Sous le signe du quartz/08

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Texte établi par Édition Bernard Valiquette,  (p. 155-184).

VAL D’OR ET CE QUI L’A FAIT NAÎTRE


Val d’Or !… le joli nom ! On dirait le titre d’un poème à la gloire du bienheureux métal qui domine les espoirs de milliers de vagabonds de l’aventure, de prospecteurs errants, perdus dans la brousse, désespérément accrochés aux problématiques effleurements et dont tous les efforts oscillent entre les journées d’un travail épuisant et vain et l’attente de lendemains glorieux !…

Val d’Or !… est-ce plutôt une fulgurante histoire du métal tout puissant, de gisements, creusets de la convoitise et de la puissance humaine… où brille le mirage de l’or des Amériques qui hantait les rêves des aventuriers navigateurs dès la fin du XVe siècle ; qui lança les lourds bateaux espagnols sur ce qu’on croyait être la route nouvelle des Indes aux richesses de légende… Mines d’or et d’argent dont l’emplacement est arraché par les conquistadors portugais aux Indiens suppliciés… premiers aventuriers venus d’Europe sur des frégates vermoulues, tremblant de désir et de terreurs superstitieuses, ravageant l’Amérique naissante !…

Val d’Or !… est-ce l’évocation des grandes ruées historiques, des jours fabuleux de la fureur du grand « rush » alaskien ; de la course de centaines de milliers de rudes hallucinés vers les rives de l’Amérique du Sud à travers les dangers de l’humide et traître forêt vierge ?…

Encore que les petites villes du nord-ouest de Québec soient surgies de terre en peu de temps, on ne peut dire qu’il en fut comme dans le Haut Yukon, où des villes-champignons sont nées en une nuit, au bord d’un lac ou d’une rivière, comme Bennett City qui, au fort de la grande ruée de 1898, se construisit et abrita 10,000 aventuriers en vingt-quatre heures… Il est vrai que ces villes ne sont plus aujourd’hui habitées que par des colonies d’écureuils ou autres bêtes qui ont pris possession des cabines abandonnées par les hommes.

En sera-t-il ainsi, un jour, de Val d’Or ? Viendra-t-il un temps où les maisons et les édifices de Val d’Or, effondrées, prendront mine de caricatures, héritières de toutes les malfaçons humaines, ici, boiteuses, là, bancales, ailleurs, bossues, partout, eczémateuses ?…

Val d’Or !… est-ce une de ces petites villes-souricières où le gangster s’en va guetter la sortie des mineurs chanceux ; où s’organisent, en tout premier lieu, les trois genres d’entreprises qui aident à dépouiller subito presto, le nouveau riche d’une richesse trop rapidement acquise : le bar, le tripot, la prostitution ?… Y a-t-il là un Soapy Smith, un Sleepy Joe ?… Et combien de malheureux se laisseront-ils dépouiller au poker, enivrer au bar et entôler par les filles ?…

Non, rien de tout cela à Val d’Or.

« Au commencement étaient les épices », écrit Stefan Zweig en commençant un funambulesque récit des expéditions de Fernando de Magellan à la recherche de la route des Indes pour le compte de l’Espagne… Au commencement, en Abitibi, était la grande forêt résineuse éternellement verte où vivaient en une douce liberté de débonnaires familles indiennes. Trois siècles pleins s’étaient écoulés depuis que Jacques Cartier avait planté la croix aux fleurs de lys sur les hauteurs qui dominent la baie de Gaspé quand les premiers blancs pénétrèrent dans cette partie du « Wild » québécois. Jusqu’alors, on avait défriché, fondé et bâti des villes et des villages tout le long du Saint-Laurent dont on n’avait pas voulu, semble-t-il, s’éloigner des rives, pas plus qu’on ne voulait quitter les grands lacs et les plaines de l’Ouest. On n’avait pas encore osé, à part les tentatives, bien réussies d’ailleurs, du Saguenay et du Lac Saint-Jean, franchir les Laurentides pour tenter un peu du nord.

Mais au début du siècle présent, avons-nous vu, qui décida, par la construction d’un chemin de fer, commencé en 1905 et terminé dix ans plus tard, d’ouvrir aux colons canadiens la zone argileuse dûment arpentée, du Nord-Ontario et du nord-ouest de Québec. Mais alors on ne parlait pas encore de l’Abitibi.

Le benjamin des comtés de la province de Québec ne devait pas tarder à prendre vie.

En 1908, le gouvernement provincial, voulant favoriser les projets de Sir Wilfrid Laurier, fit subdiviser les cantons de cette région en lots de culture. Trois années plus tard, le fer de lance des deux rails du Transcontinental s’allongeait démesurément sur ces immenses campagnes désertiques, ici hérissées de brousse, là, dentelées de forêts touffues. Et ce fut cette année-là qu’on choisit, sur les bords de l’Harricana, l’endroit du chef-lieu du futur comté de l’Abitibi : Amos. En même temps, on jetait les bases d’un futur diocèse. En effet, S. E. Mgr Latulippe, alors que le gouvernement marquait la place d’Amos, indiquait l’emplacement de la première église de cette région lointaine. Le premier agent des terres, M. Hector Authier, arriva sur les lieux ; puis les colons commencèrent à affluer qui lancèrent, avec l’ardeur qui caractérise notre race, une première offensive contre la forêt vierge. Renouvelant les prouesses de ceux qui, venus avant eux, colonisèrent la vallée du Saint-Laurent, ils surent vite renverser des obstacles quasi insurmontables. En moins d’un quart de siècle, ils accomplirent une œuvre formidable : des villes, plus de trente paroisses, une dizaine de missions, de 800,000 acres de terres acquises, plus de 150,000 acres en défrichement et en culture ; une exploitation forestière qui produit plus de trois millions de dollars par année ; bref, un comté nouveau ajouté sur la carte électorale du Québec.

