ethan avait la sensation d’avoir fait quelque chose d’ingénieux et espiègle. Afin de prolonger son effet, il chercha une belle phrase… Puis, dans un brusque grognement d’allégresse :

— Allons, venez ! dit-il.

Il glissa son bras sous celui de Mattie, comme Eady avait essayé de le faire, et il crut sentir une légère pression. Tous deux demeuraient immobiles. Il faisait si noir sous les sapins que Frome pouvait à peine voir la tête voisine de son épaule. Il avait envie d’incliner sa joue contre l’écharpe cerise. Il aurait voulu demeurer là toute la nuit avec Mattie, dans l’obscurité. Elle fit un pas ou deux, puis, de nouveau, ils s’arrêtèrent devant la descente rapide de Corbury. La côte gelée était striée d’innombrables traces de luge : on eût dit une glace d’auberge rayée en tous sens pair des voyageurs de passage.

— Avant le coucher de la lune il y a eu beaucoup de lugeurs, dit-elle.

— Aimeriez-vous faire la descente un soir ? demanda Frome.

— Je crois bien, Ethan ! Ça serait si amusant !

— C’est entendu… Nous viendrons demain, s’il y a de la lune…

Elle s’attarda, se serrant plus étroitement contre lui :

— Ned Hale et Ruth Varnum ont failli donner contre le gros orme, au bas de la pente… Nous les croyions déjà morts… Imaginez quel malheur c’eût été !… Ils sont si heureux !

Le frisson de Mattie se communiqua au bras d’Ethan.

— Oh ! Ned ne sait pas conduire. Mais nous, je suis bien sûr qu’il ne nous arrivera rien, dit-il dédaigneusement.

Il se rendait compte qu’il faisait le fanfaron, comme Denis Eady ; mais la joie subite qu’il éprouvait l’avait grisé, et le ton sur lequel Mattie avait dit, en parlant des fiancés : « Ils sont si heureux ! » lui avait donné l’impression qu’elle pensait à eux-mêmes.

— L’orme est dangereux pourtant, reprit Mattie ; on devrait le couper,

— Auriez-vous peur, si vous étiez avec moi ?

— Je vous ai déjà dit que je n’avais jamais peur, répondit-elle sur un ton de nonchalance. Et, brusquement, elle avança d’un pas plus rapide.

Les sautes imprévues de son humeur faisaient la joie et le désespoir d’Ethan Frome. Les caprices de Mattie étaient imprévisibles comme les tours de l’oiseau sur la branche. Le fait qu’il n’avait pas le droit de montrer ses sentiments et de provoquer, par là, l’expression de ceux de la jeune fille, l’entraînait à attacher une importance excessive à chaque nuance de son regard et de ses paroles. Tantôt il se figurait qu’elle devinait son amour, et alors il tremblait ; tantôt il était certain qu’elle ne le comprenait pas, et alors il désespérait. Cette nuit, le poids de toutes ses peines accumulées inclinait la balance du côté du désespoir, et il ressentait d’autant plus douloureusement l’indifférence de Mattie après l’accès de joie que lui avait causé le renvoi de Denis Eady. Ils montèrent en silence la School-House Hill ; mais en arrivant au sentier qui mène à la scierie, Frome ne put résister au besoin d’obtenir de la jeune fille une parole rassurante.

— Vous m’auriez trouvé tout de suite, si vous n’étiez pas retournée danser avec Denis, fit-il maladroitement.

Il lui était impossible de prononcer ce nom sans une contraction de la gorge.

— Voyons, Ethan, comment pouvais-je voir que vous étiez là ?

— Après tout, ce que disent les gens est peut-être vrai, lui lança-t-il pour toute réponse.

Elle s’arrêta court, et, dans l’obscurité, il sentit qu’elle avait levé son visage vers le sien.

— Qu’est-ce qu’ils disent, les gens ?

— Il serait assez naturel que vous nous quittiez, continua-t-il en bafouillant.

— C’est donc cela qu’ils disent ? répliqua-t-elle sur un ton moqueur ; puis subitement sa jolie voix claire se voila.

— Vous voulez dire que Zeena n’est pas contente de moi ? Est-ce cela ?

Leurs bras s’étaient détachés. Ils se tenaient immobiles et s’efforçaient dans l’ombre d’apercevoir leur visage.

— Je sais bien que je ne suis pas aussi adroite qu’il le faudrait, continua-t-elle, tandis qu’Ethan cherchait vainement ses mots. Il y a un tas de choses qu’une servante pourrait faire, et dont je suis encore incapable. Je n’ai pas beaucoup de force dans les poignets. Si seulement Zeena voulait me dire ce qui ne lui plaît pas, je tâcherais de la satisfaire… Mais vous savez comme elle parle peu… Quelquefois je sens bien qu’elle est mécontente, mais je ne sais jamais pourquoi…

Elle se retourna vers son compagnon, prise d’une indignation soudaine.

