Souvenirs d’un squatter français en Australie/03

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Troisième livraison
Le Tour du mondeVolume 3 (p. 113-128).
Troisième livraison

SOUVENIRS D’UN SQUATTER FRANÇAIS EN AUSTRALIE[1]

(COLONIE DE VICTORIA)
PAR M. H. DE CASTELLA.
1854-1859


Achat de la station de Dalry. — Remise du bétail.

Quelques jours après, mon frère étant revenu de Port-Fairy, nous lui fîmes part de nos projets d’achat. Il les approuva sans réserve, heureux que nous ne fussions pas obligés de nous séparer, et nous prîmes jour avec notre voisin pour la remise de sa station.

Le prix en avait été fixé à sept livres sterling par tête de bétail, les veaux au-dessous de six mois non compris ; ce bétail devait être compté devant nous et le prix total ne pouvait être connu qu’après cette opération. Pendant les huit jours qui la précédèrent, notre voisin rassembla tout son troupeau dans son clos, dont il fit réparer tant bien que mal la clôture ; ensuite il fit construire, au moyen d’abatis d’arbres, un carré attenant à son yard, et assez vaste pour contenir ce troupeau tout entier.

Au jour fixé, mon frère, son intendant, Guillaume et moi, nous arrivâmes d’Yéring. De son côté notre voisin avait, outre son parent, deux de ses amis pour l’assister. Déjà, avant notre arrivée, tout le bétail avait été chassé du clos dans le grand carré construit provisoirement. Ou fit entrer dans un des carrés du vieux yard cinquante-têtes environ ; de là elles devaient passer successivement dans un autre carré et sortir une à une par la porte près de laquelle nous nous tenions ayant chacun une feuille de papier et un crayon à la main.

Le stockeeper du vendeur était dans ce dernier carré, armé d’une longue baguette pour contenir le bétail, et l’arrêter si quelque discussion s’élevait au sujet d’une des bêtes sortantes. À la sortie même, l’intendant de mon frère criait à mesure qu’elles passaient, bœuf, vache ou veau, et chacun faisait une marque en conséquence sur son papier. De temps en temps, pendant qu’on faisait entrer un nouveau détachement dans le carré intermédiaire, on collationnait les écritures. En cas d’erreur, la majorité l’emportait ; de même au passage d’un veau, si son âge était douteux, la majorité décidait.

En cinq ou six heures de temps tout le troupeau défila ainsi devant nous et nous comptâmes cinq cent quatorze bœufs, cinq cent soixante-sept vaches et quarante-trois veaux, formant un total de onze cent vingt-quatre têtes, qui fixait le prix de la station à sept mille huit cent soixante-huit livres sterling, soit cent quatre-vingt seize mille sept cents francs.

Outre ce bétail, nous recevions, sans que le prix de la station en fût augmenté, soixante et onze veaux au-dessous de six mois, dix-sept chevaux et tous les meubles, ustensiles, chariots, etc., etc., qui avaient appartenu à l’établissement. Le payement devait se faire en trois termes : le premier après le transfert par-devant notaire des droits relatifs à la concession, les deux autres à douze et à vingt-quatre mois.

Après le repas qui suivit la remise du bétail, nous montâmes à cheval pour aller visiter la partie de la station en amont de la Yarra. À quelques milles des huttes, la plaine cessait entièrement et nous eûmes trois ou quatre milles de taillis à traverser pour arriver à un grand ruisseau qu’on appelait le Don, ruisseau qui se jetait dans la Yarra et derrière lequel nous retrouvâmes une nouvelle petite plaine qui pouvait devenir utile pour le bétail. Le soir nous revînmes à Yéring : et assis au coin du feu, nous discutâmes longuement nos plans pour l’amélioration de notre nouvelle station.

Les huttes, les clôtures, les yards de Dalry étaient en si mauvais état, que la première chose à faire était de tout reconstruire.

Il nous fallait, malgré ses frais ombrages, ses eaux fraiches et sa bordure de pêchers, abandonner le Corondara et chercher ailleurs un emplacement moins poétique, moins pittoresque peut-être, mais plus approprié aux développements que prenait partout la culture.


Nous nous établissons à Dalry. — Reconstruction de nos bâtiments. — Établissement d’un pont sur la Yarra. — Tom le vieux convict. — Comment on trait d’emblée une vache entièrement sauvage. — Comment on soumet les jeunes bœufs à porter le joug. — La chasse aux taureaux sauvages.

Notre voisin s’était réservé de rester à sa station jusqu’à son départ pour l’Angleterre : le printemps était arrivé quand nous en prîmes possession. Nous gardâmes à notre service le stockeeper et sa famille, l’honnête Bradshaw, Écossais comme son ancien maître, et notre petite hutte reçut une partie de notre garde-robe seulement, le reste demeurant à Yéring, où Guillaume et moi nous conservâmes nos chambres. Les deux habitations n’étant séparées que par une heure et demie de galop, nous pouvions aller passer notre journée à Dalry, surveiller nos intérêts, et revenir le soir dîner en famille à Yéring.

Bientôt nous fûmes décidés sur le choix d’un emplacement meilleur pour nos habitations ; nous adressâmes à l’office du surveyor général à Melbourne, une demande à l’effet d’obtenir un arpenteur pour mesurer les six cent quarante arpents que nous voulions acheter alentour, et nous engageâmes des charpentiers pour transporter nos huttes et établir les nouveaux yards et les nouvelles clôtures. Enfin, avec l’aide de quelques voisins et de quelques ouvriers des environs, nous entreprîmes de construire sur la Yarra, un pont assez large et assez solide pour que nos lourds chariots et nos attelages de bœufs pussent le traverser. Ces ouvriers étaient des charpentiers de vaisseau ; des marins qui avaient quitté la mer pour aller aux mines, en étaient revenus désappointés et s’offraient pour faire toute espèce de gros ouvrages dans les fermes des environs de Melbourne. Afin de nous assurer un droit sur notre pont, nous le construisîmes à l’angle même de notre future section. De l’autre côté, le terrain appartenait à des Écossais qui furent pour nous d’excellents voisins, nous offrirent l’aide de leurs bras et de leurs bœufs de trait, et nous autorisèrent à faire une route qui, de notre pont, irait rejoindre la leur, aboutissant elle-même à celle d’Yéring.

Bientôt un premier tronc fut abattu dans la rivière, et celui-ci servit à en faire glisser d’autres qui furent traînés par nos bœufs, et l’air retentit des cris des conducteurs et des chants des ouvriers marins, qui marquaient la cadence pour tirer les cordes passées dans les poulies. Trois poutres immenses, trois arbres presque entiers supportèrent le tablier du pont, long de cent huit pieds, et un éperon de bois fut établi dans la rivière pour le protéger et rompre la force du courant.

En quinze jours ce pont fut terminé, et quand notre ami le major Paseley, ingénieur en chef de la colonie, vint nous voir quelque temps après, il me marqua son étonnement de ce que nous avions pu exécuter un pareil ouvrage avec quelques poulies et quelques crics seulement.

