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Souvenirs d’un fantôme/Préface

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C. Le Clère (tome 1p. i-xiv).


PRÉFACE.


J’étais, l’hiver dernier, dans un château où chaque membre de la société racontait des histoires de revenants plus effrayantes l’une que l’autre : elles nous amusaient, sans doute ; mais le piquant de la nouveauté n’y était pas. Ces histoires étaient connues et légèrement rhabillées ; j’en fis la remarque.

Dans un coin écarté du salon, il y avait un petit monsieur tout ramassé, porteur d’une physionomie étrange, et aux vêtements encore plus singulièrement coupés. Il ne parlait pas, mais son sourire sardonique et son regard malicieux m’impatientaient. Je me faisais un vrai plaisir de l’embarrasser ; pour cela j’allai à lui, et prenant la parole :

« Monsieur, lui dis-je, il paraît que nos récits vous amusent peu ?

— Ce n’est pas faute, reprit-il, d’être pour moi de vieilles connaissances.

— Il est vrai, repris-je, que rien n’est nouveau sous le soleil, et peut-être pourriez-vous nous dédommager par quelque récit moins vulgaire ?

— Je n’en ferai rien, dit-il ; car on pourrait me punir d’avoir révélé des secrets qui doivent rester cachés entre les Adeptes.

— En seriez-vous un ? répliquai-je.

— Et quand cela serait, s’écria-t-il ? pourrais-je divulguer le mystère qui nous environne ? Mais, au demeurant, poursuivit-il, on peut, sans le trahir, vous apprendre beaucoup de faits curieux et piquants.

— Je ne demande pas mieux, et si votre complaisance le veut ainsi, je suis prêt à vous écouter.

— Monsieur, me dit l’inconnu, d’une voix sombre et sévère, prenez-y garde, ce ne sont pas jeux d’enfants : les histoires que j’ai à vous raconter sont toutes inédites, je les ai recueillies dans les archives des cours souveraines, dans les chartriers des couvents, des chapitres et dans ceux des principaux châteaux de la France et de l’Europe. Là se trouvent ensevelis des faits terribles, tragiques, singuliers. Le philosophe s’en moque ; mais de quoi ne se moque-t-il pas ? à l’entendre, il n’y a de vrai que ce qu’il peut comprendre. Hé ! que le cercle est borné de ce que l’intelligence de l’homme peut parcourir ! »

L’inconnu ou le vieillard ; en prononçant ces mots, y mit une solennité qui me frappa.

Je l’examinai avec plus d’attention, et son aspect, qui d’abord m’avait paru grotesque, me sembla vénérable. Lui s’était arrêté un instant, puis il poursuivit :

« Oui, le malheur de l’homme est de douter de tout ; l’orgueil vient de l’ignorance ; il pose des bornes à ce qui n’en a pas ; il nie ce qui sort des règles communes de la nature ; et pourtant, combien de fois la suprême intelligence a voulu communiquer avec nous par le moyen d’êtres surnaturels, ou les ombres de ceux qui furent nos pères. Tout le monde, Monsieur, devrait avoir présents à la mémoire les quatre vers suivants de Voltaire :

 
Du ciel, quand il le veut, la volonté suprême
Suspend l’ordre éternel établi par lui-même ;
Il prescrit à la mort d’interrompre ses lois,
Pour l’effroi de la terre et l’exemple des rois.

» En se bien pénétrant de cette maxime, on n’affecterait pas un scepticisme coupable. Faibles atômes, qu’il nous appartient peu de dire à la divinité les paroles qu’elle-même elle adresse à la mer : Tu n’iras pas plus loin ! Cette folie est criminelle : aussi souvent est-elle punie ! que d’incrédules ont péri par des lois surnaturelles ! Il faut adorer, croire et se taire. Avec cela on est en règle et l’on ne craint rien. »

Le petit vieillard s’arrêta, il me parut grandi de plusieurs pouces, à tel point son propos me le rendit imposant. Je répondis par quelques mots inintelligibles.

Et lui alors : « Vous vous êtes approché de moi pour me tourner en ridicule : vous avez cru que je vous prêterais à rire. »

Je me récriai, et lui reprenant :

« J’ai dit vrai ; mais je vous pardonne. Trouvez-vous demain, à minuit précis, dans le cimetière de la paroisse (nous étions dans un endroit assez loin de Paris), là je vous remettrai le manuscrit qui renferme ces histoires merveilleuses, ces contes, comme il vous plaira de les appeler. Faites-les imprimer : elles profiteront à quelques uns ; elles amuseront le plus grand nombre. »

Ici la maîtresse du logis vint m’appeler. Il manquait un partenaire à une table de bouillotte. La galanterie m’obligea d’abandonner le petit vieillard et d’aller perdre mon argent, quoique j’en eusse peu d’envie. Tout préoccupé de ce qui venait de m’être dit, je ne donnai pas d’attention au jeu : aussi je fus bientôt décavé. Je désirais l’étre, afin de revenir à l’Adepte, dont j’aurais voulu me faire un ami. Je le cherchai en vain. Il était disparu.

