Souvenirs (Montpetit) tome II/07

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Chanteclerc (IIp. 131-149).

CONSCRIPTION


La conscription menaçait le pays. Une loi imposant le service était devant les Chambres.

L’opinion se dressait dans notre province, et ailleurs, contre cette mesure. Notre génération — celle des moins de quarante ans — devait prendre attitude. Redoutant l’agitation que provoquait un projet imposé par un gouvernement qui avait prolongé son terme d’office, nous voulions dégager notre responsabilité et ne pas rester muets devant l’orage.

« Ils étaient quatre qui ne voulaient pas se battre », disait plaisamment la rue Saint-Jacques : Paul-Émile Lamarche, Athanase David, Antonio Perrault et moi-même. Nous acceptions la participation à la guerre et le volontariat ; mais nous pensions que le Canada, suffisamment engagé du côté militaire, avait désormais à poursuivre son travail de production. Au cours de conciliabules tenus dans un café du quartier des affaires, nous nous étions partagé la tâche : dans une assemblée convoquée au Monument national nous traiterions du problème politique, militaire, constitutionnel, que posait la conscription, et des conséquences économiques qu’elle entraînerait.

Le grand soir arriva. C’était le 7 juin 1917. La salle était comble. Un auditoire calme : des bourgeois, des hommes de profession, des ouvriers, nombre de jeunes.

Le premier je pris la parole.

Le moment était difficile. Exprimer son sentiment devenait un devoir. Seule la raison triompherait de la crise. Écartons les divisions et que notre effort se poursuive dans une volonté commune, respectueuse de la justice.

« Sans intention politique » (ce que j’étais mordu !), je signalais la nécessité de conserver et d’intensifier nos forces productrices, pour éviter une dépression où sombrerait notre avenir, et pour aider les nations alliées en leur apportant munitions et vivres, ce qui, de l’aveu d’hommes politiques anglais et français, était un moyen de victoire aussi sûr que la lutte armée.

J’insistais sur l’importance du facteur économique dans la préparation de l’après-guerre. Là encore, je n’étais pas seul. De nombreuses autorités préconisaient une action propre à augmenter la production, à renouveler les méthodes d’échange, à multiplier les moyens de communication. En vain aurions-nous lutté si l’avenir nous trouvait désarmés devant la concurrence que nos ennemis se préparaient à nous faire, sitôt la paix signée. Le Canada, avait-on dit, retirerait de cette guerre des avantages sous forme de traités de commerce. Comment bénéficierions-nous de ces traités, si larges fussent-ils, si nous n’avions pas affermi notre économie ? Nous n’y arriverions qu’en y appliquant tout de suite les forces que nous possédions.

J’analysais le rôle du Canada qui avait fourni aux alliés des hommes, des armes et de l’or. Je citais des chiffres et des témoignages. L’industrie, l’agriculture et la finance avaient une lourde tâche.

C’était un discours ferme, mais assez gris.

Mes compagnons se livrèrent à l’ironie, au sentiment, à l’éloquence et furent plus vivants. Chacun à sa manière, ils eurent des mots qui soulevèrent l’auditoire.

Nous parlerons, sans souci du silence où plusieurs de nos compatriotes se murent, disait Antonio Perrault. Nous nous opposons à une loi autocratique où s’égarent nos hommes politiques. Le temps est venu de poser des actes. Notre silence serait mal interprété. Or, très peu de gens parlent. « Personne ne proteste dans la province de Québec, nulle autorité », disait naguère un homme politique. Aujourd’hui, pourtant, un réveil se produit par tout le Canada…

Comme État autonome, nous avons le droit de nous intéresser au conflit européen, mais sans compromettre les intérêts canadiens, si attachés que nous soyons par les sentiments et la pensée à la France et à l’Angleterre.

Cette loi — la plus oligarchique qui soit — aurait pourtant un bon effet : elle provoquerait une union plus étroite entre les vrais Canadiens.

Forçons nos dirigeants à respecter la Constitution, et à comprendre que le Canada est habité par deux groupes qui ont des droits égaux et méritent une justice égale.