— Vous devriez me le dire, vous, Ethan Frome, vous le devriez… à moins que, vous aussi, vous n’ayez assez de moi !…

À moins qu’il n’ait assez d’elle, lui aussi !… Ce cri était comme un baume sur sa blessure saignante. Le ciel d’airain semblait fondre et se résoudre en bienfaisante rosée. Il chercha, encore une fois, à exprimer toute sa pensée ; et de nouveau il ne trouva, son bras posé sur celui de Mattie, qu’à grommeler d’une voix sourde :

— Allons, venez…

En silence ils suivirent le sentier ombragé de sapins, où la scierie de Frome faisait une tache plus noire dans la nuit. Puis ils sortirent de l’ombre, et la campagne ouverte apparut, solitaire et grise sous les étoiles. Tantôt ils traversaient l’obscurité d’une route encaissée, tantôt la pénombre légère que tissait un bouquet d’arbres défeuillés. De loin en loin, une ferme isolée se dressait parmi les champs, muette et froide comme une pierre tombale. La soirée était si calme qu’ils entendaient la neige gelée craquer sous leurs pas. Le bruit d’une branche morte qui tombait au loin retentissait parfois comme un coup de fusil. Un renard aboya, et Mattie se serra contre Ethan, pressant le pas.

Enfin ils reconnurent le buisson de mélèzes planté près de la barrière de la ferme, et, à l’idée que la promenade allait bientôt finir, Frome recouvra brusquement la parole.

— Alors, Mattie, vous n’avez pas envie de nous quitter ? Bien vrai ?

Il dut baisser la tête pour recueillir son murmure étouffé.

— Si je m’en allais, Ethan, où irais-je ?

Ce mot, d’abord, lui déchira le cœur, mais il ressentit une joie profonde de l’accent avec lequel Mattie l’avait prononcé. Il oublia tout ce qu’il voulait dire d’autre et serra contre lui le bras de la jeune fille. À ce contact, il lui sembla que la chaleur de son corps pénétrait dans ses veines…

— Vous ne pleurez pas, Mattie ?

— Non, Ethan, répondit-elle d’une voix tremblante.

Ils arrivaient à la ferme. Près de la barrière, sous les mélèzes, les tombes des Frome, encloses d’une petite palissade en bois, montraient, à travers la neige, leurs pierres rongées par le temps. Ethan les regarda avec curiosité. Tant d’années, ses morts avaient paru, dans leur silence paisible, railler son inquiétude, son désir de changement et d’indépendance ! « Nous n’avons pu nous échapper, nous autres, semblaient-ils dire ; comment pourrais-tu t’en aller, toi ?… » Et, chaque fois qu’il passait la barrière, pour sortir ou pour entrer, il songeait en frissonnant : « Je continuerai à vivre ici jusqu’à ce que je les rejoigne… » Mais aujourd’hui il n’aspirait plus à aucun départ et la vue du petit enclos lui procurait une douce sensation de continuité et de stabilité.

— Nous ne vous laisserons jamais partir, Mattie ! murmura-t-il, comme si les morts, qui eux aussi s’étaient aimés autrefois, eussent conspiré avec lui pour la retenir ; et il pensait, en longeant les tombeaux : « Nous continuerons à vivre ensemble dans cette maison, et un jour elle reposera là, près de moi. »

Il se complut à cette vision tandis qu’ils montaient vers la maison. Jamais il ne se sentait aussi près de Mattie que lorsqu’il s’abandonnait à ces rêves. Au milieu de la pente elle buta contre un obstacle invisible, et se retint au bras d’Ethan pour rétablir son équilibre. La chaleur qui pénétra le jeune homme lui sembla comme le prolongement de son rêve. Pour la première fois, il mit son bras autour de la taille de la jeune fille, et elle ne se déroba point. Ils continuèrent leur route comme s’ils flottaient, un jour d’été, à la surface d’un fleuve paisible.

Zeena avait l’habitude de se coucher aussitôt après le repas du soir. Les fenêtres de la maison, sans auvents, étaient sombres. Au-dessus de la porte les tiges mortes d’une clématite pendaient comme l’écharpe de crêpe nouée au loquet pour annoncer une mort[2], et cette pensée : « Si c’était pour Zeena… » traversa l’esprit d’Ethan. Puis il se représenta distinctement sa femme, qui reposait endormie dans leur lit, la bouche un peu ouverte, son râtelier baignant dans un verre d’eau sur la table de nuit.

Ils firent le tour par derrière la maison, entre les groseilliers raidis par le froid, et gagnèrent la porte de la cuisine : Zeena avait l’habitude, lorsque son mari et Mattie rentraient tard du village, de laisser la clé de la cuisine sous le paillasson. Ethan s’arrêta devant la porte, la tête lourde de rêves. Son bras entourait encore la taille de Mattie.