De l’autre côté de la rivière, nous fûmes obligés d’ouvrir notre route avec la hache. Elle fut bordée pendant près d’un kilomètre, d’un véritable mur de lianes et de plantes grimpantes qui couraient dans tous les sens sur le sol et tombaient des branches des mimosas pressés les uns contre les autres. Les oiseaux couvaient leurs nichées, pendant que la hache abattait ces arbres où ils s’étaient crus bien en sûreté. Un pigeon doré resta dans son nid tout au bord, à hauteur de main d’homme, malgré le bruit qui se faisait autour de lui, jusqu’au jour où sa jeune famille prit son vol.

Défrichement dans la station de Dalry. — Dessin de Karl Girardet d’après l’album de M. de Castella.

Nous avions parmi nos ouvriers un vieux convict de soixante ans, qui était depuis trente ans dans la colonie.

La province de Victoria n’a jamais reçu de convicts ; elle les a même tellement en horreur que son gouvernement fit une loi qui repoussait du territoire les convicts libérés des autres provinces. Cependant, dans ce pays ou nul ne vous demande, si vous n’y donnez pas sujet, qui vous êtes et d’où vous venez, plus d’un a pu se fixer et même fonder un établissement prospère. Notre vieux Tom n’était pas riche, mais il était si bon ouvrier, il avait une figure si ouverte et si honnête, qu’il a peut-être aujourd’hui sa maison et son coin de terre.

Le système pénitencier de la déportation est entre tous le plus humain et celui qui produit les meilleurs résultats. Tom avait été, disait-on, déporté pour des fautes graves. Il avait eu peut-être un fort mauvais visage ; mais sous l’influence d’un climat nouveau, loin des causes qui avaient amené sa dégradation, dans une contrée où il se trouvait abrité en partie de sa honte, et par cela même débarrassé de la haine qu’il aurait toujours gardée à la société, il avait repris une bonne physionomie. Content de son honnêteté actuelle, d’autant plus qu’elle était pour lui un bien acquis, il y tenait plus encore que s’il n’y avait jamais failli. Pour mon compte je lui aurais, sans avoir pris de témoins, donné ma bourse à garder.

Trois mois après notre installation, Dalry avait entièrement changé d’aspect. Nous avions transporté notre hutte et celle de Bradshaw, construit une hutte nouvelle pour les ouvriers, une écurie pour nos chevaux, établi une excellente laiterie avec un toit double, le toit inférieur en chaume sous un toit d’écorce, et trois maçons de notre pays qui étaient venus nous demander de l’ouvrage, creusaient les fondements d’une bonne maison en pierre.

Pour suffire à toutes ces dépenses nous avions vendu près de deux cents têtes de bétail gras à neuf livres la tête, au moins cent cinquante veaux qui valaient à Melbourne près de trois livres chacun, les veaux ne pouvant être amenés d’aussi loin que le gros bétail et les moutons, sans compter nombre de bœufs de trait et de vaches laitières qui se vendaient de douze à dix-huit livres sterling.

Le moyen employé pour habituer ces vaches sauvages à se laisser traire était assez ingénieux : lorsqu’en parcourant notre run nous rencontrions une vache avec un nouveau-né, nous la chassions vers nos yards avec le groupe de bétail dont elle faisait partie. Là, elle était séparée des autres bêtes et on la faisait entrer dans un carré en avant d’un hangar, derrière lequel se trouvait un étroit couloir ou l’on chassait le veau. La vache entendant les cris de sa progéniture se précipitait sous ce hangar dans une stalle construite à cet effet, au fond de laquelle se trouvait une ouverture donnant sur le couloir par où une vache pouvait passer la tête. Sitôt qu’elle s’y était engagée on redressait un poteau mobile sur le côté de cette ouverture, on le fixait au haut au moyen d’une simple cheville, et la pauvre bête était prise, ne pouvant retirer ses cornes en arrière. Alors on lui prenait un de ses pieds de derrière avec un nœud coulant et on le lui attachait à un fort poteau. Retenue par la tête, n’ayant plus que trois pieds pour se tenir debout, elle ne pouvait opposer la moindre résistance, et n’eût-elle jamais été touchée par la main d’un homme, un enfant pouvait la traire. Après l’opération on ouvrait, à côté d’elle, une petite porte par où le veau entrait toujours bêlant ; on le rendait à sa mère et on la dégageait de ses entraves.

Les produits de la laiterie étaient un des revenus de notre station. Dans la bonne saison nous avions jusqu’à cent vingt vaches auxquelles chaque matin notre stockeeper, sa femme et les aînés de leurs enfants faisaient subir l’opération que je viens de décrire. Notre clos fermé n’eut pas pu longtemps nourrir un pareil troupeau, et cependant on ne pouvait chaque matin aller chercher les vaches au loin : voici encore comment on s’y prenait.

Après qu’on avait trait toutes les vaches, en ayant soin de leur laisser une partie de leur lait pour leurs veaux, on les chassait dans le grand clos fermé, où on les laissait avec les veaux pendant trois ou quatre heures. Alors on rassemblait de nouveau ce troupeau ; on séparait les mères d’avec leurs veaux, et, tandis qu’on gardait ceux-ci dans un clos plus petit attenant au hangar, on chassait les vaches dans le bush en dehors des clôtures. Elles allaient quelquefois assez loin chercher leur nourriture ; mais dès le matin, gênées par leur lait elles revenaient d’elles-mêmes près du hangar derrière lequel les veaux affamés remplissaient l’air de leurs cris.

Nos huttes n’étaient qu’à quelques centaines de pas des yards ; j’aimais à entendre chaque matin cet assourdissant concert de beuglements : sans doute s’il avait été produit par le bétail d’autrui je l’aurais trouvé bien désagréable.

J’ai parlé souvent des bœufs de trait ; le procédé pour les dresser était bien simple aussi. Les bœufs en Australie sont attelés au moyen d’un joug qu’ils portent sur la nuque et d’une fourche en fer qui les prend sous le cou et se fixe dans le joug avec une clavette. De cette façon ils tirent avec la nuque et les épaules.

Quand on veut dresser une jeune bête, on l’accule dans un coin du yard et on amène à ses côtés un vieux bœuf retraité qui n’est plus bon qu’à donner de bons conseils aux jeunes. Celui-ci a déjà le joug sur son dos ; on passe comme on peut la barre pare dessus l’autre et on lui ajuste rapidement la fourche en fer. Le jeune animal se sentant pris bondit en avant, en arrière, dans tous les sens, entraînant son pauvre vieux compagnon. On les renvoie tous les deux ainsi accouplés au pâturage. Pendant un jour, deux jours, trois jours, le jeune bœuf s’épuise en vains efforts, secouant toujours son infortuné camarade, ne le laissant pas manger parce qu’il ne veut pas manger lui-même. Le pauvre vieux laisse tomber patiemment sa tête en avant, résistant comme il peut aux gambades de son furieux associé. La faim, la fatigue et peut-être les sages exhortations en viennent à bout cependant, et quand ils ont passé quinze jours, broutant, dormant, buvant, marchant aux mêmes heures, le conducteur arrive avec son fouet et les fait tirer ensemble. Le jeune bœuf humilié et maté devient bientôt aussi doux que son vieux compagnon.

Outre la chasse dans la plaine et sur la rivière, la chasse au kanguroo et la chasse à l’oiseau-lyre dans la montagne, nous avions à Dalry une chasse plus grande et plus émouvante, la chasse au taureau sauvage.

