Souvenirs d'un aveugle : voyage autour du monde/01/Note 04

La bibliothèque libre.
Texte établi par François Arago, ed. ; Jules Janin, préf., H. Lebrun (1p. ix-x).

NOTE 4.

Étoiles filantes.

La note suivante, empruntée aux instructions que mon frère aimé rédigea en 1835 pour le voyage de circumnavigation de la corvette la Bonite, mettra les lecteurs au courant de tout ce qu’on sait aujourd’hui sur le phénomène des étoiles filantes.

« Depuis qu’on s’est avisé d’observer quelques étoiles filantes avec exactitude, on a pu voir combien ces phénomènes si longtemps dédaignés, combien ces prétendus météores atmosphériques, ces soi-disant traînées de gaz hydrogène enflammé, méritent d’attention. Leur parallaxe les a déjà placés beaucoup plus haut que, dans les théories adoptées, les limites sensibles de notre atmosphère ne semblaient le comporter[1]. En cherchant la direction apparente suivant laquelle les étoiles filantes se meuvent le plus ordinairement, on a reconnu, par une autre voie, que, si elles s’enflamment dans notre atmosphère, elles n’y prennent pas du moins naissance, qu’elles viennent du dehors. Cette direction la plus habituelle des étoiles filantes semble diamétralement opposée au mouvement de translation de la terre dans son orbite.

Il serait désirable que ce résultat fût établi sur la discussion d’une grande quantité d’observations. Nous croyons donc qu’à bord de la Bonite, et pendant toute la durée de sa navigation, les officiers de quart devront être invités à noter l’heure de l’apparition de chaque étoile filante, sa hauteur angulaire approchée au-dessus de l’horizon, et surtout la direction de son mouvement. En rapportant ces météores aux principales étoiles des constellations qu’ils traversent, les diverses questions que nous venons d’indiquer peuvent être résolues d’un coup d’œil. Voilà donc un sujet de recherches qui n’occasionnera aucune fatigue. En tout cas, pour que nos jeunes compatriotes s’y attachent, il nous suffira de leur faire remarquer combien il serait piquant d’établir que la terre est une planète, par des preuves puisées dans des phénomènes tels que les étoiles filantes, dont l’inconstance était devenue proverbiale. Nous ajouterions encore, s’il était nécessaire, qu’on n’entrevoit guère aujourd’hui la possibilité d’expliquer l’étonnante apparition de bolides observée en Amérique dans la nuit du 12 au 13 novembre 1838, si ce n’est en supposant qu’outre les grandes planètes, il circule autour du soleil des milliards de petits corps qui ne deviennent visibles qu’au moment où ils pénètrent dans notre atmosphère et s’y enflamment ; que ces astéroïdes (pour nous servir de l’expression qu’Herschell appliqua jadis à Cérès, Pallas, Junon et Vesta) se meuvent en quelque sorte par groupes ; qu’il en existe cependant d’isolées ; et que l’observation assidue des étoiles filantes sera, à tout jamais, le moyen de nous éclairer sur ces curieux phénomènes.

Nous venons de faire mention de l’apparition d’étoiles filantes observées en Amérique en 1833. Ces météores se succédaient à de si courts intervalles qu’on n’aurait pas pu les compter ; des évaluations modérées portent leur nombre à des centaines de mille[2]. On les aperçut le long de la côte orientale de l’Amérique, depuis le golfe du Mexique jusqu’à Halifax, depuis neuf heures du soir jusqu’au lever du soleil, et même, dans quelques endroits, en plein jour, à huit heures du matin. Tous ces météores partaient d’un même point du ciel situé près de 7, du Lion, et cela, quelle que fût d’ailleurs, par l’effet du mouvement diurne de la sphère, la position de cette étoile. Voilà assurément un résultat fort étrange ; eh bien ! citons-en un second qui ne l’est pas moins.

La pluie d’étoiles filantes de 1833 eut lieu, nous l’avons déjà dit, dans la nuit du 12 ou 13 novembre.

En 1799, une pluie semblable fut observée en Amérique par M. de Humboldt ; au Groënland par les frères Moraves ; en Allemagne par diverses personnes.

La date est la nuit du 11 au 12 novembre.

L’Europe, l’Arabie, etc., en 1832, furent témoins du même phénomène, mais sur une moindre échelle.

La date est encore la nuit du 12 au 13 novembre.

Cette presque identité de dates nous autorise d’autant plus à inviter nos jeunes navigateurs à veiller attentivement à tout ce qui pourra apparaître dans le firmament du 10 au 15 novembre, que les observateurs, qui favorisés par une atmosphère sereine, ont attendu le phénomène l’année dernière (1834), en ont aperçu des traces manifestes, dans la nuit du 12 au 13 novembre[3].

  1. Des observations comparatives faites en 1825 à Breslau, à Dresde, à Leyde, à Brieg, à Gleiwitz, etc., par le professeur Brandes et plusieurs de ses élèves, ont donné jusqu’à cinq cents milles anglais (environ deux cents lieues de poste) pour la hauteur de certaines étoiles filantes.

    La vitesse apparente de ces météores s’est trouvée quelquefois de trente-six milles douze lieues par seconde. C’est à peu près le double de la vitesse de translation de la terre autour du soleil. Ainsi, alors même qu’on voudrait prendre la moitie de cette vitesse apparente pour une illusion, pour un effet du mouvement de translation de la terre dans son orbite, il resterait six lieues à la seconde pour la vitesse réelle de l’étoile. Six lieues à la seconde est une vitesse plus grande que celle de toutes les planètes supérieures, la terre exceptée.

  2. Les étoiles étaient si nombreuses, elles se montraient dans tant de régions du ciel à la fois, qu’en essayant de les compter on ne pouvait guère espérer d’arriver qu’à de grossières approximations. L’observateur de Boston les assimilait, au moment du maximum, à la moitié du nombre de flocons qu’on aperçoit dans l’air pendant une averse ordinaire de neige. Lorsque le phénomène se fut considérablement affaibli, il compta 650 étoiles en quinze minutes, quoiqu’il circonscrivit ses remarques à une zone qui n’était pas le dixième de l’horizon visible. Ce nombre, suivant lui, n’était que les deux tiers du total ; ainsi il aurait dû trouver 866, et, pour tout l’hémisphère visible, 8 660. Ce dernier chiffre donnerait 34 640 étoiles par heure. Or, le phénomène dura plus de sept heures ; donc, le nombre de celles qui se montrèrent à Boston dépasse 240 000, car, on ne doit pas l’oublier, les bases de ce calcul furent recueillies à une époque où le phénomène était déjà notablement dans son déclin.
  3. M. Bérard, commandant du Brick le Loiret, m’a adressé l’extrait ci-après de son journal :

    « Le 13 novembre 1831, à quatre heures du matin, le ciel était parfaitement pur, la rosée très-abondante, nous avons vu un nombre considérable d’étoiles filantes et de météores lumineux d’une grande dimension : pendant plus de trois heures, il s’en est montré, terme moyen, deux par minute. Un de ces météores, qui a paru au zénith en faisant une énorme traînée dirigée de l’est à l’ouest, nous a présenté une bande lumineuse très-large (égale à la moitié du diamètre de la lune), et où l’on a très-bien distingué plusieurs des couleurs de l’arc-en-ciel. Sa trace est restée visible pendant plus de six minutes. »