Souvenirs d'un aveugle : voyage autour du monde/01/Note 10

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Texte établi par François Arago, ed. ; Jules Janin, préf., H. Lebrun (1p. xxvii-xxviii).

NOTE 10.

La Pluie sur mer.


Les navigateurs parlent des pluies qui, parfois, tombent sur les bâtiments pendant qu’ils traversent les régions équinoxiales, dans des termes qui devraient faire supposer qu’il pleut beaucoup plus abondamment en mer qu’à terre. Mais ce sujet est resté, jusqu’ici, dans le domaine des simples conjectures ; rarement on s’est donné la peine de procéder à des mesures exactes. Ces mesures, cependant, ne sont pas difficiles. Nous voyons, par exemple, que le capitaine Tuckey en avait fait plusieurs pendant sa malheureuse expédition au fleuve Zaïre ou Congo. Il nous semble donc convenable d’inviter les commandants des navires explorateurs à faire placer l’udomètre sur l’arrière du bâtiment, dans une position où il ne pourra recevoir ni la pluie que recueillent les voiles, ni celle qui tombe des cordages.

On ajouterait beaucoup à l’intérêt de ces observations, si l’on déterminait en même temps la température de la pluie, et la hauteur d’où elle tombe.

Pour avoir, avec quelque exactitude, la température de la pluie, il faut que la masse d’eau soit considérable, relativement à celle du récipient qui la reçoit. L’udomètre en métal ne satisferait pas à cette condition. Il vaut infiniment mieux prendre un large entonnoir formé avec une étoffe légère, à tissu très-serré, et recevoir l’eau qui coule par le bas dans un verre à minces parois renfermant un petit thermomètre. Voilà pour la température. L’élévation des nuages où la pluie se forme ne peut être déterminée que dans des temps d’orage ; alors, le nombre de secondes qui s’écoulent entre l’éclair et l’arrivée du bruit multiplié par 337 mètres, vitesse de la propagation du son, donne la longueur de l’hypothénuse d’un triangle rectangle dont le côté vertical est précisément la hauteur cherchée. Cette hauteur pourra être calculée, si, à l’aide d’un instrument à réflexion, on évalue l’angle que forme avec l’horizon la ligne qui, partant de l’œil de l’observateur, aboutit à la région des nuages ou l’éclair s’est d’abord montré.

Supposons, pour un moment, qu’il tombe sur le navire de la pluie plus froide que ne doivent l’être les nuages, d’après leur hauteur et la rapidité connue du décroissement de la température atmosphérique, tout le monde comprendra quel rôle un pareil résultat jouerait en météorologie.

Supposons, d’autre part, qu’un jour de grêle (car il grêle en pleine mer), le même système d’observations vienne à prouver que les grêlons se sont formés dans une région ou la température atmosphérique était supérieure au terme de la congélation de l’eau, et l’on aura enrichi la science d’un résultat précieux, auquel la théorie à venir de la grêle devra satisfaire. Nous pourrions, par beaucoup d’autres considérations, faire ressortir l’utilité des observations que nous venons de proposer, mais les deux qui précèdent doivent suffire.

Il est des phénomènes extraordinaires sur lesquels la science possède peu d’observations, par la raison que ceux à qui il a été donné de les voir évitent d’en parler, de peur de passer pour des rêveurs sans discernement. Au nombre de ces phénomènes, nous rangerons certaines pluies des régions équinoxiales.

Quelquefois, entre les tropiques, il pleut par l’atmosphère la plus pure, par un ciel du plus bel azur ! Les gouttes ne sont pas très-serrées, mais elles surpassent en grosseur les plus larges gouttes de pluie d’orage de nos climats. Le fait est certain ; nous en avons pour garants M. de Humboldt, qui l’a observé dans l’intérieur des terres, et M. le capitaine Beechey, qui en a été témoin en pleine mer : quant aux circonstances dont une aussi singulière précipitation d’eau peut dépendre, elles ne nous sont pas connues. En Europe, on voit quelquefois par un temps froid et parfaitement serein tomber lentement, en plein midi, de petits cristaux de glace dont le volume s’augmente de toutes les parcelles d’humidité qu’ils congèlent dans leur trajet. Ce rapprochement ne mettrait-il pas sur la voie de l’explication désirée ? Les grosses gouttes n’ont-elles pas été, dans les plus hautes régions de l’atmosphère, d’abord de très-petites parcelles de glace excessivement froides ; ensuite, plus bas, par voie d’agglomération, de gros glaçons ; plus bas encore, des glaçons fondus ou de l’eau ? Il est bien entendu que ces conjectures ne sont consignées ici que pour montrer sous quel point de vue le phénomène peut être étudié ; que pour exciter surtout nos voyageurs à chercher avec soin si, pendant ces singulières pluies, les régions du ciel d’où elles tombent n’offriraient pas quelques traces de halo : si ces traces s’apercevaient, quelque légères qu’elles fussent, l’existence de cristaux de glace dans les hautes régions de l’air serait constatée.

Il n’est pas de contrée où, maintenant, l’on ne trouve des météorologistes, mais, il faut l’avouer, ils observent ordinairement à des heures choisies sans discernement et avec des instruments inexacts ou mal placés. Il ne semble pas difficile aujourd’hui de ramener les observations d’une heure quelconque à la température moyenne du jour : ainsi un tableau météorologique, quelles que soient les heures qui y figurent, aura du prix à une seule condition, que les instruments employés auront pu être comparés à des baromètres et des thermomètres étalons.

Partout où on aura effectué ces comparaisons, les observations météorologiques locales auront du prix ; une collection des journaux du pays suppléera souvent à des copies qu’on obtiendrait difficilement.