Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI/La chapelle

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CHAPITRE VII

la chapelle

J’entends chanter de Dieu les grandeurs infinies,
Je vois l’ordre pompeux de ses cérémonies

Racine, Athalie.


Tous les arts s’étaient donné rendez-vous et avaient employé les produits les plus précieux pour préparer à Dieu, au château de Versailles, un temple digne, sinon de la divinité qui devait l’habiter, du moins de la demeure royale dont il devait faire partie. Partout on y voyait briller les chefs-d’œuvre de la peinture, les dorures les plus éclatantes et les marbres les plus précieux.

Tous les jours le roi allait à la messe ; il était imité par le reste de sa famille, et si c’était une suite de l’étiquette, c’était du moins un bel exemple. On ne devait juger que l’acte, et nullement les dispositions ; au reste, la piété éclairée de Louis XVI ne pouvait laisser de doute que son cœur ne le portât à la chapelle bien mieux que le cérémonial.

C’était à midi, – ou plus tôt si le lever se faisait plus matin, – que le roi, sortant de son appartement par une porte de glace, communiquant du cabinet du conseil à la galerie, traversait tous les grands appartements et se rendait à la tribune, précédé des pages, des écuyers, des gentilshommes, des officiers des gardes, et suivi du capitaine des gardes.

Tous les dimanches la famille royale se réunissait pour la messe. Les princes se rendaient chez le roi, et le cortége en sortait quand la reine elle-même quittait son appartement par le salon de la Paix, au fond de la galerie. Cette multitude d’officiers, de dames magnifiquement parées, s’avançant au milieu d’une foule de curieux, dans cette longue pièce, l’un des plus beaux monuments de ce genre qui soient en Europe, formait le coup d’œil le plus imposant.

La chapelle de Versailles se composait pour ainsi dire de deux étages. La tribune était au haut, et de chaque côté régnait une galerie où se plaçaient les personnes du service qui ne pouvaient trouver place dans la tribune, ainsi que les étrangers. La tribune était très-grande. Elle était bordée, sur le devant, d’une balustrade de marbre sur laquelle on jetait un grand tapis de velours cramoisi à franges d’or, et à chacune de ses extrémités se trouvait une lanterne dorée et fermée de glaces, pouvant contenir une seule personne et destinée aux princesses malades ou qui ne voulaient point paraître publiquement. On remarquera que, sous Louis XIV, madame de Maintenon y était toujours placée ; c’était là la seule marque publique qu’elle eût jamais fait paraître du lien qui l’unissait au monarque. Comme la tribune eût été très-froide l’hiver, la cour assistant à des offices très-longs, surtout la veille de Noël, où le service divin durait depuis dix heures du soir jusqu’à une heure, on montait sur la tribune une grande charpente dorée qui en faisait un beau salon, avec des fenêtres de glace qu’on ouvrait à volonté.

Ce n’était que les jours de grandes fêtes que la cour descendait dans le bas de la chapelle, par deux escaliers tournants placés de chaque côté de la tribune. On couvrait le pavé de superbes tapis ; on disposait un prie-dieu et deux fauteuils pour le roi et la reine ; les princes avaient des chaises et un carreau ; tous les officiers et les dames se plaçaient derrière sur des tabourets et des banquettes ; enfin, les aumôniers et les gardes de la manche étaient de chaque côté du prie-dieu.

Il y avait ce jour-là une corvée qui était cependant bien recherchée, c’était la quête. Une jeune femme, après sa présentation, devait s’acquitter de cette fonction, qu’on redoutait bien un peu avant la cérémonie ; mais dont on était agréablement récompensé par le murmure de louanges et d’admiration que soulevait la présence d’une jeune femme, dans la fleur de l’âge et de la beauté, magnifiquement parée et couverte des diamants de toute sa famille. J’ai dit qu’on voyait venir ce jour avec une certaine appréhension. En effet, quel embarras pour une jeune personne qui avait à peine quitté sa mère, de se voir obligée de passer sous les yeux d’une cour nombreuse en faisant, avec lenteur, une multitude de révérences dont elle faisait, la veille, une répétition avec un homme chargé de la diriger ! Et elle n’avait même pas, comme dans les églises, la ressource d’être conduite par un cavalier qui aurait pu, au besoin, soutenir ses pas chancelants. À son trouble, à l’inquiétude de manquer une révérence, d’aller à tel prince avant tel autre, se joignait encore l’embarras de l’habit de cour, de cet énorme panier et de la longue queue. J’ai vu plusieurs de ces jeunes quêteuses dans un état à faire peine ; mais la coquetterie, l’ambition, leur faisaient vite oublier une gêne passagère et la fatigue de cette imposante cérémonie.