— Mattie… commença-t-il, ne sachant ce qu’il allait dire.

Sans un mot, elle se dégagea doucement. Alors il se baissa pour chercher la clé.

— Elle n’est pas là, dit-il, se redressant tout d’un coup.

Jamais pareille chose ne leur était arrivée, et leurs regards inquiets se cherchèrent à travers la nuit glacée.

— Peut-être l’a-t-elle oubliée, dit Mattie, d’une voix mal assurée.

Mais tous deux savaient bien que Zeena n’oubliait jamais.

— À moins qu’elle ne soit tombée dans la neige ? continua Mattie après un moment de silence, pendant lequel ils avaient prêté l’oreille.

— Il faudrait alors qu’on l’eût poussée, répliqua Frome sur le même ton.

Une idée folle lui traversa la tête : « Si des chemineaux étaient passés par là, et si… »

Il recommença de prêter l’oreille, s’imaginant qu’il entendait un faible bruit à l’intérieur de la maison. Puis il chercha une allumette dans sa poche, et s’agenouillant, il promena doucement la flamme au-dessus de la neige amoncelée sur les marches du perron. Il était encore à terre lorsque ses yeux aperçurent, en dessous de la porte, un mince rayon de lumière… Qui pouvait bien être debout dans la maison silencieuse ?

Il entendit un pas sur l’escalier, et, pour la seconde fois, l’idée des vagabonds l’assaillit…

La porte s’ouvrit et il vit sa femme.

Sur le fond noir de la cuisine, elle apparut anguleuse et grande, ramenant d’une main sur sa maigre poitrine un couvre-lit de calicot matelassé, tandis que de l’autre elle portait une lampe. La lumière, levée à la hauteur de son menton, éclairait le cou flasque et le poignet saillant de la main qui retenait le châle improvisé. La flamme donnait un aspect fantomatique aux creux et aux reliefs de son visage osseux, encadré de papillotes.

Ethan Frome était encore sous l’impression mystique de l’heure passée avec Mattie et cette apparition avait pour lui la netteté aiguë du dernier rêve qui précède le réveil. Il lui semblait voir pour la première fois sa femme telle qu’elle était.

Zeena s’effaça silencieusement, et Mattie et Ethan franchirent le seuil. L’humidité sépulcrale de la cuisine contrastait avec le froid sec de la nuit.

— Vous nous aviez oubliés, n’est-ce pas, Zeena ? dit Ethan d’une voix enjouée, pendant qu’il frappait du pied sur le plancher pour faire tomber la neige de ses bottes.

— Non, mais je n’ai pas laissé la clé parce que je me sentais si mal que j’étais sûre de ne pas pouvoir dormir.

Mattie s’avança, défaisant son manteau. Ses joues et ses lèvres fraîches avaient l’éclat de son écharpe cerise.

— Je suis désolée, Zeena… Ne puis-je vous être utile ?

— Non, je n’ai besoin de rien, répondit l’autre d’un ton bref, en lui tournant le dos. Vous auriez pu décrotter vos chaussures dehors ! fit-elle observer à son mari.

Elle sortit de la cuisine la première, et s’arrêtant dans l’entrée, elle haussa la lampe à bout de bras pour éclairer l’escalier.

Ethan s’arrêta, lui aussi, au moment de monter. Il affectait de chercher la patère, afin d’y accrocher son manteau et sa casquette. Il songeait que les portes des deux chambres à coucher se faisaient face sur l’étroit palier. Et ce soir, tout particulièrement, il lui répugnait que Mattie le vît suivre sa femme…

— Je ne vais pas monter encore, dit-il, se détournant pour rentrer dans la cuisine.

Zeena s’arrêta et le dévisagea :

— Grand Dieu ! Qu’allez-vous faire ici, à cette heure ?

— Il faut que je vérifie les comptes de la scierie…

Elle continua de le regarder. La lumière dure de la lampe soulignait avec une cruauté impitoyable les lignes renfrognées de son visage.

— À cette heure-ci ? Mais vous allez attraper la mort ! Le feu est éteint depuis longtemps.

Sans répondre, il se dirigea vers la porte. Mais, à ce moment, son regard croisa celui de Mattie, et il eut l’impression qu’un fugitif avertissement luisait entre ses cils. Pris ils s’abaissèrent sur ses joues roses, et elle commença de monter devant Zeena.

— C’est vrai, balbutia Ethan, il fait terriblement froid ici !

Et, la tête basse, il emboîta le pas derrière sa femme. Après elle, il franchit le seuil de leur chambre.



  1. Petit traîneau léger à deux places.
  2. Coutume américaine.