Les hautes montagnes dont nous étions environnés, les épais taillis dans lesquels le bétail pouvait s’enfoncer, nous causaient bien des embarras. C’était là que, dès longtemps avant nous, de jeunes vaches craignant de se voir enlever leurs veaux, les avaient emmenés avec elles ; acclimatées dans ces forêts elles ne les avaient plus quittées, leurs veaux étaient devenus grands et peu à peu ces montagnes s’étaient peuplées de bétail entièrement sauvage. Le voisinage de ces animaux avait un double inconvénient : premièrement, sans qu’ils nous fussent d’aucune utilité, ils venaient manger une partie de nos herbes et emmenaient en s’en retournant les plus sauvages de nos bêtes ; ensuite, comme une partie d’entre eux était des taureaux horribles, maigres, osseux, chargés d’épaisses cornes qui s’écartaient vilainement de chaque côté de leur tête, lorsqu’ils se mêlaient à nos troupeaux, ils abâtardissaient la race.

Colonie de Victoria. — Fourré au pied des montagnes. — Dessin de Français d’après une photographie.

Pendant les grandes chaleurs de l’été, des bandes entières de ces wild-cattles descendaient le soir vers certains endroits profonds du Corondara et jusque sur les bords de la Yarra. Armés de nos fusils et de nos carabines, nous cherchions à les détruire. Ils étaient difficiles à tuer et ne tombaient que lorsqu’ils avaient été atteints au front ou au cœur. Quand une balle leur arrivait dans la tête plus bas que la ligne des yeux, ou dans le corps, ailleurs que près de l’épaule, ils ne faisaient que se secouer, labouraient la terre avec leurs pieds puissants, et, dès qu’ils nous apercevaient s’élançaient vers nous : il nous fallait fuir alors de toute la vitesse de nos chevaux.

Quelquefois nous rencontrions un de ces animaux écarté du reste du troupeau. Alors l’un de nous descendait de cheval et se cachait le fusil en main derrière un gros arbre tandis que l’autre allait exciter le taureau jusqu’à ce que celui-ci se décidât à lui donner la chasse. Fuyant devant lui, l’homme à cheval faisait passer l’animal furieux à quelques pas de l’arbre où il était attendu, et d’ordinaire le taureau roulait frappé au front par trois ou quatre chevrotines. J’en ai vu tomber la tête à terre, et par l’impulsion de leur masse lancée au galop, rester le cou replié et la tête prise, sous leur corps immobile.


Retour d’un de nos amis qui vient de faire un voyage de cinq cents lieues dans l’intérieur de la colonie avec un troupeau de deux mille têtes de bétail. — Récit de son voyage. — Passage du Nammoi avec ce troupeau. — Passage du Macquarie. — Arrivée sur les bords du Lachlan.

Nous étions tranquillement assis ou plutôt étendus sous la vérandah d’Yéring, fumant notre cigare après notre dîner, quand la vieille Flora, couchée à nos pieds, s’élança vers l’entrée du cottage, aboyant de sa voix la plus joyeuse, comme pour saluer l’arrivée d’un ami. C’était un ami en effet, Ernest Leuba, un de nos compatriotes, qui avait été longtemps employé chez mon frère et était parti six mois auparavant pour un grand voyage de Sidney à Adélaïde, par l’intérieur de la colonie. Le pauvre garçon était tellement maigri et brûlé du soleil, tellement noirci par le grand air, que nous fûmes quelques instants à le reconnaître.

« Comment ! c’est vous, Leuba, et à pied ! Où donc est votre cheval, et dans quel accoutrement nous arrivez-vous ?

— J’ai laissé mon cheval dans un ruisseau des plaines du Murray, nous répondit-il en riant et en nous rendant vigoureusement nos amicales poignées de main : quant à mon costume, donnez-moi la clef de ma malle, que je puisse aller me changer, et je vous raconterai mes aventures ensuite. Je suis bien heureux d’être arrivé, car j’ai cru vraiment, par moments, que je ne reverrais plus Yéring. »

Son costume était à peindre : un pantalon de toile bleue, une chemise de flanelle rouge ; et par-dessus le tout, une grande houppelande grise à brandebourgs, dans laquelle il aurait pu tenir deux fois. Un chapeau de feuilles d’arbre choux, chapeau classique des habitants du bush, disait toute une histoire d’immenses fatigues, de nuits passées sur la terre nue auprès du feu, de longues journées de route pendant les pluies froides de l’hiver.

Typoon arriva faisant force acclamations : Oh mister Luba — you very thin — you no plenty tschau-tschau and small sleep along bush — Oh mister Luba, dinner very good (Oh ! monsieur Leuba, vous bien maigre, vous pas bon dîner et court sommeil dans le bush. — Oh ! monsieur Leuba, ici très-bon dîner). Et déjà le bon Chinois mettait la nappe pour notre ami.

Certes il avait le droit d’être fatigué, d’être maigri ; car avec deux mille têtes de bétail, il venait de faire cinq cents lieues de marches et de contre-marches à cheval, et n’avait pas couché une seule fois dans un lit pendant cinq longs mois.

« On m’offrirait n’importe quoi pour recommencer ce voyage, nous disait-il pendant que nous vidions à son bon retour la meilleure bouteille de notre cave, on m’offrirait n’importe quoi pour le recommencer demain, que je n’accepterais pas. »

Et cependant, à l’heure où j’écris ces lignes en Europe, mon ami Leuba est en pleine mer, en route pour Melbourne, après une visite d’un an qu’il est venu faire en Suisse à sa famille. Il regrettait la vie du bush, et l’autre jour quand je lui demandai s’il pensait souvent au Macquarie, au Lachlan et au Murray : « J’y retourne, » me répondit-il.

Depuis l’arrivée de notre compatriote à Yéring, la conversation de chaque soir roulait sur son grand voyage. Il nous donnait tous ces détails qui font le charme de la conversation intime, mais qui échappent lorsqu’on veut laborieusement reconstruire et raconter ce qu’on n’a pas vu soi-même. Cependant cette expédition dans l’intérieur me paraît si propre à peindre la vie des squatters australiens, que je veux essayer de l’esquisser ici. Il me manque des noms de lieux et de ruisseaux, d’arbres et de plantes, pour en faire plus qu’une esquisse ; ni lui ni moi nous ne songions alors à en publier le récit ; mais si je ne puis donner une peinture des choses, du moins retracerai-je une manière de faire, de vivre et de spéculer, dans la carrière aventureuse du colon.

À deux cents milles au nord de Sidney se trouve une vaste contrée appelée la Nouvelle-Angleterre, divisée en immenses stations portant jusqu’à trente mille têtes de bétail ou cent mille moutons. Ces stations appartiennent généralement à de riches squatters résidant à Sidney, car le sol de ces contrées est ingrat, et le climat très-chaud en été, froid en hiver, parce que la Nouvelle-Angleterre forme un plateau élevé que les vents du sud traversent en descendant des montagnes Bleues.