Les prospecteurs devaient venir après les colons et remplir une non moins formidable tâche : celle d’ajouter, à même le sous-sol de cette partie du pays, à la richesse du monde, en or, la somme de plus de cent millions en quelques années seulement. Honneurs aux pionniers de l’Abitibi ; colons, forestiers, prospecteurs !

On a chanté, en maintes occasions, l’épopée colonisatrice du nord-ouest du Québec. Mais on ne connaît pas encore suffisamment les émouvantes péripéties de la « stampede » de cette nouvelle Alaska qui ne ressemblera jamais cependant à celle qu’a suivi la ruée, tragique souvent, et qui a provoqué la naissance de San Francisco, accompagnant en 1849 le débarquement de 80,000 aventuriers venus de tous les coins du globe ; celle qu’a vu se dérouler Melbourne qui, en trois hivers, voyait passer 100,000 prospecteurs en route pour les placers australiens ; enfin, celle du Klondyke qui reste un mouvement presque unique au monde, unique par les souffrances qui attendaient les 70,000 hallucinés accourus de tous les points du monde, chercheurs d’or improvisés, pour la plupart, ignorant tout du « Wild » arctique et de son terrible climat qui, en quelques mois, faisait périr, entre Stagway et Dawson, des milliers de malheureux, les uns gelés, les autres engloutis par les avalanches, ceux-ci noyés, ceux-là, victimes des fièvres et du scorbut…

Non, rien de tout cela dans la ruée pacifique, débonnaire, calme, vers notre nord-ouest québécois…

Val d’Or est la dernière-née de nos villes minières. Elle a surgi soudain de la plaine abitibienne, issue de la route, peut-on dire ; la route qui part d’Amos, qui pénètre dans la vallée du lac de Montigny ; petite route de colonisation d’abord mais qui se prolongea vite à travers tout le pays ; qui désormais, bien vivante, se dirige vers les rivages imprévisibles de l’avenir.

Et avec la route arrivent, sur cette bande de terre entre les lacs de Montigny et Blouin, les premiers « squatters ».

Un, deux, trois, quatre « shacks » de troncs équarris, pas même écorcés, lutés aux interstices, d’argile et de mousse. On aurait dit un camp de nomades. Des tentes dressaient aussi, ici et là, leurs formes irrégulières, carrées ou coniques, trouées par le tuyau d’un fourneau improvisé avec un vieux fût d’essence ou une caisse de fer blanc. On les voyait disséminées au milieu de petites clairières taillées dans la brousse, couvertes de boîtes de conserves vides, de cendres grises et d’ordures.

Le début d’une nouvelle conquête de l’homme sur la nature !… On sent encore autour de la future ville l’indéfinissable parfum des espaces, des steppes et des collines inviolées, des bois impénétrables, des terres en friche, de la neige, des bourrasques : le halètement de la vie sauvage !…

Ensuite, ce ne fut pas long. Durant quelques saisons le petit village fut en proie à une curieuse animation. Des camions, des chariots grossiers venus dont on ne sait où stationnaient ou circulaient un peu partout dans les rues à peine tracées, ou plutôt dans des cloaques où stagnaient toutes les eaux du ciel et du sous-sol. On chargeait et on déchargeait des tonnes de marchandises, des meubles et des pièces mécaniques. Les essieux grinçaient sous le poids. Les voitures déchargées faisaient place à d’autres surchargées. Et, dans les simili-rues, pataugeaient en bottes à jambes, des hommes et des femmes de toute nature ; des êtres aux visages énergiques, curieusement vêtus ; Canadiens, Anglais, Irlandais, Polonais, Russes, Roumains, Suédois, noirs, blancs et blonds, jaunes, tous voulant prendre part à la ruée abitibienne, venant s’embaucher comme mineurs ; tous gens de race impétueuse et tumultueuse qui venaient là lancer leur vie dans l’avenir, selon l’expression de Nathaniel Hawthorne. Ils venaient de tous les coins du monde, leurs états civils incertains les uns aux autres…

Curieuse encore à observer, aujourd’hui, la population de Val d’Or, surtout par un jour de paye alors qu’à la devanture de toutes les boutiques s’étalent des annonces de cette nature : Pay Day Sales. Tout le monde dans les rues ; et l’on pense un peu à la Tour de Babel.