Les Canadiens français n’ont pas envie de s’arracher du sol natal. Et si on les force à traverser les mers, que l’on soit bien persuadé qu’il y en aura encore assez pour assurer leur survivance… Nous resterons dans la maison où nous sommes entrés par la porte de devant. Représentants de la tradition, les Canadiens français apparaîtront après la guerre comme les plus solides soutiens de la patrie canadienne.

Une ovation accueille Paul-Émile Lamarche. Très en forme, il prononce l’un des plus forts discours de sa carrière et provoque tour à tour le rire et l’enthousiasme. Refusant de s’engager sur le terrain de la passion, il envisage la question à la lumière du bon sens : ses arguments seront plus stables.

Le Canada participe à la guerre. Il a levé des troupes qu’il entretient, qu’il ramènera au pays. Il veille sur les familles des soldats, secourt les mutilés, remplace les ouvriers dans les usines. Tout cela exige des sommes énormes.

Faut-il aller plus loin ? La situation est devenue lourde. On exige notre participation « jusqu’au dernier sou, jusqu’au dernier homme ». Ce serait un suicide national.

Du point de vue constitutionnel, nous aurions pu nous abstenir. Notre intervention a été un acte volontaire. Nous avons à décider aujourd’hui si notre pays vivra. La conscription serait une folie. La nation dictera sa volonté et non pas un parlement qui n’existe plus : un plébiscite s’impose. Un gouvernement de coalition ne grouperait que des intérêts.

Acclamé par la foule, Athanase David prononce une vibrante allocution. Au-dessus des intérêts de parti et même du dévouement à ses chefs, il place l’attachement à son pays. Il s’intéresse à cette jeunesse que la conscription plongerait dans le désarroi. Turgot disait au roi de France, au début de la Révolution : « Sire, tout le mal vient de ce que nous n’avons pas de Constitution ». Nous en avons une, mais nous ne la respectons pas. Il est temps de nous rallier à un sentiment qui soit canadien, si nous voulons réagir contre les dangers qui nous menacent. Nous sommes à une croisée des chemins : notre avenir dépendra du choix que nous ferons. Que notre mot d’ordre demeure, Ô Canada, mon pays mes amours.

Henri Bourassa avait pris place dans une loge. Réclamé à grands cris, il prononça quelques mots. D’une voix ardente, qui prit aussitôt le ton de l’éloquence, il se dit heureux de la manifestation dont il est témoin. Il conseille le calme et la modération, seuls moyens efficaces de s’opposer à la conscription. Il demande avec élan une prière pour le Roi que menacent des hommes sans scrupule, des spéculateurs éhontés, politiciens sans vergogne qui préparent une élection sur une question de race. Nous avons sauvé le Roi en 1775 contre ses nationaux, sauvons-le aujourd’hui contre ses représentants.

La foule chante Dieu sauve le Roi et Ô Canada et se disperse.

La presse — la nôtre — fut très sympathique. Elle appuyait notre attitude et nos conclusions. Elle reconnaissait que « nous en avions fait assez ».

Les journaux anglais, on le pense bien, ne se montrèrent pas aussi généreux.

Le Daily Mail usa même d’un procédé qui m’a laissé un souvenir amer. Ce journal m’attribua un appel aux « mères du Canada » qui, à notre insu, avait été distribué à l’entrée de la salle par je ne sais plus quelle association : « Mères du Canada, vous avez fait votre devoir, et plus que votre devoir. Enverrons-nous nos fils combattre le militarisme en Europe. quand chez nous la main de fer du militarisme broie ceux qui nous restent ? Exigez une élection et un référendum. Que tout vrai démocrate décide que, dans l’intérêt de la vraie démocratie et dans un esprit patriotique envers son pays, il refusera de s’enregistrer ».

Le procès devait rebondir : l’accord était impossible ; et la poudre, sèche. Les journaux de langue anglaise m’entreprirent personnellement à leur manière, sur un ton placide d’apparence mais insidieux.