Ce district est célèbre par l’excellence de son grand et beau bétail, qui, transporté dans les stations du sud, sous un climat plus doux et dans des pâturages meilleurs et plus abondants, s’y engraisse rapidement. Les stations de la Nouvelle-Angleterre sont donc exclusivement des stations pour élever du bétail ; elles fournissent de bêtes grasses celles de Victoria et même celles de la colonie d’Adélaïde. Le bétail, dans cette colonie, située à l’ouest de Victoria, est toujours d’un prix plus élevé que sur les marchés de Sidney et de Melbourne, et des hommes courageux et entreprenants achètent des troupeaux dans les districts de la Nouvelle-Angleterre ou de Moreton-Bay pour les emmener avec eux dans les provinces du sud, faisant des voyages de cinq à dix mois dans l’intérieur des terres avec deux mille à deux mille cinq cents têtes de gros bétail ou bien avec d’immenses troupeaux de moutons.

Station de Dalry. — Le retour du marché. — Dessin de Karl Girardet l’album de M. de Castella.

Certes, il faut du courage pour risquer, dans de pareilles entreprises, des capitaux considérables. Ces voyages sont toujours écrasants de fatigue ; ils se font pendant les pluies de l’hiver, car des troupeaux entiers, attardés par quelque raison imprévue jusqu’à l’été, ont péri dans les plaines de Liverpool ou du Macquarie. Quel que soit le nombre d’hommes qu’on prend avec soi, l’œil du maître ne doit jamais se fermer pour ainsi dire, et c’est lorsque la fatigue est la plus grande qu’il doit déployer le plus de vigilance. Cependant si ces expéditions sont accompagnées de fatigues et de dangers de toute espèce, les profits assurés à celui qui arrive heureusement au terme du voyage sont si considérables, qu’il se trouve toujours des hommes énergiques prêts à tenter l’entreprise. L’énergie n’est-elle pas d’ailleurs la vertu la plus commune dans les colonies ?

M. Darchy, un Anglais de notre connaissance qui avait été élevé en Suisse, était un de ces hommes. Il allait acheter à Weewaa, sur le Nammoi, à trois cents milles de Sidney, un troupeau de deux mille bœufs, qu’il devait revendre dans le district d’Adélaïde, à la jonction du Murray et du Darling. Le 22 mai 1855, notre ami Leuba, désireux de faire ce voyage avec lui, partit pour aller le rejoindre à Sidney. L’expédition devait se composer de neuf hommes : M. Darchy et Leuba, puis deux jeunes volontaires qui entreprenaient ce voyage pour apprendre le métier de squatter, véritables surnuméraires non rétribués, mais traités en amis par le maître, et qui n’en devaient pas moins prendre toute leur part de fatigue ; enfin trois stockeepers, un conducteur pour les chariots et deux noirs, ceux-ci utiles surtout pour construire des canots, pour retrouver les chevaux le matin, suivre les traces du bétail égaré et fournir la caravane de gibier.

Seize chevaux de selle furent achetés à Sidney ; on se procura aussi six forts chevaux de trait et deux chariots à l’épreuve qui avaient déjà supporté au moins un voyage aux mines. Les provisions se composaient d’une tonne de farine, de deux balles de sucre, d’une caisse de thé, d’un tonneau de bœuf salé et d’une barrique d’eau-de-vie. Une petite tente de campagne devait abriter M. Darchy, Leuba et leurs deux amis.

Le 5 juin, à onze heures du soir, la petite troupe prit place à Sidney sur le steamer qui fait le service des côtes, et, après douze heures de traversée, débarqua avec ses chevaux, ses chariots et ses provisions à Maitland, sur la rivière Hunter, à cent vingt milles au nord de Sidney. Là, les chevaux furent attelés aux chariots, et on se mit en route pour Weewaa.

Trois cents milles environ séparent Maitland de Weewaa ; cette route devait se faire à petites journées, parce qu’on voulait conserver les chevaux frais pour leur travail futur. Chaque jour on faisait environ seize milles, et le soir, quand on arrivait à un ruisseau ou à un étang, on mettait les entraves aux chevaux, on les laissait en liberté et on s’établissait pour la nuit.

Un mois environ après leur départ de Maitland, Darchy et ses gens arrivèrent à Weewaa. Autant le pays qui entoure Maitland est riche et fertile (la culture y faisant chaque jour des progrès), autant toute l’immense plaine qui entoure Weewaa, sur un diamètre de plus de deux cents milles, est monotone et triste. Là seulement quelques pauvres huttes de bergers, point de culture, et cependant des milliers de moutons et de bœufs, des fortunes énormes appartenant à des propriétaires absents. Mais n’est-il pas bien naturel que, pour y établir leurs résidences permanentes, ces riches propriétaires préfèrent à ce pays ingrat les magnifiques environs de Sidney.

Weewaa est un petit village mal bâti, d’environ trois cents habitants. On y trouve un store, une mauvaise auberge, une station de police, un atelier de maréchal ferrant, le tout en bois, formant une seule rue au bord du Nammoi. Darchy y était depuis près d’une semaine quand, vers le milieu du jour, on entendit les beuglements lointains du troupeau qu’il attendait. Aussitôt lui et ses gens montèrent à cheval pour aller à sa rencontre ; ils prirent avec eux une partie des vaches laitières du village, qu’ils chassèrent vers le bord de la rivière, afin que, vues de l’autre rive par le bétail, elles l’engageassent à entrer dans l’eau plus facilement.

Le Nammoi était large de plus de quatre cents pieds. Jamais on ne peut faire traverser un aussi large cours d’eau par un troupeau sans difficultés. Voici comment on s’y prend. On commence par séparer trois à quatre cents têtes, et on les pousse vers le bord à grands coups de fouet en les effrayant par des cris. Quand ces bœufs sont entrés dans l’eau, ils nagent en colonne serrée sur huit à dix de front, rompant ainsi la force du courant. Mais souvent, arrivés vers le milieu de la rivière, ceux qui tiennent la tête font un demi-tour et ramènent toute la colonne en arrière, — ce qu’en langage de bush on appelle faire l’anneau. — Toute la besogne est à recommencer jusqu’à ce qu’on ait réussi à faire passer le premier détachement. Alors le travail devient inverse. On a autant de peine à empêcher tout le reste du troupeau de se précipiter à la fois dans la rivière qu’on en a eu à y faire entrer les premières bêtes. On s’efforce cependant de le contenir, car les animaux les plus vigoureux, passant par-dessus les plus faibles à l’arrivée, ce ne serait pas sans danger pour ces derniers que deux mille bœufs feraient pêle-mêle la traversée.

Ce passage des rivières par de grands troupeaux est un magnifique spectacle, plein de ce que les Anglais appellent excitement (full of excitement), mot qui n’a pas d’équivalent dans notre langue et dont on trouve à chaque pas l’application dans la vie australienne.

Eucalyptus servant de pont dans la station de Dalry. — Dessin de Karl Girardet l’album de M. de Castella.

Après avoir traversé le Nammoi, on se dirigea vers la station ou plutôt vers les yards les plus voisins, où le vendeur fit à M. Darchy la remise du bétail. Ce bétail se composait exclusivement de bœufs âgés de plus de trois ans, de grande et belle race ; il était vendu au prix de trois livres dix shillings par tête, soit ensemble cent soixante-quinze mille francs ; j’avais donc raison de dire qu’il faut, outre le courage et l’énergie, des capitaux considérables pour entreprendre de pareils voyages.