Car Val d’Or est un « melting pot », un creuset où l’on cherche à amalgamer des métaux hétéroclites. Et comme il arrive d’ordinaire dans ces villes cosmopolites d’apparence américaine, on remarque un rayonnement propre extraordinaire qui a pénétré immédiatement tous les nouveaux venus à base d’optimisme, d’élan, de hardiesse, un sentiment juvénile, un dynamisme, l’idée que tout est possible… Mais cette confiance unanime en l’avenir ne transforme pas en un jour le caractère inné que chaque race porte au plus profond de la moelle. Encore moins modifie-t-elle les traits du visage, la structure du squelette, le dessin du crâne, la couleur des cheveux et la peau.

Aussi, huit fois sur dix, l’observateur, sur la vérendah de son hôtel, peut-il identifier les individus divers qu’il voit passer devant lui, simplement par l’apparence ; voici un Juif, un Polonais, un Russe, un Irlandais, un Canadien, etc.


Deux saisons se sont à peine passées que dans la nouvelle concession, des maisons de planches et de cartonnage, prenant la place des « shacks » et des tentes, se pressaient les unes contre les autres, s’épaulaient, se soutenaient, ayant poussé l’une à côté de l’autre, comme champignons après une averse, toutes présentant un aspect chaotique et désordonné. Elles s’esquissaient, de tous similis, comme du linge à sécher sous le soleil qui, certains jours, prend sa revanche de la récente chute de pluie. Légères ou massives, hautes ou massues, droites ou de guingois, quelques-unes toujours en construction, en « perpétuel devenir », elles étaient, chacune, de modèle différent, car les prospecteurs les élevaient de leurs mains avec l’aide de « lumbermen ». Les matériaux étaient uniformément les mêmes : parois de bois recouvertes de carton bitumé.

Les débuts de Val d’Or rappellent un peu ces films brutaux de l’Ouest qu’aime l’Amérique et où l’on voit se faire et se défaire des fortunes. Ils rappellent aussi ce que fut, au Havre, la Côte, telle que décrite par Balzac dans « Modeste Mignon » ; ou encore ce que furent les « folies » des prospecteurs de la Californie ; ou celles de Tulsa, dans l’Oklahoma, capitale mondiale du pétrole. Là, l’huile a construit les églises, les hôtels, les théâtres, les banques, les jeux de golf et de tennis. Ici, c’est l’or et le cuivre du sud du Bouclier Canadien…

Le trait remarquable de Val d’Or, c’est la foudroyante rapidité de sa croissance. Curieuse ville qu’on dirait sise dans un autre pays que le nôtre et en une autre époque, pour nous, habitués au lent épanouissement de nos villes et de nos villages où travaille la patine des temps. À côté d’imposants buildings, des maisons sordides ; un hôtel du dernier moderne écrase à ses pieds un «  shack » en bois rond. Tout au long de la « main street », des restaurants, des échoppes de toutes devantures, des « filing stations » aux pompes rouges, des « drugs stores » où l’on trouve des « ice cream sodas », des magazines, du papier à lettres, et même des produits pharmaceutiques.

Et la ville s’estompe, se dessine.

En moins d’un an, des cabarets, des échoppes, des magasins, des cafés-grill-rooms avaient surgi du sol comme par magie, semblait-il. D’humbles cahuttes étaient devenues, du jour au lendemain, de prétentieux magasins… Les rues se dessinaient, se croisaient, traversées déjà d’enseignes : « Dentist », « Law Office », — Déjà !!… Ici, là, un « Royal Hotel », un « Home Lunch and Pastry »… Tout prend, malheureusement pour le caractère du Canada Français, allure américaine ou anglaise… Une petite ville assez incohérente…

Déjà, on rencontre des « gamblers » dans des salons de jeu, des « bootleggers » dans des tavernes ; des amateurs de « bowling », des hommes et des femmes pris de la fièvre du jeu. Sur les tapis verts du billard anglais, les boules numérotées s’entrechoquent, s’arrêtent au bord des poches d’angle et s’y précipitent, accompagnées de clameurs de joie ou d’imprécations rageuses, tandis que s’égrènent, à côté, les notes grêles des pianos mécaniques et que s’escriment les « crooners » sur des disques de phonographes asthmatiques…

Mais tout de suite après, voici l’enveloppe extérieure d’un quartier où des maisons neuves élégamment rustiques, aux façades décorées de plantes grimpantes variées, les égaient de couleurs vives auxquelles les murs apportent une note rouge brique, s’élèvent au milieu de jolis « rock gardens ».

Ici et là, dans la minuscule banlieue, maisons et cahuttes comportent un bout de jardin prétendu cultivable, où pourront éventuellement pousser quelques légumes et s’épanouir quelques fleurs… Il y a dans cette nouvelle agglomération, un peu de la ville et un peu de la campagne. Val d’Or veut se hausser vite au rang d’Amos et de tous les autres gros villages abitibiens. Car, vite, en l’espace de moins de vingt ans, le pays a aligné ses champs, ses maisons, érigé ici un clocher, là une usine…

Tout à l’entour de la ville, c’est encore le paysage ordinaire des villes minières ; paysage mécanique, plutôt désolé. Ici et là, au nord, au sud, tout proche, là, plus loin, l’entrée d’un puits surmonté de l’ordinaire charpente de noir gris, sorte de tour carrée qui ressemble à une mante religieuse. On devine, au fond, des insectes géants qui dévorent les entrailles de la terre. Çà et là, des derricks métalliques et de minuscules usines quand il n’y a pas, dans les environs, le puissant « smelter ». Et se dressent sur fond de forêt vierge, les broyeurs de minerais, les chevalements, les rames métalliques des fils électriques, le tout s’élevant dans un cirque désertique dont la toile de fond, uniformément ocrée, est faite de collines arrondies, se détachant avec netteté sur le ciel…