« Qu’est-il, demandai-je à madame de ***, notre gracieuse amphitryon ? »

— C’est un voisin, répondit-elle, qui ne fraie avec personne un ours mal léché, qui n’est venu ce soir que parce que mon mari l’a forcé dans sa tanière, et qui ne reviendra pas, parce qu’il s’est ennuyé avec nous, ce qu’il m’a fait entendre poliment. »

Je demandai son nom. On l’ignorait. C’est un voisin, ne cessait-on de me répéter.

— Mais, où demeure-t-il ? »

On ne sut jamais me le dire. J’admirai cette facilité d’aller à la recherche de gens qui ne se soucient pas de nous.

Le jour suivant, je le passai à la chasse. Nous retrâmes harassés. On soupa, on se coucha de bonne heure. Seul, je luttai contre le sommeil, ayant mon rendez-vous en tête. J’avais examiné le cimetière à la clarté du jour, et je l’avais trouvé accessible en plusieurs parties. Des brèches ouvraient la muraille. À onze heures trois quarts, portant une lanterne sourde, je quittai ma chambre. J’eus de la peine à réveiller le concierge ; il ne voulait pas ouvrir la grande porte. Je l’y déterminai avec la clef d’or. Il dut passer le temps de mon absence en conjectures, déshonorant les jolies paysannes et toutes les dames huppées des environs. La nuit était superbe. La lune brillait aux cieux, et néanmoins mon cœur battait, comme si j’eusse juste trouvé une procession de fantômes prêts à défiler devant moi. Je portai les yeux tout autour, et j’aperçus, à quelque distance, une figure immobile : je crus reconnaître mon vieillard ; je m’avançai : c’était lui en effet. Eh ! bon Dieu ! quel visage pâle, hâve !… les yeux caverneux ! ….. toute une apparence de fantôme à faire frémir ! Je reculai d’un pas… ; il s’amusa de ma peur, il sourit : quel sourire effroyable ! Il tenait à la main un rouleau de papiers.

« Voilà, dit-il, ce que je vous ai promis… ; mais il ajouta : Les contes, et il appuya sur ce mot, les contes qu’il renferme produiront sur vous plus d’impression, si vous pouvez être convaincu de leur réalité.

— En vérité, repartis-je en l’examinant attentivement, le lieu où nous sommes, les impressions qu’il produit rendent crédule.

— Je gage, répliqua l’inconnu, qu’une apparition vous épouvanterait ?

— À dire vrai, j’aime tout autant les lire que les voir. »

Il leva ses yeux au ciel, croisa ses bras sur sa poitrine :

« Savez-vous qui je suis ? »

Et cela me fut demandé d’un son de voix si lugubre, que j’en fus terrifié !…

— Mais, dis-je, vous êtes un voisin.

— Oui ! dont la demeure est étroite et profonde !… Il y fait froid, et on a le temps d’y réfléchir ! »

Voulant prendre le propos en plaisanterie, et persuadé que le malin personnage cherchait à m’intimider :

— À votre place, repartis-je, je la choisirais plus agréable.

— Cela n’a pas dépendu de moi. Je suis venu m’y loger, parce que le temps d’en prendre possession était arrivé. Croyez-moi, réfléchissez à l’avenir ! L’heure à laquelle vous me rejoindrez sonnera bientôt, peut-être ; en attendant, vous pourrez vous vanter d’avoir connu le premier propriétaire du château que vous habitez. »

À ces mots, à la place du vieillard, je ne vis qu’un tas de linceuls funèbres et d’ossements disjoints, qui roulèrent çà et là. Pousser un cri, prendre la fuite, rentrer au château à me barricader dans ma chambre, fut l’affaire de peu d’instants. Là je m’évanouis ou m’endormis, je ne sais trop lequel : le lendemain, je trouvai sur ma table le manuscrit que j’offre au public. Le concierge prétendit ne m’avoir jamais ouvert la porte, et nul de la compagnie ne se rappela le maudit vieillard, dont je faisais le portrait. Je passais pour avoir eu un mauvais rêve.