Souvenirs de 1848/2/3

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Calmann Lévy, éditeur (p. 213-216).



III

PRÉFACE DE LA BOTANIQUE DE L’ENFANCE


PAR


JULES NÉRAUD


Un de nos plus anciens et de nos plus chers amis, Jules Néraud, a rassemblé les matériaux de ce petit livre, en se jouant, en causant avec nous, en donnant leçon à ses enfants au coin du feu. Adonné à la botanique par vocation dès ses plus jeunes années, il aima trop la science en poète et en artiste pour songer à s’en faire un instrument de gloire ou de fortune. Comme Jean-Jacques, il contempla l’or des genêts et la pourpre des bruyères, sans songer à un plus grand bien que celui qu’il retirait de ses rêveries solitaires ; peut-être s’est-il trop souvent égaré dans les prairies à poursuivre les brillants insectes parmi les fleurs. Il ne s’est pas assez dit que la toute-puissance, soit de création, soit d’investigation, impose des devoirs à celui qui l’a reçue d’en haut, et qu’il n’est pas permis d’être savant pour soi seul. Les connaissances qu’il avait acquises, les observations ingénieuses qu’il avait rencontrées, il en devait compte sans doute ; il s’est tu, craignant les peines infinies qu’il faut prendre pour sortir de l’obscurité, et qui ne sont pas moindres, avouons-le, pour l’homme de dévouement que pour l’ambitieux.

Malgré tous nos reproches, j’ignore s’il secouera quelque jour la poussière de ses vieux cahiers, et s’il consentira à mettre en œuvre les richesses insoucieusement amassées dans tout le cours de sa vie ; pour aujourd’hui, nous l’avons décidé seulement à publier la plus modeste de ses productions ; mais, dans ce cadre naïf d’un livre élémentaire pour l’enfance, il nous a semblé que tant de grâce était jointe à tant de clarté, tant de savoir à tant d’humeur poétique, que ce livre devait se recommander de lui-même dès les premières pages à l’attention des lecteurs.

Ce ne sont peut-être pas les enfants seulement qui l’étudieront avec fruit ; ce sont les esprits littéraires et les gens de goût même les moins versés dans la botanique qui le parcourront avec plaisir. Il m’a semblé, quant à moi, toute prévention d’amitié à part, que ce petit ouvrage me promenait tantôt dans de beaux jardins, tantôt dans le désert des forêts, et que je faisais ce voyage imaginaire sous la conduite d’un causeur savant et amusant (ce qui ne se rencontre pas toujours), naïf comme un enfant, malin comme un campagnard du temps de Montaigne, aimant le merveilleux poétique, et portant bien en lui, dans son esprit enjoué, dans son cœur tranquille et doux, la bonhomie sérieuse avec laquelle Rousseau et la Fontaine examinaient la grâce d’un brin d’herbe ou le naturel d’un insecte.

Je ne sais si c’est le souvenir de ma jeunesse et de mes joies les plus pures qui se rattachent à la botanique qui m’a fait trouver tant d’attraits à cette lecture. S’il en est ainsi, je ne dois pas craindre d’être le seul, car quel est celui de nous qui n’a pas gardé la mémoire des riantes promenades de son enfance, et à qui le nom d’une fleur ne rappelle pas, avec le parfum qu’elle exhalait, le site où elle croissait et mille douces pensées qui se lient à ce souvenir ?

La méthode de ce traité élémentaire ne m’a pas moins frappé que la rédaction. Plût à Dieu qu’on pût appliquer à toutes les études ce procédé si simple et si attrayant ! Mais la botanique est peut-être, de toutes les sciences, celle où l’analyse offre le plus de charme, où la synthèse s’en dégage le plus nettement avec une bonne direction. Cette méthode doit nécessairement créer une occupation pleine d’attraits aux enfants les moins studieux et à beaucoup d’entre nous, grands enfants, qui fuyons la peine et reculons d’effroi devant le technique des définitions générales ; elle doit prendre comme par surprise les esprits paresseux et ranimer les mémoires engourdies. Elle est, comme toutes les choses excellentes, si simple et si logique que chacun, en se l’appliquant, s’étonnera de ne pas l’avoir trouvée de lui-même. Enfin, le style aura comme la forme cet inimitable et irrésistible attrait des œuvres faites avec amour et abandon.

14 mars 1845.