En effet, au milieu de la plaine, au sein du « brûlé » où, autrefois se massait une forêt de pins, des constructions élèvent en des complications sans fin, leurs inquiétantes carcasses de bois, d’acier et de béton qui, comme de grands vaisseaux, abritent une autre ville humaine et mécanique : élévateurs, broyeurs et laveurs de minerais, tamis fonctionnant déjà à plein rendement ; les hommes allant et venant autour des machines, les contrôlant avec des gestes précis et rares. Ils travaillent avec acharnement car ils aiment la mine, la terre et le roc retournés que livrent leurs entrailles de métal. Ils ne savent rien de plus beau que la fumée qui sort des cheminées de leurs usines ; ou que la neige, en hiver, foulée et répandue en un glacis jaunâtre qui fait trottoir autour des broyeurs… Ils aiment leurs chantiers ruisselant de ciment frais, les sémaphores, les grues, les vannes, les wagonnets, les convois, tous accessoires ibséniens d’une poésie à l’odeur forte et où tous ces enfants de l’industrie envahissante dégagent des preuves de courage et de puissance qui font couler de robustes courants de satisfaction dans leur âme, la besogne accomplie…

Puissent ces frères farouches ne jamais écouter ces ambitieux venus de la patrie des vents contraires, qui veulent les détourner de la grande voie des hommes pour les égarer dans les sentiers des rêves égalitaires…

Tout le terrain ambiant est gonflé de boursouflures et de raboteuses collinettes ; bouleversement du sol sans grandeur avec un fond d’arbres grêlés ou hérissés de grues aux bras noirs, parsemé de baraques qui violent la sérénité de la solitude. Tout cela tient un peu du chantier, du terrain déchiré par des obus ou par une érosion cutanée qui aurait mordu le sol de sa lèpre. Ici et là, aux mines même saigne l’écorchure des diggings : une glèbe cuivreuse qui se convulse en escarpements tortueux, se fore en plaines inégales, peuplées d’autres hommes acharnés à corroder du pic un tissu qui résiste et se défend… Là, des déblais tassés par la pluie ont laissé couler sur un fond d’herbe pâle leurs traînées argileuses, vite figées en paraphes d’abandon…

À la vérité, on n’aime guère en général ce genre de ville : comme tout le moderne, il est de n’importe quelle ville.

Somme toute. Val d’Or, telle qu’elle est, encadrée de douces collines légèrement boisées, élargissant l’horizon, est une petite ville avenante. Et puis, elle commence et finit là ; nul vestige de banlieue, si l’on excepte la jolie petite ville de Bourlamaque qui est comme son quartier fashionable. Dès la sortie de la ville, le rail déroule son long ruban d’acier à travers des bois de sapins et de bouleaux, parsemés de minuscules défrichements de colons sur lesquels veille le classique « campe » de bois rond à queue d’aronde. Car en pays abitibien, le défrichement de la forêt voisine l’exploitation de la « couleur » ; la destruction du vert végétal à côté de l’extraction du jaune… Ou encore, l’or des blés futurs à côté de l’or tout court… Changement de disque avec une soudaineté de commutateur.

En effet, tout de suite après la vision plutôt âpre de cette ville-champignon, un peu cahoteuse, voici dans les entours un bienfaisant repos pour l’œil et pour l’esprit dans un paysage taillé à la mesure de l’homme ; nappes de verdure, lacs capricieux reflétant un ciel gris-perle, rubans de route flottant à travers des boqueteaux, tout se nouant et se dénouant comme une voltigeante écharpe à la brise ; ensemble ordonné et délicatement varié…

Le Bon Dieu aura visité Val d’Or deux fois ; la première fois ce fut pour créer la ville en six jours, comme la terre — le mot jour en hébreu voulant dire année — et la deuxième fois, ce sera, après un nombre indéfini d’années, pour l’abandonner.

Sans qu’il soit besoin de forger des légendes, l’histoire des villes minières est assez extraordinaire par elle-même ; et il n’est point nécessaire que, comme Dawson, elles donnent en une année vingt-deux millions au monde. Il y a de ces villes qui, en une nuit, se sont élevées comme au milieu d’un champ de bataille bombardé et que l’imagination aurait pu soumettre à une série d’inondations, de cyclones, de tremblements de terre ; quelque chose qui ferait le bonheur d’un metteur en scène germanique en quête d’un cadre où pouvoir filmer la fin du monde ; topographie lunaire, cauchemardesque ; paysage fantastique !…

D’autres ont surgi de la plaine paisible, dans un pays qui n’était que verdure, nappes d’eau, forêts et silence, et les premiers mineurs qui y arrivèrent, s’ils n’avaient pas été possédés par tout leur être de la trépidante fièvre jaune, auraient pu avec délice comme boire la première gorgée d’une coupe que Dieu avait remplie le jour de la création… Alors que leurs camps présentent le spectacle d’un retour à la nature où toutes les distinctions sociales, les simagrées du monde civilisé sont abolies, où les hommes, issus des milieux les plus divers, recommenceraient dans le calme de la nature primitive, l’évolution de la société humaine… Ils vivent, d’abord, sous des tentes de toile, puis dans des baraques de grumes ; puis, tentes et shacks se transforment en des maisons de planches de bois…