Cette quête rapportait beaucoup ; car, quoique les princes, les grands officiers et les dames donnassent seuls, comme on ne pouvait y mettre que de l’or, la recette montait très-haut et ne laissait pas que de gêner les personnes peu riches. Heureux qui pouvait se procurer un demi-louis ! à moins de faire comme un cordon-bleu qui y mettait constamment un jeton. On m’avait, en effet, assuré que depuis plusieurs années déjà, les jours des cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit, on trouvait toujours un jeton dans la quête. Sans la destruction de l’ordre, on aurait fini, à la mort de ce moderne Harpagon, par découvrir son nom, à moins qu’une disposition de son testament n’eût perpétué son secret. Ces quêtes, qui, les jours de processions, allaient à plus de cent louis, étaient remises aux curés de Versailles.

Les jours de grande fête qui tombaient un dimanche, on présentait le pain bénit au roi et à la famille royale. C’était un très-gros morceau de brioche. Louis XVI tirait son couteau de sa poche, et, après en avoir coupé une tranche, il donnait le reste aux pages de la chambre. Souvent même il ne prenait point tant de peine : il mordait à même la brioche. Le jour de mon entrée aux pages j’eus le morceau sur lequel les dents du roi avaient laissé leur empreinte, et, dans mon extase provinciale, je ne le mangeai qu’avec un certain respect.

La musique du roi exécutait des messes et des motets composés par les auteurs les plus distingués. À la messe de minuit du jour de Noël, on entendait avec admiration le hautbois du célèbre Bezozzi exécuter de petits airs que le calme de la nuit rendait encore plus gracieux. On avait attaché à la musique du roi douze enfants, appelés pages de la musique, qui remplaçaient les faussets. C’étaient les enfants des valets des officiers de la cour. Ils portaient la livrée de la grande écurie ; mais on les distinguait en ce qu’ils ne pouvaient avoir ni bas de soie ni boucles d’argent.

Quand le roi était dans le bas de la chapelle, on lui présentait le corporal à baiser ; c’était une des prérogatives de la royauté, le roi étant regardé comme sous-diacre.

Quand les évêques prêtaient serment au roi, c’était après l’évangile d’une messe qui se disait à l’autel de Sainte-Thérèse, où le pinceau de Santerre avait représenté cette sainte en extase, si belle, si voluptueuse, que bien des prêtres craignaient de dire la messe à cette chapelle.

Le grand aumônier de France était le cardinal de Montmorency-Laval[1], évêque de Metz, prélat fier et fastueux, que son nom, plus que ses connaissances, avait porté aux plus hautes dignités de l’Église. Il avait succédé dans cette charge au cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, après la malheureuse affaire du collier, où l’on avait vu le nom de la souveraine servir d’instrument à des fripons pour duper un grand seigneur. Aux yeux de la justice, le prince de Rohan n’était point coupable, et l’arrêt du parlement de Paris était conséquent, car le parlement n’était point juge des mœurs sociales ; mais aux yeux de la majesté royale le cardinal était répréhensible pour avoir cru sa souveraine capable d’entrer dans un marché clandestin dont les clauses étaient aussi déshonorantes pour lui que pour elle. La perte de ses charges, son exil loin de la cour, n’étaient donc pas une injustice, Comme ont voulu le faire croire les ennemis de la reine. Le cardinal en était si persuadé qu’il ne voulait point paraître aux États généraux sans la permission de la cour ; et, plus tard, sa conduite dans ses possessions allemandes, ses sacrifices pour la cause de Louis XVI, tout a prouvé que ce prélat était loin d’en vouloir au roi de l’avoir puni de ses imprudences.

Madame de Lamothe était coupable, aux yeux des lois et de la société, d’intrigues, de séductions et d’un vol considérable. Son prétendu nom de Valois n’était pas une raison de la soustraire aux peines infamantes qu’elle méritait. Sa conduite n’en devint pas meilleure. J’ai logé depuis dans le même hôtel que son mari, alors remarié, et je l’ai trouvé digne d’avoir eu une femme aussi coupable.

Le cardinal de Rohan, qu’on appelait le prince Louis, était encore très-bien conservé, lorsque je le vis aux États généraux, malgré toutes les infirmités qu’il contracta dans son exil à l’abbaye de la Chaise-Dieu, et un mal à l’œil qui l’obligeait de le couvrir d’un taffetas noir. Dans le temps de sa splendeur, c’était le plus noble et le plus magnifique seigneur de la cour. Personne ne fit mieux valoir son opulence et l’antique dignité de sa race.

Dans les fâcheuses affaires dont je viens de parler tout à l’heure, le cardinal fut mal servi par quelques uns de ses amis. On sait, en effet, que leur sotte méchanceté fit sortir de l’hôtel des monnaies de Strasbourg, en 1788, des louis d’or où l’effigie du monarque avait au front une petite protubérance qui semblait vouloir assimiler le roi aux maris trompés. La police s’empressa de faire disparaître cette scandaleuse monnaie. Mais il en a échappé plusieurs pièces qui ont trouvé un asile dans les cabinets des curieux. Moi-même, en 1794, j’en ai vu une entre les mains d’un négociant de Valenciennes, grand amateur de médailles, que je rencontrai à Anvers.

  1. Louis-Joseph de Montmorency-Laval, évêque de Metz, grand aumônier depuis 1786, ne devint cardinal qu’en 1789. (Notes des éditeurs.)