On campa près des yards, et le lendemain on se mit en route, se dirigeant au sud, vers la rivière Macquarie, distante de cent quatre-vingts milles. À partir de ce moment, le travail sérieux commença pour les hommes qui faisaient partie de l’expédition. Chaque matin, à la pointe du jour, on levait le camp et on mettait le troupeau en marche. Le conducteur des chariots, aidé d’un des noirs, pliait la tente, rechargeait ses voitures et suivait la trace du bétail. Darchy partait en avant, choisissait pour faire la halte l’endroit qui lui semblait le plus propice, et revenait en avertir ses gens. Pendant la halte, une partie des hommes surveillait le troupeau pour l’empêcher de s’écarter trop (surtout lorsque les bœufs trouvaient peu à manger), et on faisait le repas de midi. Les provisions se composaient de viande fraîche achetée dans les stations qu’on traversait, et de gibier dont les noirs pourvoyaient la troupe. Quand ces deux ressources manquaient, on avait recours au bœuf salé. Le thé arrosait chaque repas ; c’était la boisson du matin, celle de midi et celle du soir.

Après trois heures de repos, on repartait, Darchy prenant encore les devants pour choisir le campement de nuit. On faisait dix milles seulement chaque jour. Deux heures avant le coucher du soleil, on s’arrêtait de nouveau pour laisser manger le troupeau et on établissait le camp. Lorsque le camp était en rase campagne, ce qu’on appelle un camp rond, la moitié des hommes était de garde autour du bétail pendant une moitié de la nuit, tandis que les autres se reposaient. Un camp appuyé d’un côté à un ruisseau ou à une clôture de station était gardé par trois hommes. Un camp de rivière, c’est-à-dire un camp enfermé dans quelque circuit de rivière, était gardé par deux hommes seulement.

La nuit était toujours la partie la plus pénible, la plus difficile du voyage. Souvent sans qu’on pût en deviner la cause, le bétail était inquiet, et les bœufs, refusant de se coucher, restaient continuellement en mouvement ; c’est ce qui arrivait particulièrement pendant les nuits sombres. — Les orages surtout les effrayaient. Quelquefois, saisis d’une terreur panique, ils rompaient la chaîne des gardiens, et, malgré les cris de ceux-ci, malgré les tisons enflammés qu’on leur jetait à la tête pour les faire reculer, ils s’élançaient par-dessus ces hommes, leur laissant juste le temps de se cacher derrière quelque tronc d’arbre, et ils fuyaient tous dans la même direction. Il fallait alors que tout le monde se levât ; on reprenait les chevaux, et souvent ce n’était qu’à la pointe du jour qu’on avait retrouvé tout le bétail.

Les animaux comme les hommes reconnaissent des chefs. Après quelques jours de route, l’œil exercé du squatter remarquait facilement les bœufs influents parmi les autres, ceux qu’on appelle les leaders, les conducteurs. Quand tout le troupeau avait été dispersé, il suffisait de s’assurer de la présence de ceux-ci pour savoir qu’il était bien au complet. On ne pouvait pas, du reste, s’en convaincre autrement, car, sur deux mille bœufs, une diminution de cinquante têtes n’eût pas été sensible. Si quelqu’un de ces conducteurs manquait, comme il n’était certainement pas seul, il fallait s’arrêter et passer quelquefois trois ou quatre jours à chercher les fugitifs, qu’on était sûr de rencontrer, rebroussant chemin et retournant vers leur ancienne patrie.

Vingt-deux jours après avoir quitté Weewaa et le Nammoi[2], l’expédition, qui venait de traverser les plaines de Liverpool et les Castlereagh, arriva au bord du Macquarie, rivière large comme la Seine aux environs de Paris, et toute bordée de grandes stations appartenant à des squatters, qui, pour la plupart y résidaient eux-mêmes. Là, on retrouva de belles habitations, des jardins, des enclos cultivés.

Les pluies avaient tellement grossi la rivière, que Darchy resta huit jours campé, attendant un moment favorable pour la traverser. Les noirs étaient utiles partout pour transporter de l’autre côté des cours d’eau les hommes et les provisions. Ils construisaient les canots avec l’écorce de gommier, et déjà il fallait aller chercher au loin des arbres convenables dans les endroits traversés par des routes. Quand les canaux étaient faits, les noirs passaient un à un une partie des hommes, auxquels on envoyait leurs chevaux à la nage, afin qu’ils pussent recevoir le bétail. Après que tout le troupeau avait traverse la rivière, ceux qui étaient restés les derniers chassaient leurs chevaux, et les noirs les passaient à leur tour. C’étaient encore les noirs qui passaient les provisions dans leurs canots. Quant aux chariots on les garnissait de tonneaux vides, solidement assujettis ; on les attachait à une longue corde fixée de l’autre côté au harnais d’un cheval ; puis, en chassant ce cheval, on les amenait sans peine sur la rive opposée. Quelquefois, lorsque la rivière était peu large et le courant peu rapide, un noir se mettait à l’avant du chariot, un autre à l’arrière, et, passant la tête entre les planches qui le composaient, ils traversaient à la nage avec cette lourde charge sur le dos.

Tout le pays qui s’étend entre le Macquarie et le Lachlan est composé de vastes plaines couvertes de gommiers et de mimosas ; il est, en général, occupé par des moutons. À mesure qu’on s’éloigne du Macquarie, le sol devient plus mauvais, et l’on rencontre quelquefois plusieurs lieues carrées de prairies couvertes de broussailles de sept à huit pieds de hauteur, sous lesquelles aucune herbe ne peut croître. Ainsi l’expédition mit vingt-cinq jours pour aller de Macquarie au Lachlan ; sur ces vingt-cinq jours, elle en passa dix tout entiers dans ces broussailles. Là surtout, le bétail qui cherchait toujours à s’engager dans le taillis était difficile à conduire. On en faisait deux troupeaux ; le premier, composé des bêtes les plus sauvages et les plus rapides ; le second, des bêtes les plus lentes, mais la difficulté n’en était pas moins grande pour les surveiller, car deux mille bœufs formaient une longue colonne sur une route de peu de largeur.

On doublait les étapes dans ces pays de broussailles ou le bétail ne trouvait point de nourriture. De loin en loin, on rencontrait de petites vallées de quelques centaines de pas de diamètre, ou le sol affaissé et par conséquent plus humide, empêchait les broussailles de croître ; on les utilisait pour y parquer le bétail pendant la nuit et pour y établir le camp.

Cette partie du voyage fut la plus pénible, car on était au mois de septembre, et la pluie tombait sans interruption ; mais déjà c’étaient les pluies du printemps, pluies chaudes qui annonçaient la fin de l’hiver.

Nos voyageurs étaient depuis trois jours au plus épais de ces broussailles, tous mouillés jusqu’aux os, et, n’ayant plus rien de sec pour se changer, quand, le 24 septembre, ceux qui marchaient en tête du troupeau découvrirent tout à coup, en avant d’eux, les immenses plaines du Lachlan, qui s’étendaient à perte de vue, à leur droite et à leur gauche, nues et couvertes d’herbes. Le taillis cessait subitement, comme en Europe une jeune forêt qui touche à un champ labouré, et, à un mille de distance seulement, une double bordure de gommiers blancs et de mimosas marquait le cours du Lachlan. Il était onze heures du matin, le soleil achevait de dissiper les nuages de la nuit, et la brise arrivait chargée de parfums des mimosas. C’était après le voyage dans le désert l’arrivée à la terre promise. Le bétail affamé se jeta sur cette herbe tendre du printemps, et il fallut que tous les hommes fissent un usage énergique de leurs fouets pour les forcer à marcher jusqu’à la rivière, au bord de laquelle on allait prendre quelques jours d’un repos nécessaire.