Il en est enfin qui se sont élevés au sein de grands « brûlés », tristes à faire pleurer, où l’humus qui recouvre le sol fait deviner les grands pins qui dressaient là leurs fûts ainsi que des colonnes de cathédrales modernes et jusques au ciel élevaient leurs ramures bruissantes d’aiguilles fines… Mais le « monstre rouge », un jour, passa par là et de sa langue rugueuse et meurtrière rasa tout, ne laissant que l’humus qui recouvrait le quartz révélateur des filons aurifères qu’un heureux hasard, un jour, fait découvrir. Et deux ans plus tard, une ville s’édifiait sur ces « brûlés ».

Ainsi naquit Val d’Or, nom prometteur des fortunes des eldorados abitibiens…

À une époque où nous souffrons d’un excès de tout, d’une pléthore de doctrines et de problèmes de toute nature, nous pouvons encore, heureusement pour notre sensibilité, nous faufiler dans certaines régions du merveilleux, même aux portes de ces laboratoires de poésie latente où le monde indéfiniment se renouvelle. On pourrait même dire que jamais le merveilleux — que l’on croyait bien mort avec les loups-garous et les feux-follets — n’a été aussi dense, aussi touffu qu’aujourd’hui. Même que le merveilleux d’autrefois, au regard de celui d’aujourd’hui, fut assez pauvre et généralement subjectif. Le répertoire des loups-garous, du diable à griffes et à cornes, des farfadets, des feux-follets était plutôt restreint. Tout autre est la poésie du merveilleux moderne qui est partout dans ce qui nous entoure, qui nous frôle, qui surgit à chaque pas que nous faisons. Il se révèle dans tous les événements que rapportent froidement les journaux. Nous nous plaisions, dans notre enfance, aux contes où des êtres merveilleux prenaient naissance et s’emparaient de nous jusqu’à ce que la raison les eut réduits à néant. Oh ! les contes de notre enfance !…

Mais les contes modernes… que nous racontent sans le savoir les journaux !… Ils sont plus nombreux, plus épars, plus bourdonnants que jamais ; et si pleins de merveilleux !

Du merveilleux ?… Mais oui, à la portée de notre œil, de notre oreille. C’est tout ce qui se passe autour de nous. Le merveilleux, ce sont les avions « hurricanes » qui sillonnent l’air à quatre cent milles à l’heure ; c’est le cheminement de la télévision à travers les orages de l’espace ; c’est la transfusion du sang d’un individu dans les veines d’un autre ; c’est la piqûre d’un sérum psycho-psychologique ; le ski nautique, les modernes jouets mécaniques, les dessins animés, le rasoir électrique ; c’est le rayon ultra-violet ; c’est la machine à écrire, qu’on emporte en avion ; c’est la photographie d’une reine-abeille pondant entourée de sa cour ; c’est… c’est encore une fois, tout ce qui nous entoure, nous environne, nous précède, nous accompagne, nous suit ; c’est, en un mot, la vie moderne.

C’est l’éclosion de villes ordonnées, cataloguées, classées en quelques mois seulement parmi celles, avec leurs privilèges, que des années et des années, des siècles même, se sont acharné à édifier.

Quand un petit village canadien a demeuré jusqu’aujourd’hui ce qu’il était du temps de Champlain, peut-on s’imaginer que, de nos jours, à tout au plus cent milles de là, une sommaire agglomération de tentes de toile et de « shacks » de rondins devienne, après tout au plus trois ans, une ville avec son gouvernement municipal, toutes ses roueries administratives, les tricheries les plus modernes du commerce et de l’industrie ; avec à la fois tout ce qui distingue la ville où se seraient réjouis les héros de Nathaniel Hawthorne, et où peut s’étendre le règne des gangsters américains à côté du code rigide et sage de la loi canadienne ?…

Et le voilà, le merveilleux moderne !…

Tout ça s’est bâti en moins de deux ans, et tout ça aurait même pu être bâti en quatre mois. Le monde se banalise vite, quoi !…

Mais il est temps de revenir à Val d’Or.

En 1933, au milieu des brûlés de cette partie de l’Abitibi, pas plus de Val d’Or, dirait l’autre, que sur la main ! Il n’y avait là ni route ni chemin de fer. La solitude absolue ! Peut-être, ici et là, un sentier, début de route, cahoteux, serpentant à travers un terrain où le soleil parfois gravait de surprenantes eaux-fortes ; un mineur qui regagne son claim, un colon qui cherche du bois, un chasseur en quête de gibier.