Une feuille américaine m’ayant demandé de préciser mon attitude et de justifier mes chiffres, je rouvris le dossier auquel je joignis le témoignage d’autorités des deux mondes. J’exaltais le rôle du Canada. Dans l’armée, l’exécution des contrats de guerre, la fabrication des munitions, les transports, il avait engagé une forte part de sa population productrice. Sans établir de comparaison ni diminuer les alliés, notre pays me paraissait avoir atteint la limite que l’on était en droit d’attendre de lui, d’autant qu’il devait aussi alimenter ses habitants et diriger vers l’Europe ses excédents de nourriture.

La presse de Toronto prit position contre moi. Est-ce que je n’exagérais pas, me disait le Globe, et, ce qui serait grave, de propos délibéré, pour une raison détournée, for a purpose. N’avais-je pas pris plaisir à réduire le rôle de l’Italie, de la France, de la Russie, de la Grande-Bretagne, pour corser l’effort canadien ? Cet effort, il s’esquissait seulement et cent mille hommes de plus aux armées n’eussent gêné ni notre production, ni notre préparation de l’après-guerre.

Que valaient d’ailleurs ces chiffres que j’alignais, reprenait le Daily Mail. Certes, il fallait garder au Canada des milliers d’hommes pour assurer les travaux de guerre et les sources d’alimentation ; mais beaucoup de Canadiens n’étaient pas dans les rangs militaires ou sur les autres fronts, tels ces beaux parleurs qui s’en tiennent à la rhétorique — ou, sans doute, au journalisme ! La conscription les démasquerait. Mon opinion n’était, d’ailleurs, que conjecture : qui connaissait, qui pouvait mesurer notre élan ? Cet élan, je le précisais. Mais à quoi bon ! Je touchais à l’arche sainte !

Des discours, on fit une brochure, The case against conscription. Elle contient nos mises au point et l’opinion de quelques personnalités, celle de M. Bourassa en particulier. Une petite brochure, qui évoque le grand soir de la conscription où quelques hommes, qui ont porté le poids de leur audace pendant plusieurs années, s’étaient mis en travers d’une politique de contrainte.

La loi dressait un spectre que la politique agiterait à maintes reprises plusieurs années durant.

L’un de nous devait être emporté très tôt. Paul-Émile Lamarche fut victime de la grippe espagnole en 1918.

Sa mort causa une stupeur. Lui, l’énergie même et d’une jeunesse si active, un « bourreau de travail » comme dit expressivement la langue populaire, il avait été terrassé en quelques jours.

Montalembert cite, dès la première ligne du livre qu’il a consacré à Lacordaire, la réflexion d’une Albigeoise venue assister, à Sorèze, aux obsèques du grand dominicain : Abion un rey, l’aben perdut. Ce mot, un peu modifié, est tombé de toutes les lèvres à l’annonce du malheur qui nous frappait : nous avions un chef, et nous l’avions perdu.

Il laissait des œuvres et, ce qui vaut mieux, une doctrine. Le vœu que nous exprimions lors de sa mort a été réalisé : la publication de ses discours, de ses conférences et de ses études, afin qu’il vive dans l’avenir et que nous retracions la filiation et l’ensemble de ses idées.

Il a combattu en arrachant la visière qui l’eût protégé. Il fut, a-t-on dit, un chevalier sans peur et sans reproche. C’est exact. Aucun recul dans sa vie. L’attaque ne le prenait jamais au dépourvu : il fixait sur son adversaire un regard droit, attentif aux ruses, un grand regard, un regard de tout l’œil ; seule, la bouche trahissait par un mouvement léger le travail intérieur qui élaborait une réplique claire, d’une cinglante logique.

Son intelligence était armée. Rejetant les opinions toutes faites, fussent-elles étayées des plus grands noms, il marchait vers la vérité, guidé par un jugement aiguisé. Avec quelle rapidité il dépouillait un dossier et faisait le tour d’un sujet ! C’était une merveille.

Il portait les questions nationales devant l’opinion comme un procès devant le tribunal. S’il défendait une cause, il y mettait la personnalité de son talent et l’éclat de son esprit. Son débit était calme, son geste sobre, sa voix bien placée. On le suivait sans effort, tant ses exposés étaient lucides. Parfois une comparaison ingénieuse illuminait une difficulté. Parfois, un mot s’abattait comme un coup et, de tout l’auditoire, fusaient les rires et les applaudissements. Certains de ces mots furent des triomphes.