Le Lachlan. — Magnifiques contrées pour le bétail. — Arrivée à la jonction du Murray et du Darling. — Vente du troupeau. — Bénéfices pour ceux qui entreprennent de pareils voyages. — Notre ami revient seul à Melbourne. — Son cheval s’embourbe dans un ruisseau. — Mort de son cheval. — Une course de dix-sept heures de galop entre les sacoches qui contiennent les dépêches de la malle.

À Yering, quand mon ami Leuba nous parlait du Lachlan, il oubliait toutes les fatigues de son long voyage. Ils y étaient arrivés aux premiers jours du printemps, alors que les arbres étaient en fleurs, que l’eau et les herbes étaient abondantes pour le bétail. Dès lors leur voyage déjà fait aux deux tiers devenait facile, et ils pouvaient en prévoir l’heureuse issue.

Fleurs et fruits du Metrosideros speciosa.

Après quelques jours de repos, quand ils se mirent en route, ce ne fut plus qu’une promenade au travers des prairies ; ils suivaient constamment le cours du Lachlan, et le soir ils enfermaient leur troupeau dans quelque circuit de la rivière. Quelquefois il leur suffisait de mettre les deux chariots à la suite l’un de l’autre à l’entrée de ce circuit, pour que le bétail y fût enfermé comme dans un clos.

Les rivières australiennes sont en effet remarquables par le caprice de leurs méandres, et ces presqu’îles de deux ou trois cents arpents de frais gazon, bordées par une rivière profonde et par une haie de magnifiques gommiers blancs qui s’élancent majestueux au-dessus des mimosas, sont d’un aspect qui ne ressemble à rien de ce que nous rencontrons dans nos pays. Au-dessous et au travers du feuillage ténu et léger des gommiers on découvre toujours l’immense horizon.

Quand le troupeau était en sûreté dans ces enclos naturels, nos voyageurs s’éparpillaient pour se livrer aux plaisirs de la pêche et de la chasse. Des tribus entières d’outardes et de casoars erraient dans la plaine, la rivière était couverte de canards de toute espèce, et des centaines de pigeons sauvages, immobiles sur les branches des arbres, allongeant seulement leur cou de droite et de gauche, ne permettaient pas au tireur le moins adroit de faire une mauvaise chasse. C’étaient de charmants pigeons gris brun, gris cendré, jaune brun, brun rouge, sans compter les magnifiques bronzewings, les pigeons aux ailes d’or. De leur côté, chaque soir les noirs revenaient chargés d’œufs de canards et d’outardes qu’ils avaient dérobés aux nids de ces animaux.

Cette vie douce et facile était cependant encore assaisonnée par le danger. Un soir, après le dîner, Leuba était assis sur un tronc d’arbre auprès du feu, tenant sa pipe d’une main et son verre de grog de l’autre, lorsqu’il vit un gros serpent diamant qui, monté par derrière sur le tronc où il était assis, glissait sur ses jambes pour s’aider à descendre de l’autre côté. Grande fut sa frayeur : il resta immobile, les deux mains en l’air, et le serpent déroula lentement sur lui ses anneaux nerveux. Quand il fut à terre, le cuisinier le tua avec sa pelle.

L’expédition longea le Lachlan pendant plus d’un mois, faisant seulement huit milles de route par jour, afin de profiter de l’excellence des pâturages de cette contrée. Les lois de la colonie autorisent les conducteurs de troupeaux en voyage à s’écarter à droite et à gauche de leur route à un demi mille, ce qui est suffisant quand les herbes sont abondantes. Mais les squatters entre eux sont moins rigides, et l’on peut outrepasser cette limite dans le cas de nécessité.

Les bords du Lachlan sont occupés par de splendides stations : à chaque dixième mille on en trouvait une nouvelle. Le bétail de ce district devient si gras qu’il est quelquefois difficile de le faire voyager. Aussi y rencontre-t-on encore plus de gros bétail que de moutons.

Les bœufs à l’état sauvage ont une aversion particulière pour les moutons. Là où un troupeau de moutons a campé, il est impossible de faire manger le bétail, tandis qu’au contraire les chevaux sont friands de l’herbe verte et touffue qui croît sur les emplacements où ils ont été parqués. Il suffit de quelques moutons pour mettre en déroute tout un troupeau de bœufs. Darchy arrivant un jour sur un terrain occupé par un large troupeau de moutons, ceux-ci s’élancèrent au galop au milieu des bœufs, malgré les efforts que faisaient les conducteurs pour les chasser, malgré les cris de la pauvre noire demi-nue qui les gardait. Les bœufs effrayés rompirent leurs rangs et partirent au galop suivis de tout le troupeau de moutons. Tous pêle-mêle firent une course de quatre à cinq milles et ne furent arrêtés que par un large bras de lagune qui entourait un mamelon formant une sorte d’île dans la plaine. Les bœufs, entrant au galop dans cette eau peu profonde, foulèrent aux pieds les quelques moutons qui y arrivèrent en même temps qu’eux. Trois ou quatre de ces derniers furent noyés, et il fallut, pour rétablir la tranquillité, que les conducteurs emportassent de l’autre côté de l’eau les moutons qui étaient parvenus à la passer. On campa sur cette île pendant la nuit, et l’un des moutons tués servit au repas du soir.

Metrosideros speciosa[3]. — Dessin de Rouyer d’après nature.

Arrivés à Apple-Hill, à quelques milles de la jonction du Murray et du Lachlan, Darchy et sa troupe dirent adieu à cette belle rivière, et se dirigèrent, parallèlement au Murray, vers la jonction de ce fleuve avec le Darling. C’était là que le troupeau devait être vendu à un squatter d’Adélaïde. Ils y arrivèrent quinze jours après avoir quitté le Lachlan. La traversée du Murray, large en cet endroit d’un demi-kilomètre, couronna dignement ce grand voyage.

Un grand nombre de sauvages étaient campés sur les bords du fleuve et avaient des canots tout prêts pour aider les voyageurs à le traverser. Les tribus du Murray et du Darling sont aujourd’hui les plus nombreuses en Australie, particulièrement celles du Darling ; aussi l’on entend encore quelquefois parler de déprédations commises par eux dans des stations écartées. Il y a quelques années seulement, dans une station située sur cette rivière, une tribu de noirs enleva un troupeau de moutons. Le châtiment ne se fit pas attendre : ils étaient environ trois cents festoyant autour d’un véritable carnage de ces animaux, lorsqu’une vingtaine de cavaliers (tous les squatters des environs rassemblés à la hâte) arrivèrent et chargèrent la tribu. Déroulant leurs grands stockwhips, ils labourèrent de coups de fouet ces pauvres voleurs absolument nus[4], qui s’enfuyaient dans toutes les directions. Quelques-uns furent tués, et ce fut une leçon pour les autres. Les noirs ont une grande frayeur des squatters ; ils les considèrent comme des centaures armés d’un fouet terrible, qu’ils redoutent plus qu’une arme plus dangereuse.