Mais, dans les environs, on distinguait les chevalements et les cheminées d’usines des mines productives de la région… Les compagnies mirent peu de temps à forer la terre. Elles ont distribué partout l’acier, les échafaudages, les étais, les moteurs, les turbines, les pompes, l’eau, le fer et le feu, le tout en une orgie industrielle inspirée par les colossales visions d’une cité future… De ce « veld » abitibien où l’ours menait naguère sa quête méfiante, elles ont fait un chantier rougeoyant d’éclairs cyclopéens, parsemé d’usines souterraines dont la palpitation envoie mourir ses ondes très loin, bien au delà du hérissement des grues, de leurs passerelles et de leurs lacis de fer…

Il y eut un temps où pour forcer la terre à livrer ses trésors, l’homme avait assez d’une pelle, d’une pioche, ou d’un tamis, d’un plat et de l’eau. Cela peut à la rigueur suffire encore où le métal est marqué d’alluvions, sur les bords des rivières. Mais quand la roche l’emprisonne, c’est plus dur et plus compliqué. Le travail se fait à l’usine, dans le tonnerre des machines et l’homme n’est là qu’à la sortie, pour recevoir la pierre nue. Et ici, l’usine est étrange et redoutable : un édifice à plusieurs étages, percé à jour comme un échafaudage, pareil à l’infrastructure enchevêtrée d’une tribune monstre. D’étroits sentiers de planches, des escaliers en bateau, des plate-formes pendues à mi-hauteur des poutres composent un inquiétant labyrinthe, déconcertant pour le profane. Et un énorme tremblement fait vibrer sans arrêt cette masse. On ne peut plus parler et on voit mal.

La naissance brusque, sans souffrance, d’une ville minière est toujours une sorte d’aventure. Dans le cas de Val d’Or, elle nous apparaît sous les espèces de deux hommes aux noms de consonance étrangère, solides, en quête de travail et, naturellement, d’argent ; futurs « diggers » peut-être : mais le sort en disposa autrement.

Bill Fergusson et Bill McEfer cherchaient aventures dans le pays. Pour des raisons que nous n’avons pas à révéler, ils ne purent trouver du travail aux mines Stabel et Siscoe. Alors, ils s’en allèrent se construire un « shack » à mi-chemin entre ces deux mines. Dans cette échoppe en planches de sapin et en tôle ondulée sur laquelle la pluie résonnait comme un tambour, ils vendaient de tout aux mineurs qui passaient par là. La plupart s’y enfermaient sous couleur de repos. Les cloisons de la cahutte étaient tapissées d’annonces et d’avis annonçant que l’existence ne vaudrait pas le prix d’une chique de tabac sans le gin X et le whisky Z. Tous ces hommes étaient de hauts gaillards à face recuite, négligés de mine, de race indécise, le verbe haut, qui se saluaient en russe, en anglais, en polonais ou en français, mais toujours avec le même accent.

On appela l’échoppe des deux Bill « The Pioneer »… Puis ce fut, tout près de là, une boutique de barbier, puis un débit clandestin d’alcool, deux ou trois boîtes de nuit, d’autres magasins, voire un théâtre…

Tel fut le début de Val d’Or. Début un peu inquiétant à la vérité. La future ville recèlera-t-elle le même afflux de joueurs, de débauchés, de voleurs et d’ivrognes qui a marqué la naissance de la plupart des villes minières de la Californie, du Klondyke, de l’Afrique du Sud ? Toutes les passions, toutes les cupidités qui, tels des loups qui suivent la piste des caribous, vont-elles également s’attacher au pas des mineurs abitibiens ? Le règne des gangsters va-t-il s’étendre sur la région ? Non, deux ans après l’établissement du « Pioneer », Val d’Or obtenait sa charte du gouvernement de Québec ; et ce fut aussitôt le règne de la loi et de l’ordre. Alors s’élevaient une quarantaine de constructions disparates habitées par des gens de métier, des commerçants. La Compagnie Harricanaw subdivisa ses terrains en lots à bâtir qu’elle mit en vente. Et puis, commença l’arrivée des familles ; d’autres mineurs qui s’abattirent sur ce coin du pays abitibien, comme sauterelles sur blé vert. Ils venaient de Québec, de La Tuque, des Trois-Rivières, bref d’un peu partout de l’est de la province. Dans l’automne de 1935, une route relia la nouvelle ville à Amos, puis une autre à Noranda. Enfin, un tronçon des chemins de fer nationaux mit Val d’Or en communication directe avec Montréal par Senneterre et, via Noranda, avec Toronto.

Et Val d’Or grandit, grossit comme une bulle d’air. En 1935, lors de la première évaluation municipale — l’année de la charte — les propriétés avaient une valeur de $387,000 ; en juillet 1937 l’évaluation atteignait $1,200,000 ; en décembre de cette année-là, $2,300,000. On ne comptait pas les mines dans ces évaluations.

En 1934, alors que Val d’Or n’existait qu’en rêve, on comptait 500 hommes dans l’Île Siscoe, cent peut-être à Green Stabel — maintenant Jacola — une quarantaine à Sullivan. Les mines Lamaque et Sigma étaient à l’état embryonnaire. Quatre ans plus tard, en 1938, toute la région est une ruche en activité : « fervet opus », eut dit Virgile. Tous les terrains de Val d’Or sont vendus et le grand problème est celui de la construction des maisons d’habitation. Les prix de vente d’un lot à bâtir ont grimpé de $200.00 et

$500.00 à $1,500 et $2,000. On achetait un lot $200.00 et, huit mois plus tard, on le revendait $6,500 ; un édifice est acheté $400.00 qu’on vend, quelques mois plus tard, $13,000.