Lamarche a été notre avocat général. Il a donné aux œuvres de défense qui ont été braquées par nous un solide fondement de droit.

Sa première étude indiqua l’orientation de sa pensée. Elle était consacrée à notre droit civil sous la domination anglaise. Il s’y révèle déjà. On le voit avancer, idée par idée. Il est penché sur un sol aride, il rejette les cailloux, écrase les mottes de terre les unes après les autres, d’un geste résolu, et nous offre un sillon meuble.

Il montre l’origine de notre droit au droit. Le droit des gens et l’Acte de Québec sont à la base de nos libertés juridiques, garanties successivement par les régimes qui ont suivi. « Non seulement, écrit-il, nous avons des titres clairs établissant nos droits à la législation privée qui nous gouverne, mais encore nous sommes dépositaires des clefs de la voûte qui les préservent contre les ravages du temps ». Il éclaircissait un point longtemps débattu et, avec maîtrise, faisait sien le domaine du droit constitutionnel où, sans doute, l’influence de son grand ami M. Monk l’avait dirigé.

La conclusion : « Aimons donc notre droit » ne caractérise-t-elle pas l’état d’esprit de sa génération ? L’amour profondément raciné du Canada aux généreux aspects, des traditions, les unes modestes, les autres grandioses jusqu’au sublime, l’amour de la langue maternelle, du droit qui façonne le peuple, des mœurs colorées, de la petite vie dont même l’obscurité est belle à cause de son principe résistant comme une mâle étoffe du pays, tout cela n’était pas nouveau parmi nous. Notre littérature en est faite : et notre histoire n’est qu’un sentiment d’amour. Mais que l’on ait tiré de ce sentiment l’origine d’une idée-force, que l’on ait raisonné en partant de l’amour, que l’on ait fait rayonner de cette puissance interne la totalité de nos énergies, voilà qui est renouvelé, sinon nouveau, et d’une fécondité incomparable s’il en naît enfin une philosophie inspiratrice et sûre. Lamarche y aura donné son cœur.

Dans cette étude, qui fut son point de départ vers la vie publique, cet avocat qui n’a pas trente ans écrit : « Quant à nous, de cette vieille province de Québec dont le blason rappelle qu’elle se souvient, fidèles à notre histoire, à nos traditions, à notre passé, mesurant toujours l’intensité de nos affections sur le respect que l’on fait de nos droits, aux heures d’actions de grâces comme à celles des justes revendications, nous entretiendrons toujours, sur ce transept du temple impérial, la lumière pieuse et discrète de la loyauté qui a jusqu’ici brillé, sans cesse, aux jours sereins comme au milieu des nuits les plus sombres de notre existence nationale. Peu importent les intrigues du dehors ou les machinations du dedans, la liberté individuelle du sujet sera encore, comme par le passé, le plus formidable rempart de la citadelle impériale. Le plus ferme soutien de cette liberté, c’est la loi qui la coordonne et qui l’empêche de dégénérer en licence ». Fort de cette conviction, il prend place en Chambre, à Ottawa.

Sa carrière politique fut brillante. La nation se plaisait à le compter parmi ses représentants : elle en éprouvait un réconfortant orgueil. Il accueillit cette vague de popularité et s’en montra digne. Il luttait sans arrêt, non seulement à la tribune, mais dans les couloirs et dans la vie de chaque jour. Il ne comptait pas ses fatigues, se livrant à la tâche que les siens lui avaient confiée. Il avait gardé sa première manière. Ses discours sur le Keewatin, les écoles de l’Ontario, le canal de la Baie géorgienne, la prorogation des Chambres, étaient marqués du même souci de logique, de netteté, de force. Il portait haut son titre de Canadien français ; et il mettait au service de sa langue et de sa race la vertu de son verbe. Il restait fidèle aux grands principes dont il s’était imprégné. Il réclamait la liberté par le respect du droit. Cette formule l’apparentait à nos grands parlementaires.