Vue du Murray pendant les hautes eaux. — Dessin de Français d’après Mitchell.

Après avoir traversé le Murray, Darchy fit la remise de son troupeau au nouvel acquéreur qui l’attendait de l’autre côté du fleuve. Il le lui vendit au prix de cinq livres dix shillings par tête, réalisant ainsi sur le prix d’achat un bénéfice de quatre mille livres sterling, soit cent mille francs. Il vendit aussi ses chevaux et ses chariots, et cette seule vente servit à couvrir ses frais de voyage, car chevaux et chariots valaient plus dans le district d’Adélaïde qu’ils ne lui avaient coûté à Sidney.

Ces transactions terminées, tous revinrent à l’auberge située au bord de la rivière, ou un copieux dîner arrosé de champagne termina l’expédition. Le lendemain, ceux qui l’avaient composée se séparèrent. Darchy et ses deux amis partirent pour Adélaïde, les stoclkeepers allèrent chercher de l’emploi dans les stations voisines, et Leuba, monté sur un des meilleurs chevaux de Darchy, dont celui-ci lui avait fait présent, prit seul la route de Melbourne pour revenir à Yéring.

Il avait déjà chevauché pendant trois jours à travers les plaines qui s’étendent sur la gauche du Murray, dans la direction de Swanhill, couchant chaque soir, enveloppé dans sa couverture, près des huttes de quelque station, préférant la terre nue aux lits de camp des bergers ou des stockeepers qui tous lui offraient l’hospitalité, lorsque le quatrième jour, comme il quittait la station ou il s’était arrêté, on lui recommanda de prendre, à douze ou quinze milles de là, sur trois chemins qui s’offriraient à lui, celui du milieu, qui le conduirait au meilleur passage d’un ruisseau bourbeux qu’il avait à traverser.

Il suivit ces recommandations ; mais, entré dans l’eau, il trouva la vase si profonde qu’il se persuada qu’il avait fait fausse route (quand on est seul dans le bush, on craint toujours de se tromper, et même les plus aguerris ne sont pas exempts de cette crainte), il rebroussa chemin et reprit une autre des pistes qui le ramena à un autre passage du même ruisseau. Entré de nouveau dans cette eau bourbeuse, il n’était plus qu’à quelques pieds de l’autre bord, quand, après un violent effort, son cheval resta tout à coup immobile : un gros tronc d’arbre mort était enterré dans la vase, et la pauvre bête, ayant passé sa jambe droite de devant par-dessus cet obstacle, ne pouvait retirer sa jambe gauche prise derrière le tronc qui lui touchait le poitrail. Leuba se laissa glisser et chercha à la dégager, mais plus elle se débattait plus elle s’enfonçait dans la boue. Au lieu de s’épuiser en efforts inutiles, il aurait dû retourner à pied en arrière, chercher des cordes et des hommes ; il attendit, mais en vain, espérant que quelques passants lui viendraient en aide. La nuit survint sans que sa position fût améliorée, le cheval épuisé pouvait à peine tenir sa tête au-dessus de l’eau boueuse.

Un arbre s’était penché sur le ruisseau au-dessus d’eux, Leuba y monta et s’y cramponna, tenant dans ses mains les rênes de son cheval pour lui soutenir la tête. Harassé de fatigue, il s’endormit, et au point du jour, quand il se réveilla, il n’avait plus dans la main que l’extrémité de ses rênes ; la tête de son cheval était à demi immergée dans l’eau, et la pauvre bête était morte.

Notre ami pleura sa monture, mais le malheur était sans remède ; il n’avait d’autre ressource que de gagner la station la plus voisine où peut-être il pourrait s’en procurer une autre. Il fit donc un seul paquet de sa selle, de sa couverture et de sa bride, le tout, avec sa valise, pesant plus de soixante livres, et se mit tristement en route avec ce lourd fardeau sur le dos. Que de fois il se retourna pour regarder la place où il laissait la triste carcasse de son cheval mort ! Mais il fallait marcher, le soleil allait devenir brûlant, et la faim commençait à le presser. Vers dix heures, après avoir fait au moins dix milles, il découvrit l’emplacement d’une station où il arriva une heure après, mourant de fatigue, de faim et de soif.

Après avoir déjeuné et s’être reposé un peu, il demanda à acheter un cheval. La station où il se trouvait était une station de moutons, par conséquent peu fournie en chevaux, et l’intendant, qui y résidait en l’absence du maître, n’en avait qu’un seul assez mauvais dont il pût disposer et dont il demanda trente livres. C’était à prendre ou à laisser ; Leuba accepta le marché ; mais quand il présenta une traite sur l’Union-bank de Melbourne, le vendeur hocha la tête et refusa de l’accepter. Leuba n’avait sur lui que quelques livres en espèces ; c’était assez pour faire son voyage, car il n’avait rien à débourser dans les stations où jamais on ne refuse un dîner à un voyageur, et son coucher à la belle étoile ne devait guère lui coûter. Or, son costume était peu fait pour inspirer confiance en son papier, ses habits étaient tout en lambeaux, usés par six mois de service, et de plus ils étaient couverts de la boue du ruisseau où son cheval avait péri. Enfin, pour comble de malheur, il ne connaissait aucun des propriétaires de stations de ce district, où l’on n’élevait que des moutons, et l’intendant ne connaissait aucun des propriétaires de gros bétail dont Leuba aurait pu lui citer les noms pour établir son honorabilité.

L’intendant était un homme prudent, ce qui est synonyme de méfiant, et le cheval fut renvoyé au pâturage. Leuba qui ne voulait pas porter sa selle et sa bride jusqu’à Swanhill, distant encore de cinquante milles, d’acheteur se fit vendeur et céda ces deux objets à moitié prix. Il se mit en route à pied le lendemain et arriva le jour suivant à Swanhill.

Swanhill, petit village au bord du Murray, est le centre de communication entre toutes les stations des plaines que Leuba venait de traverser et les pays plus habités du sud : c’était la tête de route de Melbourne. Il y avait là, comme dans tous les villages de l’intérieur, une station de police, un store, un maréchal ferrant et une auberge. La malle de Bendigo allait partir, et Leuba résolut d’en profiter pour se rendre dans cette ville.

Ce qu’on appelait la malle n’était en réalité qu’un service de dépêches fait par un postillon à cheval conduisant un cheval de main lorsqu’il avait un lourd chargement de lettres et de journaux. Leuba obtint pour le prix de six livres sterling de faire les cent cinquante milles qui séparent Swanhill de Bendigo, monté sur le cheval de main, entre les sacoches qui renfermaient les dépêches. Ils se mirent en route au point du jour, et le postillon, se méfiant de son voyageur, lui donna la plus mauvaise bête, afin qu’il ne pût pas décamper avec la correspondance du district.