Il ne pouvait en être autrement quand on sait que cette région de Val d’Or produit le tiers de la production totale de Québec, soit dix millions, et que les salaires qui sont payés dans ce coin du pays s’élèvent à $350,000 par mois.

Nous voilà loin de la misérable bicoque des deux Bill — Fergusson et McEfen — enfoncée dans les marais des brûlés qui s’étendaient entre les lacs de Montigny et Blouin.

En 1934, une cahutte de planches ; en 1938, une ville, métropole de la chaîne de mines d’or qui s’étend du nord-ouest de Noranda à Senneterre ; ville peut-être chaotique et désordonnée, surgie par la vertu des dieux de l’or, du sol, comme un champignon, avec ses constructions de cartonnage, ses rues marécageuses ; mais ville qui accuse la vigueur et l’énergie, même des vices qui voisinent avec toutes les vertus du dévouement et de l’apostolat représentées par les trois prêtres, bons et dévoués qui desservent une ville de 5,000 catholiques, qui possède une église de 1,100 sièges, et par les religieuses qui dirigent un hôpital dont l’organisation moderne peut rivaliser avec toutes les autres institutions charitables du pays…

Mais de quoi vit Val d’Or, cette ville de 9,000 âmes ? Des mines, quoi ! De quelles mines ? Elle en est entourée. Val d’Or est la capitale de l’une des plus riches zones minières de l’Amérique. Du sommet de la « Gold Hill », on peut compter les cheminées fumantes de sept mines productrices. Sur la route de Noranda à Senneterre, de la rivière Harricana à la mine Perron-Pascalis, la distance est de soixante-quinze milles. On pouvait voir, sur cette distance, en 1937, dix-sept mines qui produisaient. Cinq ans auparavant, le filon qu’exploitent les propriétaires de ces mines était à peine piqueté. Les mineurs sont venus d’un peu partout ; d’Amos, du sud, par terre, par eau et par l’air. Entre Noranda et Senneterre vivent de la mine pas moins de trente mille personnes. À l’ouest de Val d’Or, après avoir traversé la rivière Thompson ou Piché, on tombe sur le groupe des Malartic, puis celui de Cadillac et, avant d’arriver à Noranda, on rencontre la riche mine O’Brien, la McWatters. Enfin, franchie l’Harricana, voici Noranda-Rouyn. Il est curieux, en passant, de constater la position jumelée de ces villes minières : Rouyn-Noranda, Val d’Or-Bourlamaque, Cadillac-Petit-Canada, Perron-Pascalis…

C’est la mine Lamaque qui est la plus rapprochée de Val d’Or. Cette mine, contrôlée par la « Teck Hughes Gold Mines » a donné naissance à la jolie ville de Bourlamaque remarquable par ses villas en logs entourées de « rock gardens ». C’est la plus riche mine d’or appartenant à des particuliers. Ses ateliers entrèrent en opération le 9 avril 1935 et avaient une capacité de 500 tonnes par jour. Elle dépasse maintenant mille tonnes. Au 1er  juin 1938. la réserve de la « Lamaque Gold Mine » était de 658,550 tonnes. La teneur moyenne du minerai est de $11.50.

Val d’Or vit encore de la « Siscoe Gold Mine Ltd » qui, jusqu’en 1938, venait immédiatement après Noranda pour la production de l’or, mais la Lamaque l’a dépassée de ce côté. Cette défi­cience toutefois ne veut pas dire que la Siscoe est épuisée. Elle s’est même enrichie en 1937, de 275,1’5 tonnes de minerai nouveau et sa ré­serve totale était en janvier 1938, de 526,448 tonnes d’une teneur moyenne de $11.25.

On voit encore, aux environs de Val d’Or, la « Sigma Mines (Quebec) Ltd », située sur les terrains que la « Read-Authier Mines Ltd » fit piqueter, après avoir cédé ses droits sur la pro­priété Lamaque. Il y avait à peine un an que l’on exploitait la Sigma qu’il fallut doubler la capa­cité de ses ateliers en la portant, en septembre 1938, à 600 tonnes. Son minerai est moins coû­teux à extraire que celui de la Lamaque.

Et puis, il y a encore la « Sullivan Consoli­dated Mines Ltd » qui opère avec profit tout près du lac de Montigny, depuis 1936, et dont la réserve en 1938 suffisait pour une exploitation régulière de deux ans à 150 tonnes par jour ; puis, plus à l’ouest, la « Shawkey Gold Mines Ltd », ancienne mine Martin qui fut la première mine à l’ouest de Québec à avoir son atelier. On l’exploita toujours avec certaines difficultés mais avec assez de succès pour annoncer en 1938 une production d’au delà de 800,000 $, depuis 1936, année de sa mise en exploitation ; et, à l’est dans le canton Senneville, on voit encore la « Perron Gold Mines Ltd » dont les progrès rapides, depuis 1936, ont forcé ses propriétaires à doubler la capacité quotidienne de ses moulins, qui est de 350 tonnes par jour.