Il quitta la Chambre plutôt que d’abandonner ses doctrines. Il était ainsi fait. Il n’eût pas sacrifié aux plus belles promesses d’avenir la satisfaction d’obéir à sa conviction. Songeait-il déjà à cette brisure possible lorsqu’il s’arrêtait, en avril 1911, à enfermer dans un saisissant rapprochement emprunté au langage du droit la querelle qui sépara Burke et Fox lors de la discussion, à la Chambre anglaise, de la loi organique instituant notre régime de 1791 ? « C’était en cette circonstance mémorable, disait-il, qu’au cours de l’édification du temple de notre constitution, dans un accident de travail sublime et empoignant, la vieille amitié de Burke et de Fox, qui pendant vingt ans avait été insensible aux vertiges de la vie publique, trébucha soudainement des hauteurs de leur estime et de leur admiration mutuelles pour aller se fracasser sur le dur pavé de leurs opinions politiques. C’était l’effacement de l’intérêt personnel devant l’apothéose de l’intérêt public ». Que cette phrase, rugueuse et martelée semble-t-il à plaisir, est belle !

Peu après avoir donné sa démission, accompagné de M. Henri Bourassa, il portait à ses électeurs de Nicolet l’explication de sa conduite. Il remettait le mandat qu’on lui avait confié ; et il retournait à ses travaux avec l’espérance de refaire, par un enseignement direct, l’opinion publique où il voyait la source de l’action parlementaire.

Lors de sa mort, tous ceux qui avaient connu Paul-Émile Lamarche, même s’ils ne partageaient pas ses opinions politiques, témoignèrent de sa sincérité. On vit rarement pareil tribut. Nos compatriotes anglais, parmi lesquels il comptait de nombreux amis, beaucoup d’admirateurs et des adversaires à qui il n’avait pas voilé la vérité, se sont inclinés devant sa tombe. Une note de rédaction de la Gazette vaut une leçon : « His kind will have opportunity to be useful in the early future ». Elle jugeait cette vie fauchée qui, telle une moisson, offrait sa valeur. Comme on mesure bien la hauteur d’où elle s’était imposée au respect ! C’est le triomphe de la vérité, préparé par la méditation, fortifié par une pratique constante, servi par une volonté développée dans le sens de son innéité, restée canadienne et française.

Une vie canadienne et française. Ce sont les adjectifs, inséparables, additionnés par l’histoire, qui désignent notre peuple. Lamarche avait le culte de ses origines et l’orgueil de la culture française. Bien souvent il nous a répété son amour de la France. Peu avant sa mort, il rencontrait au Club Saint-Denis deux consuls de France un instant rapprochés. Il improvisa une allocution dont nombre de convives se souviennent. Il y jeta trois idées. On avait évoqué le retour des soldats français, la guerre terminée, leur passage sous l’Arc de Triomphe aux acclamations enthousiastes d’un peuple libéré. « Il vous arrivera, dit Lamarche à M. Henri Ponsot, de parcourir nos campagnes. Vous y entendrez notre langue. Elle vous paraîtra peut-être un peu vieillotte, gardant des saveurs anciennes, ou appauvrie par des nuances de mots étrangers. Cependant, vous voudrez la saluer très bas, sous l’uniforme lacéré qu’elle porte, car elle fut, bien plus d’un siècle, dans la tranchée. » Il traçait ensuite un tableau de la France qui n’est pas seulement un pays merveilleux, un perpétuel sourire de la terre au soleil gaulois, mais une pensée, une lumière épandue au loin, au delà de ses frontières, vers l’horizon. Puis il terminait un compliment aux représentants officiels par ces mots : « Les consuls arrivent, les consuls partent : la France demeure ». C’est la dernière parole qu’il a prononcée en public. Elle résume l’affirmation de toute sa vie et donne le mot d’ordre où passe sa fierté.

Je n’ai pas oublié le bon camarade, que j’aimais, qui éclairait nos réunions par son imperturbable gaieté et qui nous apportait toute la générosité de son cœur.