Après trente-cinq milles de galop, ils arrivèrent à une station ou un autre postillon attendait son camarade avec des chevaux frais pour le relever de service. Notre ami passa ainsi quatre fois successivement des mains d’un postillon à celles d’un autre. On lui laissa une fois seulement vingt minutes pour dîner et à dix heures du soir il arrivait à Bendigo demi-mort de fatigue après avoir galopé pendant dix-sept heures sans s’arrêter. La nuit, la fatigue et la fièvre l’empêchèrent de dormir ; à peine il avait fermé les yeux qu’il se mettait sur son séant en sursaut, rêvant qu’il entendait son ex-troupeau de bœufs s’échapper ou que son cheval s’embourbait sous lui, ou bien encore qu’il tombait dans l’eau du haut d’une branche sur laquelle il avait dormi deux ou trois nuits auparavant.

Le lendemain matin il prit la malle de Melbourne ; cette fois, une vraie malle, une voiture américaine chargée de mineurs et attelée de quatre chevaux qui marchaient toujours ventre à terre. À Melbourne il rencontra un fermier des environs d’Yéring qui lui fit faire une partie de la route sur sa voiture et il arriva enfin chez nous avec cette figure amaigrie et harassée qui provoqua nos étonnements, et rendit plus vif encore notre plaisir de le revoir sain et sauf après sa longue expédition.


Retour en Europe.

Par un beau jour de janvier, le cœur serré de regrets pour le pays que j’allais quitter, je dis adieu au cottage d’Yéring, à la maison neuve en construction, aux arbres que nous avions plantés, et jetant un dernier regard sur les montagnes de Dalry, dont j’avais pris congé la veille en me promettant bien de les revoir quelque jour, je m’assis à côté de mon frère, dans sa voiture, qui m’emmenait à Melbourne, avec mon bagage d’oiseaux empaillés, d’armes de sauvages, de peaux d’opossums et d’ornithorhynques, souvenirs de la colonie.

Les gens travaillaient aux moissons dans le clos cultivé ; parmi eux se trouvait le vieux Tom, qui avait aidé à la construction du pont de Dalry. Quand nous passâmes, Tom donna le signal trois fois répété en chœur, par lequel ils me souhaitaient encore une fois tous ensemble un bon voyage.

Le lendemain, quand s’éleva le vent favorable que l’on attendait pour sortir de la baie de Port-Philipp, tristement appuyé sur le bastingage de l’Anglesey, j’envoyai un dernier adieu à mon frère, qu’un petit bateau ramenait vers le port avec notre ami Lloyd.

Au mois d’avril je revis l’Angleterre. Combien la nature me semblait belle après mes trois mois de prison à bord. Les haies se couvraient de leur parure verte du printemps, et tandis qu’une voiture que j’avais prise entre Trouro et Plymouth montait un chemin creux, le gazouillement des fauvettes qui se poursuivaient de branche en branche vint charmer mon oreille. Je ne saurais vous dire la douce émotion que j’éprouvai. Ce n’était plus le cri aigu du perroquet aux brillantes couleurs, ni les notes graves des pies moqueuses, auxquels j’étais accoutumé depuis trois années. C’était l’annonce du retour dans la vieille patrie, le chant familier des oiseaux aimés de l’enfance qui m’arrivait tout plein des souvenirs du pays, des amis et des parents que j’allais revoir. Au regret pour l’heureuse colonie que j’avais quittée, se mêlait au fond de mon cœur la joie de rentrer sous le toit paternel, et ces deux courants opposés de sentiments se fondaient dans une profonde gratitude pour la divine et bonne Providence qui nous protége sur tous les sols et sous tous les climats.

Au moment où j’écris ces lignes, une grande expédition vient de quitter Melbourne pour aller explorer l’intérieur. Les colons généreux se sont cotisés afin de faire les frais nécessaires pour pénétrer jusqu’au cœur du continent : quelques-uns ont versé mille livres sterling à cette souscription. Le 15 juin 1860, vingt-quatre chameaux traversaient les rues de Melbourne, arrivant de l’Inde, chacun d’eux conduit par un Indien vêtu de rouge et de blanc, ce qui donnait à cette procession un aspect tout à fait oriental. Ces animaux étaient destinés à l’expédition ; ils sont en route à l’heure qu’il est, et bientôt sans doute, l’ignorance dans laquelle nous sommes encore sur l’intérieur du vaste continent australien sera dissipée.

H. de Castella.




L’ardeur du travail et des découvertes est telle en Australie, le progrès s’y précipite, pour ainsi dire, avec tant de rapidité que les événements de chaque jour y dépassent les prévisions de la veille. Pendant que l’expédition dont parle M. de Castella se mettait en marche pour traverser, du sud-est au nord-ouest, Le continent australien, un colon de South-Australia, M. Macdougall Stuart rentrait dans Adélaïde, après avoir pénétré droit au nord jusqu’au dix-huitième degré de latitude. Quatre mille deux cents kilomètres parcourus par M. Stuart, tant à l’aller qu’au retour, lui ont permis de constater que l’intérieur de cette vaste terre, regardé depuis longtemps par les géographes comme un aride et in franchissable désert, diffère très-peu, par son aspect et ses productions, de son littoral, et que le sol n’y repousse pas plus les troupeaux et la charrue de l’Européen que celui des cinq colonies prospères, qui s’essayent déjà, sur ce littoral, à la vie de nations, par l’agriculture, l’industrie et les délibérations périodiques et fécondes d’un gouvernement libre.

Squatter rassemblant ses troupeaux. — Dessin de Karl Girardet d’après l’album de M. de Castella.

Échelonnées du nord-est au sud-ouest, autour des rives australiennes, ces colonies sont : Queensland, détachée en 1860 de la Nouvelle-Galles méridionale ; elle a pour chef-lieu Brisbane, sur le fleuve de ce nom, au fond de la vaste baie de Moreton ; — New-South-Walles, capitale Sidney, fondée en 1788 ; — Victoria, chef-lieu Melbourne ; — South-Australia, créée en 1837 sur les pourtours des golfes Saint-Vincent et Spencer, capitale Adélaïde, — et enfin Western-Australia, avec Perth pour capitale, fondée en 1828 sur la rivière des Cygnes (Swan-River). Réunies, ces cinq provinces nourrissent déjà plus d’un million de colons, plus de cinq cent mille chevaux, de quatre millions de bœufs, de vingt millions de bêtes à laine et ont versé, depuis dix ans, au moins deux milliards d’or sur les marchés du vieux monde.



  1. Suite et fin. Voy. pages 81 et 97.
  2. Le Nammoi, le Castlereagh et le Macquarie, rivières issues des versants occidentaux des montagnes Bleues, coulent parallèlement du sud-est au nord-est pour se réunir toutes ensemble au Darling, qui, venant du nord, tombe dans le Murray, vers le cent quarantième degré de longitude, après un cours de deux à trois mille kilomètres.
  3. Le Metrosideros speciosa appartient à la famille des myrtacées ; c’est un bel arbrisseau de trois à quatre mètres d’élévation, aux branches longues, minces, tortueuses et le plus souvent pendantes, aux feuilles dures, coriaces, lancéolées et alternes. Les fleurs forment autour des ramilles comme un manchon feutré d’un rouge ponceau très-vif ; en tombant, ce manchon laisse sur le rameau qui lui sert d’axe des graines adhérentes à l’écorce. Le Jardin des plantes possède plusieurs pieds de ce spécimen de la flore australienne.
  4. Les noirs sont entièrement nus dans ces districts éloignés.