Maintenant si l’on s’éloigne de Val d’Or, à une vingtaine de milles à l’ouest, après avoir traversé encore une fois la rivière Thompson, on arrive au groupe des Malartic : « Canadian Malartic », « Malartic Goldfields », mines très riches qui ne sont pas étrangères à la naissance de Val d’Or, et qui ont fait surgir en plus la coquette ville de Malartic qui, en 1937, n’était qu’un village de quelques centaines de familles mais prit vite les allures de la ville qui fait aujourd’hui l’admiration de ceux qui passent sur la route Noranda-Senneterre.

Assez longue et assez mouvementée serait l’histoire de la « Canadian Malartic Gold Mines Ltd » qui fut piquetée en 1923. La mise en valeur de cette mine fut opérée par la « Malartic Gold Mine Ltd » dont la tentative eut plus ou moins de succès. On la réorganisa en 1933 de façon à la rapprocher des intérêts « Ventures », ce qui permit une exploitation plus méthodique et plus heureuse. Elle produit avec succès depuis, le 26 avril 1935. En 1938, sa réserve s’élevait à 384,000 tonnes d’une valeur moyenne de $543.

La « Sladen-Malartic Mines Ltd », une des dernières mines en exploitation à l’ouest de Québec, a déjà pris une place enviable dans la zone Noranda-Val d’Or. Ses réserves s’élèvent à au delà de 800,000 tonnes.

Le 21 janvier 1939, en présence de plusieurs hauts personnages et de nombreux invités, la « East Malartic Mines Ltd » coulait ses deux premières briques d’or dont le poids total 102.6 d’or solide, était évalué à $41,000, ce qui donna lieu à une belle fête. L’événement, en effet, était considérable dans les annales minières du Canada. Il indiquait suffisamment la prospérité de cette mine dont les usines ont une capacité de 800 tonnes par jour et qui a présentement — 1939 — une réserve de pas moins de 2,000,000 de tonnes de minerai d’une teneur d’environ $6.00. La propriété est exploitée par trois puits de 351,371 et 840 pieds de profondeur. On la place au rang des plus importantes mines d’or du Canada. Seulement douze mines canadiennes traitent plus de 800 tonnes par jour et trois usines plus de 2,000 tonnes.

Et dans ce groupe Malartic, il y a encore la « Malartic Goldfields ». Ces quatre « Malartic » se touchent presque et l’on comprend facilement qu’elles aient donné naissance à la ville de Malartic située sur la propriété de la « Canadian Malartic ».

Un peu plus au nord, dans la même zone, on rencontre la « O’Brien Gold Mines Ltd » qui fut une des plus importantes découvertes du Nord-Ouest de Québec. On y exploite le minerai le plus riche connu de la région Abitibi-Témiscamingue. Le coût total par tonne a été de $9.65. Du 3 octobre 1937, au 19 mars 1938, le traitement de 25,557 tonnes donna 600,967 $ d’or. Plus à l’ouest encore, avant d’arriver à Noranda et passé l’Harricana, il y aurait à signaler la « McWatters Gold Mines Ltd », la mine productrice la plus récemment découverte dans l’ouest. En 1937, ses réserves étaient de 34,624 tonnes estimées à $493,260.

Mais que d’autres mines encore en exploitation, ou en état de le devenir ; que de simples concessions minières non encore explorées ; que d’autres mines qui s’aménagent pour une prochaine production, on voit encore entre les agglomérations principales de Rouyn-Noranda et Val d’Or-Bourlamaque ! Nous n’en avons mentionné que quelques-unes. En voici d’autres que nous ne faisons que nommer : la « Rubec », la « Bouscadillac », la « Valco Gold Mines » — appartenant à un syndicat canadien-français avec M. P. Vallières, de Québec, en tête, et dont les promesses sont brillantes, — la « Keewagama », la « Central Cadillac », la « Wood-Cadillac », la « Dempsey-Cadillac », la « Pan-Canadian », la « Pandora », etc, etc.

En voilà assez, sans doute, pour expliquer et comprendre la naissance et les développements si sensationnellement rapides de trois des plus jolies et prospères villes du Nord-Ouest québécois : Val d’Or, Bourlamaque et Malartic, sans compter d’autres agglomérations en train de surgir dans l’ombre des chevalements d’O’Brien, pour ne prévoir que celle-là…

Et comment, lorsque l’on parcourt ce coin d’un nouvel Eldorado qui fait partie de notre pays, qu’on arrête ici et là pour regarder, voir et entendre, comment n’être pas un peu ému devant tant de machines à fabriquer les dollars chantant leur trépidante chanson ?… Elles la chantent par ces appareils anonymes qui, à force d’ingéniosité, peuvent arracher par tonnes à la terre, l’or, dieu souverain… Cette chanson, elle s’exprime par l’effroyable tumulte des moulins à broyer, des concasseurs à mâchoires d’acier mâchant le quartz comme entre les dents de bêtes goulues… le minerai disparaissant comme devaient autrefois disparaître les proies offertes à Moloch…

Les distributeurs amènent la matière tirée des entrailles de la terre, les pilons fonctionnent alternativement, soulevés par une lame de fonte dont l’arbre est supporté par un bâti de bois ; les pilons retombent, tournant sur eux-mêmes, broyant le minerai

Et le miracle va bientôt s’accomplir : des monceaux de dollars distribués, circulant à travers le monde…